La formation et la recherche académique comme outils de lutte contre les horreurs de la guerre. L’Académie de droit international humanitaire et des droits humains (ADH), inaugurée le 20 septembre dernier en présence de la Présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey, affiche des ambitions militantes. Créée par la Faculté de droit de l’UNIGE et l’Institut universitaire des hautes études internationales (IUHEI), elle succède au Centre universitaire de droit international humanitaire (CUDIH) de l’UNIGE, dont la maîtrise connaît depuis cinq ans un intérêt croissant.

«Il existe différentes manières de s’engager sur le terrain de la protection des victimes des conflits armés: la politique, la médecine, les organisations humanitaires, les manifestations, et j’en passe. Nous y contribuerons par le droit», a précisé le directeur de la nouvelle institution, le prof. Andrew Clapham, lors de son discours inaugural. A ce titre, l’ADH s’inscrit dans une certaine tradition genevoise, a-t-il rappelé celle des figures qui, tels Henry Dunant et Gustave Moynier, ont posé leur pierre à l’édification de règles de droit visant à protéger les blessés de guerre et les civil1.

Horreurs du passé, horreurs modernes?
Les conflits modernes n’ont rien à voir avec les conflits du passé, explique Paola Gaeta, professeure ordinaire à la Faculté de droit, responsable du programme de maîtrise de l’ADH. Aujourd’hui, chaque Etat ou partie au conflit s’engouffre dans la moindre zone grise du droit pour se draper dans la posture de «celui qui ne savait pas et croyait être dans son bon droit». Du moins devant les instances internationales.

L’actualité internationale nous renvoie quotidiennement à cette brutale réalité: le Rwanda, le Burundi, Srebrenica, le Darfour, la Tchétchénie, le Kurdistan. Sans compter les guerres et occupations qui font tristement partie du décor, les conflits non-médiatisés et autres luttes claniques dont les seules victimes sont les populations, otages de jeux de pouvoirs qui les dépassent, instrumentalisées ou laissées pour compte.

La chasse aux failles légales
En réunissant sous un même toit et pour la première fois tous les domaines du droit qui s’appliquent aux conflits armés – le droit international humanitaire, le droit international public sur l’usage de la force, le droit pénal international, les droits de l’homme, les droits des réfugiés –, «l’ADH entent montrer qu’il n’existe aucune faille légale dans le système et aucune excuse à ne pas protéger les victimes des conflits», insiste le prof. Clapham.

La prof. Paola Gaeta, qui dirigera le programme de maîtrise bilingue de l’ADH, attend beaucoup des synergies qui ne manqueront pas de se développer au sein de l’Académie et à l’extérieur. Pour l’heure située dans les locaux de la Faculté de droit, l’ADH recrute ses intervenants dans le corps enseignant de l’UNIGE et de HEI, mais cherche à s’ouvrir, tant pour ses programmes de formation continue que pour ses programmes de recherche, sur les institutions internationales et non-gouvernementales.

Une légitimité académique
«Tous les partenaires ont à gagner de ces relations», relève Paola Gaeta, qui souligne également la posture particulière de l’ADH: «L’enjeu de l’Académie est de clarifier le contenu des normes applicables dans chaque situation». Un clin d’œil appuyé au programme de banque de données numériques (RULAC) visant à analyser, pays par pays, la situation de conflit et le droit applicable en la matière. «Le fait d’être académique, c’est-à-dire indépendant, impartial et libre de toute pression, est essentiel. Il donnera à notre expertise un poids particulier», relève la responsable de la maîtrise, pour qui «une académie comme celle-ci ne pouvait se faire qu’à Genève», la ville abritant la plupart des institutions internationales actives dans le domaine du droit international humanitaire (UNHCR) et des droits humains (ONU et Conseil des droits de l’homme).

Trois questions à Andrew Clapham, directeur de l’ADH

En octobre, un «Forum humanitaire mondial» a été inauguré à Genève par Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU, qui dirigera l’institution. Ne risque-t-il pas d 'y avoir double emploi?
Le Forum et l’Académie poursuivent des objectifs complémentaires. Le premier cherche la discussion politique de haut niveau, alors que l’Académie s’intéresse au cadre légal applicable lors de conflits armés. A titre d’exemple, notre projet de recherche Rule of Law in Armed Conflicts Project (RULAC), vise à «cartographier» la mise en œuvre du droit humanitaire dans les conflits armés partout dans le monde. Nous ne faisons pas ceci dans le contexte d’un Forum, mais plutôt pour fournir aux gouvernements et aux organisations internationales une ressource, un outil qui leur permette de voir quel est le droit international applicable à chaque situation et d’identifier les points d’achoppements sur lesquels bute l’application du droit. Evidemment, nos deux institutions se rejoignent dans leurs objectifs finaux – alléger les souffrances et empêcher la guerre et ses effets monstrueux - mais les méthodes diffèrent.
Craignez-vous néanmoins une quelconque compétition en  matière de recherche de fonds entre les deux institutions?
L'IUHEI a passé du temps et de l’énergie à réfléchir et à développer l’idée d’un Forum. Il y aurait une sorte d’ironie du sort à ce que le lancement de celui-ci prive l’Académie (un produit du même IUHEI et de l’UNIGE) des fonds qu’il aurait obtenus autrement!
Je pars du principe que les donateurs concernés sont à même de mesurer la complémentarité des deux projets. Et que seul un financement approprié permettra à chacun de remplir sa mission respective.
Entendez-vous coopérer avec le Forum humanitaire mondial?
Oui, et de manière étroite sur un certain nombre de projets. Le Forum a, dès sa conception, prévu de travailler avec des partenaires académiques. A cet égard, je suis convaincu que nos deux initiatives respectives produiront des résultats plus grands que la somme de ces parties!

1 Avec ses «Souvenirs de Solferino» (1862) et son appel à «empêcher ou, tout au moins, adoucir les horreurs de la guerre», Henry Dunant, jette les bases du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et des Conventions de Genève. Dix ans plus tard, Gustave Moynier propose au CICR «la création d’une institution judiciaire internationale propre à prévenir et réprimer les infractions» aux Conventions susmentionnées, préfigurant ainsi la création d’un Tribunal pénal international.