1.
« Tout s’est senti périr »

Provoqué par un court-circuit entre tensions nationalistes accumulées depuis un siècle, l’incendie de 1914 ne fut éteint, provisoirement, qu’avec l’aide des Américains et de forts contingents recrutés en Asie, en Australie et en Afrique. Appelés à nous tirer de nos décombres, ils le firent, librement ou non, puis s’en retournèrent chez eux, sans insister, mais édifiés sur notre compte. D’une expérience durement acquise de la réalité européenne, les uns conclurent qu’ils pourraient désormais s’approprier nos forces matérielles et certains de nos principes politiques, quitte à les retourner contre nous profitant de nos faiblesses morales et de nos désunions passionnées : ainsi pensèrent aussi les Soviétiques ; d’autres conclurent que le nationalisme, cause de nos ruines, devait être enfin surmonté, mais à l’échelle de l’arbitrage mondial, c’est-à-dire à l’échelle des troubles que l’Europe venait de fomenter.

Quant aux hommes politiques européens, loin de croire au Monde, à ses menaces, à ses besoins et aux mesures requises pour y répondre, donc loin de mesurer l’ampleur de notre crise, ils marquèrent leur « victoire » par des Traités qui devaient aggraver les causes du mal. L’Europe ne comptait en 1914 pas moins de vingt nations souveraines. Après les Traités de Versailles, Trianon et St-Germain, elle en compta trente et une (plus deux territoires internationaux) redessinées ou inventées selon les principes les plus contradictoires (et les mieux dénoncés par Renan et par Nietzsche) d’un nationalisme scolaire. Le problème des colonies ne fut pas posé : elles ne se révoltaient pas encore. On se [p. 312] borna donc à les donner en prime aux nations déclarées victorieuses en Europe ! Les yeux tournés vers un xixe siècle dont ils poussaient jusqu’à l’absurde les idéaux nationalistes, obstinément aveugles aux réalités mondiales, les auteurs des Traités posèrent ainsi les bases de l’échec de la Société des Nations et du succès des entreprises totalitaires, d’où devait résulter la Deuxième Guerre mondiale.

Paul Valéry les juge ainsi :

L’Europe avait en soi de quoi ordonner à des fins européennes le reste du monde. Elle avait des moyens invincibles et les hommes qui les avaient créés. Fort au-dessous de ceux-ci étaient ceux qui disposaient d’elle. Ils étaient nourris du passé ; ils n’ont su faire que du passé. Ses querelles de clocher ont fait perdre à l’Europe cette immense occasion dont elle ne s’est même pas douté en temps utile qu’elle existât. Napoléon semble être le seul qui ait pressenti ce qui devait se produire et ce qui pourrait s’entreprendre. Mais il venait trop tôt ; les temps n’étaient pas mûrs, ses moyens étaient loin des nôtres. On s’est remis après lui à considérer les hectares du voisin et à raisonner sur l’instant. Les misérables Européens ont mieux aimé jouer aux Armagnacs et aux Bourguignons que de prendre sur la terre le grand rôle que les Romains surent prendre et tenir pendant des siècles dans le monde.266

Mais dans le même temps, quelques penseurs d’un type nouveau essayaient de regarder la réalité de l’Europe, négligée par les réalistes. Tenant compte à la fois de l’histoire, de la sociologie, des arts, des sciences nouvelles, de la morale et de la politique, ils tentaient d’estimer nos chances. Ils les jugeaient avec raison fort compromises. Et comme ils sentaient bien que ni les hommes politiques ni les masses ne les écouteraient, ils se donnaient le luxe de prévoir le pire, surcompensant par une lucidité désespérée le cynisme et la naïveté qui dominaient en fait l’évolution de l’histoire.

Le premier d’entre eux fut Spengler.

Il est remarquable que le titre du grand ouvrage d’Oswald Spengler (1880-1936), ait été trouvé par l’auteur dès 1912 : Le Déclin de l’Occident. Le sentiment de notre décadence aura donc précédé chez les meilleurs esprits cet événement que nos hommes politiques, même après coup, ne surent pas enregistrer.

[p. 313] C’est à ce titre que Spengler doit le plus clair de sa célébrité, dans un public immense qui souvent ne l’a pas lu, mais qui sait que Spengler est célèbre et qu’il prévoit notre déclin. Qu’en est-il, en réalité, de ce livre qui a fait époque ?

Par son recours effervescent aux analogies planétaires et millénaires, portant sur les formes d’art les plus variées et sur les civilisations les plus lointaines, il continue Vico et le romantisme allemand, et préfigure le Musée imaginaire d’André Malraux. Par son recours à la comparaison des lois cycliques de formation, d’essor, d’apogée et de déclin des cultures et des civilisations, il continue Hegel et préfigure Toynbee. Son grand livre est en somme une utopie fondée sur le passé et le présent. Ses exemples sont contestables, surtout quand il les tire d’une actualité que nous voyons déjà périmée. (Il déclare, en 1917, que la peinture de plein air — alors « moderne » — « n’est pas faite pour le peuple » ; or c’est elle justement que le « peuple » aujourd’hui tient pour la vraie peinture et oppose à l’art abstrait.) D’une entreprise aussi vaste que la sienne, qui se donne d’innombrables possibilités de « vérifier » ses thèses par des exemples prestigieux — soit que chacun les connaisse, ou que l’auteur soit le premier à les signaler — retenons un style de pensée qui a fait école, et un parti pris pessimiste qui a fourni ses références à toute une époque. Ses entrevisions d’un avenir césarien, noyant le pouvoir de l’argent dans le « sang », c’est-à-dire dans une éruption des forces instinctives et de la volonté de puissance ont été réalisées par Hitler beaucoup plus tôt qu’il ne le pensait, et c’est fini. Mais Spengler reste un des témoins les plus sincères et importants de l’aventure occidentale au xxe siècle.

Ses deux maîtres sont Goethe et Nietzsche. Au premier, il emprunte (abusivement peut-être) une théorie organiciste de la culture : chaque culture serait comparable à une plante, à un animal, et donc destinée à mourir après avoir porté ses fruits. Du second il retient une manière de regarder en face les catastrophes et d’aimer le destin qu’on ne peut infléchir. Mais pour autant, il ne veut pas renoncer au mythe faustien de l’individu actif et créateur… Voici deux pages qui illustrent bien les thèmes centraux de cet énorme ouvrage.

Organicisme : comme les nations, selon Hegel, les cultures selon Spengler doivent réaliser leur idée formatrice, épanouir leur vocation, puis disparaître :

[p. 314] Une culture naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l’état psychique primaire d’éternelle enfance humaine, forme issue de l’informe, limite et caducité sorties de l’infini et de la durée. Elle croît sur le sol d’un paysage exactement délimitable auquel elle reste liée comme la plante. Une culture meurt quand l’âme a réalisé la somme entière de ses possibilités sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d’arts, d’États, de sciences, et retourne ainsi à l’état psychique primaire. Mais son être vivant, cette succession de grandes époques qui marquent à grands traits précis son accomplissement progressif, est une lutte très intime et passionnée pour la conquête de l’idée sur les puissances extérieures du chaos et sur l’instinct où ces puissances se sont réfugiées avec leur rancune. Ce n’est pas seulement l’artiste qui lutte contre la résistance de la matière et contre la destruction de l’idée en lui. Chaque culture se trouve dans un rapport profondément symbolique et quasi mystique avec la matière étendue, avec l’espace où elle veut, par lequel elle veut se réaliser. Quand le but est atteint et l’idée achevée, quand la quantité totale des possibilités intérieures s’est réalisée au-dehors, la culture se fige brusquement, elle meurt, son sang coule, ses forces se brisent — elle devient civilisation. C’est ce que nous sentons et entendons par les mots égyptianisme, byzantinisme, mandarinisme.

C’est le sens de tous les déclins dans l’histoire — le sens de l’accomplissement intérieur et extérieur, celui de la fin qui menace toutes les cultures vivantes ; — parmi ces déclins, le plus distinct, celui de « l’antiquité », s’étale à grands traits sous nos yeux, tandis qu’en nous et autour de nous, nous suivons clairement à la trace les premiers symptômes de notre événement, absolument semblable au premier par son cours et sa durée et appartenant aux premiers siècles du prochain millénaire, le « déclin de l’Occident ».267

Amor fati : si tu veux prévenir le désastre, il te reste à comprendre sa loi ; mieux même : à la vouloir, dernier recours de ton étroite liberté :

Une puissance ne peut être détruite que par une autre, non par un principe, et il n’y en a point d’autre contre l’argent. L’argent ne sera dominé que par le sang et supprimé par lui.

Dans l’histoire, ce dont il s’agit est la vie, toujours et uniquement la vie, la race, la victoire de la volonté de puissance, non celle des vérités, des inventions ou de l’argent. L’histoire universelle est le tribunal universel : elle a toujours donné à la vie plus forte, plus complète, plus sûre d’elle-même, le droit à l’existence, dût-il ne pas être un droit pour l’être éveillé ; et elle a toujours sacrifié la vérité et la justice à la puissance, à la race, et condamné à mort les hommes et les peuples qui prisaient les vérités plus que les actes, la justice [p. 315] plus que la puissance. Ainsi le drame d’une haute culture, tout ce monde merveilleux de divinités, d’arts, de pensées, de batailles, de villes, se termine encore par les faits élémentaux du sang éternel qui est, avec le flot cosmique en éternelle circulation, une seule et même chose.

Mais nous, qu’un destin a placés dans cette culture, et à ce moment de son devenir, où l’argent célèbre ses dernières victoires et où son héritier, le césarisme, approche doucement et irrésistiblement, la direction de notre vouloir et de notre devoir — hors desquels la vie n’a pas de sens — est par là même tracée dans un cercle étroitement circonscrit. Nous n’avons pas la liberté de choisir le point à atteindre, mais celle de faire le nécessaire ou rien. Et un problème que la nécessité historique a posé doit se résoudre par l’individu ou contre lui. Ducunt fata volentem, nolentem trahunt.268

Conçu avant la Première Guerre mondiale et terminé en 1917, le livre de Spengler fut en réalité un ouvrage d’anticipation : il révélait les causes des catastrophes à venir. Dès 1919, l’heure a sonné des constatations désolées et des gloses sur la tragédie qu’on vient de vivre, — et l’on pressent qu’elle n’est encore qu’au premier Acte. …

Paul Valéry (1871-1945), en quelques pages du plus haut ton, dresse un premier bilan du désastre subi :

… nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire.

Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie… ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats [p. 316] et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux.

… Ainsi la Persépolis spirituelle n’est pas moins ravagée que la Suse matérielle. Tout ne s’est pas perdu, mais tout s’est senti périr.

Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l’Europe. Elle a senti, par tous ses noyaux pensants qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle cessait de se ressembler, qu’elle allait perdre conscience — une conscience acquise par des siècles de malheurs supportables, par des milliers d’hommes du premier ordre, par des chances géographiques, ethniques, historiques, innombrables.

Alors, comme pour une défense désespérée de son être et de son avoir physiologiques, toute sa mémoire lui est revenue confusément. Ses grands hommes et ses grands livres lui sont remontés pêle-mêle. Jamais on n’a tant lu, ni si passionnément que pendant la guerre : demandez aux libraires. Jamais on n’a tant prié, ni si profondément : demandez aux prêtres. On a évoqué tous les sauveurs, les fondateurs, les protecteurs, les martyrs, les héros, les pères des patries, les saintes héroïnes, les poètes nationaux…

Et dans le même désordre mental, à l’appel de la même angoisse, l’Europe cultivée a subi la reviviscence rapide de ses innombrables pensées : dogmes, philosophies, idéaux hétérogènes ; les trois-cents manières d’expliquer le Monde, les mille et une nuances du christianisme, les deux douzaines de positivismes : tout le spectre de la lumière intellectuelle a étalé ses couleurs incompatibles, éclairant d’une étrange lueur contradictoire l’agonie de l’âme européenne.

… Maintenant, sur une immense terrasse d’Elsinore, qui va de Bâle à Cologne, qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la Somme, aux craies de Champagne, aux granits d’Alsace, — l’Hamlet européen regarde des millions de spectres.

Mais il est un Hamlet intellectuel. Il médite sur la vie et la mort des vérités. Il a pour fantômes tous les objets de nos controverses ; il a pour remords tous les titres de notre gloire ; il est accablé sous le poids des découvertes, des connaissances, incapable de se reprendre à cette activité illimitée. Il songe à l’ennui de recommencer le passé, à la folie de vouloir innover toujours. Il chancelle entre les deux abîmes, car deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre.

S’il saisit un crâne, c’est un crâne illustre. — Whose was it ? Celui-ci fut Lionardo. Il inventa l’homme volant, mais l’homme volant n’a pas précisément servi les intentions de l’inventeur : nous savons que l’homme volant monté sur son grand cygne (il grande uccello sopra del dosso del suo magnio cecero) a, de nos jours, d’autres emplois que d’aller prendre de la neige à la cime des monts pour la jeter, pendant les jours de chaleur, sur le pavé des villes… Et cet autre crâne est celui de Leibniz qui rêva de la paix universelle. Et celui-ci fut Kant, Kant qui genuit Hegel, qui genuit Marx, qui genuit

Hamlet ne sait trop que faire de tous ces crânes. Mais s’il les [p. 317] abandonne !… Va-t-il cesser d’être lui-même ? Son esprit affreusement clairvoyant contemple le passage de la guerre à la paix. Ce passage est plus obscur, plus dangereux que le passage de la paix à la guerre ; tous les peuples en sont troublés. « Et moi, se dit-il, moi l’intellect européen, que vais-je devenir ? Et qu’est-ce que la paix ? La paix est, peut-être, l’état de choses dans lequel l’hostilité naturelle des hommes entre eux se manifeste par des créations, au lieu de se traduire par des destructions comme fait la guerre. C’est le temps d’une concurrence créatrice, et de la lutte des productions. Mais Moi, ne suis-je pas fatigué de produire ? N’ai-je pas épuisé le désir des tentatives extrêmes et n’ai-je pas abusé des savants mélanges ? Faut-il laisser de côté mes devoirs difficiles et mes ambitions transcendantes ? Dois-je suivre le mouvement et faire comme Polonius, qui dirige maintenant un grand journal ? comme Laertes qui est quelque part dans l’aviation ? comme Rosenkrantz, qui fait je ne sais quoi sous un nom russe ?

— Adieu, fantômes ! Le monde n’a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde, qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie, les avantages de la mort. Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive fourmilière ».269

Dans le même temps — à mi-chemin, entre l’année de la rédaction des fameuses lettres de Paul Valéry et l’année de leur publication — une jeune diplomate suisse promis à une grande carrière, mais qui n’a rien encore publié à cette date, Carl J. Burckhardt, écrit à son maître et ami, le poète autrichien Hugo von Hofmannsthal, quelques pages prophétiques sur le destin de l’Europe270 :

Ces semaines en Italie ont modifié pour moi bien des perspectives. À Bologne, quelqu’un m’a dit : « Vous êtes un Européen. » Tandis que ma voiture gravissait le Saint-Gothard, je réfléchissais à ce qu’est un Européen. En êtes-vous un ? Avez-vous le courage d’être aujourd’hui encore — ou de nouveau — un Européen ? N’est-ce pas là un état qui, partout et toujours, relève du passé ? N’était-ce pas l’espoir de la chrétienté de jadis ? Car l’humanisme, l’héritage des Grecs, ont-ils jamais été plus qu’une atmosphère morale, une atmosphère qui ne contraint ni ne lie ?

Peut-être êtes-vous le dernier véritable Européen. Oui, il aurait pu y avoir une Europe, une convergence des essences germano- [p. 318] hispano-italo-slaves avec l’essence slave comme note de basse profonde.

Une fédération ne se conçoit que sous le dénominateur commun d’une forte pensée de base, d’une conviction. Or, elles font défaut. Un danger commun, comme jadis les Turcs ? Rien ne se trouve plus dans la même situation qu’autrefois, dans notre monde multiplement sectionné, chez nos contemporains élevés à l’école du « mais-aussi-en-outre ». Tout est interprété, analysé, résolu, même le danger.

Dans toutes les parties de la monarchie, vos compatriotes ont été gagnés par le nationalisme ; cela avait déjà commencé sous Joseph II. Les sciences naturelles et le romantisme, l’idée romantisée de la Révolution française y ont contribué, indirectement dirigés contre l’Allemagne ; et ce ne sont certes pas les intellectuels autrichiens, ces opportunistes dénués de flair, qui auraient pu entraver ce processus.

Chez nous, en Suisse ? Chez nous, il existe un sentiment persistant des affinités avec l’Allemagne, à l’exclusion de tout nationalisme. Gotthelf, Keller, Meyer, Jacob Burckhardt se sont appliqués à montrer aux Suisses alémaniques qu’ils sont Allemands de par leur nature, mais non politiquement. Mais ils se sont déjà détournés de l’Allemagne des années 48, et n’ont plus rien voulu avoir de commun avec le Reich de Bismarck, modelé en si grande partie sur le prototype français du xviie siècle. Le dernier fédéraliste global, et citoyen d’un monde polyphonique où antiquité et christianisme s’amalgament en un tardif alliage, fut ce citoyen des villes libres, Goethe. Précisément parce qu’il est si réceptif au monde, il est Allemand en un sens qui n’a plus cours. En lui le sanctum Imperium réduit à l’état d’ombre, est devenu une réalité. Quant au message de Herder, c’est précisément contre son esprit que la majorité du peuple allemand, née de la défaite, est en révolte.

On ne peut qu’attendre, et si possible durer plus longtemps que cette période, mais il faudra attendre longtemps que cesse de résonner la note nationaliste. C’est un état d’hypnose, il gagne de plus en plus les esprits autour de lui, tout est toujours simultané, les grandes pensées et les grandes chimères…

Peut-être les progrès de la technique amorceront-ils, dès ce siècle, une sorte d’organisation mondiale. Pour l’instant, il semble néanmoins que le monde croulerait plutôt que l’une des grandes nations européennes renonce à son exigence de primauté. « Les grandes puissances », « le concert des puissances », cela sonne bien, vraiment un concert magnifique. Et avec cela nous sommes depuis longtemps dans la situation des Grecs après les premières victoires romaines, peut-être subirons-nous aussi quelque jour l’occupation. Encore une guerre européenne fratricide, et l’on en sera au point où nous ne pourrons plus que contaminer le reste du monde avec nos miasmes. Sont-ils donc si peu nombreux, les gens capables de lire l’inscription sur le mur que tracent notre art et notre musique actuels ? Si peu [p. 319] nombreux, les gens capables de méditer sur la mort de la mélodie profondément européenne ?

Il n’est pas de retour en arrière possible, rien n’est jamais récupéré de ce qui fut perdu ; mais qui demeurera fidèle et supportera de rester seul, ressuscitera peut-être un jour, en des temps très lointains. C’est là le secret de toutes les Renaissances. Peut-être, après de lourdes défaites et des dévastations, le grain semé germera-t-il à nouveau un jour, dans le sol profondément labouré.

Demeurer fidèle, secret de toutes les Renaissances… Mais les uns veulent être fidèles à l’humanisme libéral, tandis que les autres y voient la source de nos maux. Si nous ne sauvons pas les valeurs de liberté, de tolérance et de libre examen, dit l’un, — si nous ne sauvons pas, au contraire, les valeurs passionnelles, dit l’autre — si nous ne restaurons pas des disciplines rigoureuses et la fixité des doctrines catholiques, dit un troisième, — l’Europe va périr.

Ainsi Thomas Mann (1875-1955) :

Dans tout humanisme il y a un élément de faiblesse qui vient de sa répugnance pour tout fanatisme, de sa tolérance et de son penchant pour un scepticisme indulgent, en un mot de sa bonté naturelle. Et cela peut, en certaines circonstances, lui devenir fatal. Ce dont nous aurions besoin aujourd’hui, ce serait un humanisme militant, un humanisme qui affirmerait sa virilité et qui serait convaincu que le principe de la liberté, de la tolérance et du libre examen n’a pas le droit de se laisser exploiter par le fanatisme sans vergogne de ses ennemis. L’humanisme européen est-il devenu incapable d’une résurrection qui rendrait à ses principes leur valeur de combat ? S’il n’est pas plus capable de prendre conscience de lui-même, de se préparer à la lutte dans un renouveau de ses forces vitales, alors il périra et avec lui l’Europe, dont le nom ne sera plus qu’une expression purement géographique et historique. Et il ne nous restera plus qu’à chercher dès maintenant un refuge hors du temps et de l’espace.271

Or, cet humanisme, précisément, cet idéal européen moderne de la Raison, du Progrès, de la Science et de la Culture, répugne à l’Espagnol « suressentiel et quichottesque » que veut être Miguel de Unamuno (1864-1936). Voici en quelques phrases son argument, ou plutôt son refus d’argumenter, son cri :

En deux mots se résume l’ensemble de ce que l’on demande pour notre pays. Ces deux mots sont européen et moderne. « Nous devons être européens », « nous devons être modernes », « il faut se moderniser », [p. 320] « il faut marcher avec le siècle », il « faut s’européaniser », tels sont ces lieux communs…

Je ne veux d’autre méthode que celle de la passion ; et quand ma poitrine se soulève de dégoût, de répugnance, de pitié ou de mépris, je laisse, débordée par le cœur, parler la bouche et les mots sortir comme ils veulent.

Nous autres Espagnols, dit-on, nous sommes des charlatans fantaisistes, qui farcissons de rhétorique les vides de la logique, qui raffinons avec plus ou moins d’esprit mais sans utilité aucune, qui manquons du sens de l’enchaînement et de la dépendance, des scolastiques, des casuistes, etc., etc. J’ai entendu dire des choses de ce genre d’Augustin, le grand Africain, âme de feu qui s’épanchait en flots de rhétorique, de phrases retorses, d’antithèses, de paradoxes et de subtilités. Saint Augustin fut un gongoriste et conceptiste en même temps. Ce qui me fait croire que le conceptisme et le gongorisme sont les formes les plus naturelles de la passion et de la véhémence.

Le grand Africain, le grand Africain ancien ! Voilà une expression : « africain ancien » qui peut s’opposer à celle d’« européen moderne » et qui vaut autant qu’elle, pour le moins. Saint Augustin est Africain et ancien ; Tertullien aussi. Et pourquoi ne dirions-nous pas : « Il faut s’africaniser à l’ancienne » ou « il faut s’ancianiser à l’africaine » ?

Je reviens à moi-même au bout de deux ans, après avoir voyagé dans divers domaines de la culture européenne moderne et, seul avec ma conscience, je me demande : « Suis-je Européen ? suis-je moderne ? » Et ma conscience me répond : « Non, tu n’es pas Européen, ce qui s’appelle Européen ; non tu n’es pas moderne, ce qui s’appelle moderne. » Et je continue : « Et ce fait de ne te sentir ni Européen ni moderne, ne t’ôte-t-il point ta qualité d’Espagnol ? »

… Avant tout, et pour ce qui me concerne, je dois avouer que plus j’y réfléchis, plus je découvre la profonde répugnance que mon esprit éprouve envers tout ce qui passe pour principes directeurs de l’esprit européen moderne, envers l’orthodoxie scientifique d’aujourd’hui, ses méthodes et ses tendances.

Il y a deux choses dont on parle très souvent, et ce sont la science et la vie. Et l’une et l’autre, je dois avouer, me sont antipathiques.

… L’unique moyen d’entrer en relation vivante avec un autre est le moyen de l’agression ; seuls arrivent à une vraie compénétration, à une fraternité spirituelle ceux qui essaient de se subjuguer spirituellement les uns les autres, que ce soient des individus ou que ce soient des peuples. Quand je tente de mettre mon esprit dans l’esprit de mon prochain, c’est alors seulement que je reçois dans le mien l’esprit de ce prochain. La bénédiction de l’apôtre est qu’il reçoit en soi les âmes de tous ceux qu’il évangélise : c’est la noblesse du prosélytisme.

… J’ai la profonde conviction, pour arbitraire qu’elle soit (d’autant plus profonde que plus arbitraire, car c’est ainsi pour les vérités [p. 321] de foi) j’ai la profonde conviction que l’européanisation véritable et intime de l’Espagne, c’est-à-dire notre digestion de cette partie de l’esprit européen qui peut devenir notre esprit, ne commencera que quand nous aurons essayé de nous imposer à l’ordre spirituel de l’Europe, de lui faire avaler ce qui est nôtre, essentiellement nôtre, en échange de ce qui est sien, quand nous aurons essayé d’espagnoliser l’Europe.272

Ce n’est pas un nationaliste qui parle ici. C’est un homme qui « a désir et besoin de l’âme, et d’une âme substantielle »273. Et c’est l’Europe de la Passion, de l’Esprit le plus subversif, qui rejette par sa bouche l’Europe tiède, humanitaire, occupée à survivre. Hitler tentera de les tuer toutes les deux.

L’essayiste anglais Hilaire Belloc condamne lui aussi le culte de la Science et du Progrès, mais au nom de l’Église et de l’Autorité :

Voici ma thèse : la culture et la civilisation de la chrétienté — qui fut désignée pendant des siècles par le terme général d’Europe — ont été faites par l’Église catholique, rassemblant les traditions sociales de l’empire gréco-romain, et animant l’ensemble de ce grand corps d’une vie nouvelle. C’est l’Église catholique qui nous a faits, qui nous a donné notre unité et toute notre philosophie de la vie, et qui a formé la nature du monde blanc. Ce monde — la chrétienté — surmonta les périls de la barbarie païenne, résistant à ses assauts tant extérieurs qu’intérieurs et à la pression de la grande hérésie qui allait devenir une religion nouvelle : le mahométisme.

À tous les périls, il tint tête, bien que dépouillé de vastes territoires ; il se releva, une fois la tourmente passée, et entra dans la vie nouvelle du Moyen Âge, laquelle atteignit son apogée aux xie et xiie siècles, mais surtout au xiiie siècle : alors nous fûmes vraiment nous-mêmes et jamais notre civilisation ne fut mieux assurée. Mais pour des causes variées (dont la principale fut peut-être le vieillissement) cette grande période montra, dès le début du xive siècle, les signes d’un déclin qui se précipita rapidement durant le xve siècle. La Foi dont nous vivons fut de plus en plus mise en doute, et l’autorité morale dont tout dépendait, contestée. La société chrétienne fut soumise de la sorte à une tension, prolongée, qui la menaçait de disruption ; elle devint toujours plus instable, jusqu’à ce qu’enfin, au début du xvie siècle, se produisît l’explosion si longtemps attendue et redoutée. Selon l’usage courant, ce désastre porte le nom de Réformation.

Dès ce moment, à travers les xvie, xviie et xviiie siècles, jusqu’au xixe, l’unité de la chrétienté ayant disparu et le principe vital dont [p. 322] sa vie dépendait ayant été affaibli et dénaturé, notre culture devint une maison divisée contre elle-même. Cette mauvaise fortune s’accompagna d’un accroissement rapide de la connaissance du monde extérieur, c’est-à-dire de la science et du pouvoir de l’homme sur les choses matérielles, au détriment de la saisie des vérités spirituelles. Ce fut l’inverse de ce qui s’était produit au début de notre civilisation : alors, notre religion avait sauvé le monde ancien à l’instant de périr, et formé une culture nouvelle, quoique obérée par le déclin des sciences, des arts et de la vie matérielle.

L’accroissement de notre savoir extérieur et de notre pouvoir sur la nature ne fit rien pour apaiser les tensions internes déchirant toujours plus notre monde. Le conflit entre pauvres et riches, le conflit entre idolâtries nationales opposées, l’absence de communes mesures et de doctrines invariables les garantissant, nous conduisit, aux débuts du xxe siècle, jusqu’au bord du chaos et à des dissensions entre les hommes menaçant de détruire toute société. Dans cette crise, une seule alternative demeure : la guérison par la restauration de la foi catholique, ou l’extinction de notre culture.274

Cependant, un autre philosophe catholique, Jacques Maritain, tout en dénonçant lui aussi au nom du thomisme les « erreurs » de l’humanisme libéral, entend faire confiance non point à quelque réaction utopique, mais à un nouvel humanisme, à un « humanisme intégral ». À la veille de la Seconde Guerre mondiale, dans une conférence sur le Crépuscule de la Civilisation, il dit sa foi dans les « voies de la liberté et de l’esprit » :

La fatalité qui joue contre les démocraties modernes, c’est celle de la fausse philosophie de la vie qui pendant un siècle a altéré leur principe vital authentique, et qui paralysant du dedans ce principe, leur fait perdre toute confiance en elles-mêmes. Pendant ce temps les dictatures totalitaires, qui pratiquent beaucoup Machiavel, ont confiance, elles, en leur principe, qui est la force et la ruse, et elles risquent tout là-dessus. L’épreuve historique continuera jusqu’à ce que la racine du mal ait été découverte, et du même coup le principe — enfin dégagé dans sa vraie nature — d’une espérance renouvelée et d’une foi invincible.

Si les démocraties occidentales ne doivent pas être emportées, et une nuit de plusieurs siècles s’étendre sur la civilisation, c’est à condition qu’elles découvrent dans sa pureté leur principe vital, qui est la justice, la justice et l’amour, et dont la source est divine, c’est à condition qu’elles reconstruisent leur philosophie politique, et qu’elles retrouvent ainsi le sens de la justice, et de l’héroïsme, en retrouvant Dieu.

Au crépuscule du soir où nous sommes, quelques signes donnent à penser que se mêlent déjà les lueurs incertaines d’un crépuscule [p. 323] du matin. Le redressement spirituel qui s’accomplit depuis quelques années dans notre pays importe à tout l’avenir de la civilisation. Et aussi le développement, dans des parties de plus en plus considérables de la jeunesse française, de conceptions politiques et sociales fondées sur la valeur de la personne humaine.

L’Europe, cependant, est-il trop tard pour l’Europe ? Avec l’Europe d’aujourd’hui, qui oserait espérer en la possibilité d’une nouvelle chrétienté ? — D’abord l’Europe n’est pas isolée, ce n’est pas pour l’Europe, c’est pour le monde entier que le problème de la civilisation se pose maintenant. D’autre part l’important pour chacun n’est pas de savoir ce que fera l’univers, mais ce qu’il a à faire, lui. Le reste viendra par surcroît.

Les États totalitaires n’ignorent pas l’importance de l’unanimité morale ; ils s’efforcent de la procurer, ils ne peuvent y parvenir que par l’intimidation et la contrainte. Ces moyens sont en définitive, à l’égard de l’adhésion interne des cœurs, d’une efficacité douteuse.

La question est de savoir si les peuples des pays encore libres sont capables d’atteindre par les voies de la liberté et de l’esprit une suffisante unanimité morale et de résister aux altérations qui menacent du dedans leur conscience.

Relevons cette formule qu’on retrouve par ailleurs dans plus d’un essai de cette époque : « L’importance pour chacun n’est pas de savoir ce que fera l’univers, mais de savoir ce qu’il fera, lui. » Voilà qui marque la limite existentielle de la valeur des prévisions qu’on vient de citer.

Au reste, qu’il s’agisse des Cassandres modernes (de Thomas Hobbes à Orwell, en passant par Swift, Butler, Spengler et Huxley) ou des grands Utopistes (de Bacon à notre science-fiction, en passant par Thomas Moore, Campanella, Cyrano de Bergerac, Jules Verne et H. G. Wells) la notion même de prévision doit être sérieusement revue. Karl Jaspers, dans un des ouvrages les plus marquants de l’entre-deux-guerres, La Situation spirituelle de notre époque (paru en 1931), a senti cette nécessité, devant le déchaînement des prophètes du néant, annonciateurs de l’hitlérisme. Avant de proclamer que tout est perdu, rétablissons les proportions de notre drame dans la relativité de l’Histoire humaine :

… Comparés aux milliards d’années sur lesquelles s’étend l’histoire de la terre, les six-mille ans de la tradition humaine sont comme les premières secondes d’une nouvelle période de transformation de la planète. Comparée aux milliers d’années qui se sont écoulées, d’après les découvertes paléontologiques, depuis l’apparition de l’homme, la période historique est comme une première ébauche [p. 324] des possibilités qui se sont ouvertes à l’homme, depuis que, ayant surmonté l’inertie d’une pure répétition, il s’est mis en mouvement. Six-mille ans, il est vrai, constituent par rapport à notre existence très limitée une période très longue. Le souvenir nous donne évidemment la conscience de notre vieillesse, nous avons l’impression — aujourd’hui comme il y a deux-mille ans — que la fin de l’histoire est proche : il semble que les meilleures époques sont déjà révolues. Mais à considérer l’histoire de la terre, nous prenons conscience de ce que notre entreprise est encore très limitée et de ce que notre situation n’est que celle d’un premier commencement ; tout se trouve encore en avant de nous ; la rapidité des découvertes techniques qui se succèdent de décade en décade paraît en fournir une preuve infaillible. Mais nous pouvons finalement nous demander si l’histoire tout entière est autre chose qu’un épisode passager de l’histoire de la terre ; l’homme pourrait disparaître et son histoire faire place à une pure évolution géologique de durée indéterminée.

Tout est possible, devant nous : l’épuisement de nos ressources énergétiques, le refroidissement mortel de la Terre, ou air contraire la domination par la technique du mécanisme terrestre et la conquête de l’espace cosmique, offrant à l’homme de nouvelles conditions de vie ; la fin de la culture, ou au contraire le début d’une ère de développement ininterrompu. Certes, nous sommes frappés par les signes négatifs, et nous croyons pouvoir en déduire une loi :

… N’existe-t-il pas une loi obscure qui détermine inexorablement le cours de l’histoire humaine tout entière ? Ne consommons-nous pas lentement une substance qui nous a été léguée par le passé ? La décadence de l’art, de la poésie, de la philosophie n’est-elle pas le symptôme d’un proche épuisement de cette substance ? La dispersion et l’affairement qui caractérisent les hommes d’aujourd’hui, leur comportement social, la façon mécanique dont ils s’acquittent de leurs tâches professionnelles, leur manque de conviction dans l’activité politique, le caractère superficiel de leurs distractions, tout cela n’est-il pas une preuve de ce que cette substance est déjà presque consommée ? Sans doute savons-nous encore quel est l’enjeu de la perte que nous éprouvons au moment même où nous la subissons. Mais dans un proche avenir les hommes ne le saurons même plus, car ils seront devenus incapables de le comprendre.

De pareilles questions et toutes les réponses qu’on peut y faire ne nous font cependant nullement connaître la direction dans laquelle s’engage l’évolution universelle.

Prévoir à partir de tels signes, ou à partir de nos doctrines militantes, peut être une démission de l’esprit mais peut être aussi, et doit être, une décision existentielle :

[p. 325] … Cette prévision descriptive de la totalité, qui se sépare de la volonté agissante, devient une dérobade devant l’action authentique qui commence avec l’action intérieure de l’individu. Nous nous laissons éblouir par le « théâtre de l’histoire du monde » et par les théories qui défendent la nécessité du progrès — qu’il s’agisse du marxisme, pour lequel le progrès doit conduire à une société sans classe — ou de la morphologie de la culture, qui en fait un processus soumis à des lois — ou de la philosophie dogmatique, qui y voit l’extension progressive et la réalisation d’une vérité absolue et définitive…

… Plus le terme sur lequel porte la prévision est rapproché, plus elle est efficace, puisqu’elle incite à l’action ; plus son terme est éloigné, plus elle est vaine, puisqu’elle ne peut plus conduire à l’action. La prévision est une vision prospective par laquelle l’homme qui veut agir réfléchit sur son action ; il ne voit pas le cours des événements sous la forme d’un déroulement inéluctable, mais seulement sous forme de possibilité et c’est d’après cela qu’il s’oriente.

… La prévision n’est jamais un pur savoir mais elle est déjà, en même temps, en tant que savoir, facteur du devenir réel.