Introduction : le "Centre international d'épistémologie génétique" et les "Études d'épistémologie génétique". Épistémologie génétique et recherche psychologique (1957) a

Ce fascicule est le premier d’une série qui paraîtra sous le titre d’Études d’épistémologie génétique. Nous devons au lecteur quelques indications sur les buts de cette nouvelle collection et sur la composition de ce premier volume.

I

Grâce à l’aide généreuse de la Fondation Rockefeller, la Faculté des sciences de Genève a pu créer en 1955 un Centre international d’épistémologie génétique. Ce titre est un peu compliqué parce que le genre de recherches auxquelles il se réfère est lui-même complexe. L’épistémologie des diverses sciences est aujourd’hui élaborée par les spécialistes mêmes de ces sciences, selon un processus de différenciation qui se dessine de plus en plus nettement. Lorsque, d’autre part, la recherche épistémologique fait appel au développement des notions et des structures cognitives jusqu’à remonter, par-delà l’histoire des sciences, à leur psychogenèse (et à leur sociogenèse), elle suppose l’intervention d’autres spécialistes qui sont les psychologues de l’intelligence ou de la perception, etc. Le but du Centre de Genève est donc d’assurer la possibilité d’un travail d’équipe entre quelques spécialistes venus d’horizons différents pour mettre en commun, durant un temps donné, l’étude de mêmes questions délimitées d’épistémologie scientifique sous l’angle du développement. Plus concrètement dit, le Centre s’efforce d’organiser, d’année en année, la collaboration de psychologues et de représentants d’une autre science particulière, pour l’étude de tel ou tel problème épistémologique relatif à cette seconde discipline, en choisissant de préférence les problèmes susceptibles de pouvoir être abordés de manière génétique.

L’organisation du travail est en deux mots la suivante. Le Centre invite pour une année universitaire trois collègues s’intéressant à un problème donné d’épistémologie mathématique, ou logique, ou physique, etc., et les convie à collaborer avec des psychologues dans les locaux mêmes du laboratoire de psychologie expérimentale de la Faculté des sciences de Genève (et de l’institut J.-J. Rousseau). L’effort commun consiste alors à délimiter les questions d’une façon, telle qu’elles puissent donner lieu simultanément à des recherches expérimentales, dont les résultats présentent un intérêt épistémologique, et à une élaboration théorique susceptible en retour d’éclairer les expériences sur le développement ou d’en provoquer de nouvelles. Les conclusions des recherches ainsi effectuées sont présentées au terme de l’année à un symposium comprenant, outre les membres résidents du centre, une dizaine de nouveaux participants venus pour la circonstance de pays variés, et qui veulent bien soumettre ces travaux à une discussion critique ainsi que contribuer à l’élaboration des plans de l’année suivante. À la lumière de cette mise au point collective, la rédaction est ensuite achevée et donne lieu aux publications dont nous offrons ici les premiers fascicules.

On voit tout ce qu’un tel programme contient d’aventureux et l’on peut se demander si une expérience de cette nature était susceptible d’aboutir. Et pourtant, elle était nécessaire pour mettre à l’épreuve la notion même d’épistémologie génétique. Pour démontrer, en effet, que l’étude du développement mental comporte des enseignements épistémologiques et surtout que toute recherche épistémologique assez poussée dans un secteur particulier de telle ou telle discipline scientifique rencontre tôt ou tard des problèmes génétiques, il fallait faire coopérer des spécialistes du développement avec ceux de la discipline en question. Quand un seul et même auteur traite un problème d’épistémologie génétique, il lui est trop facile de faire la synthèse entre l’aspect génétique et l’aspect épistémologique, car il connaît assurément l’une de ces deux faces du problème moins que l’autre, ce qui facilite toujours les choses mais rend précaire cette synthèse. Lorsqu’au contraire, un mathématicien, un logicien et un psychologue du développement décident de collaborer quelques mois dans l’étude d’un même problème, la manière même dont ils convergeront ou divergeront devient fort instructive du point de vue de l’unité réelle ou factice de ces deux aspects, épistémologique et génétique, de notre science en formation.

Le programme du Centre pour l’année universitaire 1955-1956 était d’abord d’explorer les diverses correspondances possibles entre les structures logiques, telles qu’elles sont précisées par la logistique contemporaine, et les structures mentales envisagées sous l’angle du développement ; et ensuite de délimiter, au sein de ce domaine immense, telle ou telle question centrale susceptible de donner lieu à des recherches immédiates. La question choisie a été de savoir si les structures logiques sont nécessairement tributaires du langage ou s’il existe une logique des actions dont les structures logiques verbales ne constitueraient qu’un secteur particulier.

Les membres du Centre réunis cette première année pour la discussion de ces questions étaient :

  • Leo Apostel (Bruxelles), logistique ;
  • Bärbel Inhelder (Genève), psychologie de l’enfant ;
  • Benoit Mandelbrot (Paris), physique mathĂ©matique et thĂ©orie de l’information appliquĂ©e au langage ;
  • Wolfe Mays (Manchester), logique et Ă©pistĂ©mologie ;
  • Albert Morf (Genève), psychologie de l’intelligence ;
  • Jean Piaget (Genève), fonctions cognitives ;
  • Jacques Rutschmann (Genève), psychologie de la perception.

Après quelques bonnes semaines de tâtonnements, au cours desquelles les membres du Centre n’étaient pas certains de se comprendre entièrement — particulièrement entre logiciens et psychologues — et encore moins d’aboutir à quelques résultats communs, un accord général a pu se réaliser sur l’antériorité génétique des structures logiques par rapport au langage. Les deux problèmes essentiels devenaient alors de préciser les relations de ces structures avec les actions et de déterminer l’apport spécifique du langage lors de son intervention.

Sur ce second point, Mandelbrot a poursuivi ses recherches sur les relations entre l’aspect macrolinguistique ou statistique et l’aspect microlinguistique ou logique du langage et a entrepris avec Apostel une étude sur les structures logiques en tant que systèmes de précorrection des erreurs.

D’autre part, Morf s’est proposé de chercher si les structures de la logique des propositions, qui apparaissent chez l’enfant de nos milieux vers 11-12 ans seulement, peuvent donner lieu à un apprentissage verbal hâtant leur formation ou si elles résistent à un tel facteur d’accélération éventuelle.

Quant au premier point, trois groupes de recherches se sont dessinés. Piaget ayant développé son hypothèse sur les structures logiques en tant que formes d’équilibre intervenant dès la coordination des actions, la notion d’équilibre a donné lieu à une élaboration de la part de Mandelbrot, d’un point de vue assez général pour intéresser simultanément la physique et les sciences du comportement, et de la part d’Apostel en relation avec la théorie des graphes.

En second lieu la notion d’opération réversible dans ses relations avec les mécanismes mentaux de régulation a donné lieu à un essai de formalisation, par Apostel, des systèmes rétroactifs et finalement à une étude sur les structures logiques immanentes aux mécanismes d’apprentissage tels qu’ils sont conçus par Hull ou par Bush-Hosteller.

En troisième lieu, les recherches sur les relations entre la logique et l’action se sont, engagées dans une voie tracée par Mays à propos d’une étude préliminaire sur la logique et le langage chez Carnap. Nous avions demandé à Mays, qui connaît de près l’épistémologie anglo-saxonne, de bien vouloir nous fournir un tableau d’ensemble des arguments utilisés par Carnap dans ses travaux sur la logique en tant que syntaxe et sémantique générales et des objections auxquelles ces travaux ont donné lieu, ceci pour orienter certaines de nos recherches expérimentales éventuelles. De cette discussion est issu le problème suivant. Que les liaisons analytiques et synthétiques soient séparées de façon discontinue, comme le pense Carnap, ou reliées par tous les intermédiaires comme l’admet Quine, la question doit se retrouver sur le plan de l’action si vraiment les structures logiques interviennent dès la coordination des conduites. Apostel, Mays, Morf et Piaget, ont donc entrepris une recherche de psychologie de l’enfant pour retracer l’histoire d’une liaison telle que 5 = 3 + 2, et pour aborder à son sujet les deux questions de la continuité ou de la discontinuité entre le synthétique et l’analytique et de la transposition de ces notions en termes de comportements. Ceci nous a conduit à tout un effort de mise au point des concepts logiques dans la perspective de l’action, ce qui rejoignait ainsi notre problème général.

Outre quelques tentatives dont l’insuccès a d’ailleurs été également instructif (telle que de retrouver dans la pensée commune les axiomes de la logique des fonctions du premier ordre), ce sont les travaux précédents qui ont été présentés au premier Symposium international d’épistémologie génétique, du 2 au 7 juillet 1956.

Précisons d’abord que les invités à ce Symposium devaient être par principe en nombre très restreint, de manière à atteindre le but précis de cette réunion. Ce but était, en effet, d’élargir, mais en les prolongeant directement, le travail et les discussions du Centre pendant l’année écoulée. Nous attendions donc de nos éminents invités, non pas des « communications » au sens que ce terme prend dans les Congrès, mais une collaboration et une aide concrètes, impliquant de leur part un réel esprit de dévouement à la cause commune, et même de sacrifice… Autrement dit, pour parler familièrement, nous concevions ce symposium comme une sorte de soutenance collective de thèses, où les candidats seraient les membres du Centre, le jury les invités au symposium, mais où le jury, après critiques serrées, fournirait sur place les moyens d’échapper à ces critiques et de parachever les travaux.

Outre les membres résidents du Centre, les participants au symposium étaient quatre épistémologistes ou logiciens et quatre psychologues (un invité des USA et un autre de Pologne n’ont pu nous rejoindre au dernier moment) :

  • E. W. Beth (Amsterdam), logique et Ă©pistĂ©mologie ;
  • F. Bresson (Paris), psychologie (modèles thĂ©oriques, etc.) ;
  • J. Bruner (Harvard, USA), psychologie de la pensĂ©e, etc. ;
  • F. Gonseth (Zurich), logique et Ă©pistĂ©mologie ;
  • A. Jonckheere (Londres), psychologie et mathĂ©matiques ;
  • P. Lorenzen (Bonn), logique ;
  • A. Naess (Oslo), Ă©pistĂ©mologie ;
  • P. OlĂ©ron (Paris), psychologie du dĂ©veloppement (sourds-muets, etc.).

Les travaux d’un symposium tel que nous venons d’en décrire l’esprit ne se laissent pas résumer : il faudrait, pour en parler, en publier la transcription intégrale. Disons seulement que notre attente, non seulement n’a point été déçue, mais a été largement dépassée. Telle question particulière laissée en suspens a pu trouver sa solution quelques instants après la fin d’un exposé. Tous les problèmes de l’année ont été repris par nos hôtes comme s’il s’agissait de leurs propres préoccupations majeures. Quelques collaborations nouvelles ont pu s’esquisser. Bref, nous sommes parvenus à la conviction commune que, malgré toutes les divergences possibles, l’épistémologie génétique existe à titre de ligne de recherche collective.

II

Ce sont les travaux du Centre pendant cette année 1955-1956, et ceux des années à venir, que réuniront les Études d’épistémologie génétique sous la forme de fascicules de 120 à 200 pages en principe.

Ce fascicule I, sur lequel nous reviendrons à l’instant, porte sur les questions d’introduction et sera suivi immédiatement d’un fascicule II sur Logique et équilibre (Apostel, Mandelbrot et Piaget). Le n° III abordera les questions de logique et langage (Apostel, Mandelbrot et Morf) et le n° IV le problème des liaisons analytiques et synthétiques dans le comportement du sujet (Apostel, Mays, Morf et Piaget). Un ou deux fascicules ultérieurs sont prévus pour les problèmes de logique et apprentissage, après quoi (ou en interférence avec eux) débuteront les travaux de l’année suivante.

Il faut indiquer ici que, en conséquence de la tournure prise par les recherches en 1955-1956 et en accord avec les opinions développées au terme du symposium final, les travaux du Centre porteront en 1956-1957 sur le double problème des structures logiques intervenant dans les comportements les plus élémentaires du sujet (dans sa prise de contact avec les objets), et de la « lecture de l’expérience » en général. En effet, si la formation des structures logiques remonte jusqu’à la coordination des actions, la question se pose de savoir jusqu’où l’on peut ainsi régresser : faut-il concevoir une séparation étanche entre, d’un côté, l’univers des perceptions conçu comme donné indépendamment des activités du sujet, et, d’un autre côté, les actions s’exerçant après coup sur cet univers ; ou faut-il au contraire admettre que, dès les contacts les plus élémentaires, le sujet intervient activement en utilisant alors, sous les formes les plus simples, des modes de coordination annonçant ou préparant les structures logiques ?

Ce n’est pas par hasard, sans doute, que ce problème de la lecture de l’expérience et des formes élémentaires d’inférence susceptibles d’intervenir en cette lecture, s’est imposé à nous après une année consacrée aux questions de logique et de langage et, finalement, à celle des liaisons analytiques et synthétiques. Il fut un temps, en effet, où, dans les cercles d’où est issu l’empirisme logique, on croyait pouvoir situer les structures logico-mathématiques, conçues en tant que strictement analytiques, dans un contexte dominé par l’antithèse simple de la perception et du langage : la perception constituerait la pierre de touche des vérités expérimentales, de nature synthétique, tandis que le langage, source de la pensée discursive, représenterait la contexture des vérités purement déductives, ou logico-mathématiques. Mais les mêmes raisons qui nous ont poussés à chercher la racine des structures logiques en deçà du langage, dans les coordinations générales de l’action, et qui ont poussé corrélativement certains d’entre nous à contester la valeur de la dichotomie des liaisons analytiques et synthétiques, devaient nous conduire à réexaminer, expérimentalement et théoriquement le postulat central de l’empirisme : l’hypothèse d’un contact entre le sujet et les objets dans lequel la lecture primerait l’activité, ou l’hypothèse d’une lecture conçue comme un enregistrement plus que comme une transformation assimilatrice.

Bref, les fascicules I à IV, que nous annoncions à l’instant se prolongeront en fascicules dont le détail ne peut encore être indiqué mais qui, des questions de logique et apprentissage, passeront à celle des relations, entre la logique et la lecture de l’expérience ainsi qu’entre l’inférence et la perception.

Quant au fascicule I, que nous présentons aujourd’hui, il faut en fournir sommairement la justification, car : il est encore éloigné de l’union étroite que nous annonçons entre l’analyse épistémologique et l’expérimentation psychologique (union qu’invoque cependant son titre mais polir en marquer l’intention, ainsi que la venue au cours (les fascicules ultérieurs, mais non la réalisation dans le contenu (le ce premier cahier). Il nous a paru, en effet utile pour le lecteur, comme cela avait été le cas pour nous-mêmes, de commencer par réfléchir à quelques questions d’introduction.

Ces questions sont au nombre de trois : (1) Qu’est-ce que l’épistémologie génétique ? (2) En quels termes se pose actuellement la question des relations entre la logique et le langage, que nous désirons transposer en termes d’expérience ? Et (3) sous quelle forme la logique formelle ou logique du logicien doit-elle être mise pour pouvoir être confrontée de la manière la plus fructueuse avec les structures de la pensée « naturelle » qu’étudie le psychologue ? On voit que ces trois questions répondent les unes comme les autres à notre préoccupation centrale qui est l’union de la recherche psychologique et de l’analyse épistémologique ; mais, répétons-le, nous n’y répondrons pas encore par des faits, au cours de ce fascicule I, mais par des discussions de principe préalables.

En ce qui concerne la première de ces questions, nous avions rédigé, à l’intention des membres du Centre, un petit mémoire préliminaire intitulé « Programme et méthodes de l’épistémologie génétique », que nous avons mis en discussion au début des travaux de l’année 1955-1956 à titre de prise de contact. Or, cette première expérience de collaboration s’est révélée très utile, tout au moins pour nous-mêmes : il s’est trouvé, en effet, qu’un assez grand nombre de points soulevaient des objections, sinon des oppositions sérieuses, tandis que, moyennant un ensemble de précisions et de distinctions acceptables et instructives pour l’auteur, l’accord devenait possible. Nous avons ainsi appris ou réappris une fois de plus qu’il est extrêmement difficile, dans un domaine nécessairement interdisciplinaire tel que l’épistémologie génétique, de trouver un langage commun et de s’adresser simultanément à des lecteurs venus d’horizons scientifiques différents. C’est pourquoi nous croyons utile de publier ces pages, plusieurs fois remaniées, et qui, en ce sens, ne font pas double emploi avec notre « Introduction à l’épistémologie génétique » (ne serait-ce qu’au point de vue des dimensions !). Nous éprouvons, en effet, une aversion particulière pour toute forme de pensée destinée à s’enfermer dans ce qu’on appelle en anglais le « système d’un seul homme » et nous remercions bien vivement nos collaborateurs du Centre de nous avoir aidés à mettre au point un essai de présentation plus « multilatéral »…

Quant à la seconde étude, il s’agissait donc d’examiner l’état actuel du problème des relations entre la logique et le langage, de manière à éclairer notre recherche de vérifications génétiques. Or, nul auteur n’était plus instructif à examiner à cet égard que Carnap, d’abord à cause de ses propres travaux sur la question, et (nous dirions presque surtout) à cause de son anti-psychologisme, qui rendait nécessaire une étude approfondie de sa position dans un centre se proposant au contraire de concilier les recherches psycho-génétiques et épistémologiques.

Il convient de signaler à cet égard que l’une des préoccupations du Centre, durant sa première année d’activité, a été de situer les méthodes de l’épistémologie génétique par rapport à celles de l’empirisme logique. En effet, si toutes deux ont en commun la même méfiance à l’égard des épistémologies métaphysiques et la même intention de servir l’unité de la science, il n’en reste pas moins qu’elles diffèrent assez considérablement sur ce point précis de l’utilisation des données psycho-génétiques. Cette différence est-elle essentielle ou ne tient-elle qu’à des contingences historiques sans mettre en danger une conciliation possible ? C’est ce qu’il était intéressant d’examiner.

Disons d’emblée que le Centre comme tel ne défend aucune doctrine sur ce point, comme d’ailleurs sur aucun autre. Il n’est point une association doctrinale, mais un centre de recherches. Il est encore moins une École ou une Église, et souhaite donc s’inspirer du même libéralisme et du même anti-dogmatisme que les sciences en marche, par opposition aux « mouvements » se donnant une certaine philosophie de la Science toute faite ou telle qu’elle devrait être. C’est assez dire que dans la mesure où nos recherches nous rapprocheront de l’empirisme logique, ce sera tant mieux, et que, dans la mesure où elles nous en éloigneront, ce sera tant pis, sans qu’aucune ligne soit tracée d’avance. Aussi bien, notre équipe de 1955-1956 comprenait-elle un empiriste logique distingué, L. Apostel, un ou deux adversaires résolus de cette école, un ou deux membres éprouvant quelque méfiance à son égard et un ou deux membres pour lesquels ces questions de convergence ou de divergence étaient dénuées de tout intérêt.

Une telle situation montre suffisamment en quel esprit nous avons tenu à examiner les opinions de Carnap et les objections qu’elles soulèvent : en hommage à ce vigoureux penseur, nous avons simplement voulu connaître d’une manière claire l’état des discussions sur les rapports de la logique et du langage, dans la perspective de l’empirisme logique, pour en tirer des inspirations quant aux recherches génétiques que nous comptions entreprendre. Et, de fait, cette étude due au talent et au dévouement de W. Mays, aboutit à soulever quelques questions d’ordre expérimental et nous a conduit à entreprendre, à quatre auteurs, la recherche génétique sur les liaisons analytiques et synthétiques dont on lira les résultats dans notre fascicule IV.

Enfin, une troisième étude, très courte de dimensions mais très riche de substance, répond à une question que nous nous sommes constamment posée en cours d’année et qui préoccupe nécessairement tout chercheur s’intéressant aux rapports entre les structures logiques et celles de la pensée réelle, donc aux relations entre la logique et la psychologie. On peut, en effet, hésiter, pour mener à bien de telles confrontations, entre de nombreux modèles logiques, et tout choix à cet égard risque de paraître arbitraire de la part des généticiens, tant que le logicien lui-même ne fait pas effort pour jeter les ponts entre ses schémas et la pensée « naturelle ». Or, nous avons eu la bonne fortune de trouver en E. W. Beth un logicien dont l’autorité est grande et qui s’intéresse à ces questions. Il a bien voulu au cours du symposium de juillet 1956, exposer l’utilisation possible de ses « tableaux sémantiques » dans les recherches psychologiques sur la pensée réelle, et c’est cette communication que nous reproduisons ici. Si l’article de Beth ne s’étend pas longuement sur l’aspect technique de ses « tableaux » c’est qu’il compte développer ces idées dans un ouvrage prochain. Nous avons même repris, lui et moi, au cours du symposium, le projet non exécuté jusqu’ici d’un ouvrage en commun sur ces relations entre la formalisation logique et la pensée réelle.

En résumé, les trois études comprises dans ce premier fascicule ont en commun la préoccupation de rapprocher, de diverses manières, les recherches épistémologiques et psycho-génétiques. Nous avons tous conscience du caractère complexe et des dangers possibles d’un tel rapprochement. Mais nous avons confiance dans les efforts interdisciplinaires et dans le travail d’équipe nous espérons que les lecteurs des Études d’épistémologie génétique inaugurées aujourd’hui nous encourageront à persévérer dans cette voie.