Un serpent cosmique trahit la structure des galaxies lointaines
On connait de façon assez précise les mécanismes qui président à la formation des étoiles, de la matière interstellaire jusqu’aux nuages qui se distribuent dans l’espace et s’y contractent avant de donner naissance aux étoiles dans des amas. Mais l’observation des galaxies les plus lointaines a remis en cause ce modèle, la taille et la masse des amas qu’on y observe excédant largement celles de l’univers proche. Des équipes des universités de Genève (UNIGE) pour l’obser- vation et de Zurich (UZH) pour les simulations se sont attaquées à cette divergence qui semble remettre en cause nos connaissances de la formation stellaire lorsqu’on plonge loin dans le temps et dans l’espace. Elles ont trouvé les premières réponses grâce à l’observation d’un serpent cosmique. Leur recherche est à lire dans la revue Nature Astronomy.
Image d'une galaxie déformée par l'amas MACS1206.2-0847, créant un "serpent cosmique".
Crédits: ESA/Hubble, NASA
L’étude de la formation des étoiles repose sur le travail combiné de nombreuses équipes internationales qui mènent des observations à différentes échelles. Le télescope spatial Hubble, lorsqu’il est pointé vers des galaxies à fort décalage spectral vers le rouge, permet depuis une dizaine d’années d’étudier en détail des objets distants de 6 à 7 milliards d’années-lumière, loin de nous à la fois dans le temps et dans l’espace.
Ces observations ont ouvert un débat inattendu parmi les astronomes: dans un passé lointain, la formation des étoiles était-elle régie par d’autres lois ? C’est ce que semblaient suggérer les données fournies par Hubble, en révélant dans ces galaxies lointaines la présence de zones de formation d'étoiles, des amas de gaz et d’étoiles pouvant mesurer jusqu’à 3000 années-lumière, mille fois plus grandes que celles qu’on observe dans les régions plus proches de l’Univers. Et ces amas surdimensionnés semblent être la norme parmi les galaxies à fort décalage spectral.
La distance qui nous sépare de ces objets empêche leur observation précise, mais les astronomes ont surmonté cette diffculté en utili- sant une lentille gravitationnelle, un instrument puissant fourni par l’Univers lui-même, et par les lois qui le régissent. Le télescope est pointé en direction d’un objet extrêmement massif, suffisant pour que son champ gravitationnel affecte la lumière d’une galaxie plus lointaine encore, et qui se trouve derrière lui. La lumière le contourne, offrant une image amplifiée et répétée plusieurs fois de la même galaxie. Dans notre cas, les astronomes ont observé avec Hubble une énorme lentille montrant des images déformées, étirées et se touchant presque, formant un véritable « serpent cosmique ». «L’image amplifiée est plus précise, plus lumineuse, et permet d’observer des détails jusqu’à 100 fois plus petits», explique Antonio Cava, maître assistant au Département d’astronomie de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
Le fait que l’image de la galaxie soit répétée cinq fois à des résolutions différentes permet aussi d’établir des comparaisons et de s’assurer de la structure – et de la taille - de ces amas géants. Loin de conclure à l’existence de lois différentes dans les zones les plus éloignées de l’Univers, l’équipe internationale emmenée par l’UNIGE, et comptant des spécialistes du CNRS et des universités de Zurich, de Lyon 1 et de l’Universidad Complutense de Madrid, a découvert que les amas ne sont en réalité ni si grands ni si massifs que le laissait penser Hubble auparavant, mais qu’ils sont simplement constitués de plusieurs amas plus petits, un constat que la distance avait interdit jusque-là. Les travaux de l’équipe de chercheurs recoupent les simulations informatiques menées par Valentina Tamburello, de l’Institute of Computational Science de l’UZH. Co-auteure de l’étude, elle souligne : « Grâce à la résolution incroyablement élevée du serpent cosmique, nous avons pu comparer nos calculs aux observations de l’UNIGE et confirmer ainsi leurs conclusions. C’était un coup de chance pour nous. »
C’est un pas important pour la compréhension des phénomènes à l’œuvre dans les galaxies lointaines, même s’il n’explique pas encore entièrement les différences observées. «Nous sommes passés d’un écart de 1 à 1000 à un écart de 1 à 10 entre d’une part ce qu’on observe dans l’Univers proche et ce qu’on observe dans les galaxies distantes», souligne Daniel Schaerer, professeur à l’Observatoire de l’UNIGE. Qui se félicite également de la convergence entre les dernières observations et les simulations sophistiquées développées au sein de l’UZH qui permettent d’expliquer ces différences par la nature plus turbulente des galaxies lointaines.
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13 novembre 2017Actualités