Expositions de l'UNIGE

Les conflits d’interprétation dans le Nouveau Testament

Quatre versets, c’est le nombre total des passages habituellement versés au dossier de l’«homosexualité» dans le Nouveau Testament, soit Romains 1,26-27; 1 Corinthiens 6,9 et 1 Timothée 1,10. Leur complexité rhétorique, leur ambiguïté sémantique et leur caractère culturellement situé interdisent toute application hâtive dans les débats contemporains, au sein de l’Église comme dans la société. En effet, tant dans une perspective quantitative (4 versets sur quelque 8000 que totalise le Nouveau Testament, soit 0,05%) que qualitative (ces versets n’exercent pas une fonction directrice dans l’argumentation, mais servent d’illustration à un enjeu plus fondamental), le thème de l’homosexualité n’avait pas, aux origines du christianisme, le sens et le statut qu’il a pris dans les débats théologiques contemporains. À la différence des problématiques cultuelles, économiques ou alimentaires, les questions d’éthique sexuelle restent singulièrement marginales dans les écrits du christianisme naissant, à l’exception notable de la 1re lettre aux Corinthiens, une exception qui ne modifie toutefois pas substantiellement le diagnostic en la matière.

Les conditions d’une interprétation contemporaine

Tout discours sur le traitement de l’homosexualité dans les Écritures qui se veut soucieux de répondre de l’Évangile dans le monde contemporain doit tenir compte de plusieurs points. Premièrement, l’homosexualité, tout comme l’hétérosexualité traduit une compréhension moderne de la sexualité qui n’a pas d’équivalent sémantique ou linguistique dans les cultures du bassin méditerranéen de l’Antiquité.
Ensuite, le discours doit convoquer une approche de l’Évangile compris comme un discours symbolico-théologique sur Dieu, le monde et l’humain. Lorsque Paul traite de déviances sexuelles dans le Nouveau Testament, le propos est éminemment théologique avant d’être moral: la débauche, l’adultère ou le brouillage des différences entre les sexes sont, sous sa plume, inféodés à une problématique que l’apôtre désigne forfaitairement sous la catégorie du «péché» (au singulier). Et dans cette perspective largement empreinte de culture et de valeurs juives de l’Antiquité, toutes les relations extraconjugales sont dénoncées, car tenues pour symptomatiques d’une relation biaisée avec Dieu (comme aux autres) et appelées à une transformation sous le signe de la grâce.
De plus, dans l’histoire du christianisme, l’Évangile s’est invariablement concentré dans l’annonce d’un accueil par Dieu de la personne, indépendamment de son statut ou de ses qualités. Maintenant, cet accueil inconditionnel peut être invalidé sur le plan de l’éthique. Un piège menaçant lorsqu’on lie l’identité croyante à une norme – sexuelle, sociale, culturelle ou économique – particulière, voire exclusive, et dès lors érigée en nouveau statut de l’Église et de la théologie.

Une théologie incarnée

Enfin, l’interprétation des Écritures doit également tenir compte de manière empathique et critique du monde contemporain et des acteurs qui le composent. L’Évangile n’est jamais une pensée abstraite. C’est in vivo qu’il se formule et doit l’être sans cesse à nouveau, en dialogue avec les propositions de sens ambiantes et avec les divers savoirs et représentations sur l’humain en circulation. Pour ce faire, tout discours théologique sur les couples de même sexe se doit non seulement de rendre compte de manière critique et rigoureuse de son interprétation des Écritures, mais se doit aussi de reconnaître la pluralité des lectures de la Bible existant sur la question et cultiver à leur endroit une éthique de l’écoute, du discernement et de la recherche commune de vérité.


SIMON BUTTICAZ et ANDREAS DETTWILER, théologiens

 

4 oct. 2018

Savoirs LGBTIQ+