« Cellules mouche » et cellules souche : à un poil près !
Lors de la division d'une cellule mère, certaines biomolécules peuvent emprunter des trajets préprogrammés spécifiques et contribuer à la production de cellules filles différentes. Au moyen d’une approche novatrice, l'équipe genevoise du biochimiste Marcos González-Gaitán vient de démontrer, chez la mouche, la ségrégation asymétrique qu'endurent certaines biomolécules clé dans le tissu entier responsable de la formation des pilosités sensorielles sur l’animal. La revue Nature a publié jeudi 19 mars 2009 la découverte qui ouvre les portes à une meilleure compréhension de la communication biologique.
Rien de plus banal qu'une queue de lézard qui se reforme lorsque ce dernier la perd accidentellement ? Pas si sûr et pas si simple ! En effet, la nature distingue les divisions cellulaires de type symétrique, permettant la production massive de cellules identiques, et de type asymétrique, conduisant à la production de cellules différentes. Par exemple, les cellules souche sont préprogrammées pour produire différentes cellules nécessaires aux étapes de fabrication d'un membre, d'un neurone, ou d'un organe.
L’équipe du Professeur Marcos González-Gaitán, biochimiste à l'Université de Genève spécialisé dans le trafic et la signalisation transmembranaire, a réussi à suivre avec précision les étapes clé de la communication cellulaire asymétrique qui prend place lors de la production des poils sensoriels tapissant le thorax de la mouche Drosophila, fidèle collaboratrice de nombreux chercheurs.
La prouesse tient tout d’abord dans le fait que les biochimistes se sont penchés sur le tissu entier du thorax de mouche, plutôt que sur des cellules extraites et isolées, préservant ainsi les propriétés et fonctions des cellules dans leur environnement naturel, tel un médecin qui soumettrait un organe entier au scanner pour le sonder, au lieu d’en étudier une section sur une lame de microscope.
L’exploit ne s’arrête pas là : Pour suivre le trafic des biomolécules d’intérêt, les chercheurs genevois ont opté pour un anticorps couplé à un agent fluorescent, sorte de petit drapeau qui signale sa présence au scientifique en marquant les biomolécules naturellement présentes dans l'animal, mais qui passe totalement inaperçu dans la cellule. Cette approche évite d'introduire artificiellement des protéines fluorescentes dans la mouche, susceptibles de perturber le bon fonctionnement cellulaire lors des mesures.
Forts de toutes ces précautions, les biochimistes ont pu suivre à la trace de leur fluorescence la singulière migration intracellulaire des molécules Delta, un ligand, et Notch, son récepteur. Ces deux agents, dont l'interaction conduit à la production de cellules différentes, sont embarqués dans des petites vésicules riches en une protéine particulière, Sara. Selon des modalités qui restent à élucider, les vésicules jouent le rôle de centres spécialisés de stockage, de triage et d’expédition des biomolécules qu’elles véhiculent dans le liquide intracellulaire.
Lorsqu’une cellule mère procède à sa division, les chercheurs ont mis en évidence que les vésicules subissent une ségrégation asymétrique plutôt que de se répartir de manière homogène dans la cellule. En clair, lorsque les deux cellules filles se substituent à la cellule mère, les vésicules seretrouvent dans la cellule fille positionnée vers la partie postérieure du thorax de la mouche, au détriment de la cellule fille positionnée vers la partie antérieure du thorax.
Cette division cellulaire asymétrique est la clé de voûte des étapes suivantes, qui conduisent ultimement à la construction des quatre types différenciés de cellules constituant l’organe sensoriel complet de la mouche : Les cellules dans lesquelles les vésicules riches en Sara ont transité donneront naissance au poil sensoriel et au socle du poil, tandis que les cellules n’ayant pas hébergé ces vésicules produiront le neurone sensoriel et des cellules dites accessoires.
Afin d’étayer leur hypothèse que la ségrégation asymétrique et la présence des vésicules est responsable in fine de la formation des cellules différentes aboutissant à l’organe sensoriel de la mouche, les chercheurs ont trompé la sagacité cellulaire de cette dernière. Pour ce faire, ils ont forcé la cellule mère, par manipulations génétiques, à accueillir une énorme vésicule riche en Sara.
Handicapée par sa taille, la vésicule ne peut se mouvoir lors de la division cellullaire. Et surprise, lorsque la vésicule se retrouve par la force des choses dans la cellule fille antérieure, c’est-à-dire en infraction par rapport à la situation naturelle, cette cellule se comporte comme sa soeur postérieure, programmée pour produire les cellules du poil sensoriel et du socle du poil.
Les chercheurs ont ainsi démontré qu’une cascade de mécanismes internes à la cellule contribue à la formation de cellules de types différents.
Quant aux raisons qui motivent le choix de la mouche Drosophila pour cette étude, les chercheurs genevois sont unanimes : « Par leur comportement, les cellules impliquées dans la construction de l’organes sensoriel de la mouche sont d’extraordinaires modèles pour la compréhension des cellules souche, enjeux de tous les superlatifs pour la médecine de demain, et permettent d’élucider les nombreuses zones d’ombre qui régissent la communication biologique ».
La prestigieuse revue Nature l’a bien compris, puisqu’elle offre à ce nouvel éclairage une tribune d’exception dans sa dernière livrée.
Contact :
Pour obtenir de plus amples informations, n’hésitez pas à contacter le Professeur Marcos González-Gaitán (Tél. ++41 22 379 64 61) ou le Dr Maximilian Fürthauer (Tél. ++41 22 379 64 94).
Référence :
Directional Delta and Notch trafficking in Sara endosomes during asymmetric cell division, F. Coumailleau, M. Fürthauer, J.A. Knoblich, M. González-Gaitán, Nature 458(7236), (2009). DOI
30 mars 20092009