Préface (1970) a

Les amis et élèves de Richard Meili ont en ce volume groupé leurs témoignages d’estime et d’affection pour célébrer son 70e anniversaire. C’est avec joie et conviction que j’ai accepté l’honneur qui m’était fait d’introduire ces pages en trouvant ainsi l’occasion d’exprimer au jubilaire tout le bien que je pense de lui. Après qu’il eut terminé ses études à Berlin sous la direction de W. Köhler, et soutenu une thèse de grande valeur sur l’arrangement des objets selon de bonnes formes d’ordre, Meili vint à Genève et enseigna pendant des années à notre Institut J. J. Rousseau avant de faire à l’Université de Berne la brillante carrière que l’on sait. C’est donc d’un ancien collègue fréquenté de près et d’un vieil ami que j’ai le privilège de parler avec d’autant plus de reconnaissance qu’il nous a appris beaucoup et que je lui dois moi-même une partie non négligeable de mon information.

Je vois encore Meili tel qu’il était lors de notre premier contact. Je finissais de donner aux étudiants une heure de cours qu’il était venu écouter et où je parlais avec quelque imprudence des transformations avec l’âge de la constance des grandeurs au vu de quelques observations bien fragmentaires. Avec le remarquable esprit d’objectivité et d’examen critique qui a toujours fait la valeur de ses jugements, Meili ne se contenta pas de me faire valoir les arguments contraires tirés de travaux gestaltistes, mais développa au cours des discussions qui suivirent les diverses interprétations possibles que l’on peut donner d’un fait d’évolution mentale, en conciliant l’hypothèse d’une permanence des facteurs d’organisation avec celle d’un changement de proportions avec l’âge. Meili donna lui-même un bel exemple de cette méthode d’analyse lorsqu’il découvrit le premier la diminution des effets stroboscopiques au cours du développement (au moyen d’une technique très simple aussi intéressante que ses discussions théoriques).

En un mot, Meili restait parmi nous fondamentalement gestaltiste, mais avec une souplesse d’interprétation et une constante capacité d’adaptation aux autres courants d’idées de telle sorte qu’il occupa avec toujours plus de succès une position bien à lui et dont je connais peu de représentants analogues parmi les élèves de Köhler et de Wertheimer : celle de l’auteur qui réussit inlassablement à combiner les principes de la Gestalttheorie avec toutes les autres méthodes d’investigation, qu’il s’agisse d’analyse factorielle, d’épreuves portant sur les diverses fonctions de l’intelligence, de recherches génétiques et caractérologiques, etc. La conjonction de ses travaux avec ceux de Gertrude Meili-Dworetzki ne fit que le renforcer dans ces tendances, qui n’étaient nullement celles d’un éclectique, mais bien d’un auteur original ayant ses convictions mais ne voulait être ni partisan ni partial et fournissait un constant effort de compréhension et d’objectivité (c’est pourquoi, soit dit entre parenthèses, lorsqu’il me traite de « néogestaltiste », j’y vois un encouragement, ce qui serait moins le cas si le mot venait de juges plus rigides que lui).

La confiance que son caractère bienveillant et cette attitude scientifique constamment ouverte inspirent à ses collègues explique non seulement ses succès à la tête de l’Institut de psychologie de l’Université de Berne, mais encore les multiples charges qui lui furent confiées. Il joua un rôle essentiel dans la Société suisse de psychologie qu’il présida avec distinction et orienta vers de sages mesures en ce qui concerne la formation des psychologues. Il accepta la direction de la Revue suisse de psychologie qu’il dirigea et dirige encore avec dévouement et en tenant toujours compte des multiples courants à coordonner. Dans toutes les situations où l’on a eu besoin d’un psychologue polyvalent et objectif, c’est vers Meili que l’on s’est tourné, et il a joué en particulier un rôle prépondérant dans les liaisons entre les psychologues suisses et ceux d’Allemagne, ce qui ne l’a empêché en rien d’être bien connu ailleurs, en particulier chez nos collègues français.

C’est donc entouré d’un respect unanime et n’ayant sans doute jamais provoqué d’oppositions scientifiques en sa vie que Richard Meili peut fêter son soixante-dixième anniversaire, date qui risque d’être funeste lorsqu’on a insuffisamment travaillé, mais qui chez votre jubilaire marquera certainement un simple tournant dans ses activités. L’ouvrage collectif qui lui est aujourd’hui présenté en est d’ailleurs le gage ou le symbole.