Le développement de l’intelligence chez l’enfant et chez l’adolescent (1953) a 🔗
70 Bulletin de Psychologie
PSYCHOLOGIE PÉDAGOGIQUE
LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADOLESCENT🔗
M. PIAGETđź”—
PLAN DU COURSđź”—
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INTRODUCTION
La notion d’équilibre
La subordination des facteurs
du développement à des lois d’équilibre
Le problème des stades
et les structures d’ensemble
I. — LA PERIODE SENSORI-MOTRICE(0-2
ans)
A) Examen des stades.
1) Conduites réflexes.
2) Premières habitudes : réactions circulaires primaires et conduites conditionnées.
3) Les réactions circulaires secondaires.
4) Coordination des moyens connus et des buts.
5) Réaction circulaire tertiaire et découverte de moyens nouveaux.
6) Invention des moyens nouveaux par coordination immédiate.
B) L’objet permanent, l’espace et la causalité sensori-moteurs.
C) Les théories de l’intelligence sensori-motrice (maturation, Gestalt, association, tâtonnement et assimilation).
IL — PERIODE DE LA PENSEE PREOPERATOIRE (2-7 ans)
A) Différence entre l’intelligence sensori-motrice et la pensée représentative.
La fonction symbolique.
Les débuts de la représentation.
B) L’égocentrisme de la représentation préopératoire.
Réalisme, animisme, artificialisme, etc… L’égocentrisme social.
C) Les préconcepts de la transduction.
La non-conservation des ensembles et des quantités.
Structutres et formes d’équilibre : les régulations intuitives.
III. — LA PERIODE DES OPERATIONS
CONCRETES (7 Ă 12 ans)
A) La genèse des opérations.
Les deux sous-stades III-A et III-B.
B) Les structures opératoires.
Sériations, relations symétriques, correspondances, classifications, vicariances, multiplication des classes.
Les huit groupements d’opérations concrètes.
C) Les notions de conservation.
Forme et contenu.
D) La formation du nombre.
La mesure et les opérations infralogiques.
La formation de l’espace. Temps et vitesse.
IV. — LA PERIODE DES OPERATIONS FORMELLES (12-15 ans)
A) Les caractéristiques de la pensée formelle. Les opérations propositionnelles.
Exemples de solutions mettant en œuvre les opérations formelles.
B) Les structures d’ensembles formelles (groupes et réseaux).
C) Les schèmes opératoires formels (combinaisons, proportions, etc…).
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LA NOTION DE CONDUITE
EN PSYCHOLOGIE GENETIQUE
Actuellement, on se place plus au point de vue de la conduite qu’au point de vue de la conscience, dans la perspective du développement.
1) Même chez l’adulte, le mécanisme de l’intelligence n’est pas entièrement conscient. La pensée prend conscience de ses résultats plus que de ses processus. Il y a une certaine
organisation spontanée des idées qui déborde la conscience ; exemple : une nuit de sommeil peut réorganiser des idées qui étaient embrouillées la veille.
2) On ne sait pas quand commence la conscience chez l’enfant, mais la psychologie
* La première partie de cette introduction a été publiée dans le Numéro Spécial sous le titre « Equilibre et structures d’ensemble ».
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du nourrisson peut être faite en se tenant au point de vue de la conduite. Toutefois, il ne faut pas en rester au point de vue du comportement pur, comme Watson et Bet- Cherew, la conduite étant le comportement + la conscience. Du point de vue de la conduite, beaucoup de réactions sont des conduites intériorisées (ex. : le langage intérieur). L’intelligence, en particulier, naît de l’action.
— Comment distinguer la conduite des réactions physiologiques ?
Pour Janet et Piéron, la conduite est une réaction totale de l’organisme, tandis qu’une réaction physiologique en est une réaction partielle. Cette définition ne suffit pas entièrement. En fait, toute conduite est d’abord un échange avec le milieu qui suppose les deux pôles d’assimilation et d’accommodation, mais cet échange est dans la conduite essentiellement fonctionnel quoique pouvant s’accompagner d’une transformation matérielle ou énergétique qui est une réaction physiologique. La conduite suppose surtout une distance dans le temps ou l’espace entre le sujet et l’objet ; cette distance caractérise la conduite et ses complexités, tandis que l’échange physiologique suppose une interprétation des substances ou des énergies.
D’autre part, la conduite est toujours une rééquilibration. Il y a conduite quand il y a déséquilibre. Marquée par le besoin, elle prend fin quand il y a satisfaction du point de vue affectif et solution du point de vue intellectuel.
— Distinction entre l’élément affectif et l’élément cognitif de la conduite : pour Claparède, la finalité de la conduite est l’élément affectif parce qu’elle suppose l’intérêt. Les moyens sont cognitifs. Mais cette distinction ne suffit pas car le but lui aussi est objet d’intelligence.
Janet distingue une conduite primaire et une conduite secondaire. Conduite primaire = action relation sujet a objet : élément cognitif ; conduite secondaire = réaction de ’ l’individu à sa propre action : élément affectif. (En fait, dans la conduite primaire, il y a déjà affectivité.)
M. Piaget propose la distinction de LEWIN : tout champ ou toute conduite suppose une structure d’un côté et une dynamique ou une énergétique de l’autre. La structure est l’élément cognitif, la dynamique l’élément affectif.
LE DEVELOPPEMENT
DE L’INTELLIGENCE
Distinction de quatre grandes périodes, comprenant plusieurs stades.
I. — PERIODE SENSORI-MOTRICE — avant le langage — de la naissance à 1 an et demi-2 ans.
II. — INTELLIGENCE CONCEPTUELLE OU REPRESENTATIVE, mais préopératoire, entre 2 ans et 7 ans.
III. — PERIODE DES OPERATIONS CONCRETES — classes et nombres — entre 7 et 12 ans.
IV. — PERIODE DES OPERATIONS FORMELLES, à partir de 12 ans.
I. PERIODE SENSORI-MOTRICE
Elle comprend six stades, dans un ordre de complexité croissante.
1erSTADE (3 à 4 premières semaines).
Le premier stade est caractérisé essentiellement par le réflexe ; il y a déjà , cependant, certaines réactions corticales. Les réflexes du nouveau-né ne sont pas isolés. IRWIN et WEISS ont montré que les réactions primitives sont des réactions globales, dont les réflexes sont des différenciations. Ceci a d’abord été contesté par PRATT, qui a admis finalement le passage de la généralité à la spécificité.
Plusieurs réflexes du nouveau-né jouent un rôle dans la constitution de certaines conduites ultérieures. Il y a, par exemple, le réflexe de préhension, dont on peut distinguer deux sortes : la préhension involontaire ou réflexe (réflexe palmaire pendant les 3 ou 4 premiers mois); — la préhension intentionnelle : elle ne dérive pas du réflexe palmaire, mais ce qui est acquis au niveau réflexe reste, se conserve dans la préhension intentionnelle ; il y a transfert de fonctionnement d’une activité simple à une activité complexe. D’autre part, ce réflexe s’affermit par le fonctionnement ; il se constitue ainsi un schème réflexe. On peut donner la définition suivante du schème réflexe : action capable de se répéter, qui peut s’intégrer de nouveaux éléments. Cet exercice réflexe suppose déjà les trois caractères de
l’assimiliation :
— fonctionnelle et reproductrice ;
— recognitive (discrimination perceptive) ;
— généralisatrice : s’incorpore des éléments toujours plus nombreux.
Mais certains réflexes disparaissent, sans donner naissance à des schèmes : exemple, le réflexe plantaire (signe de Babinski). D’autres n’ont aucun effet sur le dévelop- pement mental.
La structure élémentaire du réflexe est le rythme qui précède dans bien des cas le réflexe différencié. Rôle fondamental du rythme dans les réflexes de locomotion du point de vue de leur évolution embryologique (Coghill) ; de même dans les mouvements de natation observés par Mc. Graw.
2° STADE — Premières habitudes (fin du premier mois) : ex. sucer son pouce.
La présence de réflexes conditionnés dès la naissance est discutée. Marquis et Wenger dans les mêmes expériences n’ont pas retrouvé les mêmes faits.
La distinction habitude-intelligence peut s’établir ainsi :
— habitude totalité de mouvements sans que le sujet distingue des moyens et des buts ;
— intelligence : la recherche des moyens est subordonnée à un but préalable.
Les premières habitudes oscillent entre deux pôles :
— Passivité (ex. : le réflexe conditionné) ;
— Activité. La réaction circulaire (BALDWIN) est une conduite telle que l’enfant, ayant obtenu par hasard un résultat qui l’intéresse, s’efforce de la reproduire,
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La réaction circulaire primaire est une action qui ne porte que sur le corps propre, ou sur des objets, mais sans transformation de ces objets.
La réaction circulaire secondaire est une action exercée sur les objets en les transformant dans leurs déplacements, etc., ou en agissant sur eux.
La réaction circulaire tertiaire introduit une sorte d’expérimentation, une variation « pour voir ».
Au deuxième stade on n’observe que les réactions circulaires primaires, par exemple : succion du pouce, et les formes intermédiaires entre la préhension réflexe et la préhension intentionnelle, le fait de suivre des yeux des objets en mouvement, même lorsqu’ils disparaissent du champ visuel momentanément, la réaction au son, les vocalises, etc…
Dans chaque cas, il y a un point de départ, une activité réflexe, mais la nouveauté, c’est l’incorporation d’un élément non prévu dans le schème réflexe, créant un nouveau schème, un nouveau système d’assimilation. L’incorporation de l’élément nouveau suppose un certain tâtonnement, qui intervient dans la formation des habitudes en aboutissant à des réactions circulaires.
Le problème est de savoir si dans les habitudes acquises passivement on va retrouver des éléments d’assimilation active, ou s’il s’agit d’autre chose.
FRANCINE KLEIN,
B. RUFFIER D’EPENOUX.
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LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE
CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADOLESCENT🔗
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Cours du 27 novembre 1952.
IP STADE
2) Acquisitions en apparence passives. —   Elles ont pour prototype le réflexe conditionné.
Le réflexe conditionné semble passif en ce sens qu’il est provoqué par une répétition extérieure. Exemple : le conditionnement des réflexes de succion chez le nourrisson obtenu vers 1937 par Kantrow (en associant la tétée avec des coups de sifflet). _
Autres conduites conditionnées : loi du transfert de Ribot (les cris de faim s’apaisent lorsque l’enfant prend la position de la tétée, ou lorsque la mère apparaît, plus tard même lorsque la porte s’ouvre); loi de récurrence.
Y aurait-il association purement passive, et non activité ? Ce n’est qu’apparence. En fait, il y a des mécanismes communs entre les conduites passives et les conduites actives. Le réflexe conditionné n’est pas stable en lui-même, il demande à être confirmé de temps en temps par l’excitant absolu ; l’association qui intervient dans les réflexes conditionnés n’est donc qu’un des aspects de la conduite, qu’il faut considérer dans sa totalité : le besoin seul rend efficaces les excitants qui annoncent la satisfaction.
Les excitants ne sont par conséquent pas de simples associations, mais des indices qui ont une signification dans la totalité de la conduite.
Dans le réflexe conditionné on trouve l’assimilation reproductive, recognitive, et l’as- . similation généralisatrice.
(On s’aperçoit de cette généralisation dans des conditionnements plus complexes.)
Le réflexe conditionné ne saurait donc être le principe d’une explication générale de l’acquisition des habitudes. Les conduites passives de. ce stade sont reliées aux conduites actives par l’intermédiaire de l’assimilation.
On a recherché une corrélation entre l’acquisition du réflexe conditionné et l’intelligence mesurée par le Q.L ; mais on a obtenu des résultats contradictoires ; dans certains cas, l’intelligence semble ralentir l’acquisition du réflexe conditionné ; dans d’autres, elle semble l’accélérer. C’est que le problème est avant tout un problème d’intérêt, ce qui confirme la liaison du conditionnement avec le besoin.
IIP STADE
a) Coordination entre la préhension et la vision, vers 4 à 6 mois. Début des réactions circulaires secondaires, et début de différenciation entre les buts et les moyens. Cette coordination est liée en partie à la maturation neurologique et aussi à l’exercice ; c’est pourquoi il y a de si grandes variations dès ce niveau entre les enfants. L’enfant regarde très tôt ses mains ; parfois, au second stade, l’enfant arrive à maintenir dans son champ visuel les objets qu’il a saisis, avant de les porter à sa bouche. Il y a donc préparation à cette coordination ; la maturation est une condition nécessaire, mais non suf- fisante. En même temps que le fait de saisir les objets perçus visuellement, apparaissent d’autres conduites ; le bébé amène un objet devant ses yeux et non dans la bouche ; quand on retient sa main en dehors de son champ visiuel, il dirige le regard vers elle. Cette coordination est une assimilation réciproque des schèmes de préhension et de vision qui étaient d’abord séparés. Ces coordinations n’intéressent en général que l’espace proche. Plusieurs auteurs, dont Stern, pensent en effet que l’enfant évalue d’emblée correctement les profondeurs et que ses réactions sont différentes lorsque l’objet est préhensible ou pas, mais M. Piaget nous dit que, même s’il y a d’emblée perception de la profondeur, l’évaluation de cette dernière donne lieu à un exercice indispensable.
b) Réactions circulaires secondaires. —   Elles portent sur des objets extérieurs et non sur le corps propre. L’enfant saisit un objet et l’amène dans le champ visuel, le secoue, le saisit d’une main et le frappe de l’autre, le frotte contre son berceau, tire les objets suspendus, etc… La structure des réactions circulaires secondaires ressemble à celle des réactions circulaires primaires, mais elles sont plus complexes, car elles comprennent un effort de reproduction et de répétition portant sur les objets eux-mêmes. Cette répétition s’explique-t-elle par l’image-souvenir ? Non, car l’image mentale n’apparaît qu’avec l’usage des fonctions symboliques ou niveau de langage.
L’enfant cherche à reproduire les mouvements qui ont provoqué un certain résultat. Cette reproduction des mouvements s’effec-
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tue par tâtonnement, essais et erreurs. Le tâtonnement est-il explicable par la thèse associationniste (frayage des voies nerveuses) ? Non, car les mouvements ne se répètent pas tels quels ; tout ne peut s’expliquer par la répétition. D’après Thorndike (loi de l’effet), les essais heureux seraient seuls retenus, et les essais malheureux conduiraient à l’élimination des mouvements qui les provoquent.
Mais il subsiste des difficultés. L’échec ne produit pas toujours l’élimination du mouvement qui y conduit ; il peut, comme la réussite, fixer la conduite ; d’ailleurs, il reste à expliquer comment l’effet heureux stabilise le mouvement.
Les Gestaltistes expliquent à leur tour le tâtonnement par des structurations successives du champ perceptif et moteur, qui marque une équilibration progressive ; mais cette équilibration n’est pas subie passivement par le sujet ; il intervient un élément actif de correction qui demande des comparaisons du moins perceptives. Donc il y a là aussi activité d’assimilation et d’accommodation.
c) Différenciation des buts et des moyens. — Ces dernières conduites du 3e stade constituent une transition entre l’habitude et l’acte d’intelligence (dans l’intelligence il y a but préalable et recherche des moyens appropriés ; dans l’habitude le sujet ne différencie pas les buts et les moyens).
Expérience : dans le berceau du bébé, un cordon est relié à la toiture, à laquelle sont suspendues plusieurs poupées. L’enfant tire le cordon par hasard : les poupées remuent ; l’enfant recommence avec, cette fois, l’intention de les faire bouger ; chaque fois que l’on accroche à la toiture une nouvelle poupée, il tire sur le cordon à nouveau. Puis on tend à l’enfant une poupée au bout d’un bâton (pour ne pas se faire voir). On la fait bouger, puis on l’arrête. L’enfant cherche alors le cordon pour le tirer tout en regardant la poupée et s’attendant manifestement à la voir de nouveau remuer. On fait alors retentir de loin un coup de sifflet ; pour le repro- duire l’enfant tire de nouveau sur le cordon.
Si l’on relie chez un autre sujet le cordon à l’un de ses pieds, il y a d’abord agitation
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spontanée, mais bientôt l’enfant fait également des mouvements intentionnels des pieds. Au point de départ il n’y avait pas de but, mais par la répétition de la conduite, le cordon devient un moyen ; l’enfant se sert du cordon pour satisfaire ses désirs ; en cours de route les moyens sont ainsi différenciés du but et celui-ci intervient ensuite avant la recherche des moyens. Les réactions circulaires secondaires présentent donc une beaucoup plus grande mobilité des schèmes que les réactions circulaires primaires.
IV e STADE
Recherche d’un moyen approprié pour atteindre un but différencié dès le départ. —   Il y a début de l’intelligence ; l’enfant applique des schèmes antérieurs connus à des si- tuations nouvelles, par exemple pour atteindre un objet à distance, ou avec obstacles ; l’enfant écarte les obstacles, cherche des intermédiaires (il prend la main de l’adulte et la dirige vers l’objet). Il y a donc but au départ, et recherche de moyens négatifs (suppression d’obstacles) ou positifs (recherche d’intermédiaires). Les moyens sont subordonnés aux schèmes du but ; il y a là un début de mise en relation (sensori-motrice et non conceptuelle) ; les schèmes ainsi coordonnés constituent l’équivalent des concepts sensori-moteurs (au point de vue fonctionnel), susceptibles de généralisation ; au point de vue de la structure ; au contraire, il n’y a rien de commun entre ces schèmes et les concepts. Vers 8 mois, si l’on donne à un enfant un objet qu’il n’a jamais vu, il le balance, le regarde, le secoue, le frappe, le frotte, tire le cordon : il y a donc effort de compréhension ; d’ailleurs la première définition des concepts est une définition par l’usage (voir le test de Binet-Simon). Nous sommes en présence de schèmes d’assimilation. Cette conception est différente de celle de la Gestalt, qui parle seulement d’équilibration passive, alors qu’au contraire le schème s’applique aux nouvelles situations en fonction des acquisitions antérieures. Elle est différente aussi des « Patterns » de Gesell, car le schème donne lieu à des différenciations et subdivisions et s’applique à des situations nouvelles.
V e STADE
DECOUVERTE DE MOYENS NOUVEAUX
Le sujet introduit des variations dans le phénomène découvert ; c’est le stade de la réaction circulaire tertiaire. Par exemple, lancer des objets à terre. La chute de l’objet intéresse l’enfant, il la reproduit, mais en variant les conditions de lancement, l’enfant fait varier les trajectoires (d’après Taine il y a là une sorte d’expérience géométrique). Il y a une reproduction active des résultats obtenus auparavant.
L’accommodation se différencie, devient intentionnelle ; elle est un but en elle-même.
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Cours du jeudi 4 décembre
Exemples : déplacer un objet, le retourner, le regarder sous un autre angle, poser des objets les uns sur les autres, ou pousser un objet au moyen d’un autre. Il y a coordination des schèmes en vue d’un but : des expériences ont été faites sur les conduites de support, l’utilisation de la ficelle et du bâton.
— L’enfant tire la couverture sur laquelle un objet est posé. S’il a compris la relation, il ne tire pas la couverture si on place l’objet à côté de la couverture.
— L’enfant tire la ficelle attachée à l’objet.
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— Conduite du bâton : l’emploi du bâton comme instrument se fait soit par tâtonnement, soit par compréhension soudaine. Il faut distinguer la découverte fortuite sans variation des conditions, sans compréhension des relations, et la découverte avec compréhension des rapports.
La structure de ces conduites est assez complexe (schèmes coordonnés : schèmes assignant les buts ; schèmes-moyens ; tâtonnements interprétés et compris les uns après les autres, au moyen de schèmes antérieurs (auxiliaires). Le tâtonnement lui-même est inexplicable par une suite d’essais et d’erreurs fortuits ; il est une équilibration progressive. L’équilibre n’est pas passif, il suppose des assimilations, qu’on constate dans les schèmes auxiliaires. Le hasard joue un rôle, mais il doit être interprété par le sujet pour pouvoir donner lieu à utilisations.
L’assimilation :
Il y a deux pôles aux conditions adaptatives : un pôle relatif au sujet (assimilation), un pôle relatif à l’objet (accommodation). L’assimilation consiste toujours à mettre en relations un événement actuel avec des événements antérieurs ; en d’autres termes, elle consiste à donner une signification à toute situation perçue. Conférer une signification, c’est se référer à quelque chose d’autre. Signification implique rapport de signifiant à signifié.
Les signifiants :
a) différenciés de leurs signifiés : signes (signifiants conventionnels);
b) symboles : signifiants motivés, rapport de ressemblance avec la chose symbolisée ;
c) indices : indifférenciés du signifié (ex. traces du lièvre sur la neige, indices pour le chasseur ; son de la voix, indice de la présence de telle personne);
d) signal : n’est pas une véritable catégorie. Ou bien il est conventionnel, ou bien il
Bulletin de Psychologie • 145
est un indice (son de la cloche provoquant un réflexe conditionné).
— le signifié : peut être une représentation, un concept, ou un schème d’action. Mais partout où il y a signification, il y a relation avec des schèmes antérieurs, donc assimilation. La signification du tableau perçu dès la perception se transmet par des indices. Dans l’assimilation sensori-motrice, la perception fournit l’indice, les mouvements coordonnés fournissent le signifiant.
VIeSTADE : Invention de moyens nouveaux en fonction d’une coordination immédiate des schèmes (vers 1 an 1/2).
Il y a compréhension brusque, souvent sans tâtonnement, par coordination interne des schèmes (ex. la conduite du bâton, dans le cas d’une compréhension immédiate).
Les phases des conduites de ce stade sont : tâtonnement, puis arrêt de la conduite (cf. « penser c’est s’arrêter d’agir »), pendant lequel il y a analyse perceptive de la situation, coordination nouvelle et intériorisée. Cette analyse perceptive, pendant les comparaisons que fait l’enfant entre les différents objets, confère à ceux-ci des significations en fonction de schèmes antérieurs. Mais la coordination, au lieu de se faire au cours de tâtonnements, se fait de manière brusque.
Quel est le mécanisme de cette compréhension brusque ? L’enfant ne possède pas encore d’images mentales (beaucoup plus tar- tives que les perceptions). L’image mentale est probablement en relation avec l’imitation différée, intériorisée. Expérience, : lorsqu’il s’agit d’agrandir une fente d’ouverture d’une boîte d’allumettes, l’enfant ouvre et ferme la bouche avant de trouver la solution. Il sem- ble qu’il y ait un début de représentation, intermédiaire entre l’imitation et l’image mentale.
Ce stade est l’extrême frontière de la période sensori-motrice.
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Cours du jeudi 11 décembre 1952
Après avoir analysé le développement de l’intelligence sensori-motrice, il reste à analyser les principaux schèmes d’activité qui permettent à l’enfant, avant le langage, de construire son univers pratique.
L’objet permanent :
Il y a objet quand celui-ci est1 compris par le sujet comme continuant d’exister même lorsqu’il sort du champ perceptif. Est-il un schème inné ou se construit-il ? et comment se construit-il ? Le critère psychologique de la notion d’objet est la réaction de recherche quand l’objet sort du domaine perceptif. Ex. : au 2e stade, quand l’enfant suit la lumière des yeux, il n’y a pas encore objet permanent, mais simple continuation de l’action ; s’il recherche par contre un objet caché derrière un écran, on peut dire qu’il y a objet permanent.
Construction de l’objet permanent :
a) Classiquement, il est expliqué par son caractère polysensoriel : coordination des différents champs perceptifs qui construisent l’objet en tant que substance. Mais ce caractère ne suffit pas à assurer la permanence.
b) Emile Meyerson attribue la construction de l’objet permanent à la causalité, à l’identification qui interviendrait dès la perception. Pous s’expliquer ses propres perceptions, le sujet identifie les formes perçues à une substance sous-jacente. L’objet serait donc aussi primitif que la perception ; on le trouve déjà chez l’animal. Chez l’adulte il se pourrait que ce schéma soit exact. Mais trouve-t-on le même phénomène chez l’enfant ? Il y aurait objet dès que le bébé reconnaît quelqu’un et qu’il le manifeste en souriant. Il reconnaît sa mère, donc il lui confère une certaine permanence. Mais la
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récognition ne prouve pas l’évocation (voir par exemple la distinction que l’on fait entre mémoire d’évocation et mémoire de reconnaissance). La récognition est beaucoup plus primitive. D’autre part, elle ne prouve pas la substantialité de l’objet : on peut reconnaître une image consécutive qui nous est familière. Chez le nourrisson, le fait de crier pour faire revenir sa mère ne prouve pas non plus l’évocation : il peut avoir faim ; ou bien il peut désirer de nouveaux contacts. Mais ses appels ne prouvent pas qu’il localise les personnes ou les objets dans l’espace. Deux hypothèses possibles :
— la pérception correspondrait à des objets localisables dans l’espace ;
— les tableaux sensoriels ne sont doués d’existence que lorsqu’ils sont présents ; quand ils disparaissent, il n’y aurait pas de déplacement dans l’espace, mais résorption. L’objet devrait se construire peu à peu par des procédés non donnés dans les perceptions primitives.
Ce problème est fondamental pour s’e représenter l’univers pratique primitif correspondant à l’intelligence sensori-motrice. Le schème de l’objet est solidaire d’une organisation de l’espace, du temps, de la causalité. L’absence de l’objet signifierait un univers mouvant, non encore organisé, centré sur le corps propre. Avec l’apparition de l’objet, l’univers se décentre.
EXAMEN DES FAITS - LES ETAPES
DE LA NOTION D’OBJET
1er STADE (réflexes) : l’enfant est capable de retrouver certaines situations (tétée), mais il retrouve alors une posture, une activité, plus qu’un objet.
2e STADE (premières habitudes) : début de la préhension, action qui se continue et qui cherche à retrouver le tableau perceptif. Mais ces faits ne permettent pas de trancher entre les deux hypothèses.
3e STADE (coordination de la vision et de la préhension) : l’expérimentation devient possible. Présentons au bébé un objet qui l’amuse, et au moment où il a la main dirigée vers l’objet, couvrons celui-ci avec un mouchoir. L’enfant retire la main comme s’il n’avait pas la notion de l’objet. Or il ne s’agit pas d’une incapacité motrice, puisqu’à cet âge, d’après Ch. Buhler, le bébé enlève un linge posé sur sa figure. Mais ceci n’est pas concluant : on ne prouve jamais la non- existence de quelque chose.
4e stade : l’enfant commence à chercher l’objet derrière un écran, sous un mouchoir. Expérience : l’enfant est placé entre deux coussins : on cache un objet sous le premier et il le trouve, mais on le cache alors sous le deuxième. L’enfant cherche alors l’objet sous le premier coussin, alors même qu’il a suivi des yeux la trajectoire, reproduisant ainsi l’action qui a réussi dans la première situation. Il y a orientation de la conduite d’après des situations qui englobent l’activité propre du sujet et l’environnement spatial. L’objet n’est pas séparé de l’action.
5e stade (découverte de moyens nouveaux) : L’enfant tient compte des déplacements successifs. Il cherche l’objet exclusivement là où il le voit disparaître. Mais on observe des conduites résiduelles dans le cas où un obstacle est ajouté à l’expérience précédente : si l’objet caché sous le coussin est de plus placé à l’intérieur d’un béret basque. Dans ce cas, l’enfant recherche sous l’autre coussin.
6e stade (un an et demi) : Coordination immédiate et intériorisée des schèmes. Il n’y a plus de résultats négatifs, l’enfant n’est pas dupe des obstacles, assume la transivité des schèmes successifs.
Ce sont là les étapes de la notion de l’objet. Nous voyons que celui-ci se construit par une coordination progressive des schèmes.
CRITIQUE
Michotte cherche à faire dériver l’objet d’effets perceptifs. La notion de l’objet serait liée à l’effet tunnel.
Cet effet tunnel joue sans doute un rôle, mais il n’est pas nécessairement donné dès les premiers stades. Et surtout il n’explique pas les réactions des stades 3 et 4. Le facteur principal reste l’action.
EVOLUTION DE L’ESPACE
SENSORI-MOTEUR
L’objet nous donne un premier exemple de cette loi : au début, le moi n’est pas situé dans l’univers parce qu’il demeure encore inconscient de lui-même : il y a donc égocentrisme radical ; puis, par décentrations successives, l’univers s’organise, il devient une sorte de contenant où se trouve le corps propre. L’espace nous donne une vision parallèle : au point de départ, c’est un ensemble de coordinations fragmentaires, pas encore organisé en totalité et ne contenant pas le corps propre.
1er stade :
Espace relatif à la succion : « espace buccal » (Stekn) et début de coordination de l’espace visuel ; mais il n’existe pas de coordination entre ces deux espaces.
2e stade :
L’espace buccal et l’espace visuel sont mieux coordonnés ; d’autres espaces apparaissent, mais ils ne sont pas intégrés en un espace unique. Il y a possibilité de coordination entre les espaces tactile et visuel. L’espace auditif est partiellement coordonné avec l’espace visuel ; l’espace postural n’est pas coordonné avec l’espace visuel. Nous avons une série d’espaces particuliers, sans espace général qui serait un contenant de tous les tableaux sensoriels et du corps propre.
3e stade :
Coordination de la préhension et de la vision, début d’une coordination générale. Mais cette coordination ne suffit pas à constituer un espace. L’objet n’est pas encore une unité visible sous différents angles.
4e stade :
Début de réversibilité, mais seulement pour des réactions élémentaires. L’enfant comprend qu’on peut annuler un déplacement en effectuant le déplacement inverse.
5e stade :
Structure proprement dite. L’espace, les déplacements constituent un groupe, c’est-à - dire un système de déplacements qui peuvent se faire dans un sens ou dans l’autre, ou se constituer suivant des détours. Donc, l’espace est coordonné, mais exclusivement dans le territoire immédiatement perceptible.
6e stade :
L’organisation du groupe s’étend jusqu’à des déplacements successifs du corps propre. L’espace sensori-moteur est achevé : il atteint la structure.
Cette description évoque les analyses d’Henri Poincaré sur la formation de l’espace. Il ramène l’espace à la structure du groupe des déplacements. Il suppose qu’au point de départ l’esprit fait la distinction entre changement d’état et changement de position. Est changement d’état celui qu’on
Bulletin de Psychologie 147
ne peut pas corriger par un déplacement du corps propre. L’espace est le système des changements de position. Le groupe est une notion a priori.
Critique : le « groupe » n’est pas primitif, il se construit lui-même. L’enfant ne fait pas, au début, la distinction entre changements d’état et changements de position : tant que le schème de l’objet permanent n’est pas construit il n’y a que des changements d’état. C’est par coordinations successives qu’il arrivera à distinguer les changements de position. Le groupe des déplacements n’est donc pas inné, mais constitue une forme d’équilibre finale. Ce qui suppose un facteur de maturation, mais aussi l’expérience.
M.-J. FOURNIAT
A. JAMOCK
F. PENE
F. KLEIN
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PROGRAMME D’ORAL DU CERTIFICAT DE PSYCHOLOGIE
DE L’ENFANT🔗
L’interrogation portera d’une part :
1° Sur les cours.
2° sur 10 volumes à choisir parmi les œuvres de trois auteurs au moins, de la liste suivante :
Binet (Etude exp. intel.), Baldwin, Claparède, Bovet, Decroly, Koffka, Murchin- son, Pratt, Bourjade, Malrieu, Stern, H. Werner, K. Buhler, Charlotte Buhler, Het- zer, Rey, Inhelder, Valentine, Burt, Ge- sell, Carmichael, Mc Curty, Mrs Isaacs, Wallon, zazzo, Guillaume, Lucquet, Berge- RON, DEBESSE, CHATEAU, PRUDHOMMEAU, PIAGET (excepté « Le langage et la pensée chez l’Enfant » ; « Le jugement et le Raisonnement chez l’Enfant » et « La Représentation du Monde chez l’Enfant »).
Des indications seront données ultérieurement au sujet des exercices pratiques.
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208 Bulletin de Psychologie
PSYCHOLOGIE PÉDAGOGIQUE
LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE
CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADOLESCENT🔗
M. PIAGETđź”—
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Cours du 18 décembre 1952
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La causalité sensori-motrice.
Y-a-t-il déjà causalité sensori-motrice, c’est-à -dire de cause à effet entre l’action accomplie et le résultat obtenu ? Wallon met cette causalité en doute, mais Michotte a montré que la causalité est quelque chose de très élémentaire, par ses expériences sur la causalité perceptive.
I. — Trois hypothèses :
Les hypothèses permettant de concevoir la causalité sont nombreuses ; on peut en distinguer trois grands types principaux :
1° Explication du type Hume : Il n’existe aucun passage réel ni sensible de la cause à l’effet, mais nous concevons la relation de causalité comme nécessaire, parce qu’elle est habituelle. Le lien causal est purement subjectif. La doctrine de Hume se réduit à un pur phénoménisme :
2° Schéma de Maine de Biran : Passage de quelque chose entre la cause et l’effet et même, dans certaines situations privilégiées passage sensible. Dans la causalité volontaire on sent le passage de l’innervation (ex : mouvement musculaire ).
3o Explication des grands rationalistes (comme Descartes, Kant, Brunschvicg) ; il y a passage réel de quelque chose entre cause et effet, mais non pas passage sensible. Nous comprenons simplement la nécessité d’un tel passage, sans rien « voir » passer. Mais nous concevons le passage comme nécessaire et nous le déduisons au moyen d’un système de compensations : ce que l’effet gagne est perdu par la cause (principes de conservation). La causalité serait donc une déduction appliquée à l’expérience elle-même. Sur le plan sensori-moteur on peut concevoir un schéma de ce genre ; un jeu de régulations perceptives, permet- ant des compensations perceptives.
II. — Etude des faits :
Au cours des deux premiers stades, il serait artificiel de parler de causalité puisqu’il n’y a même pas distinction des buts et des moyens.
Au troisième stade, on peut déjà parler de causalité (expérience du cordon attaché à la toiture du berceau et que l’enfant secoue, agitant ainsi les objets suspendus à la toi- ture du berceau). Cette causalité n’est pas encore spatiale, l’enfant ne tient pas compte des contacts spatiaux ni mécaniques ; la cause n’est pas le cordon, mais l’action elle- même du sujet. Il n’y a pas encore de relation de causalité dans le cas d’uneséquence causale indépendante du corps propre.
Au cours des stades suivants, il se fait progressivement une spatialisation et une objectivation de la causalité. La causalité est déléguée aux objets eux-mêmes en même temps que se construit la notion de l’objet. L’enfant tient compte des contacts mécaniques dans l’espace : il y a causalité par entraînement, par traction, par lancement, par choc etc…
III. — Interprétation des faits :
a) Le schéma de Hume semble, au prime abord, s’appliquer au point de départ de cette causalité sensori-motrice ; n’importe quoi peut produire n’importe quoi, selon les réactions circulaires expérimentées, seulement les premières causes sont toujours liées à l’action propre et non pas à un fait extérieur quelconque.
b) La schéma de Maine de Biran semble donc également vrai, puisque la cause primitive est liée à l’action propre. Seulement l’enfant de ce niveau n’a pas encore conscience de son moi. Ainsi, comme le disait déjà BRUNSCHVICG, HUME et MAINE DE BIRAN se réfutent l’un l’autre.
c) L’interprétation la plus juste paraît être celle du troisième schéma. Il y assimilation à l’action propre, et au fur et à mesure des coordinations des schémas, spatialisation et objectivation. La causalité résulte d’un acte de compréhension qui est lié aux coordinations successives de l’intelligence.
d) On pourrait penser qu’il existe une quatrième interprétation possible, qui est celle de Michotte. Dans ses expériences célèbres de 1941. celui-ci a établi les lois d’une causalité perceptive. Il présente deux recatngles, l’un rouge, l’autre noir, qui, dans leurs mouvements successifs, donnent une impression perceptive de la causalité, liés à un phénomène cinématique : effet de lancement, déclenchement, d’entraînement.
Michotte explique ces faits par l’« ampliation » du mouvement : (le mouvement
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de B. est perçu comme l’ampliation du mouvement de A.). Pour Michotte, ces faits ne sont pas spéciaux à la perception visuelle, mais peuvent être retrouvés dans la perception tactile. Michotte donne cette explication comme nouvelle. Il ne distingue que deux autres types d’explications de la causalité : celle de Hume et celle de Maine de Biran, dans son ouvrage « La perception de la causalité », où il considère la théorie ide M. Piaget comme un rajeunissement de celle de Maine de Biran. Mais Piaget se rattache au troisième type de théorie et pense que Michotte lui-mème se rapproche davantage que lui de Maine de Biran, parce que le psychologue de Louvain s’efforce malgré tout, de mettre en évidence un « passage sensible ». Or, en réalité, même dans la causalité perceptive, on voit bien que « quelque chose a passé » de la cause à l’effet, mais ce quelque chose on ne le voit jamais passer ! Tout le problème est là …
Le fait de retrouver la causalité sur le terrain peceptif ne constitue pas une nouvelle explication de la causalité, mais en élargit simplement le domaine, En découvrant la causalité perceptive, alors qu’on la croyait liée à l’intelligence seule, l’œuvre de Michotte est déjà un grand mérite, mais elle n’a pas fait autre chose que de déplacer et d’élargir la question. En effet, sur le plan de la causalité perceptive, on retrouve les mêmes problèmes et les mêmes schémas que pour la causalité intellectuelle, schémas qu’on pourrait transposer en termes de perception, pour les appliquer au travail de Michotte.
Michotte lui-même sent bien (chapitre VIII), que son « ampliation », demande elle-même a être expliquée, car on ne perçoit qu’une résultante. Michotte cherche donc à expliquer comment se fait l’ampliation. Le mouvement de B. est perçu comme étant le mouvement de A, mais « métamorphosée ». Or, cette notion de métamorphose est valable pour les changements de forme, comme lorsque, au tachistoscope, on voit une droite se « métamorphoser » en une courbe. D’après Michotte, on percevait ainsi le mouvement de A. se tranformant en mouvement de B. Mais M. Piaget pense qu’une telle explication reste métaphorique : le mouvement change de support mais il n’y a pas de changement de forme.
L’expérience montre en réalité un jeu de compensations, entre les perceptions successives — (quand un mobile gagne, l’autre perd, etc. y compris ’les impressions de résistance et de masse qui s’ajoutent aux effets cinématiques.) — Donc le troisième schéma, adopté par la causalité senrori-motrice, expliquerait aussi la causalité perceptive : les faits mis en évidence par Michotte sont plus favorables au troisième schéma qu’a celui d’un passage sensible entre la cause et l’effet (deuxième schéma), malgré Michotte lui-même.
D’autre part, il n’est pas certain que chez le nouveau-né, la causalité visuelle soit donnée dès l’origine ; la première causalité perceptive serait tactile, et par conséquent liée à l’action propre.
Interprétation générale de l’intelligence sensori-motrice :
Peut-on réellement interpréter les conduites dont il a été question jusqu’ici, comme atteignant à un moment donné le niveau de l’intelligence ? Tous les auteurs sont d’accord pour dire oui. Mais c’est la question du point de départ de l’intelligence, qui est contesté.
1° D’après Claparede, l’intelligence est est l’adaptation aux situations nouvelles — par opposition à l’instinct et à l’habitude — Le tâtonnement est caractéristique de l’intelligence ; le tâtonnement sensori-moteur demeure tâtonnement empirique, mais retrouve d’autres types de tâtonnement plus systématiques jusque dans la pensée abstraite, sous forme d’hypothèses.
2° Pour Kohler et Buhler, le tâtonnement est étranger à l’intelligence qui n’apparaît que lorsqu’il y a compréhension brusque, soudaine de la situation.
D’après Claparede, l’intelligence serait donc très précoce ; d’après le critère de Kohler et Buhler, elle n’apparaîtrait qu’à partir du 6e stade. Buhler et Kohler exagèrent sans doute, car la recherche elle- même fait partie de l’acte d’intelligence. Piaget s’est servi d’un troisième critère : il y a intelligence à partir du moment où l’on observe une recherche des moyens en vue d’atteindre un but posé au préalable.
En réalité, toute discussion sur le point de départ seul, est sans signification. L’intelligence n’est pas quelque chose de statique ; elle est un processus. La vraie définition de l’intelligence doit tenir compte de son processus d’élaboration, de sa direction, de son orientation ; l’intelligence est une coordination progressive toujours plus mobile, plus souple, qui tend vers un état d’équilibre mobile (réversibilité). Donc, l’intelligence est à définir par la réversibilité. Une habitude n’est pas réversible, une perception non plus ; alors que l’intelligence, elle, est capable de détours (mobilité) et de retours au point de départ.
Les interprétations possibles de l’intelligence sensori-motrice sont malheureusement très nombreuses.
On peut distinguer :
I. — Les explications génétiques qui font intervenir la construction proprement dite au cours de la vie du sujet.
II. — Théorie de la maturation qui fait appel à des mécanismes préformés, donnés dès le départ.
D’un autre côté, on peut distinguer :
1° Les théories qui font appel à des facteurs externes (empiristes) ;
2° Les théories qui font appel à des facteurs internes (maturation).
3° Les théories qui font appel à des facteurs externes et internes indissocialbes (Gestalt et assimilation).
Il y a donc six possibilités d’explication :
1° Intelligence sensori-motrice expliquée comme une intelligence organique donnée dès le départ, faculté d’adaptation orientée
vers le milieu, capacité de résoudre les problèmes présentés par le milieu extérieur.
Cette théorie n’explique rien, mais rend le service de souligner les difficultés des autres explications.
2° Les explications pré-formistes expliquent l’intelligence sensori-motrice par la maturation. Mais la maturation n’explique pas tout, pour deux raisons :
a) Dans toute conduite, s’il y a toujours un élément de maturation, il y a aussi un facteur d’exercice, d’acquisition en fonction du milieu. Cette marge d’exercice augmente d’importance au fur et à mesure que l’enfant avance de stade en stade.
b) La maturation n’est qu’une manière de déplacer le problème, qu’on renvoie à la biologie, sans solution actuelle.
D’où vient, en effet, ce mécanisme inné ? Il y a deux sens possibles de l’innéité :
— origine purement endogène, mutation, transformation des gènes ;
— action du milieu, transmission héréditaire des caractères acquis. Cette théorie, qui a été presque complètement abandonnée, est remise en discussion ces derniers temps. M. Piaget pense que les conduites
210 Bulletin de Psychologie
psychologiques sont inexplicables sans l’hérédité des caractères acquis. Il a fait des observations à ce sujet avec là Limnée des étangs qûi, dans les endroits agités des grands lacs de Suisse Romande, présente une forme globuleuse différente de la forme allongée et pointue ordinaire. Cette forme serait due aux réflexes d’agrippement du « pied » et aux contractions du muscle colu- mellaire de la Limnée qui doit résister contre les vagues, en s’agrippant aux roches. Ces contractions se produisent dès la naissance de la Limnée, lorsque sa coquille n’a pas encore sa forme définitive. Or, cette forme globuleuse est héréditaire : elle se conserve dans les générations élevées en aquarium. Une telle mutation ne saurait être fortuite, sinon on la rencontrerait partout. D’autre part, elle n’a rien de léthal en eau stagnante, les Limnées globuleuses peuvent très bien survivre dans des étangs et des marais où M. Piaget les a transportées et où elles reproduisent depuis 1927. Pour avoir une idée exacte des faits, il faut pouvoir suivre une action durable dans le temps, malgré toutes les inconnues du problème ; il reste donc légitime de croire à la transmission des caractères acquis.
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Cours du 8 janvier 1953.
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III. — THEORIE DE LA FORME
A la suite de ses travaux sur le chimpanzé, (qui utilise des instruments, et même des préparations d’instruments) KOHLER propose cette explication, fondée sur la théorie de la perception : l’intelligence est une restructuration du champ perceptif, l’acte intelligence est celui qui consiste à passer d’une structure moins bonne à une structure meilleure, du point de vue du problème posé. Ces structures sont les mêmes pour l’intelligence et pour la perception. L’originalité de ces formes est qu’elles sont des totalités non additives.
M. Piaget est d’accord sur deux points :
1° Tout processus mental tend en effet vers l’équilibre ;
2° L’idée fondamentale de totalité est également admise.
Mais :
— On ne peut pas réduire l’acte d’intelligence à des structures perceptives, même dans l’intelligence sensori-motrice.
La forme obéit à des lois non additives. L’intelligence, au contraire obéit à des lois d’organisation qui tendent toujours vers des compositions additives mêmes dans le domaine sensori-moteur. (Ex. un nombre n’est pas indépendant des autres nombres, il est toujours le résultat de lois additives.)
— La perception est toujours irréversible. Dès qu’il y a intelligence, au contraire, il y a réversibilité.
— Un schéma se généralise et s’applique à des situations nouvelles, une gestalt est un mécanisme d’équilibre qui se forme, se recréée, mais ne s’applique pa’s par généralisation.
— La théorie de la forme néglige dans l’acte d’intelligence, l’activité du sujet, la correction, qui intervient par exemple dans le tâtonnement et dans le contrôle des hypothèses. Elle aboutit à une automatisation des lois d’un champ indépendant du sujet, elle se place donc dans une situation assez analogue à celle de l’empirisme classique : le sujet subit les lois de structure plus qu’il ne les crée.
— C’est la notion de Gestalt physique sur laquelle Kohler insiste : il y a deux sortes de structures dans le monde physique : des structures irréversibles auxquelles s’appliquent les lois de la forme, des structures réversibles, mécaniques également fondamentales, plus semblables à l’intelligence, dont ne parlent pas les gestaltistes.
THEORIE GENETIQUES (Constructions)
IV. — ASSOCIATIONNISME
L’associationisme empiriste, dans sa forme classique ou dans sa forme contemporaine (la réflexologie fondée sur le conditionnement) ramène donc à l’influence du milieu ou de l’expérience acquise.
Mais l’expérience n’est jamais passive, il y a toujours assimilation. Prendre conscience d’un objet, c’est toujours agir sur lui. La connaissance est toujours le produit de l’action du sujet. Ex. la notion d’un objet posé sur un support n’est pas enregistrée passivement par un mécanisme sensoriel ; il y a une structuration où le sujet est actif.
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Bulletin de Psychologie 211
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V. — THEORIE DU TATONNEMENT (Claparède)
Le tâtonnement n’explique pas tout, lui- même est sans cesse dirigé. Il y a toute une série de significations qui interviennent sans cesse et. qui sont toujours fonction de schémas antérieurs.
VI.— HYPOTHESES DE L’ASSIMILATION
(M. PIAGET)
Elle affirme qu’on ne connaît les objets et les événements qu’en fonction de l’action en transformant le monde extérieur, pour tous les niveaux de l’expérience.
Tout acte de l’intelligence suppose deux pôles :
— Assimilation : pôle de structure qui n’est pas statique mais se contruit au fur et à mesure de l’action.
— Accommodation : les schémas sont sans cesse modifiés par l’expérience.
Donc l’assimilation n’est pas un fait premier, elle est un fait biologique avant d’etre un fait psychologique.
L’idée fondamentale est celle d’une continuité fonctionnelle : une forme nouvelle est toujours le produit d’une différenciation des formes antérieures. Il y a incorporation qui tend vers la formation d’un schème nouveau et l’élargissement du schème antérieur. Il y a continuité fonctionnelle en même temps que construction structurale. On retrouve cette notion à tous les niveaux représentatifs de l’intelligence.
L’assimilation est une forme d’équilibre : équilibre entre le sujet et l’objet, adaptation au milieu extérieur ; d’autre part, équilibre interne entre les différentes parties du schème d’assimilation. Cet équilibre existe déjà sur le plan sensori-moteur, il aboutit à des formes déversibles. Nous sommes ici d’accord avec la théorie de la Forme.
II. — PERIODE DE LA PENSEE
PREOPERATOIRE (2 Ă 7 ans)
Vers 18 mois, en même temps que se fait l’acquisition du langage, se constitue la fonction symbolique. Le signifiant est différencié. Il y a début de la représentation, donc de l’intelligence conceptuelle.
Si nous définissions l’opération comme une action intériorisée, rigoureusement réversible, ou comme une coordination des opérations en système stable (comme la suite des nombres ou la classification) il n’y a pas encore opération à ce niveau de la pensée, c’est pourquoi nous employons l’expression de « pensée préopératoire ».
A — Différence entre l’intelligence sensori-motrice et la pensée représentative.
Il ya trois différences essentielles :
1° L’intelligence sensori-motrice s’appuie sur des perceptions ou des mouvements successifs, elle procède donc de proche en proche par des articulations successives, mais le tout à une vitesse faible, l’intelligence sensori-motrice est comme un film au ralenti.
Ex. le groupe des déplacements pratiques sur le plan sensori-moteur : l’enfant se retrouve dans l’appartement par des détours et retours, mais seulement par une idée de démarches successives ; il n’a jamais eu une vision d’ensemble de l’appartement, il ne s’en fait de représentation ni par l’image ni par le mouvement.
Dès qu’il y a représentation on peut quasi simultanément parcourir de grands espaces en pensée : il y a donc des différences de vitesse.
2° Différence de distance : l’intelligence sensori-motrice n’agit que sur l’espace proche, de manipulation ou de locomotion. Elle n’agit aussi que dans l’actuel. Il y a bien sûr relation avec le passé, continuation dans le temps, mais seulement avec le passé immédiat. De même il n’y a relation qu’avec le futur immédiat, au moyen du signal ou de l’indice. Il n’y a donc ni espace lointain ni distance dans le temps, dans l’intelligence sensori-motrice. Dès qu’il y a représentation, il y a élargissement du domaine de l’intelligence à l’espace lointain, et au passé et futur plus éloignés. Dès qu’il y a parole il y a récit (passé) et projet (futur) et intérêt pour les objets éloignés (soleil, lune etc…).
3° L’intelligence sensori-motrice est immédiate ; elle assure le contact immédiat entre le sujet et l’objet, elle porte sur des individus et des objets individualisés. Mais dès qu’il y a représentation il y a cadre conceptuel, l’intelligence devient médiate dès qu’apparaît le langage : l’objet n’est plus appréhendé jqu’à travers son cadre conceptuel.
Pourtant, on a déjà parlé de schèmes sensori-moteurs, et on les a comparés à des sortes de concepts. Mais ce ne sont que des concepts vécus, et non pas des objets de réflexion ou de représentation.
Ces différences sont toutes trois explicables par la différence fondamentale dont elles dérivent : l’apparition de la fonction symbolique.
Les signifiants sont dorénavant différenciés par rapport aux signifiés, ces éléments représentent autre chose qu’eux-mêmes.
Sur le plan sensori-moteur, il n’y a pas de signifiant différencié, les seuls signifiants sont des indices, — ou des signaux, — qui ne sont qu’une partie du signifié.
Cette différenciation est le fait fondamental. Dès qu’il y a possibilité d’évoquer un objet au moyen d’un signe ou d’un symbole, il y a modification sur les trois plans que nous avons étudiés.
— Vitesse : dès qu’il y a différenciation entre le signifiant et le sigifié, on peut raccourcir, résumer en un seul récit une expérience plus longue.
— Distance : on peut évoquer n’importe quelle situation absente.
— Dès qu’il y a différenciation entre le signifiant et le signifié, le contact avec l’objet cesse d’être immédiat.
Donc, du point de vue génétique, le fait principal qui marque le passage du plan sensori-moteur au plan représentatif, est la fonction symbolique.
Le problème se pose de caractériser et d’expliquer la fonction symbolique.
212 Bulletin de Psychologie
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Cours du 15 janvier 1953
Il y a au moins quatre catégories de signifiants différenciés :
1) Le langage : qui s’acquiert grâce à l’imitation, en fonction du milieu extérieur. Le langage proprement dit, comme articulation, n’apparaît qu’à ce niveau. (Chez certains enfants le langage compris précède d’ailleurs de beaucoup le langage parlé).
2) Le jeu symbolique : jeu d’imagination qui suppose la fiction — il existe trois catégories de jeux qui apparaissent sucessive- ment.
a) Te jeu d’exercice, n’est pas différent des conduites sérieuses, non ludiques correspondantes. C’est la seule forme de jeu présente au niveau sensori-mo- teur.
b) le jeu symbolique : caractérisé par le « faire semblant », qui est plus tardif, apparaît vers 1 an et demi à 2 ans. Ex. observation de M. Piaget sur sa fille : l’enfant qui accomplit un certain rituel pour s’endormir, reproduit ce rituel, le matin, en faisant semblant de s’endormir. Ce jeu est la reproduction de gestes habituels. Il y a ici, un début de représentation.
c) jeu de règle : suppose la vie sociale et n’apparaît que vers 4 à 5 ans.
3) L’imitation différée : c’est l’imitation qui se produit pour la première fois (au moment de la première imitation du modèle considéré) en l’absence du modèle. Ex. reproduction d’une scène de colère par une petite fille, après le départ du petit garçon qui l’avait produite.
4) L’image mentale : d’apparition plus tardive qu’on ne le croyait lors de l’associatio- nisme, on peut la localiser à la même période. Elle serait le résultat d’une imitation s’intériorisant. Les associationnistes la considèrent comme le prolongement direct de la perception, ce qui ne saurait plus se justifier.
Cherchons ce qu’il y a de commun à ces 4 catégories : on constate d’une manière frappante que c’est l’imitation. Le symbolisme est toujours à base d’imitation.
— Imitation de soi-même d’abord (l’enfant qui fait semblant de dormir) ;
— Imitation des autres (elle fait dormir son ours, courir un chat, etc…)
En deuxième lieu le langage est acquis par imitation, de même que l’image mentale, et l’image visuelle.
L’imitation serait le terme de transition entre le sensori-moteur, et le représentatif.
Histoire de l’imitation : retraçons l’histoire des 6 stades du sensori-moteur :
1er stade : (réflexe), pas d’imitation.
2e stade (des premières différenciations de schèmes) : rudiment d’imitation,, sous forme de contagion élémentaire (gazouillements, pleurs).
3” stade : (coordination vision-préhension) : reproduction plus nette des mouvements (le modèle extérieur va déclencher une répétition immédiate).
4e stade : (coordination des moyens et des buts) : on peut déclencher des imitations de mouvements connus de l’enfant, en dehors de la situation présente.
5e stade : (découvertes de moyens nouveaux par réaction circulaire tertiaire). Deux nouveautés dans le domaine de l’imitation.
a) l’enfant commence à imiter des modèles nouveaux pour lui dans les régions visibles du corps propre. Ex. imitation du geste de l’adieu et du jeu des marionnettes.
b) début de l’imitation des mouvements du visage, qui constitue un problème particulier au point de vue de l’imitation, car l’enfant ne connaît pas son visage. Avant ce stade il n’y a pas imitation, sans indice sonore chez l’enfant. Ex. l’enfant ne reproduira le baillement, que si celui-ci est accompagné d’un bruit.
Paul Guillaume attribue l’imitation des mouvements du visage, a une sorte de transfert, une conduite conditionnée. Mais, à ce niveau, la courbe d’apprentissage, n’est pas exponentielle, comme les courbes d’apprentissage lent, et il il y a aussi des erreurs très significatives.
6e stade : l’enfant arrive à imiter certains gestes. L’imitation joue déjà un rôle pré- représentatif. Dès ce niveau, des débuts de la fonction symbolique, l’imitation devient différée, et permet l’évocation d’élément absents.
LES PREMIERES CONDUITES REPRESENTATIVES DE L’ENFANT : On pourrait croire que tout ce qui a été acquis sur le plan du sensori-moteur, se prolonge au niveau du représentatif.
Mais il y a nécessité d’un réapprentissage ; les différents schèmes doivent être reconstruits sur le plan de la représentation. Ce décalage va de soi. Il est beaucoup plus difficile d’évoquer une conduite que d’agir directement et de résoudre les problèmes pratiquement. Ce que l’enfant sait faire en action, il faut le réapprendre en pensée. M. Piaget fit à ce propos une expérience avec Mlle Szeminska, sur des enfants d’école maternelle, qui savent aller de chez eux à l’école tout seuls, mais sont incapables ensuite d’expliquer ou de reconstruire leur itinéraire au moyen dJun matériel.
Ce qui est acquis donc au niveau sensori-moteur, demande une reconstruction au plan du représentatif. Le passage d’un niveau à l’autre, implique un transfert fonctionnel, mais pas de transfert structurel. Exemples :
— Notion d’objet : qui est permanente, mais dès qu’il s’agit de distances, ou d’objets multiples, les difficultés réapparaissent.
— Pour les personnages : très tard, l’enfant n’est pas certain de l’identité d’un per-
sonnage, dans l’espace, non pas très lointain. Aucune notion de la conservation de l’objet collectif.
— Conservation des formes : acquis pour l’espace proche dès le 4e ou le 5e stade du niveau sensori-moteur, mais pour l’espace lointain, le problème est loin d’être résolu. (Déformation des montagnes).
— Notion de l’égocentrisme, de la pensée du petit enfant : c’est une absence de conscience du moi ; son univers est centré sur un moi qui s’ignore, d’où l’indifférenciation systématique entre le point de vue propre et les autres points de vue.
Il y a 2 deux formes d’égocentrisme :
— Directe, relative à la position dans l’espace ou le temps, etc…
— Indirecte, revient à se représenter les choses ou les personnages analogie au moi et à l’action.
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Bulletin de Psychologie 213
Exemples :
a) Forme d’égocentrisme directe : réaction de l’enfant vis-à -vis des mouvements de la lune : les petits s’imaginent que la lune les suit quand ils se promènent.
b) forme d’égocentrisme indirecte : les enfants pensent que la lune est motivée, elle sait ce qu’elle fait, elle est consciente, ou bien ils pensent qu’ils la forcent à les suivre.
L’égocentrisme est exactement le contraire d’une hypertrophie du moi. Il n’y a pas consceience de la perspective propre, en tant que propre. Par nature inconscient. Il y a indifférenciation, entre la perspective propre et d’autres perspectives. Et cette indifférenciation n’est pas spéciale à l’enfant. L’égocentrisme est une attitude qu’on retrouve à tous les âges, mais qui apparaît toujours sous de nouvelles formes.
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Cours du 22 janvier 1953
Nous avons vu que l’égocentrisme est l’indifférenciation du point de vue propre et des autres points de vue. Il y a absence de la conscience du moi ; la prise de conscience du moi s’effectuant avec la décentration, M. Wallon qualifie cette notion d’individualiste, mais il adopte la notion de syncrétisme, que M. Piaget avait considéré comme une conséquence de l’égocentrisme. L’égocentrisme n’implique aucun individualisme car, au contraire, il n’y a différenciation de l’objet et du sujet.
Du point de vue de l’histoire des sciences, toute connaissance objective suppose une décentration. Exemple : en astronomie, la révolution Copernicienne est une libération du géocentrisme. D’autre part, la théorie de la Relativité est une décentration à l’égard des moyens de mesure liés à l’échelle de nos vitesses habituelles.
La décentration est un processus cognitif très général, qui se manifeste également dans le développement individuel. L’égocentrisme doit être pris dans le sens d’une centration inconsciente sur le sujet connaissant. Il se manifeste de façon directe ou indirecte.
I. — EXEMPLES
D’EGOCENTRISME DIRECT
a) Egocentrisme spatial. — Exemple : coordination des perspectives (expérience des trois montagnes).
Au début l’enfant n’effectue pas de renversement. Il ne voit que son point de vue actuel. Le retournement avant-arrière est le plus facile à effectuer ; la notion de gauche et de droite est la dernière requise. D’autre part, l’enfant montre sa main droite à quatre ans, il ne montre la main droite d’une personne en face de lui qu’à sept ans.
b) Egocentrisme temporel.
On demande à l’enfant : « Est-ce que tu es plus jeune que ton papa ? », il répond naturellement que oui, mais en se fondant sur la taille (jeune = petit) et n’établit pas de relation entre l’âge et la date de naissance ; quand on lui demande : « Qui est né d’abord, toi ou ton papa ? » il répond souvent : « C’est moi ; avant que je suis né je ne me rapelle pas d’avoir vu mon papa ».
c) Egocentrisme causal.
Finalisme centré sur l’homme et l’enfant lui-même.
II. — EGOCENTRISME INDIRECT
L’assimilation des objets et des événements ou schèmes de l’activité propre.
e) Animisme.
Les choses sont vivantes et conscientes dans la mesure où elles se déplacent. Par exemple, voyant une bille qui roule, l’enfant demande si elle sait où elle va. Cette notion a été contestée par bien des auteurs, mais Dennis et Russell, en Amérique, ont repris les expériences de M. Piaget sur une plus grande échelle et ont retrouvé le même type de réactions. L’animisme enfantin est un produit d’indifférenciation, il n’y a aucune raison a priori pour qu’il distingue un mouvement intentionnel d’un mouvement non intentionnel ; il va de soi pour l’enfant que tout mouvement suppose une direction intentionnelle.
L’Artificialisme : Les choses sont fabriquées sur le modèle de l’activité de l’adulte. L’enfant se pose des questions d’origine : il se demande comment les choses ont commencé. Et se pose des questions sur la naissance.
Pour Wallon, les objets à propos desquels l’enfant donne des réactions animistes ou artificielles sont des ultrachoses. Mais l’ultra chose n’est pas une invention du psychologue, elle vient des questions spontanées de l’enfant.
Causalité morale : L’enfant pense que les
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choses obéissent à des lois comme lui à des règles.
Notion de Force : Analogie avec l’histoire de la science : le Finalisme (dans la physique d’Aristote) est accompagné de la notion de force ; par exemple, tout mouvement suppose une force et une idée de mouvement translatif. L’enfant pense que la rivière coule parce qu’elle prend son élan, parce qu’elle a un but, qui est d’aller vers le lac ou la mer. C’eest une force interne qui implique une motivation, une sorte d’activité interne de l’objet, une sorte d’animisme de la conscience. On retrouve même chez l’enfant des notions rappelant celle des « deux moteurs » et de la « réaction environnante ». Exemples : le mouvement des nuages, les nuages bougent parce qu’il y a du vent. D’où vient le vent ? C’est un nuage qui fait du vent en avançant. Pour le mouvement d’un projectile, l’explication est la même.
III. — EGOCENTRISME SOCIAL
Cet égocentrisme se manifeste aussi dans les relations entre individus tant qu’elles ne parviennent pas à la réciprocité. Chez les enfants on retrouve, sur le plan social, la même indifférenciation que sur le plan physique. Par exemple dans le jeu de billes, l’enfant de moins de sept ans joue pour lui sans s’occuper des règles des autres De même, en son langage, l’enfant parle fréquemment pour lui comme si les autres l’écoutaient nécessairement. Les conversations entre enfants sont, en partie, des monologues collectifs et les discussions, surtout, montrent combien l’enfant éprouve de difficulté à se placer au point de vue de son interlocuteur.
On a essapé de noter le pourcentage du langage utilisé par l’enfant quand il parle pour lui-même, et le pourcentage du langage socialisé. Ces pourcentages diffèrent selon les milieux et dépendent notamment de la proportion du jeu et de l’activité adaptée.
Ces faits ont une certaine portée au point de vue de la structure du raisonnement et de la logique : ils mettent en évidence la difficulté de la réciprocité et l’absence du besoin de la preuve (la preuve naît du doute lequel est provoqué par la confrontation d’idées contraires).
LES PRECONCEPTS
ET LES PRERELATIONS
1° Grâce à la fonction symbolique l’intelligence, jusqu’ici exclusivement sensori-motrice, devient susceptible de représentation.
2° S’il y a continuité fonctionnelle de l’intelligence sensori-motrice à celle-ci, il ne se fait pas entre elles de transfert structural.
3° Cette restructuration est retardée ou déviée par l’égocentrisme physique ou social.
Analyse de ces premières structures de la pensée préopératoire.
On considère deux aspects.
1° Les Préconcepts. — Grâce à la fonction symbolique il y a assimilation des objets entre eux et non seulement à des schèmes d’action. C’est le début de l’équivalence logique… Donc, c’est la première forme du concept. Mais que ce concept atteigne sa forme, il faut que deux conditions soient remplies :
a) Distinction du « tous » et du « quelques » (Conservation);
b) Il faut que les qualités au moyen desquelles ces concepts se construisent, soient objectives (Différenciation de l’action et de l’objet).
Ces deux conditions so’nt solidaires… Les premiers concepts dont se sert l’enfant n’obéissent pas à ces deux conditions. Il n’y a pas de dissociation entre le subjectif ; et l’objectif… donc pas de réglage du « tous » et du « quelques ».
Exemple.
a) Nous parlerons d’abord d’un concept construit par un enfant de M. Piaget, sans l’aide de l’entourage : « L’Amain ».
C’est l’air que la main fait en se déplaçant et qui fait tout tourner autour de la petite fille après qu’elle ait pivoté plusieurs fois sur elle-même.
Cette notion est égocentrique en tant que liée à l’action même de réglage de « tous » et du « quelques », lorsque l’enfant distingue son « Amain » blanc, et l’« Amain » bleu des grandes personnes.
(Lorsque les objets tournent pour lui, ils ne tournent pas de la même manière pour son père.)
Il y a une certaine dissociation des points de vue qui est intéressante au point de vue du développement de la connaissance.
b) Les concepts donnés par l’adulte.
L’enfant livré à lui-même peut leur donner une extension quasi indéfinie.
— Le « vou-vou » est d’abord le chien que la petite fille voit de son balcon, puis le propriétaire du chien et tout ce qu’elle voit du balcon, bientôt même tout ce qui bouge, etc.
— La « limace », chaque limace est la « limace ». L’enfant ne distingue pas l’individu de la classe.
— Les réactions des petits au problème de l’« Ombre ».
L’écran fait de l’ombre parce qu’il y a de l’ombre dehors sous les arbres, ou parce qu’il y a eu de l’ombre cette nuit et qu’il en reste un peu. L’enfant fait appel aux sources d’ombre. Il n’y a pas dissociation non plus entre le cas individuel et la classe générale.
On trouve des faits du même ordre dans mille autres domaines. Binet en a mis en évidence à propos des définitions d’enfants.
— Les premières définitions verbales sont des définitions par l’usage. (La maman est pour aimer.)
— Dans la suite l’enfant donne une définition par la classe, mais d’abord par le genre seul sans la différence spécifique. (La maman est une dame.)
— C’est au stade opératoire que l’enfant définit par le genre et la différence spécifique. (Réglage du « tous » et du « quelques ».)
Au total, les préconcepts sont des concepts où l’enfant n’a pas recours à des qualités objectives et qui ne supposent pas de réglage de « tous » et de « quelques ».
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Cours du 29 janvier 1953.
Les prérelations sont des relations qui ne sont pas complètes, pas susceptibles de composition réversible, opératoire.
Exemple : Si l’on donne à un enfant trois objets de poids différents à sérier : l’enfant se contente de comparer le premier A, au deuxième B, et au troisième C ; il conclut que A est léger, B ’et C sont lourds.
S’il a quatre poids, il concluera de ce que A est plus léger que B, et que C est léger que D, que A et C sont légers, B et D lourds.
De même, la notion de frère, ou de sœur n’est pas encore réciproque.
Les relations utilisées par l’enfant ne sont pas susceptibles de réciprocité.
SRUCTURE DE LA PENSEE
PREOPERATOIRE
D’après Stern, le raisonnement de l’enfant ne constitue ni de déduction ni d’introduction proprement dites, mais une transduction, qiu est simplement un passage du particulier au particulier. (Nous savons d’ailleurs aujourd’hui que l’induction n’est pas une forme de raisonnement proprement dite, et que la déduction n’est pas toujours passage du général au particulier.) Ce sont des transductions sans composition opératoire, sans composition réversible.
Mais une question se pose lorsqu’on suit l’enfant par la méthode longitudinale : la remarque de Stern s’applique-t-elle réellement au raisonnement de l’enfant, ou seulement à son langage ?
1” Par l’observation simple, c’est difficile à distinguer.
Exemples :
a) L’enfant qui voit passer son père, portant un pot d’eau chaude, dit : « Papa prend de l’eau chaude, alors se raser ».
b) Au cours de ses promenades, l’enfant rencontre parfois un bossu et demande toujours : « Est-ce qu’on verra pauvre garçon aujourd’hui ? ». Son père lui a expliqué que cette bosse est une maladie. Après que le bossu ait eu la grippe, le petit pense qu’il est guéri de sa bosse en même temps.
c) La petite fille de M. Piaget s’intéresse beaucoup, au cours de ses promenades, à « la limace ». Un jour, après avoir démandé si on verra « la limace », elle dit : « Non, on la verra pas, parce qu’il y a du soleil ». Le lendemain, elle déclare qu’elle verra la limace parce qu’il pleut.
d) On promet à la même petite fille de lui donner une grande bicyclette, quand elle sera grande. Mais elle dit que ce sera une petite bicyclette, puisqu’elle est petite !
On pourrait dire qu’un syllogisme est sous-entendu dans le raisonnement de « la limace ». Mais l’enfant n’explicite pas tous les éléments de son raisonnement, dans lequel il y a une simple séquence dans le temps, succession régulière. Dans les autres cas, .T n’y a pas emboîtement de la partie dans le tout (dans la réflexion sur le bossu, toutes les maladies sont mises sur le même plan).
Les observations simples ne permettent pas de résoudre le problème.
2° Par l’expérience : ou bien on a recours au langage (mais ce qui est verbal est toujours dangereux) ou on utilise des objets concrets mais alors la question risque d’être trop facile. Les tests verbaux de raisonnement sont calqués sur le raisonnement de type adulte (par exemple le syllogisme dont on donne les prémisses, et dont on doit trouver la conclusion). Ce n’est pas bon : dans le langage courant, on ne parle pas par syllogismes, qui sont des manières artificielles de s’exprimer.
Le test d’intelligence de Burt, bien que verbal, est bien meilleur ; M. Piaget le modifie d’ailleurs légèrement et pose la question : « Jean dit à ses sœurs : Une partie de mes fleurs sont jaunes. Puis il leur demande la couleur qu’a son bouquet. Marie dit : Toutes tes fleurs sont jaunes. Simone dit : Quelques-unes de tes fleurs sont jaunes. Et Rose dit : Aucune de tes fleurs n’est jaune. Laquelle a raison ? » Les enfants pensent d’abord que le bouquet est tout jaune, que les deux premières soeurs disent la même chose. L’expression « une partie de mes fleurs » signifie, pour lui, « mes quelques fleurs ».
Il y a donc là un problème très significatif du « tous » et du « quelques ». Mais est-ce une question de grammaire, ou de logique ?
Autre question sur le pays : On demande à des petits Genevois s’ils sont Genevois ou Suisses. En général, les enfants déclarent qu’ils sont Genevois (ou Vaudois) mais pas Suisses. Ils comprennent pourtant que Genève est dans la Suisse. Mais les Suisses sont les autres qui sont pas Genevois. La compréhension que l’enfant acquiert, après de nombreuses explications, est purement verbale.
Question des objets ordonnés dans le champ perceptif : On montre à l’enfant des perles en bois : presque toutes sont brunes, quelques-unes sont blanches. On demande à l’enfant si toutes sont en bois. « Oui ». Toutes sont-elles brunes ? « Non ». Y a-t-il plus de perles brunes, ou de perles en bois ? La réponse est presque toujours, avant sept ou huit ans : « Il y a plus de perles brunes, puisqu’il n’y en a que deux blanches ». Même si on explique à l’enfant, il ne comprend pas, même si on lui pose la question en essayant de s’imaginer un collier en perles brunes, un collier de perles en bois. Il y en aura plus de brunes, parce que pour le collier de perles en bois, toutes les autres ne sont plus là , on les a déjà utilisées.
L’enfant de ce niveau ne raisonne pas par hypothèses. Pour nous, une hypothèse n’est pas une action réelle, c’est le modèle de l’action réversible. Mais si l’expérience invo-
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quée par l’image a tous les caractères de l’expérience réelle, comme c’est le cas pour l’enfant, le même objet ne peut pas être dans deux endroits (le « tous » et le « quelques ») à la fois. On demande à l’enfant de raisonner sur le tout, avant de le dissocier en parties, puis de raisonner sur une partie, apres avoir dissocié le tout. Or, l’enfant peut raisonner sur le tout tant qu’il n’est pas fractionné en parties. Mais quand on l’a fractionné il n’y a plus de tout, il n’y a plus que les parties, dans l’exemple des perles brunes et des perles blanches, mais il n’y a plus de perles en bois. Or, poux- résoudre le problème ainsi posé, il faut simultanément penser au tout et aux parties, passer au tout et aux parties et des parties au tout, donc faire une action réversible.
A + A’ = B (perles de bois).
A = B — A’. A’= B — A.
Le propre de la pensée préopératoire est donc qu’il n’y a plus conservation du tout quand celui-ci est fractionné en parties.
Conclusion provisoire :
1° Stern a raison : l’emboîtement de la partie dans le tout n’est pas compris avant sept ans.
2° Ces compositions de parties et de tout, ces emboîtements de classes supposent qu’il y ait réversibilité, que chaque opération puisse être faite dans l’autre sens, et évoque l’autre. Or, le caractère propre de la pensée préopératoire est d’ignorer les opérations additives, faute de réversibilité.
La réversibilité peut se trouver sous deux formes :
1° Inversion ou négation : addition et soustraction, par exemple ;
2° Réciprocité qui intervient dans les relations : A = B implique B = A. Permutation des termes, relation symétrique.
CRITERES PSYCHOLOGIQUES
DE CETTE REVERSIBILITE
La conservation est l’indice le plus systématique et le plus net de l’apparition de la réversibilité. Dans l’histoire des Sciences, on n’a commencé à penser rationnellement que quand on a posé comme postulat la conservation de la matière (physiciens présocratiques) du poids, de la masse, du mouvement, rectiligne et uniforme, etc.
Ces invariants sont toujours parties d’un système réversible. La pensée commune suppose également un grand nombre d’invariants, desquels dépendent les progrès de la connaissance.
Les notions de réversibilité existent-elles chez l’enfant ? Les invariants seront l’indice même de la réversibilité. Si la pensée préopératoire est irréversible, on le verra en étudiant les invariants. On posera donc à l’enfant des problèmes qui mettent en cause ces invariants :
1° Conservation de la longueur d’un trajet. Si on propose à des enfants de quatre- cinq ans d’imaginer un déplacement sur un plan incliné : pour beaucoup d’enfants, le chemin en pente est plus long à la montée qu’à la descente.
Si on donne alors à l’enfant une planchette inclinée, et des rubans de papier pour mesurer (sans unité) : des bleus pour la montée, des rouges pour la descente ; avant la mesure, l’enfant pense en général que le ruban bleu sera plus long, et s’étonne de constater que ce n’est pas vrai.
— On pose à des enfants le même problème, à plat. La mesure sera-t-elle la même dans les deux sens ?
— Deux baguettes de même longueur (on l’a fait vérifier par l’enfant) sont données ; on en fait avancer l’une par rapport à l’autre. Pour l’enfant, elles ne sont plus de la même longueur (environ 50 % des enfants croient que chacune est la plus longue). Vers six-sept ans, l’enfant éprouve une réelle satisfaction à découvrir qu’elles sont égales, en vérifiant l’équivalence des différences de dépassement aux deux extrémités.
— On présente à l’enfant des réglettes (ou les allumettes) sous forme de deux parallèles, égales. Si on transforme l’un des trajets par un angle, ces lignes ne sont plus reconnues comme égales.
2° Distance : près et loin.
On met devant l’enfant deux objets immobiles (par exemple des jouets représentant des arbres). On demande d’abord à l’enfant s’ils sont près ou loin de l’autre, pour fixer les idées. Puis on installe un écran de carton (un mur) entre les deux arbres. Sont-ils alors à la même distance qu’avant ? Les petits ne comprennent pas (4-5 ans) : il n’y a pas une distance, mais deux, entre les arbres. Vers 5 ans, 5 ans 1/2, l’enfant pense que les arbres sont plus près qu’avant, parce que l’épaisseur du mur ne compte pas : la distance est la distance dans l’espace vide ; le plein et le vide ne sont pas la même chose, ce qui est une influence perceptive.
Si on augmente l’épaisseur du mur, les arbres sont considérés comme étant de plus en plus près. Mais si le mur va d’un arbre à l’autre, ils sont de nouveau loin. En outre, la distance est la même que s’il n’y avait pas de mur.
3° Surface : On divise un carré en quatre parties. Suivant la disposition de ces parties, l’enfant estime que la surface n’est pas la même. Pour faciliter la compréhension de la surface, on présentera deux cartons verts de même surface et l’on demandera : « Y a-t-il autant d’herbe des deux côtés ? »
On trouve là une nouvelle forme du problème de conservation, l’axiome d’EUCLlDE (si l’on enlève deux quantités égales à deux quantités égales, il reste deux quantités égales) est-il admis à ce stade ?
On fait imaginer à l’enfant que le propriétaire du premier champ construit une maison dans un pré. Un autre en construit dans le même pré, mais à une autre place. Reste-t-il autant d’herbe à manger pour les vaches ? — Les petits hésitent déjà , car la configuration perceptive est différente. Si l’enfant dit que l’espace de pré restant est le même on introduit une deuxième maison. Avant 7 ans, il y une forte proportions de mauvaises réponses. Plus le nombre des maisons augmente, plus la difficulté est grande. Aucun enfant n’a résisté à l’impression perceptive, lorsqu’il y avait 15 maisons au moins.
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Objection possible : Dans le cas du dessin de l’enfant, le réalisme intellectuel existe avant le réalisme visuel. Cette forme stable (le réalisme intellectuel) n’est-elle pas une forme d’invariance, ou de conservation ? Non, car un invariant est relatif à des transformations. Or, dans le cas du dessin, l’enfant nie la transformation (perceptive).
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Cours du 5 février 1953.
Dans les leçons précédentes, en étudiant l’irréversibilité, nous n’avons signalé que des exemples concernant les quantités spatiales. Nous allons aujourd’hui voir d’autres exemples concernant les quantités physiques. M. Piaget a fait les expériences suivantes en collaboration avec Mlle Inhelder.
PREMIERE EXPERIENCE.
On donne à l’enfant deux boulettes d’argile de même grandeur et de même poids, l’une invariante, l’autre transformée (boudin, galette). On peut poser à l’enfant trois questions.
1° Conservation de la matière « Est-ce qu’il y a toujours la même chose de pâte ? » (on emploie le langage de l’enfant, mais en évitant d’utiliser le mot « gros », qui implique à la fois la quantité de matière et le volume.
2° Conservation du poids. « Est-ce que c’est la même chose lourd ? »
3° Conservation du volume : On immerge la boulette dans un verre d’eau. On demande à l’enfant si le boudin ou la galette feront monter l’eau au même niveau ou pas ?
Résultat :
Aucune de ces formes de conservation n’est acquise au niveau préopératoire. Pour le 2° et 3° cas (poids et volume) cela est évident. Mais c’est aussi le cas même pour la conservation de la matière : pour les enfants la quantité a toujours variée ; tantôt il y a plus, tantôt il y a moins dans le boudin que dans la boulette.
Dans des expériences différentes on a retrouvé les mêmes résultats pour les trois ordres de questions :
DEUXIEME EXPERIENCE.
Dissolution du sucre. Deux verres d’eau, dans l’un on fait fondre du sucre, on laisse l’autre pour le contrôle.
lre question. —   Le sucre une fois fondu existe-t-il toujours dans l’eau ?
2e question. —   Le poids se conservera-t-il quand le sucre aura fondu.
3e question. — Y aura-t-il conservation de volume.
Résultats :
Les réactions sont les mêmes et aux mêmes âges. L’enfant n’a aucune conservation même en ce qui concerne la matière. L’enfant considère que le sucre a disparu, s’il la boit le lendemain il trouve que le goût est parti, comme une odeur.
Vers 7-8 ans la conservation de la matière s’impose pour le sucre comme dans le cas de la boulette, tantôt sous forme continue, mais souvent sous forme atomiste, confus- culaire : les grains se divisent en grains de plus en plus petits, jusqu’à ce qu’on ne les voit plus.
9-10 ans : conservation du poids mais pas de volume.
TROISIEME EXPERIENCE, Contre-épreuve.
On emploie une matière qui paraît s’accroître le « pop-corn » grains de maïs qui gonflent à la chaleur.
Pour l’enfant il y a accroissement de matière, le grain pousse comme nous grandissons. La conservation de la matière apparaît vers 7-8 ans avec la même sorte d’atomiste élémentaire (Bachelard a parlé de métaphysique de la poussière).
QUATRIEME EXPERIENCE.
En collaboration avec Mlle Szeminska. On a deux bocaux de même grandeur remplis de même quantité de liquide coloré. Les bocaux sont de formes différentes. L’enfant dira tantôt qu’il y a plus de liquide dans le bocal le plus haut, tantôt qu’il y en a plus dans le bocal le plus large ; mais il n’y a jamais identité.
De même, si l’on verse le contenu de l’un des bocaux dans une série de petits verres, l’enfant dit d’abord qu’il y en a plus dans l’ensemble des petits verres, mais si .l’on prend des verres de plus en plus petits, l’enfant finira par dire que la quantité de liquide a diminué, parce que les verres sont très petits.
CINQUIEME EXPERIENCE.
Sur la non-conservation des quantités discontinues.
On dispose d’un ensemble de perles bleues et de perles rouges, et de deux bocaux de forme différente. Même si l’enfant ne sait pas compter, il peut mettre un nombre égal de perles dans chaque bocal en plaçant alternativement une rouge d’un côté, une bleue de l’autre. Cependant l’enfant concluera qu’il a plus de perles dans le bocal le plus étroit et le plus haut, par exemple.
SIXIEME EXPERIENCE.
Jeu au marchand : correspondance terme à terme plus explicite. L’expérimentateur possède un certain nombre de sous, et l’enfant un nombre égal de grains. L’expérimentateur échange tous ses sous, un par un, contre les grains de l’enfant.
L’enfant constate donc que la quantité est toujours la même des deux côtés. Mais si d’un côté on range les grains en ligne espacée et que de l’autre on accumule les sous en un tas. l’enfant croît qu’il n’y a plus la même quantité.
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Il y a donc bien équivalence terme à terme dès 5-6 ans, mais il suffit d’espacer ou de serrer les éléments d une série pour que l’équivalence se perde. Il y a estimation momentanée d’apres la situation, mais non pas réversibilité.
Différence entre les caractéristiques de la pensée de cette période et la pensée opératoire.
Il y a trois différences essentielles :
1° Sauf dans le cas de problèmes portant sur la transformation elle-même ,1a pensée de l’enfant s’attache, à ce niveau, aux états, aux configurations statiques, sans s’attacher aux formations qui les relient.
Ex. Dans l’expérience avec les boulettes d’argile, l’enfant compare l’état 1 (boulette) et l’état 2 ( galette ou boudin) comme s’il s’agissait d’états distincts, non reliés l’un à 1 autre par une transformation.
2° Dans certaines situations l’enfant pense à la transformation, mais il la conçoit non pas comme un déplacement des parties de l’objet, une suite de mouvements mais comme une action à la manière de l’activité propre, tendre vers un but : cette transformation n’est pas une propriété de l’objet, elle est intervenue du aehors, transformant l’objet en un autre objet qui n’a pas forcément de rapport avec le premier. Rappelons- nous le rôle de l’activité propre dans la représentation de l’enfant, et dans sa notion de la causalité. D’enfant cherche à agir sur les objets avant de s’interroger sur leurs propriétés. Ainsi la transformation, située dans un contexte d’action égocentrique, se trouve négligée.
3° L’état, d’un côté, et la transformation de l’autre, ne sont pas situés sur le même plan. Il n’existe pas de système unique permettant de relier entre eux les états et les transformations, et faute de ce système unique la réversibilité est impossible, d’où l’absence de conservation.
Analyse des premières étapes de la réversibilité annonçant la conservation qui s’éta- bliera au niveau suivant.
Le problème posé à l’enfant est celui-ci : Y a-t-il retour possible au point de départ ? de l’état n° 2 à l’état n° 1.
Expérience de transvasement de liquide. Soit deux verres de forme différente, contenant la, même quantité de liquide. On verse le contenu du verre 1 dans le verre 2, plus allongé ; pour l’enfant la quantité augmente. Si nous reversons le liquide dans le verre 1, quelle sera la quantité ? Les réponses varient avec l’âge :
— 4-5 ans : Pas d’égalité au retour ;
— 5 ans 1/2-7 ans : Egalité au retour, la quantité augmente dans un verre et diminue dans l’autre. Cette réaction annonce la réversibilité, il y a retour au point de départ, mais sans conservation pendant le trajet. Ce n’est pas la réversibilité, car la transformation est conçue comme une souple action tendue vers un but. Or l’action élémentaire (ex. réflexe, habitude) n’est pas réversible : apprendre à écrire de gauche à droite n’apprend pas à écrire de droite à gauche. Il s’agit donc ici d’un retour empirique, différent de la réversibilité, car il n’assure pas la conservation.
Lorsque la réversibilité est acquise (7, 8 ans), l’enfant comprend que la transformation déplacement qu’on peut inverser.
Obstacles à la réversibilité.
Nous allons reprendre les deux différences essentielles :
— Pensée centrée sur les états.
— Transformation de l’action à sens unique.
1° Pensée centré sur les états.
Attitude qui consiste à isoler les états de la transformation comme s’ils se succédaient sans parenté, comme si B n était pas le résultat de A transformé. Cette attitude aboutit à ce que l’état est jugé en fonction de sa configuration perceptive, sans tenir compte des lois logiques. Dans beaucoup de cas, la non conservation a pour raison des lois perceptives précises : une ligne plus longue. Pour aboutir à la notion de déplacement il faut briser la structure perceptive.
L’enfant ne pourrait-il pas évoquer ces transformations par l’imagerie mentale ? Celle-ci est bien difficile à analyser à cet âge, mais on peut avoir des renseignements indirects par le dessin. (Luquet : le dessin à ce niveau est la copie d’un modèle interne).
a) Expérience sur les surfaces de section : avant d’effectuer des coupes transversales en biais sur un cylindre de pâte à modeler, on demande à l’enfant de dessiner quellle sera la surface de section. Or l’enfant n’imagine pas la transformation, il donne un dessin de l’objet non coupé. Quand il essaie de se représenter la transformation, l’image donne l’action elle-même : couteau posé sur l’objet, fente par laquelle on commence à couper.
b) Expérience de rabattement (non au sens de Luquet mais au sens des géomètres). On présente à l’enfant un cube en carton, dépliable, et on demande de dessiner ce cube déplié ; pour étudier sa capacité d’anticipation par l’image. D’abord l’enfant représente l’objet statique, non le résultat de la transformation. Plus tard il donne le début de l’action.
L’image est pauvre, elle ne réussit pas à compléter la perception ; elle est une imitation intérieure de l’objet reproduisant l’action et non la transformation elle-même.
Nous avons donc vu que la pensée de l’enfant est centrée sur les états indépendamment de la transformation, et que cette transformation est conçue sous l’angle de l’action et non sous l’angle objectif des déplacements de l’objet. Dans les deux cas il y a centration.
Ce sont là les lacunes de la pensée préopératoire. Voyons maintenant ses côtés positifs.
Aspects positifs de la pensée préopératoire.
Il y a une orientation vers l’opération ultérieure, une recherche de l’équilibre se manifestant par des régulations marquant une semi-réversibilité.
Bulletin de Psychologie 219
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Cours du 12 février 1953.
Nous avons vu qu’au niveau préopératoire la pensée se caractérise par une centration. Cette centration n’est pas réservée au domaine de la pensée, on l’observe dans le domaine de la perception. Si l’on fait comparer un étalon fixe à une variable, on constate que l’étalon est surestimé dans le cas où le regard est fixé sur cet étalon.
Mais une décentration s’annonce déjà au niveau préopératoire.
Débuts de régulation. — Nous les connaissons déjà au niveau sensori-moteur : dans les tâtonnements il y a une sorte de va-et-vient, un ajustement par retour en arrière, puis au point d’arrivée. Sur le plan de la pensée, ces régulations sont plus systématisées. On en distingue quatre types.
Au point de vue de la représentation.
1°) Intuition simple (la représentation simple).
2°) Intuition articulée qui marque le début des coordinations entre représentations.
D’autre part, au point de vue de la structure interne :
1°) régulations additives ;
2°) régulations multiplicatives.
Régulations simples additives.
Ex. : faire copier une enfilade de perles de couleur, en ligne droite.
— niveau opératoire (7 ans) : action réversible, l’enfant sait repoduire la figure à l’envers.
— niveau préopératoire : l’ordre direct est vers 4-5 ans. Auparavant, l’enfant ne part pas de l’ordre mais d’une notion topologique plus élémentaire, la notion de voisinage : par exemple une perle rouge est placée à côté d’une perle bleue, comme sur le modèle. L’ordre est acquis ensuite par une coordination des relations de voisinage. L’enfant y arrive par des tâtonnements qui sont des régulations du type additif. Il effectue des retours en arrière pour s’assurer que l’ordre a été bien suivi. Ceci témoigne d’une semi-réversibilité : passage de l’état A à l’état B, puis retour à A’ voisin de A, puis à B’ voisin de B.
Régulations multiplicatives.
Reprenons l’exemple de la boulette d’argile. Pour un certain nombre d’enfants, il y a plus de pâte dans le boudin parce qu’il est plus long. Mais lorsque l’on continue à allonger le boudin, à un certain moment l’enfant dit : il y a moins de pâte parce que c’est plus mince. Il y a une inversion de l’erreur par son exagération. La régulation ici ne consiste pas seulement à inverser, mais à faire appel à celle des relations qui était oubliée. En effet, au point de départ l’enfant ne raisonne que sur une seule relation à la fois, il n’en retient qu’une, bien qu’il perçoive les deux (c’est un cas particulier de centration). Puis brusquement l’autre relation passe au premier plan. Ce mécanisme est constant dans les notions de conservation. Il présente un grand intérêt pour la suite du développement intellectuel. La conservation sera fondée sur l’idée de compensation : ce que la boulette gagne en longueur, elle le perd en épaisseur. Il en tire une multiplication de relations.
Cette régulation muliplicative n’est pas spéciale à la représentation, on la retrouve dans le domaine perceptif (p. ex. illusion de Delbœuf ).
Le problème des contradictions :
Ce principe de contradiction existe-t-il ou non chez l’enfant à ce niveau. Les exemples précédents présentent une contradiction. Si on fait appel à la longueur de la boulette, elle intervient dès le début, ou inversement si on fait appel à l’épaisseur. Les raisonnements de l’enfant sont donc contradictoires au point de vue de l’opération. Du point de vue qui sera celui de l’enfant du stade ultérieur il y a contradiction. Mais la régulation consiste précisément à modérer les contradictions.
Qu’est le principe de contradiction au point de vue psychologique, et est-il logique de dire qui’l n’existe pas à ce niveau. Le problème a été soulevé en termes nouveaux par Lévy- Bruhl à propos de la mentalité primitive. Avant lui, on pensait que la logique était la même à tous les niveaux, seuls les contenus de la pensée varient ; le primitif raisonnerait, comme nous, mais n’a pas les mêmes connaissances. Lévy-Bruhl le premier a posé le problème d’une structure différente, et a fait l’hypothèse d’une structure prélogique ; c’est un problème que l’on peut toujours se poser à propos de l’enfant. Des objections ont été opposées à cette thèse par les logiciens et les philosophes des sciences (E. Meyerson et A. Reymond, etc…) : le primitif raisonne comme nous, applique le même principe de contradiction que nous, mais s’intéresse à d’autres domaines. Pour lui, par exemple, un objet n’est pas à la fois sacré et non sacré, c’est déjà une non-contradiction.
Au point de vue psychologique, c’est un langage dénué de signification, on raisonne ici comme si le code était antérieur aux applications ; or l’enfant et le primitif commencent par l’application et la réflexion vient ensuite.
Il faut distinguer la fonction de la structure (nous employons ces termes dans un sens biologique)Â :
— il y a des fonctions permanentes (nutrition, respiration) ;
— et des structures variables (organes digestifs, différenciés ou non).
Il est intéressant d’appliquer cette distinction au principe de non-contradiction.
220 . Bulletin de Psychologie
1° La fonction : recherche de la permanence qu’on trouve à tous les niveaux. L’enfant ne se contredit pas pour son plaisir : il recherche la cohérence, les régulations dont nous avons parlé en sont la preuve ; mais cette cohérence peut être atteinte par des structures diférentes.
2° Les structures : par exemple, la cohérence motrice (les mouvements sont coordonnés en vue du but) ; ou la cohérence affective agréable, (si on ne tient pas compte de l’ambivalence, qui n’est qu’un raté de la cohérence).
Le préconcept n’est qu’une ébauche, mais manifeste déjà la recherche de la cohérence, définie par la réversibilité, que l’enfant at- teindra au stade de la pensée opératoire. Y a-t-il ou non contradiction au niveau considéré.
— Au point de vue de la fonction, la recherche de la cohérence est permanente.
— Au point de vue de la structure, la cohérence est impossible car l’enfant ne possède pas les instruments nécessaires : réversibilité, etc… l’enfant arrivera à la cohérence par des approximations successives, mais jamais par une synthèse. Le principe de contradiction n’a de sens qu’à partir du moment où il y a une logique.
Exemple : l’enfant interrogé sur la flottaison des bateaux. L’enfant dit que les petits bateaux flottent parce qu’ils sont légers : l’eau les porte facilement ; les grands flottent parce qu’ils sont lourds, donc ils sont forts et peuvent se porter seuls. Le mot lourd est donc pris ici dans deux sens différents : le poids proprement dit et la force.
Les logiciens peuvent objecter que l’on peut concevoir- un même effet provoqué par deux causes opposées (les impôts ne sont payés ni par les gens très riches, ni par les gens très pauvres), mais l’enfant ne fait pas, bien sûr, des raisonnements si subtils. Dans un expérience faite par M. Piaget et Mlle Inhelder et qui avait été à l’origine destinée à connaître la notion de hasard, une aiguille métallique tourne avec autour d’elle un cercle composé de secteurs de différentes couleurs : l’enfant sait-il sur quelle couleur elle s’arrêtera ? On introduit avant l’expérience un anti-hasard : autour de l’aiguille sont disposées des boîtes d’allumettes, remplies ou non d’objets divers plus ou moins lourds, une d’elle contient un aimant. L’aiguille s’arrête toujours en face de la boite aimantée ; il y a un niveau à la fin de la période pré-opératoire, où l’enfant admet qu’une cause est intervenue, et où il cherche à la connaître. II soupèse les boîtes, il dit que l’aiguille s’est arrêtée parce que la boîte est lourde, si on lui montre alors qu’il y en a d’autres plus lourdes, l’enfant déclare que ça ne va pas si c’est trop lourd ; il considère une sorte de poids optimum ; après 7-8 ans il y a seulement de la contradiction, et l’enfant exclura le facteur poids.
Conclusion. — Les régulations sont donc les premières formes de coordination, de systématisation. Elle manifeste un effort de cohérence sans y parvenir faute de structure suffisante. Les régulations du stade supérieur, vers 6-7 ans, marquent la zone frontière entre le stade pré-opératoire et cela de la pensée opératoire. L’enfant n’admet pas de conservation générale, mais des conservations limitées ou petits changements, un type nouveau de régulation commence à provoquer une décentration — exemple du pré et des maisons ; il y a déjà début de reversabili- té lorsque l’enfant voit déjà la transformation comme un déplacement, qu’on peut refaire en sens inverse ; on pourrait redéplacer la maison du deuxième pré, et la mettre dans celui-ci au même endroit que celle de l’autre pré. C’est seulement lorsqu’il y a trop de maisons que l’enfant ne peut plus concevoir tous les déplacements à la fois. La régulation devient donc anticipatrice, l’esprit non seulement revient en arrière, mais anticipe. Les régulations sont surtout nettes, dans les problèmes de vitesse. L’enfant ne fait pas la relation des notions de temps et d’espace parcourus. Le problème pour lui n’est encore qu’un problème de dépassement. Si un corps dépasse l’autre, c’est qu’il va plus vite (il ne faut pas confondre ce problème avec celui de la perception de la vitesse, sur laquelle insistent surtout M. FRAISSE et Mme VAUTREY, dans la revue Enfance).
Exemple :
1" On place devant un enfant 2 tunnels, dont l’un est deux fois plus grand que l’autre ; des poupées, que l’on place à l’entrée, sont actionnées par des tiges métalliques. Si on les fait entrer et sortir en même temps, bien que l’enfant ait vu que l’un des tunnels est deux fois plus grand que l’autre, il croit que leur vitesse est la même puisqu’elles sortent ensemble. Si on enlève le tunnel, il admet que la deuxième poupée va plus vite, puisqu’elle dépasse l’autre, on remet alors le tunnel pour les plus petits, les poupées ont de nouveau la même vitesse,, mais l’enfant plus âgé tiendra compte du dépassement.
2° Contre-épreuve.
Sur 2 pistes concentriques ont fait courir 2 objets qui ne se dépassent pas : l’enfant qui voit la différence de longueur ne voit pas la différence de vitesse, puisqu’il n’y a nas dépassement. Dans la période frontière, l’enfant commence à raisonner, non seulement sur les dépassements visibles, mais sur ceux qui se produiraient si les mouvements continuaient, mais toujours en termes de dépassement. Ces régulations de plus en plus complexes sont déjà presque des opérations.
PERIODE
DES OPERATIONS CONCRETES
(de 7-8 ans Ă 11-12 ans)
Vers 7 ans on observe une série de transformations simultanées quelquefois très brusques.
Recherches longitudinales effectuées en collaboration avec Melle Inhelder.
Il existe des transformations simultanées rapides, même chez un enfant de 6 ans et demi à 7 ans, comme s’il avait un changement de structure.
1° Tous les problèmes de conservation (sauf poids, volume et quantités plus complexes) sont résolus synchroniquement : no-
Bulletin de Psychologie 221
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tions de longueur, de distance, de collection, etc…
2e Début de réversibilité : retour possible au point de départ. La transformation n’est que le passage d’un état à un autre. C’est le début de l’opération, qu’on peut définir ainsi :
— action intériorisée et devenue réversible ; — coordination des opérations entre elles.
En effet, une opération n’existe pas seule, mais dans un système.
Ex. : le nombre n’existe pas indépendamment de la suite des nombres.
Nous verrons donc, pendant cette période, la construction des premiers systèmes d’opérations, systèmes d’ensemble avec leurs lois logiques. Mais ces opérations sont limitées, elles portent sur des objets manipulables, non sur des hypothèses ou de simples propositions. Il n’y a pas de logique formelle indépendamment du contenu. Il s’agit donc d’opérations concrètes.
J.-M. FOURNIAT
F. PENE
F. KLEIN
A. JAMACK
Bulletin de Psychologie 299
PSYCHOLOGIE PÉDAGOGIQUE
LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE🔗
CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADOLESCENT🔗
M. PIAGETđź”—
XIIIđź”—
Cours du 19 février 1953
Au stade des opérations concrètes, presque tous les problèmes qui n’étaient pas résolus auparavant trouvent maintenant une solution et, avec la réversibilité, les actions deviennent des opérations.
Nous allons étudier la
GENESE DES OPERATIONS
Comment se dégagent-elles à ce niveau ? Toutes les opérations dont il va être question peuvent être considérées comme la différenciation de :
1) l’addition logique : qui est la réunion de deux concepts, par exemple de deux classes ou de deux relations. Par exemple, dans la sériation, A, B et C sont ordonnés selon leur grandeur croissante. On a alors :
(ACB) 4- (B « C) = (A « C)
2) la multiplication logique : c’est l’opération qui réunit deux ou plusieurs classes, deux ou plusieurs relations, à la fois ; exemple :
a) une figure géométrique a des côtés égaux ; c’est la première classe ; la deuxième comprend les angles égaux ; le produit de ces deux classes est l’ensemble des éléments qui ont à la fois les côtés et les angles égaux ;
b) Relation de temps et d’espace : A fait le même chemin que B et dans le même temps ; le produit des deux est la vitesse.
Telles sont les opérations fondamentales.
Autres opérations : ces opérations, appliquées au nombre, donnent les opérations arithmétiques, mais celles-ci ne sont qu’une variété particulière de ces opérations ; elles n’en sont pas des prototypes, mais des cas particuliers. Elles ont le seul avantage d’être enseignées à l’école, alors qu’on n’enseigne pas aux enfants l’addition et la multiplication logiques. L’enfant les manie bien ; cependant, il fait comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Mais nous devons nous demander comment apparaissent de telles opérations, comment elles se forment et apparaissent vers 7, 8 ans.
Première hypothèse. —   Les opérations apparaissent sans préparation antérieure ; elles seraient une nouveauté radicale, produit de coordinations nerveuses nouvelles, dû à une maturation tardive.
Deuxième hypothèse. — L’opération serait un achèvement, une équilibration de structures qui s’organisent déjà au niveau préopératoire.
Troisième hypothèse. —   Elle concilierait les deux premières : l’opération constitue l’achèvement des structures antérieures rendu possible selon les conditions de la maturation.
C’est la troisième de ces interprétations qui est la plus probable. Les classes et les relations sont déjà des produits d’addition et de multiplication. Ce sont des semi-opérations, à sens unique (car les vraies opérations sont réversibles par essence). En effet, avant l’opération il y a déjà l’action de réunir en une classe, même si elle n’est pas intégrée dans un système logique ; exemple : la classe des chats pour un enfant ; elle suppose une action additive, qui est celle de. réunir des animaux dans une même classe (celle des chats ici); et ceci est le produit d’une addition, même si elle n’est pas opératoire ; elle suppose aussi une action multiplicative : le chat est à la fois un chat et un être vivant. En compréhension, les concepts sont une réunion de qualités, qui sont toujours psychologiquement des relations. Pour construire un concept, il faut donc aussi réunir des relations. Cela est déjà impliqué au. niveau préopératoire.
Un nombre est déjà un produit additif. 2 est compris dès qu’il y a l’addition de 1 et de 1, même si l’on s’en tient au nombre intuitif.
Ces opérations ne constituent donc pas quelque chose d’absolument nouveau ; c’est seulement leur différenciation ou leur réversibilité qui est nouvelle. Mais elles sont déjà impliquées au niveau pré-opératoire. Ce qui manque au classement pré-opératoire, c’est le réglage du tous et du quelque.
On peut même remonter jusqu’à la période sensori-motrice : il y a des coordinations qui sont des processus multiplicatifs, ou additifs, lorsque l’enfant tire la couverture à lui pour atteindre l’objet qui est posé sur elle, il y a déjà une sorte d’addition de 2 relations. Ce qui est nouveau n’est pas l’action additive ou multiplicative ; mais leur systématisation réglée.
L’opération est à conçevoir comme le produit d’une phase terminale d’équilibration, caractéristique par ses procésus de réglage, et de
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différenciation. Ce qui est nouveau donc est l’intégration de ces éléments différenciés en un système.
La différenciation : est le produit, d’une abstraction à partir de l’action. Il y a deux sortes d’abstraction :
— à partir de l’objet.
— à partir de l’action.
a) Exemple. Un enfant découvre en jouant avec des cailloux, l’invariant cardinal indépendemment de l’ordre.
L’ordre et la somme.
L’ordre est introduit par l’action et n’est pas dans les cailloux, l’enfant a tiré de l’action et non de l’objet, les propriétés de l’ordre et de la somme.
Les opérations d’addition et de multiplication, sont le produit d’une différenciation qui constitue une abstraction à partir de l’action. Elle est orientée vers quelque chose. Le caractère complémentaire de cette différenciation, c’est son intégration en système ; la différenciation est fonction de l’intégration.
Ces intégrations sont des systèmes et des structures opératoires.
Une opération implique la réversibilité et une intégration en système.
L’opération est par essence un élément de système, exemple : les nombres ; ils n’existent pas à l’état isolé. L’enfant découvre les nombres dans un certain ordre, 1, 2, 3, le nombre n’est qu’un découpage à l’intérieur de la suite des nombres. Ce tout présente des caractères particuliers, en tant que tout.
Le système du nombre et ses lois : ce système est ce que les mathématiciens apel- lent un groupe. Le groupe répond à ces 4 caractéristiques :
1) On peut toujours coordonner deux opérations + let + 2 = + 3 (système fermé tels que ses éléments peuvent toujours être coordonnés).
2) L’opération est réversible (on peut l’inverser).
3) Le produit d’une opération directe et de son inverse (1 — 1 = 0) donne une opération identique, telle que, combinée à une autre, elle la laisse inchangée : 3 + 0 = 3.
4) Le opérations sont associatives (1 + 3) + 5 = .1 + (3 + 5) =9 (possibilités de détours). Possibilité des retours et des détours : caractéristique fondamentale de l’in- ligence.
Les classes : Une classe fait partie d’un système, le plus simple c’est la classification.
Les relations : n’existent aussi qu’en fonction de systèmes, tels que les sériations, etc., exemple : les relations de famille qui ont une structure bien définie. L’essentiel est la loi du système, et non pas ses éléments.
Principaux systèmes : exemple à propos de la classification, très proche du groupe,
300 Bulletin de Psychologie
les Parisiens (A) font partie des Français (B) d’où A’ = les Français non Parisiens.
qui sont des
Européen (C) d’où B’ = les Européens non Français. Etc.
Voici donc une structure, qui suppose des compositions directes :
A + A’ = B ; B + B’ = C ; etc.
B + A = A’ (opérations inverses) etc… et A’— A = 0 (classe nulle) mais, une classe additionnée à elle même, n’en donne pas deux, mais un seul nombre tautologique
AÂ +Â AÂ =Â A
Les Français + les Français = les Français (l’associativité n’est pas complète pour les classes).
Distinction entre la compréhension et l’extension des concepts :
Extension : L’ensemble des individus qualifiés par les mêmes propriétés. (Il ne faut pas retenir la distinction des logiciens entre prédicats et relation ; au point de vue psychologique M. Piaget, pense que tout les prédicats sont des relations).
La compréhension des concepts, est toujours formée de relations (symétriques ou asymétriques) donc l’extension détermine les classes ;
Les structure de relation se forment à partir de 7-8 ans, la première la plus simple, c’est la sériation, préparée par toute sorte de structures antérieures, très précoces, mais pas d’emblée opératoires.
Les structures ont mêmes des racines sensori-motrices et perceptives. La sériation devient opératoire quand l’enfant est capable de résoudre des problèmes qui dépassent la simple perception ; la sériation opératoire est en outre nécessairement transitive.
M. Piaget a fait une étude de la sériation opératoire, avec Mlle Scheminzka. Avec 10 réglettes de 10 à 19 centimètres, on demande à l’enfant de construire une échelle avec ces réglettes, et on lui donne ensuite des réglettes intercalaires de 10 cm. 1/2, de 11 cm. 1/2, etc… Il y a plusieurs étapes dans la construction de cette échelle :
— Au point de départ l’enfant procède soit par couples, soit par ensembles plus grands, mais encore sans coordination d’avance.
— Vers 7 ans, il trouve une méthode, cherche le plus petit des éléments, et le plus petit de ceux qui restent et ainsi de suite. Il comprend d’emblée la relation et il y a coordination d’emblée de relations inverses ; l’enfant devient de ce fait même capable de transitivité. Et si on lui donne un élément intercalaire il trouve du premier coup sa place tandis qu’au niveau pré-opératoire non. Cette sération donne lieu à des schémas anticipateurs dans le domaine de la pensée (cf. expérience d’André Rey sur les plus petits ou les plus grands carrés qu’il est possible de dessiner sur une feuille de papier.)
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Bulletin de Psychologie 301
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Cours du jeudi 25 février 1953.
DESCRIPTION DES STRUCTURES
D’ENSEMBLE
Nous allons décrire l’ensemble des opérations possibles au niveau des opérations concrètes. Nous verrons qu’il existe une parenté entre ces différentes opérations.
I. — STRUCTURES DE RELATIONS AD- DITIVES
A) Relations asymétriques transitives.
La sériation est l’opération fondamentale qui permet l’enchaînement des relations transitives : AcB« C« D…
Appelons a la relation A « B, a’ la relation B« C, on a le groupement a+a’ = b, correspondant à A« C ; de même si nous appelons b’ la relation C« D, nous avons b+b’ = c, c’est-à -dire la relation A« D.
Les relations ainsi présentées ont une structure fondamentale : on peut soustraire d’une relation totale une relation partielle, on peut soustraire une relation d’elle-même, obtenant ainsi une différence nulle, ou relation d’équivalence :
a + a’ = b b — a’ = a a — a = 0 (différence nulle).
La réversibilité est donc dans le cas particulier une réciprocité puisqu’elle ramène à l’équivalence.
B) Relations transitives symétriques.
Du type A = B. Elles correspondent à quelque chose de très primitif au point de vue de la perception. Mais l’on peut distinguer trois différences entre les relations logiques et les rapports perceptifs élémentaires d’équivalence :
— Au niveau logique l’égalité subsiste même quand les éléments ne sont plus perçus simultanément.
— La relation logique est réversible, il y a réciprocité : si A = B, B = A. Cette symétrie n’est pas admise d’emblée par l’enfant, comme nous le montrent la notion de « frère », ou celle de distance.
— Ces relations sont transitives : si A = B et B = C, A = C.
La transitivité logique est donc le fait nouveau fondamental, mais elle est préparée aux niveaux inférieurs : la théorie de la Forme a mis en- valeur les phénomènes de transpositions perceptives. (Par exemple mélodie transposée dans un autre ton). Mais le mécanisme de la transivité logique est différent.
Expérience (avec Lambercier) sur la constance des grandeurs en profondeur, où jouent à la fois la transposition perceptive et la transitivité logique : sur une table de 5 mètres de long on place, à 1 m. du sujet, une tige A, servant d’étalon, de 10 cm de hauteur. A 4 m. du sujet (à 3 m. de A) on place une deuxième tige, C, de hauteur variable entre 8 et 12 cm, pour’ permettre la mesure de la perception en profondeur. Les enfants font une sous-estimation en profondeur (la tige C doit avoir plus de 10 cm. pour sembler égale à A), les adultes au contraire font une surestimation, une tige C de 9 cm. 1/2 suffit pour sembler égale à A.
On introduit entre A et C une tige B pour servir de commune mesure. Cette tige est d’abord comparée à l’étalon A (le sujet perçoit que A = B) ; ensuite on place B près de C, et le sujet perçoit que B = C.
On revient alors à l’estimation en profondeur de C par rapport à A.
L’expérience comprend donc trois phases :
— Mesure perceptive ;
— Manipulation avec une commune mesure permettant le raisonnement. On peut poser la question de logique : est-ce que C = A ?
— Nouvelle mesure perceptive, pour voir s’il y a eu un effet de la commune mesure sur la perception finale.
Les résultats peuvent se classer selon trois stades successifs :
1er stade : avant 7 ans.
Il n’y a pas de transitivité logique. Tout en voyant que A = B et B = C, l’enfant n’en conclue pas que A = C.
Au point de vue perceptif, il y a, au début de l’expérience, sous-estimation en profondeur. Après l’introduction du moyen terme, la deuxième mesure perceptive donne les mêmes résultats, il n’y a eu aucune modification.
3° stade : après 9 ans.
— Sous-estimation en profondeur au début ;
— Transitivité logique, grâce à l’introduction du moyen terme ;
— La perception finale est influencée par le moyen terme, l’erreur tombe à 0.
2° stade : 7 à 9 ans.
Au point de vue logique, la réponse est correcte : A = C. Mais lors de la seconde mesure perceptive, on constate encore une erreur, bien qu’atténuée. La transivité logique est donc en avance sur la transposition perceptive.
Conclusions.
— Pas de transitivité avant le niveau opératoire ;
— Dans ce cas particulier, la transitivité logique précède la tranposition perceptive.
ANALYSE DE LA STRUCTURE
DES RELATIONS SYMETRIQUES
Ce sont les relations entre individus de la même classe logique. Cette structuration des relations est donc subordonnéè à la structuration des classes, a + a = a est une relation fondée sur la tautologie des classes.
Mais il peut exister aussi des relations Symétriques entre individus appartenant à la classe A, et d’autres à la classe A’, toutes deux étant contenues dans la classe B. Par exemple A sont les fils d’un même père, B les petits-fils d’un même grand-père, il existe entre A et A’ des relations de cou-
sins germains. Cette relation est réciproque mais pas forcément transitive : le cousin de mon cousin n’est pas forcément mon cousin, il peut être mon frère ou moi-même. Ce sont donc des relations aliotransitives, des altérités. (la phrase absurde des trois frères, dans le Binet-Simon, montre que les petits ne font pas la distinction entre la transitivité complète et l’aliotransitivité).
II. — OPERATIONS MULTIPLICATIVES
DES RELATIONS
Elles consistent à unir deux ou plusieurs relations à la fois par une opération de correspondance qui peut être de deux types :
— co-univoque : un seul terme correspond à plusieurs autres ;
— bi-univoque : un seul terme correspond à un seul autre.
A) Correspondances co-univoques.
Ex. : un père et ses fils. Si l’on prend une lignée, dans un arbre généalogique, on voit d’un côté des relations asymétriques (suite des générations) et d’un autre côté des relations symétriques (les fils d’un même père). Au point de vue psychologique il peut être très intéressant d’étudier l’acquisition des notions de relations familiales chez un enfant, avec un dispositif non verbal.
B) Correspondances bi-univoques.
1° Multiplication de relations symétriques.
ExpĂ©rience de Szeminska : le matĂ©riel comprend une dizaine de cannes de diffĂ©rentes tailles et des sacs de montagne. On mĂ©lange le tout sur la table et on demande Ă
302 Bulletin de Psychologie
l’enfant d’apparier les cannes et les poupées : « Trouve-moi la canne qui corresponde à la poupée. » Les petits ne voient pas la double sériation ; à partir de 7-8 ans le problème est résolu par un schème anticipateur. Il y a sériation des poupées, des cannes, et correspondance entre les deux sériations. Or il n’est pas plus difficile de faire plusieurs sériations qu’une seule. La correspondance avec les sacs de montagne est donc effectuée au même âge.
2° Multiplication de relations asymétriques.
Exemples : la notion de vitesse, produit des relations de temps et. d’espace parcouru. L’enfant n’est pas capable de concevoir la vitesse au stade préopératoire en tant que rapport entre l’espace parcouru et la durée : il perçoit seulement le dépassement d’un mobile par un autre ;
— la notion de densité, produit des relations de poids et de volume. Ex. : problème de la flottaison des corps : les plus petits donnent des explications fantaisistes ; ensuite l’enfant fait intervenir la notion de poids absolu (les petits bateaux flottent parce qu’ils sont légers et sont portés, les gros parce qu’ils sont lourds et ont la force de se porter). C’est au début des opérations concrètes que l’enfant fait intervenir le volume, non celui du bateau, mais celui du récipient. Enfin il met en relation le poids du corps immergé et son volume propre.
On peut grouper ces multiplications de relations asymétriques en une table à double entrée.
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Cours du jeudi 5 mars 1953.
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LES STRUCTURES DE CLASSES
On peut en distinguer quatre groupes, correspondant terme à terme aux groupements de relations :
I. — CLASSIFICATION SIMPLE.
C’est l’emboîtement hiérarchique des classes, correspondant à la sériation des relations. Vers 7 ans, toutes les opérations de ce groupe sont achevées (cf. l’exemple des perles en bois, brunes et blanches). Ce sont :
— l’addition d’une classe : A + A’ = B, d’où l’inclusion A « B ;
— la soustraction d’une classe quelconque au tout, ce qui donne l’autre classe complémentaire : B — A’ = A.
L’enfant admet en outre la classe nulle : dans l’exemple cité plus haut, il n’y a pas de classe de perles qui ne soient pas en bois. Il admet également une certaine associativité : si nous divisons une boulette en trois parties, la somme les deux premières plus la troisième est égale à la première plus la gomme des deux dernières.
La difficulté de la classification varie selon les classes à grouper. En effet, nous sommes au stade des opérations concrètes, non encore dissociées de leur contenu. La classification hiérarchique n’est complète que vers 9-10 ans.
Différences entre groupements élémentaires des classes et des sériations :
a) dans la sériation, il existe une notion d’ordre, tandis que les classes de même rang (complémentaires) sont permutables, l’ordre n’intervenant pas ;
b) dans le cas de la classe, la soustraction d’un élément à lui-même : A — A = 0 donne une classe nulle, c’est-à -dire une négation ; tandis que dans le cas de la relation, A — A — 0 est une différence nulle, c’est-à -dire une relation d’équivalence.
II. — GROUPEMENT DE VICARIANCE.
Si A1 est la classe des Français, A’1 la classe des étrangers aux Français, A2 celle des Chinois et A’2 celle des étrangers aux Chinois, nous pouvons écrire : A1 + A’1 = A2 + A’2.
Cette vicariance introduit dans la classe une certaine relativité. L’étude de la notion d’étranger, comme celle de frère, montre que chez l’enfant la réciprocité n’est pas comprise avant 9-10 ans : ainsi de petits Genevois reconnaissent que les Savoyards sont pour eux des étrangers, mais ils n’ad-
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Bulletin de Psychologie 303
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mettent pas qu’eux-mêmes seront des étrangers s’ils vont en Savoie.
III. — GROUPEMENTS MULTIPLICATIFS
Us déterminent la partie commune à deux ou plusieurs classes :
— multiplication co-univoque des classes (correspondance du type un à plusieurs). Les relations de famille peuvent être traduites en classes :
Al : classe des fils d’un même père.
B1 : classe des petits-fils d’un même grand-père.
C1 : classe des arrière-petits-fils d’un même arrière-grand-père.
— multiplication bi-univoque : on peut faire un tableau à double entrée avec des carrés et des ronds, rouges et non rouges.
En résumé, les huit systèmes d’opérations distinguées recouvrent l’ensemble des possibilités à ce niveau. Ils se répartissent en quatre systèmes de relations et quatre systèmes de classes, additifs (symétriques et asymétriques) et multiplicatifs (co-univoque et bi-univoque).
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RELATIONS CLASSES
addition asymétrique sériation emboîtement
symétrique symétriques
multiplication co-univoque m. des relations vicariances
bi-univoque m. des relations m. des classes
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La classe correspond à l’extension des concepts, la relation à leur compréhension.
Un tel système comporte deux types de réversibilité : la négation pour les classes, et la réciprocité pour les relations.
Ces huit systèmes, dont chacun a ses lois propres, ne forment pas encore un tout ; il n’y a pas de système total permettant de passer d’un groupement à l’autre. Ce système total apparaîtra au niveau formel. Nous sommes donc ici à un état d’équilibre imparfait : chacune de ces huit formes règne dans son domaine opératoire, sans système total.
LES NOTIONS DE CONSERVATION
Au niveau préopératoire, nous avons vu que la conservation était le critère de la réversibilité. Dès 7 ans, la plupart des notions de conservations sont acquises. Quels sont les arguments de l’enfant pour justifier cette conservation qu’il niait jusque-là  ? Il y a un changement d’attitude dans les réponses, qui expriment une conscience de la nécessité : « C’est évident » dit l’enfant, les questions l’étonnent et il a l’impression qu’on se moque de lui : « Ça ne pourrait pas être autrement. » Il y a plus qu’une simple constatation de fait, un sentiment de nécessité déductive intervient, caractéristique de l’achèvement des structures opératoires.
Arguments donnés par l’enfant :
1° (ex. de la boulette d’argile) : « On n’a rien oté ni rien ajouté, c’est donc la même quantité de pâte. » Cet argument est surprenant, parce que les petits savaient aussi qu’on n’avait rien ôté, rien ajouté, mais pour eux cela n’entraînait pas la conservation. C’est l’argument d’identité de Meyer- son : pour lui c’est l’identification qui mène à la conservation. Pourquoi l’identité devient-elle un argument à partir de 7-8 ans ? Les données étaient les mêmes avant, pourquoi la structure du raisonnement change-t-elle ? C’est que nous n’avons pas affaire à une identité statique, ni à une « opération identique », produit de l’opération directe par l’opération inverse (= absence de transformation). Ce qui est nouveau, c’est que l’identité fait partie maintenant d’un système d’opérations qui se combinent entre elles. Si l’identité devient un argument, c’est que nous avons affaire à un système opératoire. Le véritable argument, caché ; serait donc la réversibilité : les deux autres arguments nous en donnent la preuve.
2° Réversibilité simple : « Vous avez
allongé votre boulette, mais vous n’avez qu’à la remettre à l’état antérieur et ce sera la même chose. » Remarques :
a) C’est la première fois que nous voyons cette idée spontanée qu’une transformation donnée peut être inversée ;
b) si cette idée apparaît spontanément à ce niveau, déjà au niveau préopératoire, si l’on demandait à l’enfant ce qui se passerait si l’on remettait l’objet à l’état initial, l’enfant admettait le retour des qualités antérieures. Cependant il n’y avait pas encore de conservation, car avec la transformation de sa forme, la quantité de matière de l’objet changeait. Pourquoi cette inversion n’entraîne-t-elle pas la conservation ? Il faut préciser la nature de cette inversion :
— au niveau préopératoire ; il ne s’agit pas d’inversion, mais d’un retour empirique au moyen d’une autre action ;
— au niveau opératoire, la transformation donnée est immédiatement conçue comme pouvant être retournée, c’est un simple déplacement qu’on peut faire dans un sens ou dans l’autre.
3° Réversibilité par composition des relations : il y a compensation d’une relation par une autre, multiplication des relations (ex. bocal plus haut mais moins large, d’où égalité de leurs contenances).
On peut trouver un, deux ou les trois arguments chez un enfant, mais on n’en trouve pas d’autres. La réversibilité se réfère à un système d’opérations : relations (compensations), additions d’éléments (collections d’éléments). Le principe de conservation est l’expression la plus directe de la construction de ces systèmes opératoires.
HYPOTHESES DE MEYERSON.
Dans « Le Cheminement de la Pensée » Meyerson fait une analyse de la pensée
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304 Bulletin de Psychologie
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commune, et pénètre ainsi dans le domaine de la psychologie de l’intelligence.
— Chaque progrès scientifique se marque par la découverte d’une notion de conservation.
— Au niveau de la pensée commune, la notion de l’objet permanent est un invariant de même nature que ceux de la pensée scientifique.
1) La notion de conservation ne dérive pas seulement de l’expérience, car :
a) la conservation est une nécessité pour la pensée ;
bj le principe de conservatioin n’est pas toujours vérifiable par l’expérience.
c) l’analyse des découvertes des notions de conservation montre que ces notions sont toujours postulées par le savant avant l’expérience vérificatrice.
2) Ces principes de conservation supposent la déduction, mais pas la déduction pure. La déduction nous dit seulement que quelque chose se conserve, mais nous ne savons pas quoi. Il y a donc une union nécessaire entre déduction et expérience. Le partage se fait ainsi : l’esprit dans la conservation ne fournit que l’identité ; tout ce qui diversifie est donné par le réel. Il y a donc fusion de l’identité et de la transformation.
Critique.
Si nous appliquons ces hypothèses aux notions de conservation chez l’enfant, nous voyons que :
1) Sans doute il y a un mélange de l’expérience et de la déduction ;
2) Mais il n’est pas possible d’établir la frontière entre le réel d’une part, et l’esprit de l’autre en attribuant simplement l’identité au second et la diversité au premier :
a) Les notions de conservation sont tardives ;
b) L’intelligence ne se borne pas aux identifications, elle diversifie et construit autant qu’elle établit des rapports d’équivalence. Elle intervient dans la compréhension des transformations elles-mêmes. La conservation n’est que l’invariant au sein de la transformation, elle résulte du système total des transformations. C’est la condition même de la cohérence des transformations que de supposer une certaine invariance, et celle-ci déjà découverte par l’enfant sous forme de notions de conservation.
M.-J. FOURMIAT,
A. JAMACK, F. KLEIN, F. PENE.
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ERRATUM
Dans le dernier Bulletin, une erreur s’est glissée dans l’exposé de Mlle F. Klein à propos du développement de la notion d’espace chez l’enfant (à la ligne 15) : Les notions topologiques se constituent en premier lieu, puis à partir de celles-ci, les notions projectives et euclidiennes se constituent synchroniquement.
470 Bulletin de Psychologie
PSYCHOLOGIE PEDAGOGIQUE
LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE
CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADOLESCENT🔗
M. PIAGETđź”—
XVIđź”—
Cours du 12 mars 1953.
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Forme et contenu.
Les opérations concrètes sont-elles déjà une logique formelle, c’est-à -dire un mécanisme de raisonnement qui peut s’appliquer à n’importe quel contenu. Nous avons déjà vu, par ailleurs, qu’il n’en est rien : la forme n’est pas entièrement dissociée du contenu au stade des opérations concrètes.
ler exemple : Notions de conservation (exemple de la boulette d’argile) :
1° compensation ;
2° réversibilité simple ;
3° les déformations se compensent les unes les autres.
Avec ces trois raisonnements, l’enfant a la conservation de la matière à 8 ans. Si on lui pose, en lui rappelant ces trois arguments, le problème de la conservation du poids, on verra qu’il n’y a pas de conservation à ce niveau, l’enfant dira que la boulette est plus lourde parce qu’elle s’est allongée ; on lui pose ensuite les questions avec ses propres termes, et ces mêmes raisonnements et il ne voit toujours pas la conservation, les arguments valables dans un domaine ne le sont pas forcément dans l’autre, la conservation de la matière est plus précoce que celle du poids.
A 9 ans, on lui pose, de nouveau, la question de la conservation du poids, et on voit qu’immédiatement il applique ces trois raisonnements au poids. Puis on lui pose la question de la conservation du volume, mais il est insensible aux mêmes arguments lorsqu’il s’agit du volume. Vers 11, 12 ans, il acquiert la conservation du volume au nom de ces trois arguments. On voit donc que ces opérations qui entraînent une conséquence d’évidence dans un domaine déterminé, ne l’entraînent pas forcément dans un autre. La composition opératoire n’est pas indépendante du contenu, et ceci n’est pas spécial à ce problème.
Exemple de la sériation.
Vers 7, 8 ans, la sériation des quantités simples est acquise (expérience de la sériation des bâtonnets et des réglettes. Pour les poids, la sériation ne l’est par contre pas avant 9-10 ans (au Binet, la sériation des poids n’est acquise que vers 10 ans).
L’expérience de Binet Simon a été refaite avec des cailloux, et cela a confirmé qu’il n’y a pas de sériation immédiate.
3° exemple : transitivité des égalités ; dès qu’il y a coordination, la transitivité de la matière est acquise ; pour le poids, on trouve un décalage de nouveau de deux, trois ans par rapport à la matière ; on peut faire l’expérience en présentant à l’enfant deux barres de laiton, de même forme et de même poids et une boule de plomb de même poids ; l’enfant a une petite balance de contrôle, et on lui demande lequel est le plus lourd, la première barre de laiton ou la boule de plomb ; il s’attend à ce que la boule de plomb soit plus lourde, parce que c’est du plomb, et il est étonné en faisant le contrôle que la première barre qu’on vient de lui présenter ait le même poids que la boule de plomb ; ensuite on lui pose la question en lui demandant si la deuxième barre de laiton, qui est la même que la première, a le même poids
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Bulletin de Psychologie 471
que la boulette de plomb, et l’enfant répond non, le plomb est plus lourd ; on lui dit alors qu’il vient de le constater sur la première barre, mais cela le laisse insensible. L’égalité n’est pas transitive. A = B, B = C mais sans déduction de A = C.
Toutes les opérations concrètes apparaissent simultanément, en ces huit formes, pour un contenu déterminé. Ces opérations sont solidaires, elles forment un système, malgré qu’il y ait huit formes. Ces opérations soulèvent le problème des décalages. Il y a deux formes de décalage, bien différents dans le développement génétique :
1° décalages verticaux ;
2° décalages horizontaux.
1° La même notion se reconstruit avec retard sur un nouveau plan opératoire (même notion avec une opération différente) : exemple conservation de l’objet, passage du sensori-moteur au représentatif (pas de conservation des objets partiels); de même du concret au formel, exemple le test de BURTH (Edith est plus blonde que Suzanne, Edith est plus brune que Lily, laquelle est a plus brune des trois ?) et l’on voit par les réponses que donne l’enfant, que la sériation sur le plan verbal est plus tar- dive que sur le plan concret.
2° décalages horizontaux : c’est un déca- lage à l’intérieur d’une même période d’évo- .lution ; mêmes opérations appliquées à de nouveaux contenus.
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Distinction entre deux sous-stades progressifs ;
1° 7, 8 ans à 9, 10 ans.
2° 9, 10 ans à 11, 12 ans.
Ces deux sous-stades sont liés à certains décalages horizontaux, mais ceci est une simplification plus générale.
1° Sous-stade : stade de formation, d’élaboration des opérations ;
2° période d’achèvement, d’équilibration, de généralisation.
Pour l’espace Euclidien :
A 7, 8 ans, il y a conservation des longueurs et distances et les premières estimations des angles. Mais l’espace euclidien n’est achevé que vers 9, 10 ans : toutes les figures de l’espace sont alors reliées les unes aux autres, selon des axes de coordon- nées (système de référence) ; nous voyons donc bien ces deux paliers (de formation et d’achèvement).
Espace projectif : à 7, 8 ans, il y a les premières notions de projection, notion de ligne fuyante ; à 9, 10 ans, il y a coordination d’ensemble des perspectives, avec deux stades :
1° d’achèvement ;
2° de construction.
Notion de temps : La durée et la succession se construisent vers 7, 8 ans, mais la coordination de la succession et de la durée d’autre part, est achevée vers 9 ou 10 ans.
Classe et relation ;
A 7, 8 ans : groupements élémentaires.
A 9, 10 ans : classification hiérarchique complète.
De nombre entier ; Il y a une parenté certaine avec les notions de classe et de relation :
un nombre est plus grand qu’un autre ; un nombre est emboîté en un autre.
Il y a trois différences entre le nombre et les opérations logiques :
1" sur le degré de quantification.
Dans les opérations logiques, c’est la quantité intensive (qui connaît seulement les rapports de partie à tout, exemple, la classe partielle qui fait partie de la classe totale est plus petite que la classe totale).
Quantité extensive : il existe un l’apport de quantité entre une classe partielle et sa complémentaire, exemple notion de « presque tous » (le tout est représentée en deux parties dont l’une est plus petite que l’autre).
Quantité numérique : c’est un cas particulier de cette quantité extensive ; il y a quantité numérique quand il y a rapport entre une partie et les autres parties ; 2° dans le domaine des nombres, il y a une unité, une quantité élémentaire additionnée à elle- même, donne une nouvelle quantité, tandis qu’il n’y a pas d’unité en logique : la classe additionnée à elle-même, c’est toujours la même chose : A + A — A ; 3° il y a aussi une différence dans la structure d’ensemble, les nombres entiers forment des groupes tandis que les opérations logiques ne forment que des groupements limités.
Relation entre nombre et classe logique : Hypothèses classiques :
1° Le nombre n’a aucune parenté avec les structures logique (Henri POINCARÉ), admet une intuition primitive du nombre). Ce qui est fondamental dans le nombre, c’est la possibilité d’ajouter une unité à n’importe quel nombre psychologiquement primitif, exemple : la marche, addition d’un pas à un autre, intuition du n + 1.
2e Hypothèse, celle de Bertrand RUSSELL (qui pourrait être psychologiquement exacte), le décrochement du nombre coïncide avec le premier groupement opératoire ; le nombre cardinal dériverait de la classe ; on peut mettre en correspondance chaque élément de la classe avec un élément d’une autre classe. Pour les nombres ordinaux, Russell les tirera de la sériation.
Etudes des faits : il y a une parenté frappante entre le nombre et la logique. La série des nombres ne se décroche qu’à une période contemporaine au groupement logique. Les premiers nombres ne sont pas susceptibles de conservation, suivant la configuration, la conservation change ; c’est seulement vers 6 à 7 ans que l’enfant commence à avoir la correspondance du nombre ; vers 7, 8 ans, il y a conservation de l’équivalence, prise, de possession du nombre. Est-ce que cette parenté entre le nombre et les opérations logiques implique la thèse de Russell ? Certainement la structure de classes intervient dans le nombre, mais l’explication du nombre par les classes de classes équivalentes, ne s’impose pas, pour autant, du point de vue psychologique (voir leçon du 19 mars).
472 Bulletin de Psychologie
XVIIđź”—
Cours du 19 mars 1953.
LA FORMATION DU NOMBRE
La mesure et les opérations infratopiques Le nombre entier se construit sous forme de synthèse :
— classes additives ;
— sériations.
Les points de vue de RUSSELL et de POINCARÉ sont insuffisants.
D’après Poincaré, le nombre est intuitif, primitif, antérieur à toute logique. Or, il n’apparaît qu’au niveau des opérations logiques.
Pour Russell, le nombre est fondé sur les classes : il serait alors une classe de classes équivalentes (par correspondance terme à terme). Cette conception repose sur un cercle vicieux. La correspondance qu’elle fait intervenir n’est plus logique, mais déjà numérique. La correspondance comme telle est déjà trouvée au niveau logique ; mais il faut en distinguer deux types :
— correspondance qualifiée (dans les groupes logiques) : correspondance d’une tête à une tête, d’un pied à un pied ; poupées et cannes ;
— correspondance d’un élément quelconque à un autre élément quelconque (jeton rouge et jeton bleu, dans une série) : c’est une correspondance d’élément à élément. Si on introduit une correspondance quelconque, on introduit l’unité, unité équivalente à toute autre, sans qualités distinctives. Donc, le nombre intervient implicitement.
Russell ne fait que transformer les éléments de la classe en unités, introduire le nombre implicitement.
Les problèmes du temps,
de l’espace et de la vitesse
Ce sont des problèmes nouveaux (ce n’est plus un problème logique, numérique).
Est-ce que l’espace et le temps sont du même ordre que les nombres et les classes logiques ? Ou est-ce qu’avec l’espace et le temps, on se trouve en face d’un domaine qui dépend de la perception ou de la représentation imagée ? Est-ce une réalité du même ordre, ou un domaine hétérogène du précédent ?
La thèse de l’hétérogène est soutenue d’habitude. L’espace et le temps sont considérés comme dépendant de la perception.
Par exemple, Vernon considère, dans les aptitudes, d’un côté les facteurs verbaux, numériques, scolaires, d’autre part des aptitudes spatiales, mécaniques, physiques, pratiques. On admet donc une hétérogénéité entre les deux groupes de facteurs. Cette dichotomie, soutenue par la majorité des auteurs, est contraire à l’orientation des mathématiques contemporaines.
Pour les mathématiques classiques :
— ■l’arithmétique et l’algèbre ressortent de la logique ;
— la géométrie de l’intuition spatiale.
Mais si on examine les structures qu’invoquent les mathématiciens contemporains, cette dichotomie disparaît peu à peu. Il y a bien des structures algébriques et des structures topologiques mais ce sont des structures parallèles, qui entretiennent ’des liens étroits, une interaction.
En psychologie, on ne conteste pas les calculs de Vernon, mais il faut une interprétation. Or, ces facteurs dépendent des tests choisis en fonction d’une hypothèse préconçue (tests portant sur l’espace perceptif et non pas sur les opérations spatiales). Donc, la classification de Vernon reflète une théorie, une hypothèse préconçue. D’ailleurs Vernon signale que ces facteurs dépendent en partie de l’entraînement scolaire.
Nous chercherons au contraire à atteindre les réactions les plus spontanées de l’enfant, sans tests préparés à l’avance.
La mesure sortira de l’action elle-même : dessin, construction, copie d’un modèle.
Comment l’enfant va-t-il élaborer sa construction de l’espace ? Est-ce grâce à un phénomène purement perceptif, ou y entre- t-il des opérations ?
Il y a deux catégories d’opérations :
— les premières portent sur le discontinu ;
— les autres portent sur le continu, et sont parallèles aux précédentes.
Dans le continu, perception et imagination ne suffisent pas ;- il n’y a conservation que s’il y a structure opératoire.
Le problème de la mesure
L’enfant se pose spontanément le problème de la mesure, dès qu’il doit copier un modèle avec exactitude.
La mesure est-elle seulement le nombre appliqué à l’espace ? C’est vrai si on présente à l’enfant une continuité déjà construite (segment divisé en unités).
Si on essaie de faire une expérience sur la mesure que l’enfant fait spontanément, on lui demande une égalisation entre un modèle et sa copie (exemple de la tour). Les réactions de l’enfant sont alors les suivantes :
1° Il se contente d’un coup d’œil et juge de sa copie à distance ;
2° l’enfant doute de la mesure visuelle, prend la copie pour la porter près de son travail. Si on le lui interdit, il prend un bâton qu’il fait aller du sommet d’une tour au sommet de l’autre, au jugé.
3“ L’enfant cherche un intermédiaire entre le modèle et la copie. Il emprunte d’abord ce modèle au corps propre (mains écartées) ; puis il prend un repère sur lui ; enfin, il prendra un troisième objet indépendant (une troisième tour). Cette commune mesure implique déjà que l’enfant utilise la logique. A = B, B = C, A = C. Bientôt, l’enfant ne cherchera plus une troisième
Bulletin de Psychologie 473
tour, mais un bâton de même taille que la tour. Puis il prendra un bâton plus grand. Il comprendra enfin qu’il peut se servir d’un bâton plus petit qu’il peut reporter plusieurs fois. La mesure est alors achevée. L’enfant invente une unité en fonction du matériel dont il dispose.
Cette mesure suppose deux sortes d’opérations :
— Partage du continu (s’il n’est pas fait par l’expérimentateur), partition. L’opération directe est la soustraction.
— Nécessité d’un déplacement. Les parties présentent un ordre. La mesure consiste seulement à partager un continu en éléments qui peuvent se déplacer l’un sur l’autre, peuvent ainsi s’égaliser, comparables à l’unité.
L’unité suppose la synthèse de la partition et du déplacement, comme le nombre suppose l’addition des classes et de la sériation. Ce sont les mêmes opérations appliquées au continu. On peut les appeler opérations infra logiques, par opposition aux opérations logiques). L’échelle est différente : elles partent d’objets individuels, les dissocient en parties, alors que l’opération logique réunit des éléments discontinus. Au point de vue psychologique, ce sont des opérations parallèles, appliquées à une autre échelle.
L’analyse de l’espace en général
Il s’agira ici de l’espace représentatif, et non de l’espace perceptif.
Les structures géométriques sont mises en évidence par les mathématiciens. Leur évolution aide à comprendre la construction de l’espace représentatif.
Les géomètres contemporains (cf. « Les géométries », coll. Collin) ne parlent pas d’un espace, mais d’une multiplicité d’espaces, de géométries :
1° L’espace euclidien est caractérisé par un groupe de transformations, un groupe de déplacements. Les déplacements sont des transformations qui conservent les distances, les parallèles, les angles, les droites.
2° L’espace projectif est celui des perspectives ; changer de perspectives, c’est une transformation : ce groupe conserve beaucoup moins de choses que le groupe des déplacements. Il n’y a pas de conservation des angles, ni des parallèles. Mais les droites sont conservées. Une droite est toujours une droite, même en perspective (elle évolue vers le point).
3° L’espace topologique : C’est une géométrie qualitative, intéressante pour le psychologue : les figures y sont élastiques, les droites ne se conservent même pas. Le rapport fondamental est l’homéomorphie.
Exemple : Un cercle est homéomorphe à une ficelle en huit, mais n’est pas homéomorphe une figure ouverte, à une croix par croisement de deux lignes par exemple.
Comment se construit l’espace représentatif de l’enfant en fonction de ces structures possibles ?
L’espace de l’enfant n’est pas conforme au développement historique : la géométrie euclidienne date des Grecs, la géométrie projective du XVIIe siècle, la géométrie topologique, du XIXe siècle. Mais axiomatique- ment, toutes dérivent des structures topologiques.
Les caractères topologiques principaux sont les caractères de continu ou discontinu d’une figure ; le caractère de frontière (intérieur ou extérieur) ; de voisinage, indépendant de la distance (contiguïté) ; la notion d’ordre.
Disons d’abord deux mots de la perception :
La perception de l’espace, différente de la représentation de l’espace, est en avance sur elle : les figures euclidiennes ne donnent lieu à un dessin correct qu’à partir de 4 ans, mais bien avant-, l’enfant peut le reconnaître perceptivement. Donc, perceptivement, l’espace est euclidien bien avant de l’être sur le plan de la représentation, de l’opération. La perception elle-même évolue.
Si précoce que soit la perception euclidienne, elle n’est pas très primitive (japonais Akichiguai : avant 6 mois, il n’y a pas de constance, pas d’évaluation correcte des longueurs, donc, pas de perception euclidienne de l’espace). Mais dès le départ de la perception visuelle, intervient le facteur topologique sous forme de proximités, séparations, etc.
La théorie de LA GESTALT a mis en évidence que le facteur proximité est le plus important. La ségrégation est la séparation au point de vue topologique.
La perception spatiale est donc en avance sur la représentation spatiale, mais vraisemblablement, elle suit les mêmes lois d’évolution, partant du topologique pour parvenir simultanément aux stades euclidien et projectif.
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Cours du 16 avril 1953.
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LA FORMATION DE L’ESPACE
REPRESENTATIF
C’est au niveau préopérationnel et au stade des opérations concrètes que se construit la notion d’espace. L’évolution de cette notion chez l’enfant présente un ordre inverse de celui que l’on trouve dans l’histoire de l’axiomatique géométrique. Les notions topologiques apparaissent en premier ; à partir de cette base se construisent simultanément les notions projectives et euclidiennes.
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474 Bulletin de Psychologie correct. On observe les mêmes stades que précédemment : il n’y a pas de notion de fuyante avant 7-8 ans. Au stade intermédiaire, les réponses sont curieuses : les droites sont parallèles jusqu’à un certain point, puis tout à coup elles se rejoignent à l’horizon.
C. Objets en perspective.
Il s’agit d’un crayon, vu debout ou de l’extrémité, ou d’une montre, verticale ou horizontale. On peut faire dessiner l’enfant lui-même, ou lui demander de choisir les dessins corrects parmi un certain nombre de dessins tout faits. La notion de perspective n’est correcte que vers 8-9 ans. Au stade intermédiaire, la montre est représentée en demi-lune pour indiquer la perspective, car l’enfant se rend compte que l’objet ne doit pas être totalement visible.
D. Ombres.
On interpose un objet entre une source lumineuse et un écran, et l’on demande à l’enfant quelle sera la forme de l’ombre portée par l’objet. On observe les mêmes stades.
Nous voyons donc que les notions projectives se constituent entre 7 et 9 ans. Mais la coordination d’ensemble des points de vue n’est guère atteinte que vers 9-10 ans. Dès qu’il y a plusieurs objets, la difficulté est accrue. (Cf. expérience des trois montagnes.)
LES STRUCTURES AFFINEES.
Ce sont des formes intermédiaires entre les structures projectives et euclidiennes. Elles conservent les droites et les parallèles, mais pas les angles. Exemples de modèles concrets : pinces à sucre, ciseaux de Nüremberg. Stades :
— d’abord l’enfant reproduit le modèle sous forme de cercles juxtaposés ;
— ensuite il dessine des losanges, incorrects ;
— losanges corrects au point de vue de la longueur des segments mais sans parallélisme des côtés ;
— enfin losanges corrects avec parallélisme.
L’ESPACE EUCLIDIEN.
Conserve les parallèles ; les angles et les distances. Les notions euclidiennes se. construisent en même temps que les notions projectives : elles s’appuient les unes sur les autres (au point de vue représentatif, non pas perceptif). Comprendre la perspective, suppose la forme permanente de l’objet qu’on pourrait atteindre en se rapprochant de lui. D’autre part, une forme euclidienne ne peut pas être représentée autrement que sous un certain angle, une certaine perspective.
La droite euclidienne.
Elle se construit par une autre méthode que celle de la visée et du point de vue : l’enfant prend deux ou trois objets entre les mains et prolonge la direction des poteaux par approximations successives. (C’est à ce moment qu’on voit la conservation des distances et des longueurs.)
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Bulletin de Psychologie 475
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Précisions pour le cours de M. Piaget du 19 février 1953 :
Multiplications co-univoques :
A2 = frères ;
A’2 = cousins germains ;
B’2 = issus de germains.
Multiplication en
A1 A2
B1 A2 + Bx A’2
C1A2 + C1 A’2 + C, B’2.
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