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Quand les robots paieront leurs impôts

Taxer les robots. L’idée a fait son chemin dans l’esprit de Xavier Oberson. Le professeur de droit publie un livre dans lequel il esquisse le régime fiscal du futur. Et celui des perdants de la robotisation

Le professeur de droit Xavier Oberson publie un livre qui esquisse un régime de taxation des robots. — ©  Mark Henley / Panos Pictures  pour Le Temps
Le professeur de droit Xavier Oberson publie un livre qui esquisse un régime de taxation des robots. — © Mark Henley / Panos Pictures pour Le Temps

Le cabinet genevois de Xavier Oberson regorge de recueils de jurisprudence, de disques dorés et de portraits de rockers de légende. Mais le fiscaliste et professeur de droit a désormais une autre passion: les robots. En atteste son duo de guitare électrique avec un bras robotisé, dont il garde un instantané. Ou l’affiche de sa conférence universitaire de février 2017 sur la taxation des robots.

Notre interview en 2016: «On pourrait imaginer qu’un robot refuse de payer ses impôts!»

Depuis, Xavier Oberson s’est offert un semestre sabbatique pour affiner sa réflexion. Et même si c’est un collègue humain qui l’a remplacé à l’université pour son cours de droit fiscal, il n’a pas changé d’avis. La robotique, couplée aux fulgurants progrès de l’intelligence artificielle, sera capable de remplacer les bras, mais aussi le cerveau. «Cette fois c’est différent», énonce-t-il en écho aux pourfendeurs de la théorie de la destruction créatrice.

La fiscalité du «pessimisme éclairé»

Celui qui se décrit comme un «pessimiste éclairé» publie Taxing Robots. Helping the Economy to Adapt to the Use of Artifical Intelligence (non traduit), disponible chez l’éditeur Elgar ce vendredi. Un peu plus tard que prévu, pour ce livre amendé à peu près à chaque avancée technologique majeure au cours de ces trente derniers mois. «Il a bien fallu poser le crayon», soupire son auteur, qui livre la première esquisse de ce qui pourrait être le régime fiscal du futur. Celui des machines.

© Elgar Publishing
© Elgar Publishing

Côté technologie, les choses vont bon train; la littérature académique est, elle, inexistante. Xavier Oberson est allé sur le terrain. Il cite des visites d’usines au Japon où 90% de la production est automatisée, des humanoïdes d’assistance administrative ou l’émotion qu’il a ressentie face à des exosquelettes. Il évoque aussi ces e-mails reçus, les «plus agressifs de ma carrière», mais aussi les dossiers consacrés par les médias de référence anglo-saxons à la taxation des robots. «A great bad idea» («une excellente mauvaise idée»), avait conclu The Economist.

L’idée est clivante. La vision de Xavier Oberson, c’est l’instauration d’un modèle de taxation qui évoluerait en fonction des avancées technologiques. Mais «auquel on pourrait aussi renoncer si la destruction du salariat n’a finalement pas lieu», précise-t-il.

En attendant que les robots paient leurs impôts

La taxation viserait dans un premier temps l’utilisation des robots. Plus précisément, le salaire qu’ils auraient touché s’ils avaient été des travailleurs humains. «C’est une logique semblable à celle de la taxe sur la valeur locative, analyse le fiscaliste. On calcule un loyer théorique qu’il aurait fallu payer pour habiter le bien immobilier.»

Lire aussi: «Il faut taxer les robots comme s’ils avaient un salaire»

Si l’anxiogène ascension des robots a bien lieu et qu’ils finissent par dominer le monde du travail, une deuxième étape de taxation s’imposerait. Elle concerne la «capacité contributive». Soit la possibilité que les robots perçoivent réellement un revenu et puissent en disposer, comme s’il s’agissait d’argent de poche. L’idée peut sembler grotesque, mais Xavier Oberson rappelle que les sociétés anonymes sont aussi de pures créations juridiques et qu’«il suffirait, comme pour ces entreprises, d’attribuer une valeur à chacune des tâches réalisées par les robots. On le fait déjà avec la TVA.»

On taxe bien les GAFA

Et si la nouvelle force de travail robotisée venait à renverser l’entier de notre système fiscal et d’assurances sociales, la création d’une nouvelle catégorie de contribuable serait inévitable, explique Xavier Oberson.

Cela passerait évidemment par la création d’une «personnalité électronique» – sur laquelle planchent justement le Parlement européen et sa députée luxembourgeoise Mady Delvaux. Le professeur de droit a rencontré cette dernière à Liège pour une discussion sur la difficulté à définir ce qu’est un robot. «Je retiens, pour ma part, le critère d’autonomie. La définition doit être neutre quant à la forme, sinon on ne taxera que ce qui ressemble à un humanoïde.»

Sur les travaux du Parlement européen: «Il ne faut surtout pas octroyer de droits aux robots»

A l’heure où l’on a encore tant de peine à taxer les bénéfices des multinationales, l’enjeu de la taxation des robots peut prêter à sourire. Xavier Oberson le conçoit puisqu’il a «fallu dix ans pour obtenir un consensus sur BEPS», le projet de l’OCDE de lutte contre l’érosion de la base d’imposition. Mais il renverse l’argument, voyant dans les discussions sur les GAFA «une tentative de commencer à imposer l’économie digitale, qui ne règle, elle, rien de l’érosion du travail».

Une idée vieille comme la révolution

«Que vont faire les gens quand les robots nous auront entièrement remplacés?» s’inquiète Xavier Oberson. Avec ses taxes, il envisage qu’il serait possible de financer un revenu de base inconditionnel qui serait distribué à tous les êtres de chair et d’os. Ou alors un fonds pour favoriser la réinsertion des perdants de la robotisation.

Une idée vieille comme la révolution industrielle. Dans son ouvrage Agrarian Justice, Thomas Paine proposait en 1797 de verser 21,15 livres sterling à chaque paysan perdant ses terres en guise de dédommagement.

Le col blanc Xavier Oberson voit dans la quatrième révolution industrielle l’opportunité de rééquilibrer la taxation entre travail et capital, afin de lutter contre la concentration des richesses. Le socialiste français Benoît Hamon, qui portait le projet lors de l’élection présidentielle de 2017, n’a pourtant pas passé la barre des 6,3% des voix. «J’ai eu quelques contacts avec l’entourage de Benoît Hamon, admet le professeur genevois. Il est peut-être arrivé trop tôt. C’est une idée du futur, mais demain il sera trop tard pour y penser.»