2019

Contrôler les ondes terahertz et infrarouges

Des chercheurs des universités de Genève et de Manchester ont pour la première fois confirmé expérimentalement la théorie de la très forte résonance magnétique dans le graphène.

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Le dispositif expérimental qui a permis de focaliser les radiations infrarouges et terahertz sur des petits échantillons de graphène pur dans le champ magnétique, construit par l’équipe de l’UNIGE. © UNIGE, Ievgeniia Nedoliuk

 

Pouvoir contrôler les ondes infrarouges et terahertz à l’aide de champs magnétiques ou électriques est l’un des grands défis de la physique qui pourrait révolutionner l’opto-électronique, les télécommunications et les diagnostics médicaux. Une théorie de 2006 prédit que grâce au graphène – une couche monoatomique d’atomes de carbone épaisse comme une feuille –, il serait possible, dans un champ magnétique, non seulement d’absorber la lumière infrarouge et terahertz sur commande, mais aussi d’en contrôler la polarisation circulaire dans un sens ou dans l’autre. Pour la première fois, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Université de Manchester ont réussi à expérimenter cette théorie et ont obtenu les résultats prédits. Cette étude, à lire dans la revue Nature Nanotechnology, démontre d’une part que les chercheurs sont en passe de contrôler les ondes infrarouges et terahertz et que d’autre part, le graphène tient toutes ses promesses et se profile comme le matériau de la physique de l’avenir, que ce soit sur Terre ou dans l’Espace.

«Il existe de nombreux matériaux –appelés matériaux de Dirac–, dans lesquels les électrons se comportent comme s’ils n’avaient pas de masse, à l’instar des particules de lumière, les photons», explique Alexey Kuzmenko, chercheur au Département de physique de la matière quantique de la Faculté des sciences de l’UNIGE, qui a travaillé sur cette recherche avec Ievgeniia Nedoliuk. Parmi ces matériaux, le graphène est une couche monoatomique d’atomes de carbone qui forment un réseau en nid d’abeille comme dans le graphite, la matière utilisée notamment pour fabriquer les crayons.

L’interaction entre le graphène et la lumière laisse à penser que ce matériau permettrait de prendre le contrôle des ondes infrarouges et terahertz. «Cela serait une grande avancée pour l’opto-électronique, la sécurité, les télécommunications ou encore les diagnostics médicaux», s’enthousiasme le chercheur genevois.


Confirmer une vieille théorie par l’expérience

Une prédiction théorique de 2006 annonce que si l’on place un matériau Dirac, comme le graphène, dans un champ magnétique, cela va produire une très forte résonance de cyclotron : «quand une particule se trouve dans le champ magnétique, elle bouge sur une orbite circulaire et absorbe l’énergie électromagnétique –la lumière–, comme par exemple ce qui se fait dans le grand collisionneur de hadrons du CERN, résume le physicien. Et lorsque les particules n’ont pas de masse, comme dans le graphène, cette absorption est maximale !»

Pour démontrer cette absorption maximale, il fallait aux physiciens un graphène très pur, afin que les électrons qui parcourent de grandes distances ne se dispersent pas dans les impuretés ou les défauts cristallins. Mais de telles pureté et finesse sont très difficiles à obtenir et ne se créent que quand le graphène est pris en sandwich dans un autre matériau bidimensionnel – le nitrure de bore.

Les chercheurs de l’UNIGE se sont associés à l’équipe d’André Geim, professeur à l’Université de Manchester et récipiendaire du Prix Nobel de physique 2010 pour la découverte du graphène, afin de mettre au point des échantillons de graphène très purs. Même déjà exceptionnellement grands pour ce genre de graphène, les échantillons étaient néanmoins trop petits pour quantifier la résonance cyclotron avec des techniques connues jusque-là. C’est pourquoi les chercheurs genevois ont conçu spécialement un dispositif expérimental qui a permis de focaliser les radiations infrarouges et terahertz sur les petits échantillons de graphène pur dans un champ magnétique. «Et le résultat de l’expérience a confirmé la théorie de 2006 !», se réjouit Alexey Kuzmenko.


Une polarisation contrôlée sur mesure

Ce résultat démontre pour la première fois qu’effectivement, un effet magnéto-optique colossal a lieu si l’on utilise une couche de graphène pur. «La magneto-absorbtion maximale possible de lumière infrarouge ou terahertz, soit 50%, est dès lors atteinte dans la couche monoatomique», précise Alexey Kuzmenko.

Dans un deuxième temps, les physiciens ont constaté qu’il était possible de choisir quelle polarisation circulaire –la gauche ou la droite– devait être absorbée. «Le graphène naturel dit intrinsèque est électriquement neutre et absorbe toute la lumière, quelle que soit sa polarisation. Mais si on y introduit des porteurs de charge positive ou négative, on peut choisir à notre guise la polarisation absorbée, tant dans l’infrarouge que dans le terahertz», continue le scientifique. Cette capacité de contrôle joue un rôle crucial notamment en pharmacie, où l’interaction entre de nombreuses molécules et la lumière dépend de sa polarisation que l’on pourrait alors contrôler. De même, ce contrôle est considéré prometteur pour la recherche de la vie sur les exoplanètes, en permettant d’observer les signatures de chiralité inhérente à la matière biologique.

Enfin, les physiciens ont constaté que pour observer dans le terahertz de grands effets dans les champs magnétiques, des aimants permanents, à peine plus forts que ceux de nos frigos, étaient déjà suffisants. Cela permet d’effectuer des recherches et applications sans coûts trop élevés, ces aimants étant faciles à produire et peu chers.

Maintenant que cette théorie est confirmée, les chercheurs vont poursuivre leur travail sur les sources et détecteurs de la lumière infrarouge et terahertz ajustables dans le champ magnétique. Le graphène n’a pas encore fini de les étonner.

9 juil. 2019

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