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« Qui sont les membres significatifs (importants) de votre famille actuellement ? »
C’est avec cette question, banale en apparence, que des chercheurs, sociologues et psychologues de l’Université de Genève, ont débuté une enquête novatrice sur les nouvelles formes familiales en Suisse. En effet, la diversité des réponses révèle la complexité des réalités familiales dans nos sociétés contemporaines. Si, jusqu'aux années 1970, la réponse à cette question allait de soi, la diversification des parcours de vie rend nécessaire un nouveau regard sur la famille, ou plutôt sur les familles.
Le terme de « familles recomposées » a souvent été employé pour englober toutes les situations après la séparation ou le divorce, qui passaient par une remise en couple avec de nouveaux partenaires. Mais cette expression est également trompeuse car elle occulte les multiples façons de construire sa famille aujourd’hui. Elle oppose en effet les familles de première union aux familles recomposées comme si toutes les familles de première union étaient identiques et que toutes les familles post-séparation se recomposaient de la même manière.
Plutôt que d'en rester à la distinction entre familles « de première union » et familles « recomposées », nous avons résolument opté pour une perspective partant de la famille telle qu’elle est vécue et définie par les individus. Soutenu par le Fonds National Suisse de la recherche scientifique, ce projet interdisciplinaire entre la sociologie et la psychologie, a pour but de mieux comprendre ces nouvelles formes de famille. Pour atteindre cet objectif, 300 femmes ayant des enfants âgés de 5 à 13 ans, la moitié vivant dans une situation familiale de première union, la moitié dans une situation familiale recomposée, ont accepté de réaliser un entretien d’environ une heure et demi. Au cours de cet entretien, diverses thématiques ont pu être approfondies comme la situation familiale actuelle, le parcours de vie de la personne, la relation de couple, la dynamique familiale, ainsi que le développement de l’enfant. Par ailleurs, un tiers des personnes de l’enquête ont également accepté une rencontre en famille ce qui a permis une prise en considération des interactions dans la sphère familiale.
La diversité des configurations familiales
Une première question demandait aux participantes de lister les membres de leur famille importants à leurs yeux. A partir de leurs réponses, neuf configurations familiales se dégagent, qui démontrent la grande diversité des manières de construire et vivre sa famille aujourd'hui. La configuration familiale «Nucléaire» se limite à une famille restrainte: les parents et les enfants. La configuration familiale «Verticale» inclut les mêmes personnes que la configuration «Nucléaire» avec en plus les grands-parents. La configuration «Amis» se caractérise par la présence d’amis et amies de la répondante, considérés comme des membres à part entière de la famille. Le type «Alliance» se compose des membres de la famille du partenaire de la répondante. Les types «Frères» et «Sœurs » comprennent les frères et soeurs de la répondante, leurs conjoints et leurs enfants. Le type «Parenté» se caractérise par une forte présence de toute une série de liens de sang. La configuration «Sans partenaire» se centre sur les enfants de la répondante, au détriment de sa relation de couple. En effet, le conjoint de la répondante n’est pas cité comme membre de la famille. On trouve cette configuration exclusivement pour les femmes ayant connu une séparation et une remise en couple. Dans cette configuration, les pères biologiques des enfants (anciens conjoints) sont fréquemment mentionnés. Le type «Post-divorce» se caractérise par la présence de l’ancien partenaire, de ses parents, voir de ses frères et soeurs, ainsi que du nouveau partenaire et de sa famille. La répartition des configurations dans les familles de première union et dans les familles recomposées est illustrée par la Figure 1.
Figure 1: Répartition des configurations dans les familles de première union et dans les familles recomposées
Il y a une grande diversité de définition de la famille qui compte, aux yeux des personnes interviewées, que l'on soit ou non passé par une séparation et une remise en couple. Par exemple, après une recomposition, les uns maintiennent leurs anciens liens familiaux et gèrent les nouveaux liens de façon séparée sans les intégrer à leur famille (configuration «Sans partenaire»); d’autres les intègrent et font ainsi coexister nouveaux et anciens liens familiaux (configuration «Post-divorce»); enfin, certains se remodèlent autour des nouveaux liens uniquement (configuration «Nucléaire»).
Le coparentage dans ces différents contextes
Dans un deuxième temps, nous nous sommes centrés sur l’influence des configurations familiales sur la relation des parents ou beaux-parents à l’enfant. Celle-ci a été étudiée à travers le coparentage défini comme la coordination entre les partenaires pour assumer les devoirs parentaux. C’est traditionnellement le couple conjugal qui assure l’éducation des enfants en tant que couple parental. Nous avons donc un double statut, les adultes étant à la fois unis par leur lien affectif et par leur lien éducatif. Dans le cas d’une séparation, la répondante ne partage plus qu’un rôle parental avec son ancien partenaire et est en couple avec un nouveau partenaire. Celui-ci peut à son tour s’impliquer ou non dans l’éducation des enfants de la répondante. Il s'est agi pour nous de voir la manière dont la répondante, son ancien conjoint (père biologique de l'enfant) et son nouveau conjoint, se coordonnent dans leurs relations à l'enfant. Cette coordination a été étudiée sur trois dimensions : l’unité, le conflit et le dénigrement. L’unité se réfère à la collaboration entre les partenaires et aux comportements qui favorisent le sentiment d’unité familiale. Le conflit consiste en un désaccord entre les partenaires en présence de l’enfant, sur des difficultés conjugales ou éducatives. Le dénigrement apparaît lorsqu’un des parents critique l’autre parent, absent, devant l’enfant.
Contrairement aux présupposés qui affirment que les familles recomposées font preuve de plus de conflits et de dénigrement dans le coparentage, ces familles ne connaissent pas davantage de conflits. Ceci s'explique par le fait que dans la plupart des cas, les anciens partenaires et leurs enfants ne se rencontrent qu’en de rares occasions. La coordination est davantage faite par téléphone, par mail, ou a été routinisée au point de s'établir en l'absence de tout contact direct entre les anciens conjoints. La question qu’on peut se poser ensuite est de savoir comment s’agence la triade mère-ex-partenaire-enfant avec la triade mère-nouveau partenaire-enfant. Nos résultats montrent que ces agencements dépendent très fortement du type de configurations familiales. Les familles qui se recomposent sur un modèle de famille restreinte ou verticale, impliquent le nouveau partenaire dans les tâches parentales, alors que l’ex-partenaire perd de son importance. Tout au contraire, les configurations post-divorce accordent une place de choix à l’ancien partenaire dans le coparentage. D’autres femmes préfèrent assumer seules les tâches parentales, comme celles s'inscrivant dans une configuration monoparentale.
En résumé...
Il y a une diversité importante dans la définition des familles, qu’elles soient recomposées ou non. Ces définitions, très variables, révèlent que les familles contemporaines ne s’inscrivent pas dans un modèle unique et qu'elles ne sont pas totalement définie ni par un mariage, ni par un divorce. Chacun construit ses liens familiaux à sa manière, en fonction de son histoire de vie et de ses ressources. Cette construction a un impact important sur le coparentage. De quelle façon le comportement de l’enfant est-il influencé par les différentes configurations familiales et le type de coparentage ? Quels liens existent entre parcours de vie et configurations familiales? C’est sur ces questions que nous sommes actuellement en train de travailler. Une publication qui englobe les différentes facettes de l’étude est actuellement en préparation.