Histoire et littérature russes - Daniil Harms,
poète sorti de l'ombre
suite aux travaux d'un chercheur de l'UNIGE
Il aurait eu 100 ans cette année et sa
ville natale de St-Pétersbourg lui rend un hommage appuyé
à travers une importante série de manifestations d'ici le
mois de décembre. En Russie, le nom de Daniil Harms, poète
de l'avant-garde des années 1920-1930, condamné à
plusieurs reprises par le régime stalinien, est associé
à l'Université de Genève, de par la contribution
majeure du prof. Jean-Philippe Jaccard à la découverte de
son œuvre.
Professeur à l’Unité de russe de
l’UNIGE, Jean-Philippe Jaccard a non seulement consacré sa
thèse de doctorat à Daniil Harms, en 1991. Il a poussé
le vice jusqu’à recopier, à la main, des mois durant,
les manuscrits en prose du poète russe déposés à
la Bibliothèque publique de Leningrad. Ces écrits n'avaient
alors jamais été édités. Ce faisant, le chercheur
genevois a contribué à sortir de l'ombre une œuvre
qui a aujourd'hui sa place dans la tradition littéraire russe du
XXe siècle.
Des airs de roman policier
"En Russie, au début des années 80, les archives étaient
passablement fermées aux étrangers", se souvient Jean-Philippe
Jaccard. "Du coup, mes recherches ont parfois pris des airs de roman
policier. J'ai dû manœuvrer pour avoir accès aux manuscrits
et réaliser mon travail de 'copiste'. Certaines personnes auraient
bien aimé me mettre à la porte, tandis que d'autres me soutenaient
dans ma démarche."
Avec la matière ainsi récoltée, une bonne cinquantaine
de cahiers d'école, le professeur de l'UNIGE a publié, en
1993, une traduction des écrits en prose de Harms, qui a fait connaître
l'auteur russe auprès du public francophone et qui fait toujours
référence.
Adaptation théâtrale en Suisse
Aujourd'hui, Harms est un écrivain justement célébré
dans les milieux littéraires. En Suisse, la Compagnie Pasquier-Rossier
a créé, en 2002, une adaptation théâtrale de
certains de ses textes, sous le titre Le corbeau à quatre pattes.
Un spectacle qui a rencontré un grand succès en Suisse romande
et en France. Pour Jean-Philippe Jaccard, cette reconnaissance montre
à quel point une œuvre, lorsqu'elle a la force créatrice
de celle de Harms, est capable de traverser toutes les chapes de plomb
idéologiques pour se frayer un chemin, parfois sous-terrain, à
travers l’histoire.
Le coup d'envoi des manifestations du centenaire de la naissance de Daniil
Harms a été donné le vendredi 24 juin à Saint-Pétersbourg,
avec une série de conférences, à laquelle a participé
Jean-Philippe Jaccard. Suivi d'un festival axé sur le théâtre
et la performance. Expositions de peintres contemporains de Harms ou inspirés
par ses écrits et projections de films compléteront ce programme
jusqu'à la fin de l'année.
Un poète à l’exubérance
cruelle
Jusque dans les années qui ont précédé
la "perestroïka", Daniil Harms (1905-1942) était
tout juste reconnu officiellement, en Russie, comme un auteur de
livres pour enfants. Ses principaux écrits ne faisaient l’objet
d’aucune publication, mais ils circulaient abondamment en
samizdat (tradition russe d'écrits clandestins, généralement
publiés en un seul exemplaire) dans les milieux intellectuels
et dans l'«underground» de la Russie soviétique.
"Entré en littérature dans une période
de grande confusion", Harms fonde, en 1927, le groupe Obériou,
association pour un art réel et dernier groupe d'avant-garde
précédant la mise au pas, en compagnie d'autres écrivains
et peintres. Dès la fin des années 20, il est attaqué
par les censeurs du régime stalinien. Obériou est
dissous. En décembre 1931, il est arrêté une
première fois. Il le sera une seconde fois en 1941. Il mourra
en prison, en 1942, à l'âge de 37 ans.
Il faudra attendre la fin des années 60
pour voir une de ses œuvres pour le théâtre mise
en scène, d’abord en… Pologne. Suivent, dès
les années 70, quelques publications en Occident. Et ce n'est
qu'à la fin des années 80 qu'il est reconnu comme
un auteur majeur en Russie.
Daniil Harms laisse une œuvre qui traverse
de multiples genres: théâtre, contes, littérature
pour enfants, nouvelles et, surtout, poésie. Maître
de la forme courte, il dénonce, à coups de canif,
dans un langage mêlant le cruel à l’absurde,
la bêtise et la violence qu'il observe autour de lui.
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Pour de plus amples informations, n'hésitez
pas à contacter
le prof. Jean-Philippe Jaccard au 022 379 72 03 ou 022 379 72 01
ou à Jean-Philippe.Jaccard@lettres.unige.ch
Genève, le 6 juillet 2005
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