Le groupement additif des classes (1941) a

Les deux théorèmes établis dans la communication précédente permettent de définir une notion qui nous paraît utile en logistique et dans ses applications à la psychologie de la pensée : celle de « groupement », qui constitue l’équivalent, sur le plan des opérations logiques, de la notion de « groupe » pour les opérations mathématiques.

 

Définitions. —  Nous considérerons le « groupement » comme l’ensemble des opérations I (algèbre générale) et II (tautologie et résorption). L’addition d’une équation (0) à signe + (par exemple A + A’ = B) sera dite opération directe. La soustraction de la même équation sera l’opération inverse : par exemple (A + A’ = B) − (A + A’ = B) = (0 + 0 = 0). Les opérations identiques et l’associativité requièrent une définition particulière, qui oppose le groupement au groupe.

Il y a multiplicité et non pas unicité d’identiques. Il existe d’abord une et une seule identique générale qui, pour le groupement additif des classes, est 0 + 0 = 0, c’est-à-dire « la classe nulle additionnée à elle-même est encore la classe nulle ». Mais il existe aussi des identiques spéciales, constituées précisément par la tautologie et la résorption : toute équation, telle que A + A’ = B, joue en effet le rôle d’identique par rapport à elle-même (tautologie) et aux équations d’ordre supérieur de même signe, telles que B + B’ = C (résorption) mais non pas par rapport aux équations inverses (− A − A’ = − B ou − B − B’ = − C).

Quant à l’associativité, si nous appelons a, a’ et a’’ trois équations quelconques et que nous désignons par x et y les produits x = (a + a’) + a’’ et y = a + (a’ + a’’), nous dirons qu’il y a associativité immédiate si x est identique à y (x = y) et qu’il y a associativité médiate si x joue le rôle d’identique par rapport à y en se résorbant en lui ou l’inverse (x + y = y ou x + y = x, par résorptions).

Cela dit, nous pouvons définir « groupement » un ensemble d’opérations telles que le produit de deux opérations fasse encore partie de l’ensemble, tel que l’opération directe comporte une inverse qui l’annule (= qui, composée avec elle, donne l’identique générale), tel que chaque opération joue le rôle d’identique par rapport à elle-même et à celles d’ordre supérieur de même signe, et tel que trois opérations quelconques soient associatives de façon immédiate si leur suite est homogène et médiate si cette suite est hétérogène.

 

Théorème III. —  Toutes les équations vraies portant sur un système de classes emboîtées forment un groupement.

Soient une suite de classes A, B, C, … dont chacune est emboîtée dans la suivante et telles que B − A = A’ ; C − B = B’ ; etc., les classes A et A’ ; B et B’ ; et étant disjointes. Nous disons donc que les équations (et non pas les classes comme telles) de type (A + A’= B) ; (B + B’ = C) ; etc. ; (B − A = A’), etc. ; (− A − A’= − B) ; etc. (équation 0) ou (A = A) ; (A − A = 0) ; etc. (équation 0’) ou même (A + A = A) et (A + B = B) (équations tautologiques) forment un groupement. En effet :

La composition du groupement résulte des théorèmes I et II : le théorème II permet de réduire toute suite hétérogène à une suite homogène et le théorème I prouve que deux suites homogènes composées entre elles sont encore homogènes. Or, toutes les opérations permises par le théorème I sont des opérations du groupement : l’addition membre à membre est l’opération directe ; le changement de signe et le transfert d’un terme dans l’autre membre, ainsi que les simplifications constituent des opérations inverses puisqu’elles se réduisent toutes à des soustractions membre à membre d’équations élémentaires (0) ou (0’) ; enfin, la résorption et la tautologie sont des opérations identiques.

L’opération identique d’un groupe est celle qui, tout à la fois, (1) constitue le produit de toute opération directe avec l’inverse, et qui (2) composée avec une opération quelconque laisse celle-ci invariante. D’où l’unicité de l’identique dans un groupe mathématique. Or, dans le groupement, il existe également une et une seule opération qui joue les deux rôles à la fois : c’est l’identique générale 0 + 0 = 0 (ou − 0 − 0 = − 0, qui lui est strictement équivalent). Par contre, la tautologie et la résorption jouent le rôle (2) de l’opération identique, mais dissocié du rôle (1) : en effet, toute équation additionnée à elle-même ou à une équation d’ordre supérieur et de même signe laisse celles-ci invariantes ; mais elle perd le rôle (2) d’identique avec sa propre inverse ou avec les équations d’ordre supérieur et de signe contraire. Il y a donc, à côté de l’identique générale des identiques spéciales (c’est-à-dire ni générales ni singulières) : en effet, la tautologie et la résorption ne sauraient être réduites à la simplification, car simplifier une équation a donnée dans une suite x + a, c’est introduire l’inverse − a, d’où l’inégalité x + (a − a) < x + a, tandis que si l’on assimilait la résorption, par exemple de a en b, à une simplification, on aurait, cependant, l’égalité b + (a − a) = b + a 1. Autrement dit, l’expression b + a, si a est tautifiable en b, est bien équivalente à b + 0, c’est-à-dire que a joue le rôle (2) de l’opération identique.

3° Quant à l’opération inverse, elle est unique malgré la multiplicité des identiques. En effet, seule l’identique générale 0 + 0 = 0 est absolue, tandis que les identiques spéciales sont relatives, non seulement aux termes de même ordre ou d’ordre supérieur, mais encore aux signes. Donc si + a est identique par rapport à + a il ne l’est plus par rapport à — a et l’on a a − a = 0 et non pas a − a = a. Par conséquent tous les termes inversés donnent 0 (y compris 0 − 0 = 0) et il n’existe donc qu’une seule opération inverse : celle qui annule l’opération directe.

4° Pour ce qui est, enfin, de l’associativité, soient trois équations a, a’ et a’’, et soit x = (a + a’) + a’’ et y = a + (a’ + a’’). Si a, a’ et a’’ sont de mêmes signes, il va de soi que x = y, c’est-à-dire que l’associativité sera immédiate, les produits x et y étant identiques (tautologiques). Si, par contre, a, a’ et a’’ sont de signes mêlés, alors de deux choses l’une : 1) ou bien a, a’ et a’’ jouent respectivement le même rôle (direct, inverse ou identique) en x et en y et l’on a à nouveau x = y ; 2) ou bien a, a’ ou a’’ joue le rôle d’identique en x et d’inverse en y ou inversement. Dans ce cas, si a, a’ ou a’’ joue le rôle d’identique en x (par exemple a se résorbe en a’ dans a + a’), mais pas en y (par exemple il ne se résorbe pas en a’ — a’’), alors on a x + y = y ; si au contraire il joue le rôle d’identique en y et pas en x, on a x + y = x. Dans ces deux derniers cas l’associativité est donc médiate et cela parce qu’alors la suite (a + a’) — a’’ = a + (a’ — a’’) est hétérogène, deux des trois équations en jeu étant tautologiques dans un membre et pas dans l’autre. Il suffira donc, pour rendre l’associativité immédiate, d’uniformiser les signes en transférant, par exemple, les a” d’un membre dans l’autre (théorème II). En effet, si dans une suite (a + a’) — a’’ = a + (a’ — a’’) on effectue des résorptions dans un membre qui ne peuvent pas l’être dans l’autre, l’égalité est rompue en vertu du théorème I et c’est ce qui rend la suite hétérogène ; par contre, si tous les signes sont + ou tous — l’égalité est rétablie et la suite redevient homogène. Il suffira également (les deux procédés sont équivalents) de ne pas effectuer les résorptions en x si on ne peut pas en faire autant en y, et réciproquement (théor. I). Que l’on s’appuie sur le théorème II en uniformisant les signes, ou sur le théorème I sans changer les signes, les deux méthodes pour conserver l’associativité immédiate consistent donc l’une et l’autre à conserver l’homogénéité des suites. Le caractère de l’associativité propre aux groupements dérive donc sans plus de l’existence des identiques spéciales en fonction des signes et il suffit pour lever les difficultés, dans ce cas ainsi qu’en toute composition, d’appliquer les règles tirées des théorèmes I et II.

 

Remarque. —  On pourrait limiter le groupement aux suites homogènes puisque seules elles sont immédiatement associatives. Mais le fait d’y inclure les suites hétérogènes revient au même, puisque toute composition de ces suites consiste à les rendre homogènes et par conséquent à n’effectuer que des opérations immédiatement associatives.

 

Conclusion. —  Malgré les embûches du calcul la notion de « groupement » correspond ainsi à un système naturel et cohérent, le groupement additif des classes étant, par exemple, celui qui supporte le mécanisme du syllogisme classique. Mais pourquoi comparer un tel système à la structure des « groupes » ? C’est qu’il suffît d’une seule adjonction, à savoir de l’égalisation des classes A = A’ = B’ = C’ = … etc., pour transformer le groupement en un groupe additif de nombres. En effet, si les classes élémentaires A, A’, B’, C’ sont supposées égales, c’est-à-dire toutes substituables entre elles et cependant distinctes, l’équation élémentaire A + A’ = B équivaudra à (B = A + A), les classes emboîtantes B, C, D… etc., étant alors à considérer comme contenant 2, 3, 4 fois la classe A, promue au rang d’« unité », soit B = 2A ; C = 3A ; D = 4A, etc. La tautologie et la résorption disparaîtront ainsi en faveur de l’itération, et l’on aura la suite des nombres entiers, positifs et négatifs. Mais, en quoi consiste cette égalisation, qu’ignore pour sa part le « groupement » ? C’est là une autre question, sur laquelle nous reviendrons dans une communication ultérieure.