Media

Vers des immunothérapies avec moins d’effets secondaires

En identifiant les causes de la neurotoxicité d’une immunothérapie contre la leucémie infantile et le lymphome, une équipe américano-suisse met au point un traitement de nouvelle génération sans effets secondaires.

Cette IRM à haute résolution démontre que les cellules CD19 CAR-T induisent une perméabilisation de la barrière hématoencéphalique dans le cerveau de souris, reproduisant la neurotoxicité observée chez l’être humain. @UNIGE

Depuis quelques années, les immunothérapies, qui visent à stimuler le système immunitaire des personnes souffrant de cancers jusqu’alors difficilement soignables pour détecter et détruire les tumeurs, offrent un nouvel espoir aux malades. Les « CAR-T » sont ainsi des cellules immunitaires génétiquement modifiées récemment approuvées dans le traitement de leucémies infantiles et de lymphomes. En général d’une très grande efficacité et non nocif, ce traitement n’est cependant pas sans risque : dans de rares cas, certains patients sont en effet victimes de troubles neurologiques sévères. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE), des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), de l’Université de Pennsylvanie, de l’Université de Stanford, et du Parker Institute for Cancer Immunotherapy aux Etats-Unis est parvenue à identifier une potentielle cause de cette neurotoxicité : la molécule-cible des cellules CAR-T ne se trouve pas uniquement à la surface des cellules cancéreuses, mais aussi à la surface des péricytes, des cellules dont le rôle est de protéger le cerveau des invasions extérieures. Leur destruction par les cellules CAR-T pourrait donc expliquer les cas de neurotoxicité observés chez les malades. Cette découverte majeure, à lire dans la revue Cell, permettrait aux scientifiques de modifier le traitement pour éviter l’effet neurotoxique tout en conservant son pouvoir antitumoral.

Les CAR-T, pour « chimeric antigen receptor » ou récepteur antigénique chimérique, sont des cellules immunitaires humaines génétiquement reprogrammées pour détecter une molécule cible exprimée à la surface des cellules cancéreuses. Grâce à cette « tête chercheuse », les CAR-T sont ainsi capables de reconnaître et éliminer les cellules malades. Approuvées en 2017 pour le traitement de certaines leucémies aiguës de l’enfant et certains lymphomes réfractaires aux autres traitements, cette stratégie immunothérapeutique fait preuve d’une très grande efficacité en permettant jusqu’à 90% de rémissions complètes. Cependant, elle occasionne parfois des cas de neurotoxicité potentiellement sévères. 30 à 50 % des patients vont ainsi présenter des troubles neurologiques passagers (par exemple des difficultés à la marche ou des troubles de l’élocution), des crises d’épilepsie graves, ou dans de rares cas des états comateux pouvant s’avérer mortels.

Pour comprendre l’origine de ces affections neurologiques, Denis Migliorini, professeur assistant au Centre de recherche translationnelle en oncohématologie (CRTOH) de la Faculté de médecine, titulaire de la chaire ISREC en immunothérapie des tumeurs cérébrales et médecin hospitalo-universitaire aux HUG, s’est allié à des scientifiques de l’Université de Pennsylvanie ainsi qu’à des spécialistes en génomique monocellulaire de l’Université Stanford. «Nous soupçonnions que le marqueur CD-19 puisse être exprimé par des cellules cérébrales saines, ce qui expliquerait les atteintes cérébrales dont souffrent certains patients.», explique Denis Migliorini. «A notre grande surprise, les analyses génétiques à large échelle que nous avons conduites ont mis en évidence la présence de CD19 à la surface des péricytes cérébraux humains.»

Les péricytes constituent une population cellulaire responsable du maintien de l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau des molécules qui lui sont dommageables. Or, l’expression de CD-19 par les péricytes en fait des cibles à détruire.

Mieux cibler les cellules tumorales

Pour confirmer en laboratoire la validité de cette découverte, les scientifiques ont utilisé des modèles murins, chez qui la neurotoxicité observée chez les patient-es a pu être reproduite. «L’étape suivante consiste donc à modifier les CAR-T. En y ajoutant des gènes supplémentaires qui leur confèrent la capacité de reconnaître des marqueurs de péricytes en plus des marqueurs tumoraux, nos nouvelles cellules CAR-T seront testées pour leur capacité à tuer les cellules tumorales en épargnant les péricytes», détaille Denis Migliorini. Le traitement ne déclencherait donc plus de réponse neurotoxique, mais conserverait l’efficacité déjà démontrée contre les cellules tumorales. 

Au-delà des leucémies et des lymphomes, les chercheur-euses essaient d’étendre l’efficacité des traitements CAR-T à d’autres cancers, dits «solides». Les leucémies et les lymphomes possèdent, avec le marqueur CD-19, une cible clairement identifiée. Les tumeurs solides, cependant, et en particulier les tumeurs cérébrales, sont constituées de différentes populations cellulaires exprimant chacune des marqueurs différents. Il s’agira donc de développer des CAR-T capables de s’attaquer à des marqueurs cellulaires différents tout en restant insensibles à ceux des cellules saines.

Le CRTOH fait partie du Swiss Cancer Center Léman (SCCL), une alliance pluridisciplinaire réunissant l’UNIGE, les HUG, l’EPFL, le CHUV, l’UNIL et la Fondation ISREC visant à mener des recherches fondamentales, translationnelles et cliniques dans le domaine du cancer.

24 sept. 2020

Media