Notre Master en Sociologie

Les médias, accusateurs ou sauveurs ?

24 mars 2016



 

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Tous droits réservés : Léa Froustey, http://lesdrogues.over-blog.com/2015/02/la-drogue-c-est-quoi.html


Les médias, accusateurs ou sauveurs ?

Cette semaine, Audrey Arnoult, spécialiste en communication au sein du laboratoire ELICO (Equipe de recherche de Lyon en science de l’information et de la communication) de Lyon est intervenue dans le cadre du cycle de conférences « Les drogues dans tous leurs états ». Dans le cadre de cette conférence, Audrey Arnoult a abordé la représentation dans les médias de l’adolescent consommateur de drogue et de ses usages, en s’appuyant sur sa thèse en science de l’information et de la communication qu’elle a soutenue en 2011. Sa thèse portait sur la médiatisation des troubles liés à l’adolescence, et plus spécifiquement autour des questions de drogue, d’alcool, de suicide et d’anorexie, dans la presse quotidienne nationale française de 1995 à 2009. Son corpus de données était ainsi constitué de 72 articles publiés entre le 1er janvier 1995 et le 11 mars 2009 dans cinq quotidiens nationaux français, soit : Le Monde, La Croix, Libération, Le Figaro et l’Humanité.

Audrey Arnoult a donc porté son analyse sur la médiatisation de la consommation de substances psychoactives, une conduite considérée comme une transgression juridique depuis la loi du 31 décembre 1970 en France. Loi qui est toujours en vigueur et qui suscite régulièrement des débats notamment concernant la dépénalisation du cannabis. Considérant, dans une posture constructiviste, que les journalistes sont des acteurs sociaux qui mettent en visibilité et en lisibilité le monde social, il s’agissait pour elle, non pas de chercher à savoir quelle influence les médias ont sur les adolescents, mais plutôt de comprendre quelle représentation les discours médiatiques construisent de la consommation de drogue chez les adolescents.

Son analyse et la comparaison des quotidiens étudiés lui ont permis de mettre en lumière des différences importantes dans les représentations véhiculées par les discours médiatiques. Alors que certains médias abordent la toxicomanie à travers une approche centrée sur le produit, la drogue, vu comme dangereux et toxique, à contrario, d’autres quotidiens favorisent une approche centrée sur le comportement en rappelant qu’il existe une vulnérabilité individuelle. De plus, les perceptions de la consommation évoluent à travers le temps. Dans les années 1970, la toxicomanie est considérée comme un fléau contre lequel il faut lutter. C’est dans ce contexte que va être votée la loi du 31 décembre 1970 qui pénalise l’usage privé de substances psychoactives, quelque soit la drogue ou les modalités de consommation. A cette époque, on pense que consommer des substances psychoactives conduit automatiquement à la toxicomanie.

Ce modèle sans drogue va être remis en cause dans les années 1980-1990 avec l’apparition du Sida. Il devient alors nécessaire de prévenir les risques encourus par les toxicomanes avec la mise en place d’une politique de réduction des risques. Le toxicomane va être perçu comme une personne malade et non plus comme une personne déviante. A partir de ce moment là, les médias vont commencer à avoir une approche centrée sur le comportement, d’autant plus à partir de 1998, lorsqu’un rapport montre que la consommation du cannabis est moins nocive que celle du tabac. Dans le champ scientifique, l’approche centrée sur le produit va laisser place à une approche centrée sur le comportement en s’intéressant au rapport du consommateur avec la substance. Et on retrouve cette ligne de lecture dans la manière dont les médias vont construire une représentation de la consommation de cannabis chez les adolescents.

Sylvie Arsever, journaliste indépendante qui a travaillé pendant plusieurs années sur la problématique des drogues, est intervenue sur les propos d’Audrey Arnoult. Elle est revenue sur le changement de perception des médias et sur le passage à une approche centrée sur le comportement, en avançant que c’est l’évolution d’un problème d’ordre public vers un problème de santé publique qui a permis un discours plus différencié sur les drogues. Ce changement de perception a progressivement amené les médias à accorder une place aux témoignages de consommateurs, ce qui a permis de différencier le regard sur la consommation de drogues et, dans le même mouvement, de revaloriser la personne qui consomme. A travers cette démarche, il s’est produit une légitimation des consommateurs, n’étant plus considérés comme des délinquants. Ceci amène la journaliste à dire que les médias n’innovent pas. Ils ne prennent pas ce risque, car les journaux ont besoin de lecteurs et ils ne peuvent pas se permettre de les choquer. Et il existe un lien entre les discours médiatiques et ce qu’il se passe dans la société, car les médias s’appuient sur les perceptions sociales créées par la société. Quand la réalité change, les discours changent.

Hier l’opinion publique et les médias faisaient couler de l’encre pour sensibiliser la population à la consommation excessive du cannabis chez les jeunes. Aujourd’hui, l’encre coule dans les médias pour sensibiliser l’opinion publique sur la consommation excessive d’alcool chez les adolescents. Et demain ? Est-ce que le combat contre une drogue entre finalement après un certain temps dans une certaine normalisation ? N’y aura-t-il pas toujours une drogue considérée comme plus dangereuse qui viendra « détrôner » la drogue chassée du moment ?

Par Alizée Lenggenhager (étudiante du Master en sociologie à l'Université de Genève)



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