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Maladies psychiatriques: Mieux comprendre la grande hétérogénéité des patients grâce aux variants génétiques

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Les variants génétiques ont un effet sur notre apparence, notre fonctionnement et notre santé. Synapsy entreprend l’examen attentif de leur relation de causalité avec les phénotypes des maladies psychiatriques.

Après les succès des deux premières phases de Synapsy, le temps est venu d’appliquer des analyses génétiques au large éventail de données cliniques recueillies. Au cours des dernières années, les scores de risque polygénique (SRP) calculés à partir d’études d’association à l’échelle du génome (genome-wide association study, GWAS) ont montré leur utilité pour prédire les risques de maladies complexes et disséquer les relations génotype-phénotype vers une meilleure stratification des sous-types de maladies. Synapsy s’est récemment donné les moyens d’utiliser cette approche pour tenter de stratifier génétiquement ses cohortes cliniques et ainsi mieux diagnostiquer et prévenir les maladies psychiatriques.

Une approche génétique repensée

Dès sa création en 2010, Synapsy ambitionnait d’identifier les gènes impliqués dans la vulnérabilité aux troubles mentaux en évaluant les facteurs biologiques qui influencent le développement cérébral. Pourquoi avoir attendu la troisième phase du programme pour effectuer le premier pas ? Alexandre Dayer, Directeur de Synapsy et Professeur au Département des neurosciences fondamentales de l’Université de Genève (UNIGE), explique que d’un point de vue historique, les premières hypothèses sur les gènes à risque en psychiatrie étaient largement incorrectes. « L’une des raisons est qu’elles se basaient sur une approche focalisée sur un gène candidat, des gènes de risque choisis sur la base de diverses hypothèses liées aux fondements biologiques des phénotypes psychiatriques et non sur des faits cliniques concrets. », indique-t-il. Cette approche a en effet donné lieu à des études qui se concentraient sur l’importance potentielle d’un polymorphisme donné dans un trait psychiatrique complexe, mais trop rares sont celles dont les conclusions ont pu être vérifiées, suggérant que la majorité des gènes candidats utilisés dans ces études étaient de faux positifs.

Emmanouil Dermitzakis, directeur du Health 2030 Genome Center et Professeur à l’UNIGE, ajoute que cette approche conventionnelle considérait que l’effet de la génétique se produisait uniquement dans l’organe affecté, comme le cerveau pour les maladies psychiatriques ou encore le pancréas pour le diabète. « C’était en partie correct, mais la cause initiale ne provient pas toujours du tissu malade. Par exemple, le cerveau est un tissu causal du diabète parce qu’il contrôle l’appétit. Tout ne vient donc pas du pancréas en matière de diabète », dit-il.

En réponse à cette véritable crise de la génétique, la vision et les approches ont changé. Elles ont désormais donné suffisamment de garanties pour qu’elles soient appliquées à la psychiatrie. « La vision actuelle est que l’architecture génétique des phénotypes psychiatriques est complexe et comprend une grande variété de polymorphismes communs. Pris individuellement, chaque variant génétique n’a qu’un très faible effet et n’explique qu’une fraction minime de la variance d’un trait de comportement donné. C’est la combinaison d’une grande variété de gènes à risque qui constituent un facteur de risque génétique plus général avec des implications cliniques », précise le directeur de Synapsy.

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Stratifier par les gènes

Les personnes souffrant de maladies psychiatriques sont actuellement groupées en catégories appartenant aux grandes dénominations de celles-ci, comme le spectre du trouble autistique, la schizophrénie, la bipolarité, etc. Or, ces catégories montrent une grande hétérogénéité de patients suggérant plusieurs sous-catégories, voire des maladies différentes. Les patients de chaque catégorie ont évidemment des traits de comportement commun, comme des problèmes d’interaction sociale pour les personnes souffrant du trouble autistique, mais montrent probablement d’autres phénotypes qui ne sont pas encore suffisamment compris pour avoir une manière rationnelle de les différentier. Si les chercheurs pouvaient comprendre l’étiologie de ces maladies – elle peut être génétique, environnementale, voire une combinaison des deux –, il serait alors possible de stratifier les groupes de patients pour lesquels une seule cause serait responsable de leur pathologie. « Nous serons alors en mesure de comprendre ce qui différencie un sous-groupe de patients d’un autre. En utilisant la génétique comme point de départ, nous obtiendrons le premier indice non biaisé sur ce qui ne fonctionne pas correctement, car un gène donné est affecté. », complète Alexandre Reymond, directeur du Center for Integrative Genomics de l’Université de Lausanne.

L’idée est d’analyser les variations génétiques communes des patients. En effet, chaque cellule humaine contient l’ensemble du génome, constitué de 6,54 milliards de bases nucléiques. En moyenne, il existe 20 000 variants ponctuels de petite taille (single nucleotide variants) entre les individus et parmi eux, 500 sont rares et la moitié sont associés à une perte de fonction. « On estime que 50 % du risque de développer une maladie provient de la variabilité du génome. », précise Emmanouil Dermitzakis. Ces variants génétiques peuvent donc être utilisés pour comprendre les maladies. Il existe deux grandes manières de procéder en fonction de l’ampleur de l’effet des variants sur l’organisme.

Communes ou rares

Les variants génétiques ayant des effets limités peuvent être identifiés à travers de grandes études appelées GWAS. Ces dernières consistent à corréler une position sur le génome avec les variances du phénotype. En utilisant le génotypage sur de vastes cohortes composées de dizaines de milliers d’individus, les chercheurs peuvent extraire des probabilités et des facteurs de risque – les SRP – pour le développement d’une maladie. « Une fois ce travail effectué, il est théoriquement possible de retourner chez le patient, d’identifier ses allèles variants pour diagnostiquer une maladie ou identifier une prédisposition. C’est aussi une façon de stratifier les patients », poursuit Alexandre Reymond.

La seconde approche est basée sur une variance rare ayant un effet important sur la cognition. « Elles ne peuvent être que rares d’un point de vue évolutif, car les individus porteurs auront tendance à avoir moins d’enfants que la normale. Dans une telle situation, on ne peut pas seulement examiner des positions uniques sur le génome par le biais du génotypage pour en tirer un SRP, mais toutes les positions de manière détaillée, y compris dans les régions non codantes », précise-t-il.

Une situation particulière pour Synapsy

Les deux approches seront utilisées par Synapsy et auront un but commun : identifier les origines génétiques des phénotypes cliniques observés chez le patient et en tirer des facteurs de risques pour chaque individu. « Cela signifie qu’il y aura une vision personnalisée du risque, par opposition à la moyenne de la population », commente Emmanouil Dermitsiakis.

La question de savoir si les SRP sont cliniquement utiles reste très ouverte pour Alexandre Dayer. Les cohortes cliniques de Synapsy seront, selon lui, d’une importance cruciale pour répondre à cette question. « Ces dernières sont particulièrement attrayantes puisque les génomes peuvent bien évidemment être extraits du sang des patients pour être séquencés et analysés, que les variables cliniques sont disponibles et qu’à défaut de biopsies pour renseigner sur l’expression des gènes et sur la protéomique, des données d’imagerie et d ’EEG sont disponibles », se réjouit Emmanouil Dermitzakis. Il faudra donc en premier lieu déterminer si l’imagerie cérébrale pourra être intégrée dans les SRP pour définir les risques et prévoir l’apparition des maladies. Finalement, « la taille modeste des cohortes de Synapsy, une centaine de patients contre plusieurs milliers pour les GWAS, pourrait constituer un obstacle », tempère Alexandre Dayer.

Les chercheurs de Synapsy, avec l’aide de deux postdoctorants supervisés par les deux généticiens affiliés, vont établir les profils de SRP et stratifier le risque génétique dans les cohortes syndrome de délétion 22q11 (WP#1), psychoses précoces (WP#2) et Trouble du spectre autistique (TSA, WP#3). Les données génétiques des cohortes cliniques WP#1 et WP#2 sont déjà disponibles par le biais de consortiums internationaux. Enfin, un financement privé supplémentaire a été obtenu par Marie Schaer, Professeure à l’UNIGE, pour effectuer le séquençage du génome entier dans la cohorte TSA. ●

YB

9 sept. 2019

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