2020

Des matériaux artificiels pour une électronique plus économe

La découverte d’un effet physique inédit dans un nouveau matériau artificiel pose un jalon important dans le long processus de développement de matériaux «sur commande» et d’une électronique plus économe en énergie.

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Image obtenue par microscopie électronique en transmission d’une alternance de cinq couches atomiques de nickelate au néodyme (en bleu) et de cinq couches de nickelate au samarium (en jaune). © Bernard Mundet / EPFL

L’électronique est omniprésente. Les transistors font fonctionner les téléphones, les ordinateurs, les télévisions, les chaînes hifi, les consoles de jeu, les voitures, les avions, etc. Basée sur le silicium, l’électronique actuelle consomme toutefois une part conséquente et sans cesse croissante de l’énergie mondiale. De nombreux chercheurs explorent les propriétés de matériaux plus complexes que le silicium mais prometteurs pour les dispositifs du futur et moins gourmands en électricité. S’inscrivant dans cette logique, des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l’Université de Zurich, le Flatiron Institute de New York et l’Université de Liège, ont découvert, dans un matériau artificiel constitué de couches très minces de «nickelates», un phénomène physique inédit. Celui-ci pourrait être exploité pour obtenir un contrôle précis de certaines propriétés électroniques de ce matériau, telles que la transition subite d’un état conducteur à isolant, et développer de nouveaux dispositifs plus économes en énergie. Cette avancée est à lire dans la revue Nature Materials.

«Les nickelate sont connus pour leur particularité de passer subitement d’un état d’isolant à celui de conducteur électrique lorsque leur température passe au-dessus d’un certain seuil, expose Jean-Marc Triscone, professeur au Département de physique de la matière quantique de la Faculté des sciences de l’UNIGE. Cette température de transition varie selon la composition de ce matériau.»
Les nickelates sont en effet formés d’un oxyde de nickel additionné d’un atome appartenant aux éléments dits «terres rares» (soit un ensemble de 17 éléments du tableau périodique). Lorsque cette terre rare est le samarium (Sm), par exemple, le saut métal-isolant a lieu aux environs de 130°C, tandis que s’il s’agit du néodyme (Nd), ce seuil descend à -73°C. Cette différence s’explique par le fait que lorsqu’on remplace le Sm par le Nd, on provoque une déformation de la structure cristalline du composé. C’est cette déformation qui contrôle la valeur de cette température de transition.
Afin d’en savoir plus sur ces matériaux, les scientifiques genevois ont étudié des échantillons formés d’une répétition de couches de nickelate au samarium déposées sur des couches de nickelate au néodyme – une sorte de super sandwich où tous les atomes sont parfaitement arrangés.

Comme un matériau unique
«Lorsque les couches sont assez épaisses, elles se comportent de manière indépendante, chacune conservant sa propre température de transition, note Claribel Domínguez, doctorante au Département de physique de la matière quantique et première auteure de l’article. Curieusement, lorsque nous avons affiné les couches jusqu’à ce qu’elles ne dépassent pas huit atomes chacune, l’échantillon entier a commencé à se comporter comme un matériau unique avec un seul saut important de conductivité à une température de transition intermédiaire.»
Une analyse très fine au microscope électronique menée à l’EPFL, soutenue par des développements théoriques sophistiqués réalisés par des collègues américains et belges, a montré que des déformations de la structure cristalline apparaissent à l’interface des matériaux mais que celles-ci ne se propagent que sur deux ou trois couches atomiques. Ce n’est donc pas cette distorsion qui peut expliquer le phénomène observé. En réalité, tout se passe comme si les couches les plus éloignées savaient, d’une façon ou d’une autre, qu’elles étaient très proche de l’interface mais sans être physiquement déformées.

Rien de magique
«Il n’y a rien de magique là-dedans, rassure Jennifer Fowlie, chercheuse au Département de physique de la matière quantique et co-auteure de l’article. Notre étude montre que le maintien d’une interface entre une région conductrice et une région isolante, comme c’est le cas dans nos échantillons, est très coûteuse en énergie. Du coup, lorsque les deux couches sont suffisamment fines, elles ont la possibilité d’adopter un comportement beaucoup moins énergivore qui consiste à devenir un matériau unique, soit totalement métallique, soit totalement isolant, et avec une température de transition commune. Et ce, sans changer sa structure cristalline. Ce couplage n’est donc pas magique mais bel et bien inédit.»
Cette découverte, réalisée grâce au soutien du Fonds national suisse pour la recherche scientifique et de la bourse européenne ERC Synergy Grant Q-MAC (Frontiers in Quantum Materials’ Control), offre une nouvelle façon de contrôler les propriétés des structures électroniques artificielles, dans le cas présent le saut de conductivité obtenu par les chercheuses genevoises dans leur nickelate composite et qui représente un élément important pour le développement de nouveaux dispositifs électroniques. Les nickelates pourraient notamment servir dans des applications telles que les transistors piézo-électriques (réagissant à la pression).
De manière plus générale, les travaux genevois s’inscrivent dans une stratégie consistant à réaliser des matériaux artificiels «par design» ou «sur commande», c’est-à-dire ayant des propriétés répondant à un besoin particulier. Cette route, suivie par de nombreux chercheurs à travers le monde, est prometteuse pour une électronique future économe en énergie.

18 août 2020

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