Les Principes de la logique… (1935) a 🔗
Depuis les travaux d’Adrien Naville sur la classification des sciences et les cours fameux, bien que restés malheureusement inédits, de Théodore Flournoy, la pensée romande n’a pas fourni à la philosophie des sciences de contribution plus importante que le dernier ouvrage de M. Arnold Reymond. Aussi bien, voici plus de trente ans que le philosophe vaudois médite sur les rapports de la logique et des mathématiques et que, avec une continuité digne d’admiration, ses travaux nous apprennent les progrès de sa réflexion sur ces questions subtiles. Devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la « logistique » ou logique mathématique, M. Reymond a été invité à deux reprises à donner un cours à la Sorbonne, relatif à cette discipline, et ce sont les idées principales développées durant ces leçons qui nous sont aujourd’hui offertes en un volume.
À ce premier point de vue, le livre de M. Reymond est de toute utilité pour les philosophes et mathématiciens de langue française. Par une étrange fatalité, en effet, les logisticiens français ont été décimés depuis des années avant de produire leur œuvre maîtresse, tandis que les logiciens d’école restaient à distance, plus ou moins volontairement, de la logique mathématique. Les non-spécialistes trouveront donc dans l’ouvrage que nous analysons une foule d’enseignements et l’équivalent des traités anglais ou allemands consacrés à cette matière. Mais les pages de M. Reymond contiennent bien davantage qu’une initiation scolaire. C’est une réflexion vigoureuse et personnelle que l’on sent de façon continue et qui inspire de nombreux développements. Il y a donc plus, ici, qu’un traité de logistique : c’est toute une critique de la pensée et de ses rapports avec la réalité, c’est donc toute une théorie de la vérité que le lecteur découvre peu à peu. L’originalité du penseur vaudois tient à ce qu’il cherche à concilier l’absolu des conditions de la vérité avec le dynamisme de l’activité intellectuelle. Ce dynamisme, que la science impose aux yeux des moins prévenus, a été admirablement décrit dans les œuvres de M. Brunschvicg. La critique si aiguë de ce grand philosophe de la physique et des mathématiques a visiblement impressionné et même profondément troublé M. A. Reymond. Mais celui-ci, tout en renonçant sous son influence au réalisme de la logique classique, et en faisant ainsi une part au dynamisme contemporain, a voulu réagir et, tel un Kant à la lecture de Hume, fonder une nouvelle certitude sur les ruines mêmes du dogmatisme.
Au relativisme, M. Reymond concède donc qu’aucune vérité scientifique n’est à l’abri des révisions périodiques et que tous les jugements sont interdépendants. La vérité consiste davantage en une certaine « position fonctionnelle » qu’en une structure donnée une fois pour toutes : elle dépend sans cesse d’une cohérence interne toujours à réviser et d’une adaptation au réel toujours à affiner. D’où l’immense avantage de l’analyse logistique, qui épouse les méandres de ce dynamisme, sur la logique classique, demeurée statique et en partie verbale.
Mais, sous la vérité qui se fait, M. Reymond prétend trouver l’éternelle fixité des « conditions de la vérité ». C’est ici que sa pensée dépasse le cadre technique de la discussion logico-mathématique pour rejoindre l’effort et le langage communs à tous les philosophes. La première de ces conditions rend possible l’accord de la pensée avec elle-même. Il s’agit donc des principes formels de la logique et des valeurs de la vérité en général. À cet égard, M. Reymond s’oppose au psychologisme et au sociologisme, dans la mesure où ils lui paraissent menacer la fixité nécessaire des normes rationnelles. La seconde condition a trait au rapport de la pensée et des choses. Pour que le sujet s’unisse à son objet et participe ainsi non seulement à l’« un » mais encore à l’« être », il faut, selon M. Reymond, invoquer la transcendance divine, « source inconditionnée à la fois de la pensée et de son donné, comme aussi de leur rapport » (p. 253).
En définitive, sous le dynamisme de l’élaboration intellectuelle, il convient donc de reconnaître l’existence d’un absolu logique et moral rendant cette élaboration possible. Mais la question se pose, — et c’est sur cette remarque critique que nous aimerions conclure, après avoir rendu hommage au bel effort de notre maître et collègue — la question se pose de savoir si cet absolu est nécessairement extérieur à la pensée ou s’il peut être à la fois inconditionné et immanent à elle ? Pour échapper au scepticisme, le relativisme a-t-il besoin de s’appuyer sur un réalisme, ou bien l’idée même de relations réciproques, qui lui est inhérente, ne suffit-elle pas à fonder l’« invariant » souhaité ?