2019

Pourquoi les hydres n’ont finalement qu’une tête

La capacité de l’Hydre à régénérer ou maintenir une tête unique résulte d’un équilibre subtil entre des activités activatrice et inhibitrice. Cette dernière vient d’être identifiée par un groupe de l’UNIGE.

hydre_SP5_knockdown.jpg

Une Hydre produisant trop peu de Sp5 développe spontanément de multiples têtes. © Brigitte Galliot, UNIGE

 

L’Hydre d’eau douce est capable de régénérer n’importe quelle partie de son corps pour reconstituer un individu entier. Le petit polype possède un centre organisateur de développement situé au niveau de la tête, et un autre localisé dans le pied. L’organisateur de tête exerce deux activités opposées, l’une activatrice, qui provoque la différentiation de la tête, et l’autre inhibitrice, qui prévient la formation de têtes surnuméraires. Des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) ont découvert l’identité de l’inhibiteur, une protéine appelée Sp5, et déchiffré le dialogue entre ces deux activités antagonistes qui permet de maintenir un corps adulte à une seule tête et d’organiser une réponse de régénération appropriée. Publiée dans la revue Nature Communications, leur étude souligne que ce mécanisme a été conservé au cours de l’évolution, tant chez l’Hydre que l’humain. Sp5 pourrait donc être un excellent candidat à tester comme inhibiteur des tumeurs humaines dont la voie activatrice est le moteur de prolifération.

Souvent considérée comme immortelle, l’Hydre d’eau douce est dotée d’un pouvoir de régénération prodigieux, découvert par le naturaliste genevois Abraham Trembley il y a près de 300 ans. N’importe quel fragment du corps comportant quelques milliers de cellules peut régénérer l’animal entier, qui mesure près d’un centimètre. «La régénération de la tête repose sur la transformation de la partie amputée en un tissu appelé centre organisateur de tête, qui a des propriétés de développement et, comme un architecte, dirige la construction de la future tête», explique Brigitte Galliot, professeure au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE.


Comment le dialogue entre yin et yang s’établit

L’organisateur de tête exerce deux activités opposées, l’une activatrice et l’autre inhibitrice. La première induit la différentiation de cellules souches en cellules spécialisées de la tête. L’activateur est un facteur de croissance appelé Wnt3, dont l’action permet la mise en route d’un programme de différenciation cellulaire en trois dimensions, qui permet la construction de la tête. En l’absence de Wnt3, le programme de formation de la tête ne peut donc pas se dérouler. L’activité inhibitrice, produite sous le contrôle de l’activité activatrice, prévient quant à elle la formation de têtes surnuméraires. «Ces deux activités antagonistes établissent un dialogue entre elles, mais nous ne connaissions ni l’identité de l’inhibiteur ni la nature de ce dialogue», précise la biologiste.

En utilisant les résultats d’une étude effectuée par une équipe allemande sur un ver plat nommé planaire, les biologistes ont établi une stratégie de criblage de gènes pour identifier cet inhibiteur. «Nous sommes partis de 124 candidats qui remplissaient des critères précis pour aboutir à un vainqueur unique, qui les remplissait tous. Il s’agit d’un gène qui code pour une protéine appelée Sp5», détaille Matthias Vogg, chercheur au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE et premier auteur de l’étude. Les scientifiques ont ensuite démontré que Sp5 se lie sur la région régulatrice du gène qui code pour Wnt3, en bloque l’expression et donc la formation de la tête.


Les sept têtes de l’Hydre d’eau douce

Comment fonctionne le dialogue entre la voie activatrice et l’inhibiteur? «Nous avons quantifié l’expression des gènes codant pour Wnt3 et Sp5 dans différents endroits du corps d’hydres intactes ou amputées, et découvert qu’une boucle de régulation entre les deux activités s’établit selon la localisation et la quantité de chaque gène exprimé», note Brigitte Galliot. Ainsi, chez l’animal intact, le facteur de croissance Wnt3 sera surtout présent au sommet de la tête, tandis que Sp5 sera principalement actif dans la région tout autour, pour prévenir l’apparition d’autres têtes.

Lorsque les chercheurs bloquent l’expression de Sp5, les hydres intactes ou amputées développent de multiples têtes, toutes parfaitement fonctionnelles, leurs tentacules appréhendant la nourriture pour la mener vers la bouche. «Nous avons également reproduit ces résultats à partir d’hydres dont les cellules avaient été complètement dissociées les unes des autres puis réagrégées et laissées en culture: des hydres à têtes multiples se reforment entièrement en quatre à cinq jours», explique Matthias Vogg.


Chez l’humain, la voie de signalisation cellulaire stimulée par Wnt3 est surtout active durant le développement embryonnaire, ainsi que dans différents types de tumeurs chez l’adulte. Si l’effet inhibiteur de Sp5 se confirme dans notre espèce, cette protéine pourrait constituer un traitement-candidat ciblant les cellules cancéreuses qui utilisent la voie Wnt3 pour proliférer.

18 janv. 2019

2019

Nos expert-es

Parler aux spécialistes de toutes disciplines

La photothèque

Découvrir et télécharger les images de l’UNIGE

Les archives

Tous nos communiqués depuis 1996

S'abonner aux communiqués de presse
media(at)unige.ch

Université de Genève

24 rue Général-Dufour

CH-1211 Genève 4

T. +41 22 379 77 96

F. +41 22 379 77 29