La psychanalyse et le développement intellectuel : résumé du second rapport (1933) a

I. — Introduction

Il y a parallélisme entre le développement affectif et l’évolution de la pensée parce que les sentiments et les opérations intellectuelles ne constituent pas deux réalités extérieures l’une à l’autre, mais les deux aspects complémentaires de toute activité psychique.

On dit en général que la pensée est tantôt pure, tantôt gouvernée par les sentiments. Ce sont là expressions impropres, car le sentiment accompagne toujours la pensée. Mais tantôt les sentiments, comme la pensée, s’attachent à des règles (à la fois morales et logiques) d’objectivité et de cohérence, et alors la pensée est rationnelle, tantôt les sentiments comme l’intellect demeurent égocentrique, c’est-à-dire préfèrent la satisfaction du moi à la vérité, et alors la pensée est pré- ou illogique.

II. — Les traits généraux du parallélisme entre l’affectivité et la pensée

Étant données les relations constantes qui unissent l’intelligence aux sentiments, il va de soi que les développements respectifs de ces deux fonctions présentent d’étroites analogies, d’ensemble et de détail. Dans l’ensemble on peut noter les trois points suivants :

1° La pensée comme l’affectivité a une histoire, c’est-à-dire qu’elle évolue en sa structure et pas seulement en son contenu. Les étapes de cette évolution peuvent être caractérisées au moyen d’un système de « stades », étant entendu qu’une classification est toujours artificielle et que, en vertu de divers décalages, elle s’applique d’autant moins à l’ensemble des caractères du sujet que l’on s’éloigne des stades primitifs.

Deux exemples : il existe un stade antérieur à la constitution d’un univers permanent et durant lequel le moi et le monde ne font qu’un (les 10-12 premiers mois environ), un stade égocentrique durant lequel le monde demeure centré sur le moi, etc.

2° Le développement de la pensée manifeste l’existence de certains systèmes isolables ou « schèmes », dont on peut reconstituer la genèse et l’histoire et qui correspondent aux « complexes » affectifs.

Exemple : les schèmes magico-phénoménistes, finalistes, artificialistes, etc.

3° La pensée comme les sentiments peuvent être anarchiques ou disciplinés par des systèmes de règles. Il existe à cet égard un parallèle entre la logique et la morale, comme entre la pensée « non dirigée » et les sentiments spontanés.

III. — La pensée conceptuelle et la pensée symbolique

Dans la mesure où la pensée est disciplinée par la vie sociale, elle est modifiée à deux points de vue. En ce qui concerne les signes qui lui servent d’instrument, elle entre dans le monde du langage. Quant aux significations corrélatives, elles sont réglées par la logique — condition d’existence de la pensée commune — et acquièrent une structure conceptuelle, le concept constituant le schème collectif lié au signe verbal.

Dans la mesure, au contraire, où la pensée demeure individuelle (au sens strict par opposition à la pensée sociale intériorisée), le symbole fait fonction de signe : le signifiant en est l’image, mimée (comme dans le jeu enfantin ou diverses manifestations morbides) ou mentale, et le signifié l’expérience intime du sujet. C’est cette « pensée symbolique » que la psychanalyse a découverte et étudiée, et dont la pensée de l’enfant est imprégnée.

IV. — La pensée de l’enfant

En effet, on trouve chez l’enfant toute une série de structures mentales intermédiaires entre le pur symbolisme, qui caractérise la pensée du jeu et de l’imagination individuels et la pensée rationnelle ou socialisée, la pensée égocentrique, qui flotte à mi-chemin de l’individuel pur et du social, présente à cet égard une structure spécialement intéressante par ses attaches avec le symbolisme.

On peut noter deux sortes d’analogies entre la pensée égocentrique et la pensée symbolique :

1° Des analogies de contenu, comme celles dont parle M. de Saussure en son rapport ou celles dont témoignent par exemple les mythes d’origine.

2° Les analogies de structure, comme celles du syncrétisme avec la condensation symbolique, etc.

V. — La genèse du symbolisme

Mais, si l’on admet ce parallélisme entre les mécanismes intellectuels et les mécanismes affectifs, il faut choisir entre les deux conceptions du symbolisme entre lesquelles ont oscillé les travaux de Freud.

Selon la première, le symbole est un déguisement inconscient des tendances refoulées et la genèse du symbolisme dépend étroitement de la censure et du refoulement. La pensée symbolique serait donc à considérer comme antilogique.

Selon la seconde, au contraire, le symbole est une forme élémentaire de la pensée, indépendant en droit des processus affectifs qui peuvent le doubler, et prélogique plus qu’opposé à la pensée conceptuelle.

C’est dans cette seconde direction qu’il faudra semble-t-il s’orienter pour résoudre la question de la genèse des symboles.

VI. — La mémoire et l’association

Or, à la première interprétation du symbolisme sont liées certaines conceptions de la mémoire et de l’association, qui dominaient la pensée freudienne au temps de la Traumdeutung et dont elle ne paraît pas s’être entièrement affranchie.

Dans la Traumdeutung, en effet, la mémoire apparaît comme un enregistrement automatique et comme un réservoir intégral des souvenirs, son activité demeurant étrangère à la conscience, laquelle, en tant qu’« organe interne des sens » se borne à éclairer ou à laisser dans l’ombre les images ainsi accumulées dans l’inconscient. De plus, les perceptions actuelles s’associent d’elles-mêmes à l’ensemble des souvenirs correspondants et c’est le jeu de ces associations qui, lorsqu’il est libre, produit la reviviscence du passé et, lorsqu’il est contrecarré par la censure, explique la production des symboles, par condensations et déplacements successifs.

Mais, à la suite de nombreux travaux, les psychologues contemporains sont de plus en plus portés à nier l’existence d’associations vraies et à considérer comme des relations intentionnelles les associations apparentes. De plus, la mémoire apparaît toujours davantage comme une reconstitution active du passé, sans que l’on puisse affirmer que les matériaux de cette reconstitution consistent en souvenirs inconscients doués de permanence.

Dès lors l’« inconscient » apparaît comme un système d’opérations et de schèmes actifs, dont il s’agit de reconstituer la genèse et la filiation, plus que comme un réservoir de souvenirs que l’on peut espérer retrouver et invoquer pour l’explication du présent.

VII. — Conclusion. Les schèmes affectifs et les schèmes intellectuels

La différence entre les deux conceptions de la mémoire et du symbolisme se marque en particulier dans l’interprétation des schèmes.

Selon la première conception, ce sont les souvenirs inconscients, et les sentiments qui leur sont attachés qui déterminent la conduite actuelle de l’individu. Les schèmes affectifs ou complexes reposent ainsi eux-mêmes sur la mémoire et c’est par une série de transferts et d’identifications que s’explique l’adaptation au présent.

Selon la seconde conception, au contraire, les expériences vécues et les réactions passées se condensent en schèmes qui déterminent la conduite actuelle. Ces schèmes sont essentiellement actifs et, loin de reposer sur des souvenirs inconscients, c’est sur eux que s’appuie la mémoire pour reconstituer le passé.