[p. 7]

Avertissement

Ceci n’est pas un livre, mais un recueil de conférences et d’essais sur des sujets variés en apparence : protestantisme, culture, neutralité, fédéralisme et défense de la Suisse.

Si je me décide à réunir ces textes — les uns « parlés », les autres écrits — c’est qu’ils ne sont pas dépourvus d’une certaine unité d’intention : ils sont tous nés d’un même souci de la personne et de son rôle dans la communauté ; et tous, ils s’adressent à la Suisse, ou pour mieux dire, ils s’adressent à des Suisses. Par une série de cercles concentriques, ils s’efforcent de situer notre mission dans l’Europe d’aujourd’hui.

On trouvera tout d’abord une conférence sur le protestantisme créateur de personnes. C’est qu’avant de rien proposer, il convient de dire qui l’on est, de préciser au nom de quoi l’on parle ; et ce ne peut être, sérieusement, qu’au nom d’une foi. Je prends ce mot dans son sens le plus fort, et je veux bien qu’il doit compromettant. Une foi réelle est une raison de vivre et non point d’échapper à la vie. Ceci dit, je ne [p. 8] crois pas un instant que pareille prise de position m’interdise de « causer » et de m’entendre avec les Suisses d’autres croyances. Bien au contraire ! Car les seuls entretiens féconds sont ceux où chacun se donne, dès le départ, en toute rigueur, pour ce qu’il est.

Vient ensuite une conférence sur la Bataille de la culture : synthèse rapide des éléments sociaux, culturels et spirituels qui déterminent l’état présent de l’Europe, et situent notre action particulière dans l’évolution générale.

Le reste du recueil est consacré à définir cette mission suisse, ses objectifs immédiats et lointains, ses limites et sa vraie grandeur. Je ne donne ici que des vues générales et quelques directions de pensée. Ce n’est pas suffisant, mais c’est urgent. C’est de quoi nous manquons le plus, et j’ajouterai : c’est de quoi nous savons le moins que nous manquons dangereusement. Nous avons bien assez de techniciens, de spécialistes et de « compétences » : leur travail est indispensable, mais il ne saurait être utile que s’il est orienté d’emblée par une vision générale du monde, et du rôle de la Suisse dans le monde. Soyons modestes, c’est entendu. Nous ne sommes pas les mentors de l’Europe. Mais n’allons pas confondre cette modestie, dont Spitteler parlait si noblement, avec la vue bornée des [p. 9] « réalistes », le scepticisme et la lâcheté civique. Il est, dans l’histoire des nations, des heures où l’utopie la plus nocive est justement le petit réalisme ; des heures où toute vue courte est une vue fausse ; où la prudence est la pire imprudence.

Que cette heure ait sonné pour la Suisse, qu’il soit temps de voir grand et d’oser, au sein d’un grand péril et d’un beau risque, c’est la pensée qui anime tous ces essais.

L’épreuve des armes nous attend peut-être ; mais nous courons déjà l’épreuve des âmes. Or le courage qu’il y faut n’est pas seulement celui de résister : il est d’abord celui de se risquer.

Je demandai à l’homme qui se tenait à la porte de l’année : « Donne-moi une lumière afin que je puisse aller avec sécurité dans l’inconnu. » Il répondit : « Va dans l’obscurité et mets tes mains dans les mains de Dieu. Ce sera plus sûr pour toi qu’une lumière et qu’un chemin que tu connaisses. »1

D. R.

Berne, 1er mars 1940.

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Avertissement

Ceci n’est pas un livre, mais un recueil de conférences et d’essais sur des sujets variés en apparence : protestantisme, culture, neutralité, fédéralisme et défense de la Suisse.

Si je me décide à réunir ces textes — les uns « parlés », les autres écrits — c’est qu’ils ne sont pas dépourvus d’une certaine unité d’intention : ils sont tous nés d’un même souci de la personne et de son rôle dans la communauté ; et tous, ils s’adressent à la Suisse, ou pour mieux dire, ils s’adressent à des Suisses. Par une série de cercles concentriques, ils s’efforcent de situer notre mission dans l’Europe d’aujourd’hui.

On trouvera tout d’abord une conférence sur le protestantisme créateur de personnes. C’est qu’avant de rien proposer, il convient de dire qui l’on est, de préciser au nom de quoi l’on parle ; et ce ne peut être, sérieusement, qu’au nom d’une foi. Je prends ce mot dans son sens le plus fort, et je veux bien qu’il doit compromettant. Une foi réelle est une raison de vivre et non point d’échapper à la vie. Ceci dit, je ne [p. 8] crois pas un instant que pareille prise de position m’interdise de « causer » et de m’entendre avec les Suisses d’autres croyances. Bien au contraire ! Car les seuls entretiens féconds sont ceux où chacun se donne, dès le départ, en toute rigueur, pour ce qu’il est.

Vient ensuite une conférence sur la Bataille de la culture : synthèse rapide des éléments sociaux, culturels et spirituels qui déterminent l’état présent de l’Europe, et situent notre action particulière dans l’évolution générale.

Le reste du recueil est consacré à définir cette mission suisse, ses objectifs immédiats et lointains, ses limites et sa vraie grandeur. Je ne donne ici que des vues générales et quelques directions de pensée. Ce n’est pas suffisant, mais c’est urgent. C’est de quoi nous manquons le plus, et j’ajouterai : c’est de quoi nous savons le moins que nous manquons dangereusement. Nous avons bien assez de techniciens, de spécialistes et de « compétences » : leur travail est indispensable, mais il ne saurait être utile que s’il est orienté d’emblée par une vision générale du monde, et du rôle de la Suisse dans le monde. Soyons modestes, c’est entendu. Nous ne sommes pas les mentors de l’Europe. Mais n’allons pas confondre cette modestie, dont Spitteler parlait si noblement, avec la vue bornée des [p. 9] « réalistes », le scepticisme et la lâcheté civique. Il est, dans l’histoire des nations, des heures où l’utopie la plus nocive est justement le petit réalisme ; des heures où toute vue courte est une vue fausse ; où la prudence est la pire imprudence.

Que cette heure ait sonné pour la Suisse, qu’il soit temps de voir grand et d’oser, au sein d’un grand péril et d’un beau risque, c’est la pensée qui anime tous ces essais.

L’épreuve des armes nous attend peut-être ; mais nous courons déjà l’épreuve des âmes. Or le courage qu’il y faut n’est pas seulement celui de résister : il est d’abord celui de se risquer.

Je demandai à l’homme qui se tenait à la porte de l’année : « Donne-moi une lumière afin que je puisse aller avec sécurité dans l’inconnu. » Il répondit : « Va dans l’obscurité et mets tes mains dans les mains de Dieu. Ce sera plus sûr pour toi qu’une lumière et qu’un chemin que tu connaisses. »1

D. R.

Berne, 1er mars 1940.