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L'agentivité des usagers de drogues au coeur de la sortie de la dépendance

4 mai 2016



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L'agentivité des usagers de drogues au coeur de la sortie de la dépendance

Quelle est la signification de la dépendance aux drogues aujourd’hui ? Et comment les politiques publiques se saisissent-elles de cette question dans le contexte helvétique ? Telle sont les questions qui nous ont accompagnées tout au long de cette cinquième conférence du Forum « Les drogues dans tous leurs états » et auxquelles Marc-Henry Soulet, professeur à l’Université de Fribourg, nous a apporté ses réflexions.

Selon Marc-Henry Soulet, les politiques sociales contemporaines dans le champ de la toxicodépendance ont bien évoluées, tant au niveau de la signification de la dépendance aux substances sur laquelle elles se basent, qu’au niveau de la manière dont elles mettent concrètement en place des mesures d’accompagnement pour les personnes dépendantes. « On reconnaît que la dépendance est un fait et non pas un fléau », comme nous l’explique Soulet. D’une centration sur les produits et leur dangerosité, il s’est opéré un déplacement vers l’abus de la consommation des substances, rendant ainsi dans ce même mouvement l’idée d’une consommation de drogues raisonnable comme possible.

Au lieu de réprimer la consommation, les mesures de réduction de risques ont acquis une certaine forme de légitimité et de reconnaissance, au point que, l’abstinence n’est alors plus perçue comme l’unique moyen de sortie de la dépendance et qu’il est donc possible de continuer à consommer tout en sortant de la dépendance. Il ne s’agit ainsi plus d’arrêter sa consommation de drogues mais d’en retrouver un usage maitrisé. Dans cet accompagnement à la sortie de la dépendance, il est également reconnu, et c’est un deuxième point central selon Soulet, que le consommateur n’est pas un acteur qui subit, mais qu’il peut au contraire faire quelque chose pour s’en sortir, qu’il a une capacité d’action et donc une agentivité. Telle est l’idée sous-jacente de toutes politiques sociales qui met au cœur de son action le concept de vulnérabilité. En effet, selon Soulet, ce concept suppose d’une part d’agir sur le contexte en guise de prévention, afin de protéger les populations cibles de ces politiques, tout en supposant d’autre part que ces personnes ont la responsabilité d’agir pour que la menace ne survienne pas. Sous ce rapport, il convient alors de se demander de quelle nature est cette agentivité et ce qu’elle implique au niveau des mesures d’accompagnement.

Leur agentivité se caractérise selon Soulet par le fait qu’il s’agit d’un agir faible, un concept à différencier de la notion d’acteur faible, car il met l’accent sur les propriétés du contexte et non de l’individu. Cet agir serait faible car les usagers de drogues dont la consommation est problématique se retrouveraient dans des situations complexes et difficilement interprétables, où les buts de la sortie de la dépendance de même que les ressources pour y arriver sont difficilement identifiables. Leur agir n’est donc en soi pas directement transformateur de la situation. Les usagers de drogues doivent par conséquent avant tout opérer un travail réflexif sur eux-mêmes afin de redonner un sens à la sortie de la dépendance. Ce travail suppose pour l’usager de se repositionner dans le monde, de mettre en cohérence son passé et ce qu’il souhaite pour son futur, et de renégocier les limites de ce qui est considéré comme un mode de consommation légitime et acceptable.

Prendre cela en compte suppose donc, en matière d’accompagnement à la sortie de la dépendance, de considérer les usagers de drogues comme des apprentis, capables de capitaliser sur leurs expériences passées, comme des acteurs, en mesure d’agir afin de sortir de la dépendance, et, finalement, comme des auteurs, car attribuant un sens à leur vie et donc à leur consommation de drogues. Saisir ces différentes dimensions des usagers de drogues est ainsi vitale selon Marc-Henry Soulet, dès lors que l’on cherche à mettre en place des politiques d’accompagnement efficaces visant à leur redonner une maitrise de leur consommation.

Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction en France, était présent pour discuter la présentation de Marc-Henry Soulet. Psychologue clinicien travaillant depuis plusieurs années dans le domaine des addictions, il a ainsi permis d’apporter des éclairages complémentaires sur la question de la sortie de la dépendance à partir de sa propre expérience de praticien. Tout en trouvant beaucoup d’échos entre son expérience et les propos de Soulet, Couteron a tout de même souhaité mettre en évidence deux paradoxes concernant l’intervention des professionnels auprès de consommateurs de drogues en situation de dépendance. Un premier paradoxe prend source dans les contradictions entre ce qu’on demande aux personnes dépendantes, à savoir ne pas être dans l’excès, et la société actuelle qui, selon lui, a tendance à valoriser les conduites excessives. Couteron se demande ainsi si la question ne devient pas alors, non pas comment ne pas être dans l’excès, mais comment bien gérer son excès. Le deuxième paradoxe concerne plus directement l’accompagnement de l’usager de drogues par les professionnels. Couteron est en effet convaincu que le changement ou la sortie de la dépendance ne se fait pas de manière brusque ou totale, mais qu’il s’agit plutôt, selon ses termes, d’une « sommation de petits changements », dans « un jeu de construction de petites réussites et de petits échecs ». Tout le défi consiste donc dans le fait de trouver un accompagnement qui ne repose pas sur un tout ou rien, qui autorise les ratés, de manière à ce que ceux-ci, qui sont inévitables, ne fassent pas s’écrouler tous les efforts entrepris en vue d’une sortie de la dépendance.  

En définitive, la question de la dépendance aux drogues et de sa sortie soulève donc toute une série de défis pour les politiques de santé de demain, dont les enjeux cruciaux tourneront probablement autour de la place accordée à une subjectivation progressive de l’usager de drogues dans son chemin vers la sortie de la dépendance. Comment donc réhabiliter le pouvoir d’agir des consommateurs de drogues et penser l’usage de drogues de demain, dans sa définition comme dans ses politiques ?

Par Loïc Pignolo et Ndéye Ndao (étudiante du Master en sociologie, Unige)



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