Découverte de l’étoile la plus riche en lithium de l’univers
Les astronomes savent depuis longtemps que plus une étoile est vieille, moins elle contient de lithium dans sa photosphère. Le Soleil lui-même contient environ 200 fois moins de lithium que lorsqu'il est né il y a 4,57 milliards d'années, comme le révèle la comparaison avec la composition des météorites. Cette diminution au fil du temps de l'abondance photosphérique du lithium des étoiles de faible masse comme le Soleil est due à la turbulence qui mélange les couches externes de leur enveloppe avec les régions plus profondes dans lesquelles le lithium est détruit par fusion nucléaire. Cependant, l'analyse spectroscopique d'une très vieille étoile, parmi les premières à s'être formées dans notre Galaxie il y a environ 12 milliards d'années, a révélé qu'elle contenait plus de 1000 fois plus de lithium que n'importe quelle jeune étoile de la Voie lactée, et 100'000 fois plus que la valeur solaire. Cette découverte extraordinaire correspond à la prédiction théorique d'un modèle proposé il y a deux décennies par une astrophysicienne de l'UNIGE, co-auteure de la découverte publiée dans The Astrophysical Journal.
Comparaison de la taille du Soleil et de la géante rouge ultra-riche en lithium J0524-0336.
Crédit: Corinne Charbonnel.
L'étoile, nommée J0524-0336 d'après ses coordonnées dans l'espace, a été découverte par Rana Ezzeddine de l'Université de Floride et ses collègues, dont Corinne Charbonnel, professeure au Département d'astronomie de l'Université de Genève. Cette découverte est l’une des surprises de l'étude R-Process Alliance dont l'objectif est de rechercher les étoiles les plus anciennes de la Voie lactée avec différents télescopes répartis de par le monde. J0524-0336 a été trouvée avec le LargeSky Area Multi-Object Fibre Spectroscopic Telescope (LAMOST). Pour mesurer la composition chimique de J0524-0336 et déterminer ses propriétés fondamentales, l'équipe a utilisé le spectrographe MIKE (Magellan Inamori Kyocera Echelle) du télescope Magellan-Clay de l'observatoire Las Campanas. « Nous avons découvert que J0524-0336 contient 100 000 fois plus de lithium que le Soleil à son âge actuel », déclare Ezzeddine.
Une étoile en train de traverser le flash du lithium ?
L'équipe a exploré plusieurs possibilités pour expliquer la teneur extraordinaire en lithium de J0524-0336. L'hypothèse selon laquelle le lithium proviendrait de l'engloutissement récent d'une planète exceptionnellement riche en lithium a été exclue, car elle est incompatible avec notre compréhension actuelle de la composition des planètes et de leurs étoiles hôtes. La possibilité d'une fusion récente dans un système binaire entre J0524-0336 et un compagnon en fin de vie comme une naine blanche, qui aurait pu conduire à la production de lithium lorsque les deux étoiles partageaient une enveloppe commune, reste ouverte.
L'explication la plus probable est cependant que le lithium a été produit par J0524-0336 elle-même à une phase très spécifique de son évolution. Les modèles d'évolution stellaire calculés par Corinne Charbonnel avec le code STAREVOL qu’elle co-développe à l’UNIGE ont montré que J0524-0336 est une étoile géante rouge évoluée dont la taille est estimée à environ 30 fois celle du Soleil. Plus précisément, elle pourrait se trouver dans une phase extrêmement rapide et non encore observée de l'évolution des étoiles de faible masse à l'approche de leur fin de vie. « En 2001, nous avons prédit que toutes les étoiles de faible masse devraient subir un très fort enrichissement en lithium à deux phases très spécifiques de leur évolution, après quoi ce lithium serait rapidement détruit dans l’étoile et disparaîtrait de sa photosphère. D’après notre modèle, ces phases d'enrichissement en lithium devaient être extrêmement brèves (quelques milliers d'années, comparées à l'âge de 12 milliards d'années de J0524-0336, c'est-à-dire 1 million de fois plus courtes que l'âge de J0524-0336), ce qui limitait les chances de l’observer. Pour cette raison, nous avons appelé cet événement le lithium-flash », explique Corinne Charbonnel. D’après les caractéristiques bien déterminées de J0524-0336, cette étoile devrait actuellement traverser l'une de ces deux phases. L'étude a également mis en évidence d'autres aspects de ce processus dans le spectre de J0524-0336, notamment les signes d'une perte de masse très élevée.
Rana Ezzeddine et ses collègues ont établi un programme de surveillance continue pour suivre les changements de composition de l'étoile au fil du temps. L’équipe souhaite l’observer en différentes longueurs d'onde, telles que la lumière infrarouge et les ondes radio, pour voir si des matériaux sont éjectés de l'étoile. La découverte d’une accumulation de poussière dans un disque circumstellaire à l'étoile, ou d’un anneau de débris, soutiendrait l'hypothèse de l'interaction avec un compagnon. L’absence d’un tel disque apporterait un soutien définitif au modèle du flash du lithium.
« Il s'agit d'une découverte fantastique, qui ouvre une nouvelle fenêtre sur l'intérieur des étoiles, ainsi que sur la façon dont le lithium est produit dans les galaxies », conclut Corinne Charbonnel.
lien vers l'article sur ApJ
26 septembre 2024Actualités