Notre Master en Sociologie

Des origines de la prohibition des stupéfiants à la nécessité actuelle de la repenser

3 mars 2016



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Hier soir, l’Institut de recherches sociologiques (IRS) de l’Université de Genève, en collaboration avec le Groupement Romand d’Etudes des Addictions (GREA), a eu le plaisir d’inaugurer son forum de recherche du semestre de printemps 2016, intitulé « Les drogues dans tous leurs états ». Le sujet de cette séance tournait autour de l’histoire de la prohibition des stupéfiants et a fourni au public une perspective comparée des cas français, hollandais, américain et suisse.

Historien travaillant notamment sur l’histoire sociale et culturelle des drogues et des toxicomanies à l’Université Paris Ouest Nanterre, Alexandre Marchant a présenté ses recherches sur l’évolution du contrôle des stupéfiants, tant sur le plan juridique que moral. Il a débuté en parlant des origines de l’interdiction de la drogue, qui concernait alors surtout la consommation de l’opium, de l’alcool, de la cocaïne et de l’héroïne au tournant du 20ème siècle aux Etats-Unis. Suite aux changements juridiques aux Etats-Unis, effectués suite à la médicalisation de la consommation, l’ONU est allé dans une direction similaire en mettant en place des structures afin de contrôler le trafic de la drogue au niveau international. Ensuite, Marchant a retracé le tournant que l’on a pu remarquer lors des années 1960 et 1970 dans la régulation de la drogue, lorsque les Etats-Unis ont déclaré « la guerre à la drogue » sous l’administration du président Nixon. Dès lors, cette guerre va s’opérer en suivant un modèle de criminalisation sévère et en employant une rhétorique anti-addiction afin de lutter contre la toxicomanie.

Quant à la France, le contexte de Mai 68 a joué un rôle considérable dans le discours qu’employaient les membres du parlement français. En effet, le passage à un régime de prohibition fut justifié notamment en accusant les pratiques de consommation de drogues chez les participants des mouvements de Mai 68 d’être une source de dégradation morale du pays

Contrairement aux USA et à la France, les Pays-Bas ont adopté un modèle libéral concernant la prohibition des stupéfiants, notamment à travers la notion de « risque acceptable » chez les usagers de drogue. Ces usagers ont par ailleurs été des locuteurs privilégiés dans la politique hollandaise en matière de stupéfiants. Pour finir sa présentation, fort animée, Marchant a évoqué l’évolution de la prohibition depuis les années 1970 jusqu’à nos jours et a insisté sur ses conséquences à l’échelle internationale. Ainsi, si le système international a choisi d’implémenter le système américain, c’est-à-dire un système répressif où la criminalisation domine, le modèle des Pays-Bas demeure malgré tout libéral, en faisant de la distribution responsable de la drogue une priorité.

Professeure ordinaire de droit pénal à l’Université de Genève et travaillant notamment sur le crime organisé et la corruption, Ursula Cassani est intervenue sur les propos de Marchant, tout en rajoutant une perspective sur l’histoire de la situation juridique suisse. Elle a ainsi fait remarquer que, pour le cas suisse, les décisions concernant la légalité des stupéfiants tiennent très souvent compte du dialogue international. Pour commencer, Cassani a retracé les origines du contrôle de la drogue en Suisse, qui remontent au début du 20ème siècle avec l’interdiction du haschisch. Cependant, la présentatrice a souligné que, sur le plan juridique, le but était « de soigner le toxicomane et non pas de le punir », raison pour laquelle la lutte contre le trafic des stupéfiants s'est doublée d’un soutien médical aux usagers de drogue.

Des années 1990 jusqu’au début des années 2000, l’agenda politique suisse s'est dirigé vers la lutte contre le crime organisé ainsi que vers une remise en question de la répression juridique envers les usagers de drogue. Cassani a conclu sa présentation captivante en parlant du futur de cette législation, en insistant fortement sur la nécessité de repenser à la fois la logique de l’interdiction des stupéfiants et son application actuelle à l’intérieur de la Confédération Helvétique.

Ces présentations complémentaires et les discussions qui en ont résulté ont constitué une perspective historique sur les efforts et stratégies de contrôle de substances mis en place par quatre pays occidentaux. De plus, de part leur excellent aperçu des conséquences et implications sociales de la prohibition, Marchant et Cassani ont suscité l’intérêt pour la thématique des drogues, une thématique dont la pertinence ne fera que croître dans nos sociétés. Pour cette raison, l’IRS et le GREA vous invitent à prendre connaissance de la suite du programme prometteur de ce forum et espèrent vous voir nombreux aux prochaines conférences qui se suivront au cours du semestre. Retrouvez ici le programme du forum dans son intégralité.

Par Michael Deml (étudiant du Master en sociologie, Unige)



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