Discours troisième de l'humeur mélancolique

Type:   Document

Author:   Guibelet, Jourdain

Date:   1603

Place:   Evraux

Publisher:   Le Marié

Il fut avis un jour à une femme mélancolique, qu’elle avait dévoré un serpent ; elle le sentait mouvoir et faire bruit autour de son estomac, au moyen de quoi elle était fort en peine, craignant que cela fût cause de lui apporter la mort. Aucuns rapportent cette fantaisie aux vers qu’elle pouvait avoir dans les intestins. Mais je penserais plutôt que cette femme était hypocondriaque, et que le bruissement qu’elle pouvait entendre et sentir autour des hypocondres, ayant l’imagination corrompue, lui causait cette fausse opinion d’avoir dévoré un serpent. C’est un signe qui accompagne toujours les hypocondriaques, que de sentir ordinairement quelque bruit en la région du foie ou de la rate : à l’occasion de quoi un Médecin, en Plaute, désirant connaître le mal d’un qu’on pensait être hors de sens, lui demande s’il n’entend pas aucune fois bruire ses intestins. « Quand je suis soûl (répond le malade) ils se taisent, mais quand la faim me tient ils crient. Ubi satur sum nulla crepitant, quando esurio crepant » ; Cette femme fut guérie par l’industrie du Médecin qui l’assistait : car lui ayant ordonné un vomitoire, quand le médicament voulu faire son effet, il lui tendit le bassin, et laissa couler subtilement une couleuvre qui était en sa manche, lui persuadant qu’elle était tombée et sortit de son estomac. Ainsi une fausse [243r°] imagination est détruite par une plus forte, sic mendacium mendacio curatur.