Notre Master en Sociologie

Solidarités intergénérationnelles et circulation du care dans les familles transnationales

25 avril 2018



Solidarités intergénérationnelles et circulation du care dans les familles transnationales

 Mihaela Nedelcu, Discutant : Claudio Bolzman

 

INTRODUCTION

Dans le cadre du Forum de Recherche Sociologique de l’année 2018 se focalisant sur la thématique des vulnérabilités familiales, divers professeurs, doctorants et autres spécialistes de la question sont amenés à présenter leurs recherches et à apporter ainsi des constats, des explications ainsi que des perspectives de réponses à des politiques publiques.

C’est donc sous cet angle thématique que le mercredi 25 avril 2018, la sociologue et professeure à l’Université de Neuchâtel, Mihaela Nedelecu, a été invitée à présenter ses travaux réalisés sur la thématique de la migration, et plus précisément sur le phénomène des familles transnationales et les différentes formes de solidarités intergénérationnelles ainsi que la circulation du care qu’elles – ces familles transnationales – créent.

LA MIGRATION TRANSNATIONALE

Le phénomène de la migration transnationale n’est pas un élément récent. En effet, depuis le début du 20ème siècle déjà, différents travaux de recherches sociologiques du phénomène migratoire montrent, à l’aide de lettres de correspondances retrouvées de migrants polonais à New-York, que les liens de famille à distance ont toujours été présents et caractéristiques du phénomène migratoire en lui-même.

Cependant, de nos jours, il y a de nouveaux éléments qui viennent apporter de nouvelles dimensions à la migration transnationale. On peut ainsi faire l’exemple de l’intensité du phénomène migratoire, qui en 2015 s’élevait à plus de 230 millions de personnes migrantes recensées sur la surface de la planète, soit près de 3,2 % de la population mondiale. Un nouvel élément qui vient s’ajouter au phénomène de la migration est la révolution numérique qui, de par les technologies qu’elle apporte, permet une ubiquité rendant possible aux migrants de rester en contact de manière quasi quotidienne avec les membres de leur famille restés dans le pays d’origine.

LA FAMILLE TRANSNATIONALE

Afin d’étudier au mieux la famille transnationale, c’est-à-dire les familles qui vivent de manière séparée de façon permanente ou temporaire mais qui malgré la distance géographique continue d’entretenir une certaine unité ainsi qu’un bien-être collectif, il apparaît impératif d’observer les transformations de la structure de la famille, ainsi que les transformations de la structure de la migration même.

Dans le cas de la famille, on a mis l’accent sur 3 approches :

−     1ère approche : Approche en termes de processus. La famille est pensée comme un processus dynamique construit à travers des relations et des modèles de communication.

−     2ème approche : Approche en termes de configuration. Il s’agit de rendre compte de la grande diversité de la configuration et des réseaux familiaux relatifs aux divers changements de la famille contemporaine.

−     3ème approche : Approche s’appuyant sur la place renouvelée des aînés. Il s’agit de reconnaître le rôle actif des grands-parents mais également les aspirations de bien-être dans le cycle de vie des familles.

La sociologie de la famille n’a pas mise en avant jusqu'au début des années 90, la thématique des familles transnationales. Aujourd’hui cette thématique, qui est à mi-chemin entre la sociologie de la migration et la sociologie de la famille, est reconnue et les liens de familles sont véritablement considérés comme des éléments d’analyse.

Ainsi donc, la famille transnationale (FTN) s’apparente maintenant à une notion qui met l’accent sur la dispersion et l’unité malgré la dispersion. Elle constitue, par essence, une entité relationnelle, multi-locale et multi-située qui fonctionne à la croisée de multiples mobilités et formes de sédentarismes.

Pour faire l’analyse de la FTN, il faut ainsi dépasser la géographie de la famille et plutôt s’intéresser à la géographie de la dispersion ainsi qu’à la dynamique adaptative de la famille à travers l’espace, mais aussi à travers le temps. Il faut également prendre en compte la diversité des formes de la FTN : il peut s’agir de parentalité transnationale ou encore de parenté transnationale. Quoiqu’il en soit, on met un accent sur le réseau familial dispersé à travers les frontières.

LES SOLIDARITES INTERGENERATIONNELLES

La maternité transnationale fait souvent allusion au phénomène du global care chain (Hochschild, 2000). En effet, les recherches sociologiques montrent comment ces mères séparées de leurs enfants tentent d’accomplir leur fonction de ‘’mère à distance’’, et comme elles participent à la re-définition du sens de ce qu’est d’être ‘’ une bonne mère’’. De plus, les analyses viennent montrer que les enfants issus de ces maternités transnationales tombent dans une situation d’échec scolaire voire même de précarité économique. Bien souvent les mères sont tenues comme responsables alors même qu’elles ne sont pas là.

Conséquences sur le bien-être des membres des FTN 

Bien souvent se sont les membres féminins de la famille qui reprennent le rôle laissé de la mère, par exemple la grand-mère maternelle ou encore la tante.

Les parents left-behind

Le devoir de solidarité des migrants adultes est très fort envers leurs parents âgés restés au pays

5 types de « soutien d’entraide », ou family care (Baldassar et al. 2007)

Baldassar montre bien comment les structures de solidarités et les politiques publiques – qui limitent très fortement le regroupement familial ascendant – posent problème. Elle identifie donc 5 formes de types de soutien d’entraide qui viennent caractériser les familles transnationales.

−     1er type : le soutien financier

−     2ème type : le soutien moral et émotionnel

−     3ème type : le soutien pratique

−     4ème type : le soutien personnel

−     5ème type : le soutien d’hébergement

On voit donc que la circulation du care se fait aussi bien dans l'ascendant que dans le descendant. De plus, ces différents types viennent témoigner de la complexité des solidarités dans les FTN, une complexité qui doit être conçue comme des pratiques encastrées dans le cycles de vie même de la famille transnationale.

LA CIRCULATION DU CARE

On distingue 3 niveaux d’analyse :

−     Macro : fait référence aux politiques publiques des états

−     Meso 

−     Micro : fait référence au cycle de vie, au genre ainsi qu’aux stratégies mises en place pour faire face aux contraintes).

L’EXEMPLE DE LA GRANDPARENTALITE TRANSNATIONALE : LA GENERATION ZERO

Pendant très longtemps, on a pensé les parents de migrants adultes comme étant de simples acteurs passifs de la migration de leur(s) enfant(s), des laissés pour compte. Cependant les études viennent montrer que ces grands-parents sont très actifs dans le care, et sont même très mobiles.

L’étude réalisée par Nedelecu et deux autres sociologues s’intéresse donc à cette génération zéro, cette génération de départ, et vient questionner l’idée même que l’on se fait de ces personnes âgées qu’on ne considèrent que très peu comme pouvant être une génération elle aussi sujette à la migration ; le plus souvent afin de prendre soin de leurs petits-enfants.

Elles élaborent donc la question de recherche suivante : « Quels sont les types d’arrangements de care des jeunes enfants de migrants par leurs grands-parents (Go) ? »

Dans un contexte suisse où ¼  de la population suisse est composées de personnes issues de pays hors de l’Union Européennes, où les familles étrangères ont plus d’enfants et où, en termes de care, les places en crèches se font très rares et sont très coûteuses, Nedelcu et ses collègues constatent que 25% des nationaux font recours à leurs grands-parents alors qu’on parle de plus de 40% pour les familles étrangères. Il s’agissait donc de réaliser une étude comparative qualitative entre la population de migrants issus de l’Union Européenne, d’une part, et la population de migrants issus de pays hors de l’Union Européenne. Pour ce qui est du design de recherche, il s’agit d’une approche compréhensive se caractérisant par la conduite d’entretiens semi-directifs auprès d’une dyade d’adultes migrants (A) et leur parent (GO). L’échantillon est composé de 20 femmes migrantes et 8 hommes migrants âgés de 28-42 ans, avec entre 1 et 5 enfants. Pour ce qui est de la Génération Zéro (GO), elle est composée de 20 femmes et 2 hommes, âgés de 52 à 73 ans.

RESULTATS ET CONCLUSION

Cette étude questionnant la grandparentalité transnationale montre les résultats suivants : dans le cas de la grandparentalité transnationale, à l’instar de la parenté transnationale ou encore de la famille transnationale, il y a une certaine diversité, complexité, qui est à observer. En effet, Nedelcu et al. identifie 4 types de grandparentalité transnationale.

−     1er type ‘’Materner la mère’’ : Se caractérise par le soutien familial lors de l’accouchement. La présence de la grand-mère maternelle est avant tout un moyen pour la mère de se décharger, de manière temporaire, du poids des obligations domestiques.

−     2ème type   ‘’Dépannage d’urgence’’ : Se caractérise par le dépannage temporaire dans la garde des enfants. Les grands-parents viennent dans l’urgence afin de suppléer les parents et s’occuper de la garde des enfants de manière exceptionnelle.

−     3ème type ‘’ Substitut maternel’’ : Se caractérise par l’installation permanent des grands-parents au domicile des enfants afin d’aider la famille dans la gestion du care.

−     4ème type ‘’Être, faire et se réjouir ensemble’’ : Se caractérise par la dimension touristique attachés à la migration. Les grands-parents ne migrent uniquement que pour une courte durée et à des fins de loisir avec leurs enfants et leurs petits-enfants.

Ces différents types d’arrangements mettent en avant les différents facteurs qui viennent rendre possible, ou pas, l’arrangement dont il est question. Il est, par exemple difficile pour des migrants adultes issus de pays hors de l’Union Européenne de faire venir leurs parents car les procédures de demandes de visa s’avèrent être lourdes et fastidieuses. On note également comment la précarité économique des familles migrantes s’avère être une entrave à une potentielle réunion familiale, le prix du billet d’avion restant très élevé suivant le pays d’origine.

Cette étude sur l’arrangement transnationale familial axé sur la grandparentalité met également en avant la place même de cette grandparentalité qui reste encore invisible dans les études sociologiques mais également au sein des différentes politiques migratoire et sociales.

 

Melissa Mugoli Mapatano, 25 avril 2018

 



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