Actualités

IceCube a détecté des neutrinos venant d’une galaxie proche

Le détecteur de 1 km3 enfoui dans la glace de l’Antarctique a identifié une deuxième source de neutrinos située hors de la Voie lactée. Il s’agit d’une galaxie active proche qui ouvre le catalogue des cibles potentielles pour une astronomie à base de neutrinos.

La collaboration scientifique IceCube, qui exploite un détecteur de 1 km3 enfoui dans la glace du pôle Sud, a formellement découvert une deuxième source de neutrinos située en dehors de la galaxie de la Voie lactée, confirmant ainsi que les particules les plus élusives de l’Univers peuvent, malgré l’extrême difficulté à les détecter, servir à l’observation astronomique. Selon un article paru dans la revue Science du 3 novembre, le lieu de création des neutrinos en question se situe au cœur de la galaxie NGC 1068, où sévit un trou noir super-massif obscurci par d’énormes nuages de gaz et de poussière. La découverte doit beaucoup aux travaux préliminaires de l’une des principaux/ales auteur-es de l’étude, Teresa Montaruli, professeure au Département de physique nucléaire et corpusculaire (Faculté des sciences) et membre fondateur du projet IceCube. Deux ans auparavant, elle et sa doctorante de l’époque, Tessa Carver, avaient en effet déjà identifié cette galaxie grâce au traitement de dix ans de données produites par IceCube. La précision du résultat obtenu alors était toutefois insuffisante pour parler de «découverte», tandis que l’étude publiée dans Sciences’approche beaucoup plus de ce seuil fatidique.

Les neutrinos sont les particules les plus fantomatiques de l’Univers. Ils n’ont pas de charge électrique et leur masse, bien que non nulle, est très faible. Ils ne sont sensibles qu’à une seule des quatre forces de la nature, la force faible, dont la portée ne dépasse guère le rayon du noyau atomique. En d’autres termes, une fois qu’un neutrino est créé, quasiment plus rien ne l’arrête. Sur les 65 milliards de neutrinos (de tout types) qui «frappent» chaque seconde le moindre centimètre carré de la Terre, seuls quelques-uns entrent par hasard en collision avec des noyaux atomiques se trouvant pile sur leur trajectoire.

C’est cette propriété de quasi-invisibilité qui intéresse les astrophysiciens. Comme ils ne sont pas absorbés par les nuages de poussière, contrairement aux grains de lumière que sont les photons, ni déviés de leur trajectoire par des champs magnétiques, comme le seraient les particules chargées, les neutrinos de haute énergie, créés à des distances cosmologiques dans des supernovæ ou aux abords des trous noirs, parviennent sur Terre en ligne droite. Ils représentent donc des messagers directs potentiels de l’Univers profond extrêmement précieux.

Schéma du détecteur IceCube enfoui dans la glace du pôle Sud. Image: IceCube Collaboration

 

Le détecteur IceCube a précisément été construit, à deux pas du pôle Sud, pour les intercepter. Le dispositif est composé de 86 puits de forage de 2,5 km de profondeur creusés dans la glace. Dans chaque puits, un «collier» de 60 détecteurs, ou photomultiplicateurs, a été introduit. Les travaux ont duré cinq ans et, depuis décembre 2010, les 5160 «modules optiques digitaux», qui remplissent un volume de 1 km3, enregistrent le passage des neutrinos qui veulent bien y laisser une trace.

La glace offre en effet un médium intéressant pour la chasse à ces particules élusives. Elle est transparente et, à cette profondeur, très sombre. Ce point est crucial car lorsqu’un neutrino cosmique rencontre un atome de glace, il produit en général une particule élémentaire spéciale, un muon. Ce dernier, une espèce de gros électron éphémère, possède d’emblée une très grande vitesse qui dépasse celle de la lumière dans la glace (pas dans le vide). Il émet alors une lumière bleue caractéristique (dite de Cherenkov) qui est précisément celle que captent les détecteurs d’IceCube.

C’est quoi, ce blazar?

L’écrasante majorité des neutrinos (ou plutôt des muons) mesurés par IceCube sont produits par les rayons cosmiques entrant en collision avec les atomes de l’atmosphère. Les astrophysiciens doivent donc soustraire ce bruit de fond pour ne conserver que les particules provenant de l’Univers profond. Ce qui correspond à environ dix événements détectés par année en moyenne.

La première image obtenue à partir de ces particules de très haute énergie, dont l’origine extragalactique a été démontrée, est un flux provenant de manière égale de toutes les régions de l’espace. À partir de là, le défi a consisté à identifier les types de sources ponctuelles qui pourraient être responsables de ce signal diffus. 

Le premier trophée d’IceCube est TXS 0605+056, un «blazar» découvert en tant que source ponctuelle de neutrons par une équipe dont Teresa Montaruli a aussi fait partie. Il s’agit d’une galaxie ayant un noyau actif, entraîné par un trou noir super-massif. Ce dernier, qui est un gros dévoreur de matière, a formé un disque d’accrétion autour de lui et génère un jet de gaz et de radiation très chaud le long de son axe de rotation. La particularité du blazar est que son jet est dirigé pile vers la Terre et qu’il produit des flambées de neutrinos à chaque fois qu’il entre en collision avec des nuages de matière. Le 27 septembre 2017, IceCube enregistre une telle flambée, déclenchant immédiatement une alerte de la communauté scientifique. Dans la foulée, d’autres observatoires terrestres et spatiaux se sont tournés vers la source supposée et ont pu confirmer l’existence d’un signal grâce à des observations sur des rayons cosmiques, dans le domaine des rayons gamma, des rayons X, de la lumière visible et des ondes radio. C’est un des premiers exemples d’«astronomie à multiples messagers».

Galaxie NGC 1068, aussi connue sous le nom de Meissier 77. Elle renferme en son centre une source de neutrinos détectés par IceCube. Image: HSP/NASA/ESA

 

NGC 1068 est donc la deuxième prise du détecteur géant. Bien qu’elle partage certains points communs avec la première, cette galaxie active, aussi connue sous le nom de Messier 77, présente des différences fondamentales, élargissant ainsi le catalogue des objets potentiellement détectables par IceCube. 

«Située à 47 millions d’années-lumière, la galaxie NGC 1068 abrite, elle aussi, un trou noir super-massif (un des plus proches de nous en dehors de celui qui est au centre de la Voie lactée), entouré d’un disque d’accrétion de matière, explique Teresa Montaruli. La différence avec TXS 0506+056, c’est que le jet de NGC 1068 est beaucoup plus faible et, surtout, n’est pas du tout dirigé vers la Terre. Autre particularité: NGC 1068 héberge des régions de formation stellaire très intense. Ces étoiles qui se forment continuellement meurent dans des explosions qui provoquent des vents et des chocs qui ont pour résultat d’accélérer des particules.»

Les astronomes pensent que les neutrinos détectés par IceCube sont produits par la rencontre très énergétique entre le jet et la partie du disque d’accrétion qui se trouve très près de l’horizon du trou noir et/ou entre le jet et les nuages de poussière qui entourent le trou noir et les vents stellaires produits par les étoiles en formation continue dans cette galaxie active. 

Degré de certitude limite

La découverte formelle de la source de neutrinos dans NGC 1068 a pris du temps. Étant donné le petit nombre de neutrinos qui sont collectés (environ 80 en tout pour NGC 1068), il a fallu des années pour qu’un signal commence à apparaître et devienne statistiquement significatif. 

Les premiers résultats, tirés de la thèse de Tessa Carver (qui a été récompensée par le prix J. Wurth pour la meilleure thèse en 2019) et parus le 6 février 2020 dans la revue Physical Review Letters, sont basés sur les données des dix premières années d’IceCube. Ils révèlent déjà un signal assez fort dont le degré de certitude se monte à 2,9, ce qui correspond à un intervalle de confiance d’un peu moins de 99,73%. Le problème, c’est que, dans ce domaine de l’astrophysique, une découverte en est une seulement à partir de 5, soit une probabilité de se tromper de 1 sur 3,5 millions. L’objectif ultime est donc manqué mais le résultat a suffi pour déclencher le lancement de nombreuses études et la mise au point de modèles par des groupes du monde entier. 

L’étude parue dans Science, elle, a pu bénéficier d’une recalibration intégrale de tous les détecteurs d’IceCube ainsi que de deux années de mesures supplémentaires. Grâce à cela, et en utilisant un traitement des données similaire à celui mis au point par l’équipe de Teresa Montaruli pour la première publication, les scientifiques ont pu obtenir un degré de certitude de 4,2, ce qui se rapproche encore un peu plus du seuil de découverte.

À l’avenir, la collaboration IceCube (qui regroupe une soixantaine d’universités du monde entier et bénéficie du soutien d’une dizaine d’agences nationales de recherche scientifique) ne se contentera pas d’ajouter des années de données supplémentaires afin de réaliser de nouvelles découvertes. Des perfectionnements des instruments, prévus pour 2025 ou 2026, permettront notamment d’améliorer la résolution angulaire du détecteur sous la glace. Il est surtout prévu de construire son successeur, IceCube-Gen2, qui sera 10 fois plus volumineux et deviendra, de fait, le plus gros détecteur de particules du monde. Il sera installé au même endroit et les travaux devraient durer au moins jusqu’en 2032.

14 novembre 2022
  Actualités