Expositions de l'UNIGE

Un art qui se joue des codes de la binarité

L’identité est à la fois ce qui nous rattache par la ressemblance à un modèle conventionnellement établi à un moment précis dans une société donnée, et c’est aussi ce qui nous distingue individuellement dans une unicité entièrement singulière. Cette ressemblance rapproche toute proposition de présentation de soi de modèles auxquels l’individu peut plus ou moins adhérer, quelle que soit sa sexualité ou sa sexuation. Modèle et ressemblance se modifient ensemble, ce que témoigne particulièrement depuis quelques années une multitude de propositions d’artistes qui mettent à mal la rigide binarité socialement construite et historiquement située des identités.

Hybrider les identités existantes

C’est surtout dans les années 1970 que les artistes ont joué ouvertement des codes attribués au masculin et au féminin pour hybrider les identités existantes. Au-delà d’un travestissement
reprenant les codes féminins et masculins, le jeune Chuck Nanney faisait des autoportraits alliant jupe transparente et forte pilosité, à l’instar de ce que fait toujours le performer trans* indien-américain Alok Vaid-Menon. Mais c’est surtout avec le désir de faire accepter et reconnaître les enjeux LGBTIQ+ que les artistes ont montré de nouvelles façons de modeler les corps, à l’instar du Mexicain Nahum B. Zenil, puis, dans les années 1980, avec les photographes Catherine Opie et Nan Goldin aux États-Unis ou Sunil Gupta en Inde. Dans les années 2000, l’Américain Del LaGrace Volcano a photographié, de son côté, les transformations physiques des corps trans*. Dans cette veine, la Sud-Africaine Zanele Muholi pratique toujours un «activisme visuel» afin de faire émerger une visibilité noire et queer.

Assumer pleinement son corps et son image

C’est en s’appropriant les images fantasmées ou entravées des «hermaphrodites» des traités médicaux que l’intersexe berlinoise Ins A Kromminga invite à un nouvel imaginaire.
L’artiste trans* Mary Magic est aussi activiste, avec des œuvres loufoques comme Housewives making drugs (2017) et une plateforme de recherche participative pour permettre aux trans* de fabriquer eux-mêmes des hormones, visant à contourner une industrie néolibérale, patriarcale et binaire. Une génération de jeunes intersexes travaille maintenant sa propre image tout en luttant pour qu’on arrête les opérations mutilantes afin que chacun-e puisse assumer pleinement un corps et une image libres. Pidgeon Paganis avec The Son I Never Had: Growing Up Intersex (2017) ou River Alexander Gallo Ponyboi (2018) montrent leur univers et les chemins de leur acceptation.


MAGALI LE MENS, historienne de l’art

4 oct. 2018

Savoirs LGBTIQ+