Le jugement moral de l’enfant d’après I. H. Caruso (1943) a

M. Caruso est assurément le contradicteur idéal : les résultats qu’il a obtenus, grâce à sa méthode précise et serrée, aboutissent à une convergence d’autant plus impressionnante avec ceux dont nous avions jadis tenté l’analyse, que l’auteur se place d’emblée sur un terrain critique et ne cherche nullement la confirmation de nos vues. Qu’il soit donc vivement remercié de l’apport qu’il a fourni à l’étude de ce sujet difficile.

Il n’est qu’un point où je ne saurais suivre M. Caruso. La méthode que j’ai suivie, dit-il, « prête le flanc à la critique pour n’avoir que de lointaines ressemblances avec les tests » (p. 118). Sans doute, mais, si je puis dire, c’est justement là qu’est mon seul mérite, car la question subsiste toujours, à vouloir adopter les tests — et en particulier sur le terrain mouvant du jugement moral — , de savoir si l’on ne perd pas en connaissance réelle ce que l’on gagne en précision illusoire. Or, comme M. Caruso lui aussi a recouru sans cesse à la méthode clinique, pour compléter ses tests, nous sommes d’accord sur le fond.

Quant au problème central des stades, je ne parviens pas à apercevoir de divergence fondamentale entre les résultats de M. Caruso et les miens. On ne passe pas d’un stade au suivant comme on change d’habits, et il va bien sans dire que les réactions caractéristiques de deux stades successifs peuvent coexister pendant une période plus ou moins longue. La seule question est de savoir si des réactions supposées caractéristiques d’un stade élémentaire vont subsister jusqu’au terme de l’évolution ou donner lieu à une « diminution régulière » à partir d’un certain âge, comme M. Caruso l’admet du critère réaliste (p. 153). Si la seconde éventualité est vraie, il n’importe que les réactions supérieures soient plus ou moins précoces. Le jeu de ces « décalages » complique assurément la question des stades mais ne supprime en rien l’existence de ceux-ci 1.

Reste la question des difficultés d’ordre intellectuel qui viennent se greffer sur les évaluations morales. Nous ne pouvons que suivre à cet égard la conclusion de M. Caruso : loin de suffire à expliquer le réalisme moral, ces difficultés de compréhension le renforcent simplement, car « la progression du jugement moral suit de près l’évolution du jugement en général » (p. 162). Nous voudrions seulement faire remarquer à ce propos que « comparer » deux éléments (deux histoires, etc.) reste une opération plus simple que d’en « sérier » plusieurs (cf. p. 118), car une sériation est une comparaison de comparaisons. Mais ici encore, M. Caruso ayant lui aussi procédé par couples et non pas par séries, l’accord de fond prime le désaccord verbal.

Au total, nous voudrions donc ne jamais rencontrer d’autres critiques que celles contenues dans le bel article que l’on vient de lire et nous en félicitons vivement son auteur.