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Chapitre V.
La vie religieuse

Sur les origines du christianisme en Suisse, l’historien ne dispose que de récits légendaires. Il semble que dès le iiie siècle, la nouvelle doctrine s’introduisit dans la partie occidentale du pays, apportée par des artisans, des marchands et des légionnaires venus de la vallée inférieure du Rhône. Au ive siècle, une communauté chrétienne est établie à Genève, Bâle est déjà le siège d’un évêché, de même que Martigny en Valais. Au ve siècle, ces territoires romanisés sont envahis par les Burgondes, peuplade germanique naguère battue par Aetius et refoulée jusqu’en Savoie, d’où elle s’est répandue sur la Bourgogne actuelle pour y fonder un royaume indépendant. Les Burgondes professent l’arianisme et ne se mêleront avec la population celte et les colons romains que lorsqu’ils auront adopté la religion catholique, au vie siècle.

Cependant, le paganisme fait un retour en force avec la poussée des Alamans, venus du Nord-Est, [p. 142] et qui ne tardent pas à coloniser toute l’actuelle Suisse alémanique. Les Alamans adorent Zin, le créateur du monde, et célèbrent leur culte dans les gorges des montagnes et les cavernes. Leur organisation sociale est nettement plus « démocratique » que celle des Burgondes, grands propriétaires terriens, ou de leurs prédécesseurs romains. Nombre de traits typiques de la démocratie suisse actuelle (particularisme, répugnance à subir l’autorité, goût du service militaire, antiaristocratisme) apparaissent à certains historiens modernes comme des survivances du passé alémanique. À l’exception de la Rhétie (les Grisons d’aujourd’hui) et de l’Ouest resté burgonde, la plus grande partie de la Suisse est donc redevenue païenne au vie siècle. Lorsque les missionnaires Colomban et Gall, venus d’Irlande, visitent vers 610 les environs des lacs de Zurich et de Constance, ils trouvent des idoles de Wotan dans les anciennes églises romaines. Mais grâce à ces moines pèlerins, le christianisme renaîtra de ses vestiges. Par-dessous les coutumes alémaniques-païennes, les apôtres irlandais retrouvent non seulement le catholicisme de Rome, mais un fonds celtique plus ancien qui leur est congénial, et sur lequel ils appuieront leur effort d’évangélisation, en sorte que le christianisme, en Suisse, sera le dernier rejeton de la « civilisation de Iona » comme dirait Arnold Toynbee.

Sur la tombe de Gall s’édifie au viiie siècle un monastère qui va devenir le grand foyer de prospérité matérielle autant que spirituelle38 de la Suisse orientale, [p. 143] avec son hôtellerie et ses fermes, ses écoles et leurs centaines d’étudiants, ses œuvres d’art, ses ateliers, son hôpital, et sa bibliothèque de 400 volumes enluminés. Les couvents se multiplient dans tout le pays, et bientôt rivalisent de puissance temporelle avec les grands féodaux : les cantons primitifs devront s’armer contre eux aussi souvent que contre les Habsbourg. L’un des plus fameux est celui d’Einsiedeln, situé en plein cœur de la Suisse primitive, et d’ailleurs continuellement attaqué par les Schwyzois.

Or c’est précisément à Einsiedeln que Zwingli, jeune abbé passionné d’humanisme et « chapelain acolyte » du pape, apprend en 1517 ce qui vient de se passer à Wittemberg : l’affichage des thèses de Luther.

À cette époque, la Suisse alémanique détenait pour la Curie romaine une importance politique et militaire très spéciale, et elle en profitait pour se faire accorder une foule de droits et grâces ecclésiastiques, ce qui peut expliquer en partie la tolérance montrée par Rome, dans les débuts, à l’égard des innovations religieuses de Zurich. L’esprit clérical était prononcé, et ses abus non moins criants qu’en Allemagne. La vie intellectuelle ne s’était éveillée que tardivement, au xve siècle. L’Université de Bâle, fondée en 1460, devenait un foyer d’humanisme avec Érasme. D’autre part, la mystique allemande du sud travaillait les consciences avides d’une religion plus intérieure : c’est ainsi que la secte des Amis de Dieu, dont le centre était à Strasbourg, comptait beaucoup de disciples chez les Suisses : Nicolas de Flue, qui venait de mourir, [p. 144] avait résumé dans sa personne toutes les vertus et les épreuves spirituelles des légendaires « ermites du Haut Pays », vénérés par la secte alsacienne39. Il avait d’autre part montré aux Suisses la voie de cette politique de neutralité dans laquelle Zwingli allait conduire ses compatriotes, en dépit de l’opposition des catholiques, toujours prêts à conclure des alliances étrangères avec Rome, l’empereur, ou la France, pour assurer les droits de leur minorité menacée.

Nous avons retracé plus haut la carrière politique autant que religieuse du réformateur zurichois, sa fin tragique sur le champ de bataille de Kappel. Beaucoup plus que Luther et que Calvin, Zwingli a donné sa forme et son esprit au protestantisme suisse. Les débuts de sa réforme, à Zurich, datent de 1518, lorsqu’il déclare, du haut de la chaire, qu’il se propose d’expliquer la doctrine chrétienne en se basant sur les documents originaux de la Révélation, la Bible et les évangiles. Calvin ne publiera son Institution qu’en 1536, et ne s’installera définitivement à Genève qu’en 1540. Or Genève n’est liée aux Suisses que par quelques traités de combourgeoisie. Elle ne fait pas partie de la Confédération des XIII cantons. Et l’œuvre du réformateur français qu’elle adopte va rayonner dans toute l’Europe, et plus tard en Amérique bien plus qu’elle ne le fera jamais en Suisse. C’est Zwingli qui conduit les protestants lors des premières guerres civiles religieuses. Et ce sont les deux villes [p. 145] soumises à son influence, Zurich et Berne, qui prendront la tête du parti réformé et soutiendront la lutte, souvent sanglante, contre les cantons catholiques du Centre, jusqu’aux débuts du xviiie siècle.

Dès l’époque de Zwingli, le partage de la Suisse entre les deux confessions s’est opéré dans ses grandes lignes. Il variera très peu au cours des siècles suivants. Vainqueurs en 1529, battus en 1531 puis de nouveau en 1656, les cantons protestants finiront par établir leur prépondérance au terme de la « seconde guerre de Villmergen », en 1712 seulement. Et ce n’est qu’après avoir écrasé une dernière tentative séparatiste des catholiques, en 1847 (Guerre du Sonderbund) qu’ils réussiront à établir le régime de paix religieuse sous lequel vit l’actuelle confédération.

Lors du dernier recensement (1941), la population de la Suisse, résidents étrangers compris, offrait la composition confessionnelle que voici :

Nombres absolus pour 1000 habitants
Dans toute la Suisse Villes
Protestants 2 457 242 576 647
Catholiques romains 1 724 205 404 312
Catholiques chrétiens 29 999 7 12
Israélites 19 429 5 12
Autres confessions ou sans confession 34 828 8 17

La proportion de 2/5 de catholiques pour un peu [p. 146] moins de 3/5 de protestants dans l’ensemble du pays n’a guère varié depuis la Réforme. Mais d’importantes modifications se sont manifestées dans la répartition géographique des deux principales confessions. Jusqu’en 1848, théoriquement, et plus tard encore pratiquement, le droit d’établissement était refusé par les cantons aux Suisses d’une confession différente de celle de la majorité. La Constitution fédérale, conçue dans un esprit de réconciliation au lendemain de la guerre du Sonderbund, garantit le libre exercice de tous les cultes dans toute la Confédération et supprima les entraves confessionnelles au libre établissement. Il en a résulté un mélange des confessions tel qu’on ne peut plus parler proprement de cantons protestants, mais seulement de cantons à majorité protestante (la plus forte étant celle du canton de Berne, où l’on ne trouve qu’un catholique pour sept habitants.) En général, le nombre des catholiques augmente plus rapidement dans les cantons naguère protestants, que celui des protestants dans les cantons demeurés presque entièrement catholiques. Cela s’explique en bonne partie par l’attraction qu’exercent les plus grandes villes, autrefois toutes protestantes, cependant que les petits cantons ruraux du centre offrent peu de possibilités à l’immigration.

Cette interpénétration géographique des confessions, à elle seule, suffirait à rendre impossible une nouvelle guerre du Sonderbund dans notre siècle. Mais bien d’autres facteurs ont concouru à l’établissement définitif de la paix religieuse en Suisse. Et tout d’abord, la renonciation totale aux alliances particulières [p. 147] des cantons, soit entre eux, soit avec l’étranger. Les conceptions politiques de Nicolas de Flue et de Zwingli ont ainsi triomphé, au terme de plusieurs siècles de luttes sourdes ou déclarées, et d’intrigues diplomatiques avec les puissances voisines, qui soutenaient les catholiques, ou avec l’Angleterre et la Hollande, qui soutenaient les protestants. Il faut reconnaître aussi que le fanatisme a fait place à un large degré d’indifférence religieuse, tandis que les conflits économiques et sociaux passaient au premier plan et nourrissaient des passions bien différentes. Enfin, certaines restrictions imposées au catholicisme, telles que l’interdiction de fonder de nouveaux couvents et ordres, ou de laisser rentrer les jésuites, ont éliminé des causes traditionnelles d’agitation.

Cet apaisement, cette paix officielle, traduisent-ils une compréhension mutuelle plus profonde ? On peut en douter. Chacun reste sur ses positions et s’y retranche, attentif à ne pas vexer le voisin, mais peu désireux de s’en rapprocher, ou même de perdre les préjugés hérités à son endroit.

Un zèle un peu amer et ambitieux risquerait de troubler la paix, et l’on est prudent. On ne rayonne donc pas. On se respecte à distance et même on s’estime comme des clans. L’esprit contraire le meilleur, le plus compréhensif, existe aussi, plus répandu peut-être que l’autre et en progrès, mais pourquoi a-t-il tant de peine à s’exprimer ?

Le prêtre catholique auquel nous empruntons ces lignes ajoute d’ailleurs aussitôt :

Toutes les constatations moins réconfortantes que l’on peut faire ne doivent pas laisser oublier le fait déjà remarquable que le peuple [p. 148] suisse est acquis au respect effectif des consciences, il ne comprend plus les moyens de pression et de violence en matière de religion. Que nous en soyons arrivés là, en quelques décades, au sortir d’un état de guerre séculaire, montre ce qu’il est permis d’attendre d’un régime de liberté contrôlée, fondé sur la franche reconnaissance des droits de tous.40

L’ignorance mutuelle dans laquelle vivent les différents groupes, tant linguistiques que religieux, ne paraît nullement frapper les Suisses. Bien qu’ils se coudoient journellement, et qu’il existe dans presque chaque bourg de quelque importance des églises des deux cultes, le protestant moyen continue à penser que le catholicisme consiste à mettre des cierges sur un autel, et à cultiver toutes sortes de superstitions ; tandis que le catholique moyen tient le protestant pour un demi-incrédule, prisonnier d’une morale austère. Le plus curieux, c’est que beaucoup de protestants (et quelques rares catholiques) partagent les préjugés du voisin sur leur propre religion. Plus d’un changement de confession s’explique par la découverte subite de réalités spirituelles qui existent en vérité des deux côtés, mais qui revêtent chez l’autre une « nouveauté » frappante.

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Existe-t-il un esprit protestant et un esprit catholique de nuance proprement helvétique ? La question n’est pas sans intérêt, car elle soulève celle des rapports entre le régime fédéraliste et la religion.

La Réforme, en Suisse, fut l’œuvre personnelle de Zwingli, et dans l’ensemble, le protestantisme suisse est resté beaucoup plus zwinglien que calviniste. Non point qu’on lise encore les œuvres du réformateur de Zurich, ni que ses doctrines soient enseignées. Mais il a proposé aux Suisses la forme de religion qui convenait le mieux au tempérament du plus grand nombre d’entre eux. Calvin, dès son arrivée à Genève, s’est heurté à des résistances typiquement suisses, et ne les a jamais surmontées. Les formes liturgiques qu’il préconisait n’ont pas été adoptées. Sa rigueur doctrinale, toute latine, est restée étrangère à un peuple qui se méfie des positions tranchées, des antithèses irréductibles. Son esprit juridique, son souci de bien distinguer les prérogatives de l’Église de celles de l’État, n’ont jamais été bien compris. Le culte zwinglien, au contraire, correspond au « démocratisme » profond et inné dont nous avons vu qu’il se manifeste, en Suisse, par une résistance instinctive à l’égard des titres, des formes et des autorités trop affirmées. Réduit à la prière et au sermon (le choral luthérien et le psaume calviniste n’y sont entrés que plus tard), ce culte paraît d’autant plus pur qu’il est plus dépouillé. Les cérémonies pompeuses, les [p. 150] vêtements ecclésiastiques, les fêtes, les symboles, les hiérarchies, sont taxés d’« hypocrisie »41. L’extrême appauvrissement des formes culturelles, chez les protestants suisses, ne saurait être attribué à la seule influence de Zwingli. Il traduit d’une part la volonté originelle de se distinguer du catholicisme romain, d’autre part une tournure d’esprit positive et volontiers simpliste, une horreur congénitale de la rhétorique sous toutes ses formes, un égalitarisme intransigeant, et aussi une pudeur profonde. Le Suisse est plus naturellement porté qu’aucun autre Européen à traiter de « singerie » toute expression tant soit peu spontanée de la ferveur religieuse, et toute dévotion publique lui paraît « théâtrale ». Ce n’est pas que le sentiment, ni même le sentimentalisme, soit absent des cérémonies les plus dépouillées qu’il tolère : le mouvement du Réveil, dans la première moitié du xixe siècle, a doté les églises suisses de cantiques anglo-saxons aux rythmes tantôt allègres, tantôt traînants et nostalgiques, et d’un vocabulaire mystique (« patois de Chanaan ») dont l’habitude seule fait oublier le manque de sobriété.

L’organisation des églises protestantes est calquée sur la structure fédéraliste du pays. Elle est presbytérienne, comme l’autre est collégiale. Liées à l’État, ou libres et vivant des dons des fidèles, les églises [p. 151] forment des unités cantonales, gouvernées par des synodes régionaux. L’autonomie de la paroisse reste considérable, sous la direction du pasteur assisté par un « conseil d’église ». Il en résulte que « l’Église suisse » comme telle n’existe guère, n’est qu’une fédération assez lâche d’Églises cantonales, et pourrait difficilement prendre une décision qui l’engage tout entière. On comprendra dès lors qu’il n’y ait pas en Suisse de parti politique protestant.

Il existe au contraire un parti catholique, nombreux et discipliné, de tendance conservatrice42 et « fédéraliste ». (Précisons une fois de plus que l’adjectif évoque généralement en Suisse non pas le lien fédéral, mais l’autonomie des cantons. Chez certains auteurs, comme Ramuz, il devient presque synonyme de séparatiste.) Alors que les églises protestantes, de par leur structure même, sont non seulement décentralisées, mais antiunitaires — ce qui n’empêche pas que les partis centralisateurs se recrutent surtout dans les villes protestantes — l’Église catholique est « fédéraliste » pour des raisons historiques bien déterminées, mais qui ne sont pas dictées nécessairement par sa doctrine. Du point de vue de l’organisation, elle est unitaire, comme ailleurs. Ses diocèses dépendent de Rome. Du point de vue politique, elle défend la traditionnelle liberté des cantons, car elle y voit la garantie la plus certaine de ses droits contre les empiètements éventuels du pouvoir central, institué en [p. 152] 1848 et contrôlé jusqu’à nos jours par la majorité protestante. Il convient d’ajouter toutefois que l’attitude des théoriciens du parti catholique n’est pas seulement inspirée par le statut minoritaire de leur confession. Il existe une doctrine catholique spécifiquement suisse de l’État et du fédéralisme, illustrée par les œuvres de A.-Ph. de Segesser et de Gonzague de Reynold : elle rejoint d’ailleurs sur bien des points essentiels la pensée éthico-politique des auteurs protestants les plus influents du xixe et du xxe siècle, Alexandre Vinet, Hilty, Emil Brunner, voire Karl Barth. Les uns et les autres s’accordent sur une définition de l’homme à la fois libre et solidaire, sur une conception de la « liberté d’obéissance » aussi éloignée de l’individualisme sans frein que des fausses disciplines totalitaires, et sur une doctrine de l’État qui prévient l’extension illimitée de ses pouvoirs et sauvegarde la pleine autonomie de l’Église. Ils s’accordent aussi pour préférer à l’idéologie démocratique les libertés concrètes du citoyen, inséparables de ses responsabilités sociales et spirituelles.

Le fédéralisme, au sens complet du terme cette fois-ci, constitue donc le commun dénominateur de la pensée catholique et de la pensée réformée dans le domaine politique, si bien qu’il n’existe pas en Suisse d’antagonismes profonds et essentiels quant à la doctrine de l’État, ni d’écoles ou de factions irréductibles, comme celles dont les luttes séculaires ont déchiré tant d’autres nations européennes.

Toutefois, en dépit de la quasi-unanimité des plus grands penseurs chrétiens du pays, l’État et la [p. 153] vie politique depuis un siècle, n’ont cessé de se séculariser. Aux causes générales de ce phénomène, qui agissent dans toute la civilisation occidentale, s’ajoute en Suisse une cause historique très précise. Les fondateurs de la Confédération moderne, c’est-à-dire les radicaux, ont été conduits par le souci d’éliminer le plus possible l’influence politique des confessions : souci bien compréhensible, puisqu’ils sortaient d’une guerre civile d’origine religieuse, et que le conflit religieux, depuis des siècles, par les prétextes qu’il offrait à l’intervention étrangère, constituait une menace permanente pour la solidité du lien confédéral.

Les Suisses ne sont pas anticléricaux, pour la raison que le cléricalisme a depuis longtemps disparu de leur vie publique. Mais dans la partie protestante de la population subsistent une certaine répugnance à l’endroit des interventions spectaculaires de l’Église ou de ses ministres, un goût de la sobriété, une self-consciousness spirituelle, qui ont pour effet de rendre la religion presque invisible dans les manifestations publiques, et fort timide dans ses revendications politiques ou sociales. Cependant, bien que l’État demeure officiellement laïque, il ne l’est plus d’une manière agressive, ou même volontaire. L’action individuelle d’hommes politiques chrétiens, sensible dans plus d’un domaine, n’est pas entravée par l’opinion publique ou les partis, bien au contraire. Et si la religion n’est présentée dans les discours officiels que sous l’espèce de clichés que l’on ressort pour les grandes occasions, elle ne cesse d’inspirer, consciemment ou non, la morale civique, l’activité philanthropique, [p. 154] certaines lois sociales, et de brider par des scrupules sincères le matérialisme assez épais qui menace les Suisses dans leur prospérité.

Une seule exception mérite d’être signalée à la règle laïque, gage de la paix confessionnelle : c’est l’institution du « Jeûne fédéral », jour fixé pour la repentance et l’action de grâces nationale, et que l’on célèbre par la publication et la lecture de « mandements » officiels, généralement rédigés par les églises. Elle est devenue prétexte à des « menus de Jeûne » fort abondants, qu’annoncent les meilleurs restaurants.

La religion des Suisses ne saurait être mesurée à ses manifestations extérieures. Plus morale que rituelle, et plus théologique que mystique, c’est dans une œuvre comme la Croix-Rouge ou dans le rayonnement mondial de la pensée d’un Karl Barth qu’elle témoigne de sa véritable nature ; ou encore, d’une manière plus diffuse et collective, dans un certain sens de la solidarité humaine, dans l’équilibre des institutions qui en résultent, — dans la paix helvétique.