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Autisme: un spectre en voie de segmentation

Une étude de l’UNIGE soutenue par Synapsy montre que les états fondamentaux des fonctions cérébrales des jeunes enfants atteints par le trouble du spectre de l’autisme portent une signature spécifique à leur profil clinique, une avancée pour la compréhension de la grande hétérogénéité de ce trouble du développement cérébral.

L’autisme est un trouble aux multiples facettes qui ne peut être identifié par un seul symptôme ni s’expliquer par une seule cause biologique. Il est ainsi désigné sous le nom de trouble du spectre de l’autisme (TSA). Les personnes souffrant de TSA ont de multiples difficultés, généralement caractérisées par des troubles de la communication et des interactions sociales ainsi que des comportements restreints et répétitifs.

***  Figure (©UNIGE/SCHAER): Les cinq états cérébraux de base considérés par l’étude lors des enregistrements électroencéphalographiques effectués chez les enfants en âge préscolaire. Appelés «microstates», ils peuvent être représentés par des cartes d’ac

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Figure (©UNIGE/SCHAER): Les cinq états cérébraux de base considérés par l’étude lors des enregistrements électroencéphalographiques effectués chez les enfants en âge préscolaire. Appelés «microstates», ils peuvent être représentés par des cartes d’activité cérébrale A-B-C-D-E, visible en bas du graphique. Leur ordre d’apparition et la dynamique de l’état B sont affectés chez les enfants avec un Trouble du spectre de l’autisme (TSA) comparé à des enfants du même âge sans ce même diagnostic.

Afin d’améliorer à terme le dépistage et la prise en charge, les recherches tentent de mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques impliqués dans cette grande hétérogénéité, plus particulièrement pendant le développement cérébral et la formation des grands réseaux neuronaux. Dans une étude à lire dans la revue Communication Biology, le laboratoire de recherche de Marie Schaer, Professeure au Département de psychiatrie de l’Université de Genève (UNIGE) et membre du Pôle de recherche national (PRN) sur la santé mentale, le PRN-Synapsy, a pu démontrer que certains états cérébraux fondamentaux, plus particulièrement leur dynamique, sont altérés chez les enfants en âge préscolaire avec un diagnostic de TSA.

Un outil d’investigation sur mesure

 Afin de comprendre quelles sont les atteintes neurobiologiques et de savoir comment les détecter précocement avec l’arsenal d’outil d’analyse cérébrale disponible et compatible avec les enfants en bas âge et atteints de TSA, l’équipe de recherche s’est tournée vers l’électroencéphalographie (EEG). «Un bonnet muni d’électrodes est posé sur la tête des petits, ce qui est pour la plupart plus gérable que d’entrer, par exemple, dans un appareil à résonance magnétique, particulièrement impressionnant et anxiogène», précise Aurélie Bochet, doctorante au Département de psychiatrie de l’UNIGE et co-première auteure de l’étude avec Holger Sperdin. Une technique d’EEG appelée «EEG microstate analysis» permet de mesurer les états du cerveau au repos, représentatifs de ses fonctions les plus basiques et reflétant l’activité des grands réseaux de neurones. «Une approche de plus en plus utilisée pour étudier les corrélats neurobiologiques des pathologies mentales. De plus, elle est particulièrement adaptée aux jeunes enfants avec autisme puisque le repos est évidemment la tâche la plus simple que l’on puisse leur demander», poursuit-elle.

Altération de la dynamique des états cérébraux

Le cerveau au repos montre une activité neuronale restreinte au minimum. Elle reflète ainsi ses fonctions les plus basiques, comme la vision ou encore la pensée. La littérature neuroscientifique montre que le cerveau au repos ne reste pas dans un seul état, mais qu’il passe successivement d’un état à un autre. Ces différents états, les «microstates»,  restent stables pendant une centaine de millisecondes. La dynamique de ces passages successifs est mesurée par les neuroscientifiques pour évaluer les effets d’une pathologie cérébrale donnée sur les grands réseaux de neurones.

Dans le cadre de cette étude genevoise, cette approche a été utilisée pour enregistrer la dynamique des états cérébraux de 113 enfants en âge préscolaire, dont plus de la moitié avait un diagnostic de TSA. Les chercheur-euses ont identifié cinq états prédominants. «Nous avons comparé la dynamique de ces cinq états entre les enfants avec et sans diagnostic de TSA à travers la mesure de trois principales variables: la durée des états, le nombre de fois qu’ils apparaissent et leur ampleur», raconte Aurélie Bochet. Un des cinq états identifié apparaît plus fréquemment et persiste plus longtemps chez les enfants atteints de TSA. De plus, l’ordre d’apparition des différents états est différent chez les enfants TSA.

Enfin, l’équipe de recherche a pu démontrer que des différences de dynamique des états cérébraux existaient au sein même de la population d’enfants avec un diagnostic de TSA et qu’elles étaient associées aux différents symptômes observés cliniquement. «Concrètement, nous avons pu corréler un symptôme particulier à une donnée spécifique de l’EEG. Donc, ce que l’on observe au niveau clinique, par des questionnaires ou des évaluations comportementales, est effectivement relié à des atteintes neurobiologiques spécifiques», précise Marie Schaer.

Une prometteuse segmentation du spectre

Cette étude constitue une étape importante pour la compréhension du TSA puisqu’elle offre enfin les moyens aux neuroscientifiques de décomposer la grande hétérogénéité de symptômes autistiques avec des indicateurs fiables.

La taille exceptionnelle de la cohorte rend cette étude unique en son genre. Il a fallu à l’équipe plusieurs années pour la constituer, un effort soutenu par le Fonds national suisse et son PRN Synapsy, et par la Fondation pôle autisme. Cette grande taille d’échantillon a non seulement permis d’obtenir des résultats d’une grande fiabilité, mais également de fournir de précieuses indications sur le nombre minimum de sujets nécessaires pour identifier les différences caractérisant le spectre de l’autisme. Les calculs des protagonistes de l’étude montrent qu’au moins 20 à 25 personnes par identité clinique seraient nécessaires pour enfin pouvoir représenter toute l’étendue du spectre des troubles de l’autisme et révéler les différences par rapport au développement cérébral typique.

Marie Schaer est très enthousiaste pour l’avenir de la recherche et des traitements: «une telle segmentation permettra un meilleur diagnostic et caractérisation des différents profils des enfants, d’évaluer les effets des thérapies actuelles et futures avec des indicateurs fiables et d’orienter spécifiquement le développement des thérapies vers les réseaux neuronaux impliqués dans les TSA».

7 oct. 2021

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