Newsletter

Éditorial: La recherche, entre soutien et désillusion

En 2021 encore, la Suisse figure en tête de l’indice mondial de l’innovation, établi par l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle. Dans le domaine biomédical, nous disposons en effet d’une longue tradition d’innovation, basée sur les recherches menées par les institutions académiques et par l’industrie pharmaceutique. Cet esprit dynamique a fait la richesse de notre pays. Or, le contexte politique actuel semble faire peser une menace sur notre capacité à développer des recherches biomédicales de pointe. Si l’initiative populaire visant à interdire l’expérimentation animale et la recherche sur l’être humain a été sèchement rejetée par le peuple en février dernier, un signal très positif que l’on nous envoie, l’arrêt des négociations avec l’Union européenne et la suspension de la participation suisse aux projets de recherche de grande envergure reste une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Un partenaire indispensable

L’arrêt des négociations visant à définir un accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne semblait très improbable il y a encore quelques mois. Et pourtant, le dialogue s’est rompu, et les universités suisses se sont vu exclues de tous les projets de recherche subventionnés par l’Union européenne. Si la perte financière est pour l’instant compensée par le FNS, l’impossibilité pour les scientifiques suisses de participer à ces projets européens fera des dégâts en termes de leadership, d’innovation et d’accès aux marchés. Or, si les institutions académiques suisses ont jusqu’ici largement constitué un atout pour la recherche européenne, ne faisons pas l’erreur de nous imaginer trop essentiels pour ne pas être mis de côté.

La grande force de la Suisse tient à sa capacité d’ouverture. Petit pays, nous devons favoriser les échanges pour continuer à exister. Ainsi, des scientifiques de grand talent vont peut-être faire le choix de partir ailleurs afin de ne pas risquer de subir un coup d’arrêt dans leur carrière. Si l’on ne peut pas encore, heureusement, parler de «fuite des cerveaux», je crains pour l’attractivité et la compétitivité de notre pays si cette situation devait perdurer. Aujourd’hui, la science est faite d’échanges, de séjours internationaux et de consortium à large échelle. Nous ne pouvons rester entre nous et prétendre rester à la pointe de l’innovation. Dans nos négociations futures avec l’Europe, la pesée d’intérêt de l’impact sur la recherche devrait donc être mieux prise en compte. Ces problèmes ne pourront en effet pas être résolus par une simple augmentation des dotations financières. La perte de leadership, de coopération, et d’influence n’est en effet pas qu’une question d’argent. Il ne faut pas négliger les effets indirects d’une perte de compétences sur la formation et le dynamisme économique, sans parler, de manière plus générale, du dégât d’image pour notre pays.

Et pourtant, la société suisse soutient la recherche

L’initiative sur la recherche sur laquelle nous avons voté — dernière incarnation d’un sujet déjà remis sur la table politique de nombreuses fois — ne concerne pas uniquement l’expérimentation animale, mais pose la question de la recherche dans son ensemble, des premières expérimentations jusqu’aux applications pour la santé humaine et animale. Si l’ensemble de la communauté scientifique et médicale y était évidemment opposé, cette initiative a constitué une opportunité unique de débattre de l’innovation en matière de santé et de la place accordée aux chercheuses et aux chercheurs dans notre pays. Son résultat sans appel, près de 80% de non, démontre un soutien massif de la part de nos concitoyennes et concitoyens. Ainsi, scientifiques et médecins ont conservé leur confiance, et cela est important. Il faut maintenant que les politiques mettent tout en œuvre pour que nous puissions continuer à travailler et à innover. En effet, si cette situation devait perdurer, la fuite de nos cerveaux vers des horizons plus ouverts à la science deviendrait alors inévitable.