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Intermède

Le soir du 28 août 1939, je finissais de dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à gagner le Conservatoire pour y assister à une répétition de mon drame, Nicolas de Flue, mis en musique par Arthur Honegger, la radio brusquement interrompit les conversations.

Nous entendîmes la fin d’une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le speaker répéta en français : convocation des Chambres fédérales pour désigner le général en chef, mobilisation immédiate des troupes de couverture-frontières.

Au Conservatoire, le grand chœur entonna le récitatif du troisième acte :

Ô maintenant, peuple des monts et des vallées — tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous !
Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que dis-tu ? — Demain, la guerre !

[p. 31] Le directeur n’était pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots nous restent dans la gorge… »

Le drame ne put être joué, la plupart des acteurs et des choristes ayant été mobilisés cinq jours plus tard, comme je le fus.