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 Communiqué de presse 

Pour de bonnes raisons? - Deux chercheurs de l'UniGe mettent un peu d'éthique dans la politique de santé publique suisse

La levée de l'obligation de contracter par les assurances-maladie impliquerait de laisser aux assureurs le libre choix des médecins dont ils vont rembourser les prestations. Cette levée est une proposition politique récurrente depuis le début des discussions sur la révision de la LAMal. Afin de dépasser le caractère émotionnel ou arbitraire du débat parfois houleux qui en découle, la Dre Samia Hurst et le prof. Alex Mauron de l'Unité de bioéthique de l'Université de Genève ont interrogé les conséquences d'une telle abolition sur l'équité du système de santé suisse. Pour évaluer ces effets, les chercheurs ont opté pour la méthode des Benchmarks of Fairness, une approche éprouvée qui a pour but d'écarter au maximum les a priori idéologiques. Leurs résultats révèlent que la fin de cette obligation présenterait une série de dangers pour l'équité tant de l'accès aux soins que de leur financement. Qui plus est, ils montrent qu'à l'heure actuelle, ni le public, ni les spécialistes ne disposent d'informations suffisantes pour se faire une opinion en toute connaissance de cause.

L'éthique, en tant que domaine d'investigation scientifique, ne s'attache pas uniquement aux questions liées à de nouveaux types de recherches comme le clonage ou les travaux sur les cellules souches. Elle s'intéresse également aux sujets plus directement centrés sur la "vie de tous les jours". Dans un article paru dans le Swiss Medical Weekly, la Dre Samia Hurst et le prof. Alex Mauron, de l'Unité de bioéthique de la Faculté de médecine de l'UniGe, le démontrent aujourd'hui en faisant la lumière sur les éventuelles conséquences d'une fin de l'obligation de contracter par les assurances-maladie en Suisse. Une problématique où la notion de justice sociale est incontournable puisqu'elle engage un partage des ressources.

En effet, au cœur des débats politiques actuels, la possibilité de lever l'obligation de contracter a été mise en avant à plusieurs reprises au cours des mois passés. Face à une telle proposition, les chercheurs genevois ont essayé, à l'aide d'outils conceptuels rigoureux et dans une perspective exempte de toute passion partisane, de mettre en lumière les enjeux de cette réforme. En d'autres termes, ils ont tenté d'analyser l'impact de ce changement sur l'équité des différents domaines du système de santé.


La méthode utilisée est celle des Benchmarks of Fairness - littéralement les points de référence de l'équité-, développée par le philosophe pionnier Norman Daniels, de l'Université de Harvard. Idéologiquement neutre, cette approche prend en compte des aspects aussi divers que l'équité financière, l'efficience des soins, leur efficacité, les barrières, financières ou non, à l'accès aux soins, ou encore la liberté du patient et du soignant. En examinant les tentatives d'autres pays, en les comparant et en considérant des options variables, elle leur a permis d'évaluer de manière systématique les conséquences potentielles de la fin de l'obligation de contracter sur l'équité de notre système de santé.

Au terme de leur étude, les scientifiques ont pu remarquer que cette levée présenterait toute une série de dangers. Tout d'abord, et contrairement aux idées reçues, celle-ci provoquerait probablement une augmentation des besoins administratifs et bureaucratiques. Elle risquerait d'introduire des inégalités nouvelles, non seulement entre médecins, mais surtout entre patients. Ainsi, le réconfort qu'apporterait une hypothétique baisse des coûts s'obtiendrait au prix d'une grave réduction de l'équité. Certes, selon ces chercheurs, les impacts négatifs de la fin de l'obligation de contracter ne sont pas tous inévitables. Néanmoins, les informations manquent souvent pour définir des mesures d'accompagnement susceptibles de corriger ces effets nuisibles.

Enfin, en montrant que les évaluations actuelles privilégient ce qui est aisément mesurable (le nombre de vies sauvées par exemple) au détriment de ce qui l'est beaucoup plus difficilement (la qualité de la prise en charge des malades chroniques ou l'équité du système de santé), Samia Hurst et Alex Mauron démontrent que le présent discours politique se fonde sur une approche en partie biaisée. Loin des certitudes défendues par nos autorités fédérales en la matière, les chercheurs concluent, sur la base de leurs résultats, que les données actuellement disponibles sont largement insuffisantes pour répondre à certaines questions cruciales soulevées par ce projet. A ce titre, leur contribution plus qu'instructive témoigne, une nouvelle fois, du rôle essentiel que peut jouer la recherche scientifique dans la cadre du débat démocratique.


Pour de plus amples informations, n'hésitez pas à contacter
la Dre Samia Hurst au 022 379 57 96 ou à Samia.Hurst@medecine.unige.ch
le prof. Alex Mauron au 022 379 57 94 ou à Alexandre.Mauron@medecine.unige.ch


Genève, le 17 décembre 2004