2020

Les nouveaux seigneurs des anneaux moléculaires

Des chercheurs de l’UNIGE ont mis au point une nouvelle méthode permettant de créer des chaînes d’anneaux moléculaires avec une rapidité et une efficacité inégalée jusqu’ici.

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Formation possible de onze anneaux moléculaires consécutifs en une seule réaction dans la nature. © UNIGE

 

Les molécules cycliques sont partout et de leur assemblage découle tout ce qui nous entoure: goût, couleur, odeur ou encore médicaments. La nature forme par elle-même des anneaux moléculaires de tailles différentes et des chaînes d’anneaux plus ou moins longues que les scientifiques parviennent à reproduire artificiellement. Aujourd’hui, des chimistes de l’Université de Genève (UNIGE) ont mis au point une nouvelle technique de création de ces chaînes d’anneaux moléculaires qui n’utilisent pas les interactions standards de la chimie, mais des contacts avec de grandes surfaces moléculaires qui sont pauvres en électrons et qui n’existent pas dans la nature. Contrairement aux procédures standards, cette nouvelle technique fonctionne par autocatalyse, le type de transformation le plus rare, mais aussi le plus ambitieux qui existe en chimie. Leurs résultats, à lire dans la revue Angewandte Chemie, ouvrent non seulement de nouvelles perspectives de cyclisations moléculaires, mais donnent également un premier élément de réponse à une vieille contradiction de la chimie classique.


Les molécules qui nous entourent s’arrangent notamment sous forme de cycles, formant par exemple des stéroïdes, des sucres, des parfums ou encore des médicaments. En chimie organique, ces anneaux moléculaires peuvent être créés en utilisant la technique de la catalyse: on place la molécule choisie, nommée substrat, en contact avec une molécule qui réalise sa cyclisation – le catalyseur –, en général avec des liaisons d’hydrogène. Mais avec cette seule manière d’interaction, les possibilités de création se voient réduites. L’intégration de nouveaux modes d’interaction permettrait de les transformer différemment, et donc de créer de nouveaux matériaux avec la possibilité de résoudre des problèmes scientifiques et sociétaux qui sont intraitables avec des méthodes conventionnelles.

«Notre laboratoire s’est spécialisé dans la mise en œuvre de nouveaux contacts possibles entre molécules, fondés notamment sur de très grandes surfaces moléculaires, dites aromatiques, qui sont pauvres en électrons hautement délocalisés, explique Stefan Matile, professeur au Département de chimie organique au sein de la Section de chimie et biochimie de la Faculté des sciences de l’UNIGE et membre du NCCR Chemical Biology et du NCCR Molecular Systems Engineering. Des contacts avec ces grandes plaines moléculaires vides, absentes dans la nature, paraissaient prometteurs pour la cyclisation des anneaux moléculaires enchainés les uns aux autres.» Mais quelles en sont les conséquences?


Des chaînes d’anneaux moléculaires produites par autocatalyse

L’objectif des chimistes genevois étaient de reproduire d’une part des cycles de tailles différentes, c’est-à-dire constitués d’un nombre d’atomes définis (par exemple les stéroïdes sont formés de trois cycles de six atomes et un cycle de cinq atomes), et d’autres part d’enchaîner plusieurs cycles les uns aux autres, sans pour autant utiliser les liaisons d’hydrogène, mais bien une surface moléculaire pauvre en électrons délocalisés (nommées interactions anion-π). «La caractéristique principale de cette plaine moléculaire est l’espace vide qu’elle offre aux molécules pour s’assembler», précise Miguel Paraja, chercheur au Département de chimie organique de la Faculté des sciences de l’UNIGE. Au contact de cette nouvelle surface spacieuse et déficitaire en électrons, les molécules ont formé des cycles de tailles différentes (de 4 à 8 côtés) et des enchaînements variés. «Mais la grande nouveauté est dans le mode de transformation réalisé!», s’enthousiasme le chimiste genevois.

Toutes ces cyclisations ont eu lieu de manière autocatalytique. «Avec un catalyseur classique, les cyclisations sont rapides au début puis, faute de substrat, ralentissent de plus en plus, explique Xiaoyu Hao, chercheur dans le même laboratoire. Mais avec l’autocatalyse, c’est tout le contraire qui se produit!» En effet, les transformations moléculaires s’accélèrent massivement. «Cette autocatalyse est un phénomène de transformation très rare en chimie, mais il est aussi le plus stupéfiant, se réjouit Stefan Matile. Il est fondé sur un principe d’entraide entre les molécules: les premières molécules transformées aident les suivantes à se transformer, ce qui n’est pas le cas lors d’une catalyse normale qui se décélère au lieu de s’accélérer.»


Une première réponse à une vielle contradiction de la chimie classique

Cette découverte contribue à répondre à l’une des plus vieilles oppositions de la chimie classique. «Il existe une chaîne d’anneaux moléculaires très connue, appelée brevetoxine, que l’on trouve dans la marée rouge et qui a pour effet de tuer les poissons», explique Stefan Matile. Elle a été découverte par un géant de la chimie organique, Koji Nakanishi, qui a proposé une explication de la construction possible de cette chaîne hors norme formée de onze anneaux moléculaires consécutifs en un seul coup. Mais cette proposition n’était pas en accord avec les théories de Jack Baldwin, célèbre chimiste qui a produit les règles expliquant la formation des cycles et qui sont aujourd’hui acceptées comme fondement de la chimie classique. En effet, l’hypothèse de Nakanishi viole toutes ces règles, jusqu’à aujourd’hui: «Nos anneaux peuvent se former selon les règles Baldwin si nous le voulons, relève Miguel Paraja. Mais plus important encore, nous pouvons aussi contrer sur demande les règles Baldwin avec nos nouveaux catalyseurs et créer ces anneaux interdits dont rêvait Koji Nakanishi.» «La clé du succès est le grand espace vide qu’offrent nos nouveaux catalyseurs», ajoute Xiaoyu Hao.

«Avec cette découverte de l’autocatalyse dans la formation des molécules cycliques, nos contacts anion-π nous ont permis d’entrer dans la manière de transformer les molécules la plus ambitieuse qui existe en chimie et cela va nous permettre de créer de nouvelles chaînes d’anneaux moléculaires», continue Stefan Matile. Les chimistes vont pouvoir influencer et diriger la nature de la transformation du substrat suivant, créant de nouveaux matériaux. «La majorité des solutions des problèmes scientifiques, qu’ils soient alimentaires, médicaux ou environnementaux, passent par les molécules et les nouveaux contacts que l’on peut créer entre elles», conclut le chimiste genevois.

18 mars 2020

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