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La fin de la guerre à la drogue...et le traité de paix ?

18 mai 2016



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Source : Agencia de Noticias UN, agenciadenoticias.unal.edu.co

Olivier Guéniat, criminologue et Chef de la Police Judiciaire du Canton de Neuchâtel, a débuté la session du 27 avril du forum de recherche sociologique en prenant la parole sur la question des enjeux actuels des politiques en matière de drogue en Suisse. Le questionnement guidant sa présentation tournait autour de la nécessité de remettre en question la réglementation et le contrôle des drogues et des stupéfiants.

La première partie de sa communication consistait en la réfutation de l’argumentation promue en faveur du modèle prohibitif. Guéniat a alors défendu le besoin évident de passer à un autre modèle concernant la distribution de la drogue. Pour cela, il a évoqué deux modèles possibles : soit un modèle où l’Etat aurait un monopole total sur l’offre des stupéfiants, soit un autre où les pouvoirs publics détourneraient les consommateurs de l’offre illicite en réglementant le marché des substances.

Il a soutenu cette position en donnant de nombreuses raisons pour lesquelles le modèle de la prohibition ne peut pas fonctionner. Premièrement, le marché illicite actuel est insaisissable au niveau du contrôle policier car les organisations criminelles ont bien appris à minimiser leurs risques en contournant les obstacles imposés par le pilier répressif. Deuxièmement, les organisations criminelles n’opèrent plus en employant des structures pyramidales ; cela ne serait plus que des groupes ad hoc et disparates qui, une fois arrêtés, se font remplacer par d’autres vendeurs. Le criminologue a expliqué ce phénomène : « C’est là qu’il faut trouver la principale raison de l’échec du modèle prohibitif ou répressif sur les marchés de consommation, son incapacité à lutter contre un ou quelques adversaires, mais bel et bien contre un multitude de micro-entités indépendantes les unes des autres ».

Ayant critiqué, de manière convaincante, le modèle répressif sur le contrôle des stupéfiants, Guéniat a, dans la deuxième partie de sa présentation, proposé de repenser le paradigme des quatre piliers, un paradigme qui avait jusqu’alors, même d’après ce chef de police juridique, apporté des progrès notoires, surtout en ce qui concerne les toxicomanes. Plutôt d’agoniser sur les questions déjà suffisamment débattues concernant l’importance des espaces sécuritaires vs. l’importance des espaces socio-sanitaires vis-à-vis des stupéfiants, Guéniat a suggéré l’importance du recadrage d’un modèle politique qui se définirait à la fois en termes économiques, politiques et médicaux.

En citant les exemples de l’Uruguay et les Etats-Unis, il a souligné l’impact économique qu’une réglementation sur la consommation des substances pourrait avoir en Suisse. D’abord, Guéniat nous a rappelé le coût de la répression en termes d’incarcération et de contrôle policier : les coûts associés à l’arrestation et à l’emprisonnement des ventes illicites des stupéfiants représentent 500'000'000 CHF par an, soit à peu près 25% des 2'000'000’000 CHF qui sont dépensés au total afin de contrôler le marché illicite global en Suisse. De surcroît, il a avancé que, si la Confédération Helvétique faisait des ventes illicites des stupéfiants des ventes légitimes et imposables, l’Etat pourrait ainsi gagner des revenus qui éventuellement partiraient dans les efforts de prévention.

En plus de la reconsidération de la demande des drogues et de la réglementation étatique des stupéfiants, Guéniat a souligné à juste titre que « le seul moyen de faire des progrès en matière de consommation de drogues est de diminuer la demande », et ceci par des efforts de prévention et par la substitution du marché illicite. Cette argumentation assez complexe a abouti à une proposition déjà évoquée ailleurs et dans d’autres contextes : l’importance de la médicalisation des stupéfiants, ce qui serait la seule solution viable d’après ce chef de police impliqué et investi dans ces débats.

Suite à la communication de Guéniat, l’Institut de Recherches Sociologiques (l’IRS) de l’Université de Genève et le Groupement Romand d’Etudes sur les Addictions (le GREA) ont eu le plaisir d’accueillir deux autres intervenants, Jean-Felix Savary, Secrétaire Général du GREA et Samia Hurst, Professeure Associée et Directrice de l’Institut Ethique Histoire Humanités, qui ont commenté les propos du criminologue.

Citant la U.N. General Assembly récente à New York sur le « world drug problem », Savary a pu en effet signaler la fin apparente de la guerre à la drogue. Cela dit, on devra, d’après lui, être prêt à prendre des risques en sortant du modèle répressif et en passant à un modèle de réglementation. Il faudrait donc être préparé pour les conséquences politiques et sociales d’un tel changement. Tout ceci en étant attentif aux questions autour des citoyens usagers ou consommateurs de drogues, mais en même temps, en étant sensible au points de vue des policiers qui seraient impliqués dans la mise en place d’un tel changement.

Suivant ces propos, Hurst nous a apporté son regard d’éthicienne sur ces questions.  Elle nous a rappelé, comme l’ont fait les autres intervenants, que la fin de la guerre à la drogue n’équivaut pas la fin du problème, mais plutôt l’ouverture vers d’autres problématiques et possibilités. Pour cela, elle nous a encouragés de questionner les conséquences de nos intuitions « morales » ou « viscérales », qu’elles soient « bonnes » ou « mauvaises ». Ceci afin de reconnaître le profil de valeurs guidant nos réflexions sur les stupéfiants pour, même si elle s’avère être imparfaite, trouver la meilleure solution pour sortir du modèle de la répression de la drogue.   

Guéniat, Savary et Hurst ont chacun soulevé des points essentiels à comprendre dans le débat autour du régime du contrôle des drogues. Ils semblaient être d’accord, surtout suite au meeting des Nations Unies à New York, sur le constat que le moment de la fin de la guerre à la drogue est enfin arrivé. Pourtant, ceci ne signifie pas forcément la clôture de la problématique mais plutôt l’ouverture vers de nouveaux horizons à propos des substances illicites et les comportements qui y sont rattachés. Un regard et une préoccupation pour l’avenir d’un modèle de régulation étatique ont été témoignés par les intervenants et le public présent lors des discussions suite aux communications. En effet, une discussion fructueuse et riche s’est lancée sur les implications concrètes, sociales, économiques et politiques de la question posée par la mise en application d’un modèle de réglementation des stupéfiants. Y aura-t-il de la continuité de l’ancien modèle lors d’une transition ? Ou bien, y aura-t-il plutôt un changement représentatif d’une fracture totale avec ce paradigme de répression ? Si cette guerre à la drogue est terminée, l’heure est maintenant venue de procurer un traité de paix.

Michael Deml (étudiant du Master en sociologie, Unige)

 



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