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Mineral Resources and Geofluids

LOUIS DUPARC

(1866-1932)


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LE MONT DUPARC

Poudovkine А.Е. (2014), Technicum de Recherches géologiques de Iss, Nijnaia Tura, Sverdlovsk Oblast, Russie
Traduction française: Karine Perroud (2014)
Photos:  I. A. Lobanova, E- A. Liamina

 

       Chaque endroit de la terre a sa propre histoire. La plus longue, en centaines de millions d'années, est celle de la géologie: l’histoire de la formation des roches et du relief. Ensuite, celle de la flore et de la faune. Enfin, l'histoire liée à l'activité humaine.

     La zone montagnarde autour du village Kytlym dans l'Oural du Nord est l'une des plus importantes destinations touristiques de la région de Sverdlovsk et de l'ensemble de l'Oural. L'attrait de cette région sur les voyageurs est déterminé par de magnifiques paysages. On y voit des zones préservées de taïga vierge et des sommets de montagnes dont la conquête est l'objectif de la plupart des randonneurs. L'ascension du plus haut sommet de la région de Sverdlovsk, le Konzhakovskii Kamen (Le Rocher de Konzhak), est l'objectif le plus populaire. Un des trajets s’appelle "marafonka" (marathon); il est assez bien marqué sur le terrain, décrit et vanté par des réclames. Sur ce parcours, à l'approche du Konzhakovskii Kamen, se trouve un endroit dont il sera question dans cet article. Cet endroit est situé sur la crête entre le Konzhak et la Serebrianka et comprend la ligne de partage des eaux des rivières Konzhakovka, Severnyi Iov et Poludnevaia. Les particularités de ce site sont le sommet noté 1311 m, le col de Konzhakov, le replat de Iov, le précipice de Iov. Image 1. [ FIG. 1] .

     Le sommet à la cote 1311 m n’a pas de nom officiel sur les cartes topographiques de l'Etat. Les touristes l’appellent Iouzhnyi Iov (Job du Sud), les géologues: Duparkov Kamen (Mont Duparc). [FIG. 2.] La montagne a une forme conique distincte. Les pentes ont une inclinaison de 20 à 25 degrés; comme partout dans ces endroits, elles sont couvertes d’éboulis de gros blocs. Le sommet est dominé par un reste rocheux remarquable, avec une étroite caverne où l'on peut se mettre à l'abri du vent. La montée vers le sommet semble facile. Le point culminant est visible sur tout le parcours et à chaque pas on voit le but se rapprocher. C’est plus facile psychologiquement que de monter sur le Konzhak et surtout sur le Kosvinkii Kamien (Rocher de Kosva) où il faut gravir des terrasses de montagne sans fin qui couvrent l'horizon. On va rarement à ce sommet; tout le monde désire conquérir Konzhakovskii Kamen. Il arrive qu’un groupe des randonneurs, dans des conditions de mauvaise visibilité, perde la route et à la place du Konzhak s’attaque au sommet de 1311 m. Mais il est préférable d’y venir quand il fait beau. Les environs de la montagne sont, à mon avis, les plus pittoresques de la région de Sverdlovsk. Dans le lointain, vous pouvez contempler les grandes montagnes et vallées de l'Oural du Nord. A proximité du lieu on constate une intéressante combinaison de différents éléments de relief: des pentes d'inclinaisons variées, des aires horizontales, des affleurements rocheux et des escarpements.

Pudovkin Duparc
FIG. 1. A l’approche du Konjakovski Kamen il y a un secteur
qui contient le sommet 1311, le Col Konjakovski,
le replat de Iovski et la Précipice Iovskaia.
Photo E. A. Liamina
Pudovkin Duparc
FIG. 2. Le sommet à la cote 1311 m n’a pas de nom officiel.
Les touristes l’appellent Iouzhnyi Iov (Job du Sud),
les géologues: Duparkov Kamen (Mont Duparc).
Photo I. A. Lobanova

     Les lieux suivants de notre site sont les cols Konzhakovskii et Iovskii. Le col Konzhakovskii se situe entre la montagne Jouzhny Iov (Rocher de Duparc) et le sommet 1350,7 sans nom sur le versant oriental du Konzhak. Parfois il est appelé à tort le col Iovskii. A travers ce col passe une piste de marathon marquée par de hauts jalons. [FIG. 3] Beaucoup de groupes de randonneurs y font une halte avant d'attaquer les pentes du Konzhakovskii Kamen. Au sud-est du col il y a une descente abrupte vers la vallée de la Konzhakovka. Au nord une pente douce descend vers le petit plateau de Iov (col Iovskii ) et vers le bord du précipice Iovskaia. Le petit plateau Iovskii est situé à 1,3 km au nord, à 100 m en dessous du col Konzhakovskii. C’est un col entre le Konzhakovskii Kamen et le mont d’Iov (1263,2 m). Ce n’est pas correct de l’appeler plateau Iovskii à cause de sa petite taille

     Les deux cols, Konzhakovskii et le replat d'Iov, ont l'aspect de "clairières" d'environ 200 m. de diamètre. [FIG. 4] Le sol de sable argileux, un peu marécageux, est couvert d'une végétation herbacée. Ces "clairières", entourées par des affleurements rocheux et des pentes rocheuses, ont l’air insolites et pittoresques. Au centre du petit plateau d’Iov se trouve un petit lac d’une centaine de mètres diamètre. Le lac est très peu profond; il est à sec quand l'été est peu pluvieux; le niveau moyen de l'eau est 1124,5 m. Peut-être que ce lac (si on le considère comme tel) est le plus élevé de l'Oural du Nord. En été et en automne, mis à part les randonneurs, des gens errent dans ces endroits à la recherche des racines d'or (ginseng).

Pudovkin Duparc
FIG. 3. Un parcours de marathon signalé par de hauts jalons
traverse le col Konzhakovskii.
Photo E. A. Liamina
Pudovkin Duparc
FIG. 4. Le replat d'Iov a l'aspect d'une "clairière"
d'environ 200 m. de diamètre.
Photo E. A. Liamina

     Le précipice d'Iov (abîme Iovskii) sur le versant nord-est du Konzhak mérite une attention particulière. C'est l'un des rares cirques glaciaires conservés dans l'Oural du Nord. [FIG. 5] La superficie du cirque glaciaire ne dépasse pas 1 km2, la forme est celle d'un fer à cheval, la longueur du bord supérieur est de 2,5 km, la profondeur de 300 m, la pente moyenne est de 35 degrés. Des pentes raides couvertes d’éboulis de gros blocs alternent avec des parois rocheuses abruptes. La rivière Poludnevaia sort de ce cirque et sa vallée commence par un cañon de 1,5 km. L'eau bondit entre les rochers et tombe en cascades dans le cañon. [FIG. 6, 7] Dans le cadre du paysage montagneux habituel de l'Oural, l'aspect grandiose du précipice d'Iov est envoûtant, Tout aussi frappante est la sournoiserie de l'abîme: la pente douce et "câline" devient soudainement dangereuse, surtout en hiver. [FIG. 8] Des commissions de planification d’itinéraire interdisent aux groupes de touristes de s’approcher du précipice quand le temps est mauvais.

Pudovkin Duparc
FIG. 5. Le précipice d'Iov: un des rares cirques
glaciaires conservés dans l'Oural du Nord.

(Photo du site Internet http://www.ufotki.ru/user/vptaigin/photo157-1909.html)

Pudovkin Duparc
FIG. 6. La rivière Poludnevaia commence à couler en cascades
dans le cañon de sa partie supérieure; elle dévale
parmi les rochers et les gros blocs..
Photo I. A. Lobanova
Pudovkin Duparc
FIG. 7.La rivière Poludnevaia commence à couler en cascades
dans le cañon de sa partie supérieure; elle dévale
parmi les rochers et les gros blocs.
Photo I. A. Lobanova
Pudovkin Duparc
FIG. 8. Ascension sur les pentes escarpées du précipice d'Iov.
Photo E. A. Liamina

     Il y a longtemps, en 1968, lors mon premier voyage dans l'Oural du Nord, j'eus la chance de "tomber" dans le précipice d’Iov. Cette brève randonnée d'hiver a laissé dans ma mémoire de très vives impressions. Notre groupe, formé dans une petite isba de la forêt, comprenait des étudiants de l’UPI (Université polytechnique) et de l’Ecole des Mines de Sverdlovsk. Le matin, nous avions gagné le sommet de la Serebrianka et, longeant la crête, nous nous sommes mis en route vers le Konzhakocskii Kamen couvert de nuages. Le temps s'est rapidement gâté. Dans l'après-midi il devint impossible de rester au sommet, au-dessus de la limite des forêts. La visibilité était inférieure à dix mètres. Le vent renversait quiconque trébuchait et l'entraînait vers le roc ou le monticule de neige le plus proche Il faisait très foid. A ce stade, nous avions perdu l'orientation. Il était clair qu’on devait descendre sur le côté sud de la route Karpinsk - Kytlym. La pente douce et la direction du vent nous poussèrent à aller vers le nord. Dans notre groupe il y avait deux filles de Karpinsk, qui se disaient randonneuses expérimentées, bien familières les lieux. L'une d'elles, Nadia, convainquit facilement les gens à bout de forces et un peu effrayés d’aller dans le sens du vent. L'argument de poids était l'affirmation que la boussole "ne fonctionne pas" dans ces lieux; elle était sûre que le sud était dans le sens du vent. La descente vers la lisière de la forêt fut terrible. En glissant sur une pente très raide, nous vîmes des falaises entre les nuages et nous nous attendions à tomber de l'une d'elles d'un moment à l'autre. Probablement épuisés, certains abandonnèrent leurs skis. Eh bien, les autres qui marchaient derrière réussirent à ramasser ces skis, sinon le groupe arrivé à l'orée de la forêt, n'aurait plus pu bouger dans la neige profonde. Même avec les skis nous ne pouvions pas atteindre la vraie forêt à cause de la fatigue et des ténèbres qui étaient tombées. Nous avons passé la nuit avec du mauvais bois de chauffage, dans la tente en proie aux courants d'air. Au matin, le vent tomba, le soleil se leva indiquant l'est. Le différend entre la boussole et Nadia prit fin en faveur de la boussole. On dut accepter le fait que pour revenir à Kytlym il fallait prendre d'assaut la pente raide dans la direction opposée, puis franchir le col de la vallée de la rivière la Konzhakovka. Le beau temps et l'absence de vent nous permirent de choisir l'itinéraire de retour du précipice d’Iov en toute sécurité. Cette fois, les randonneurs furent plus chanceux.

     Après cet incident sur des cols de l’Oural, je me suis heurté plus d'une fois aux rafales du vent qui renverse un homme. Peut-être la tragédie de Diatlov est associée à cet élément. Les gens ont quitté précipitamment la tente pour aider les camarades emportés par le vent sur les pentes.

     Géologiquement, notre région appartient au massif magmatique du Konzhakovskii, qui fait partie de la ceinture platinifère de l’Oural. Le massif a une forme de triangle aux angles arrondis; les dimensions sont 8 km sur 10 km. Son centre géologique est le corps de dunite d'Iov. Celui-ci affleure actuellement sur le versant oriental de la Konzhakovskii Kamen; sa dimension est de 2,4km sur 1,3 km. Les dunites de la surface s'altèrent rapidement, se transformant en sable et en argile, ce qui fait apparaître les éléments originaux du relief: de petits plateaux couverts de végétation herbacée et le précipice d’Iov d’une profondeur de 300 mètres. Le corps de dunite d’Iov est entouré de pyroxénites. En comparaison de la dunite, ces roches sont beaucoup plus résistantes à la désagrégation. Les sommets des montagnes environnantes, les témoins rocheux et les éboulis de gros blocs sur les pentes sont composés de pyroxénites. Dans les pyroxénites, des géologues ont recherché en vain le minerai de fer; ils n'ont pas trouvé de concentrations industrielles de titanomagnétite. Des concentrations de titanomagnétite à proximité (jusqu’à 10 m) peuvent fortement influencer la boussole. Pour utiliser une boussole il faut s'éloigner de la zone anomale de quelques mètres et s’assurer que l'aiguille de la boussole ne "danse" quand on va tout droit (Ouralskii Sledopyt. 2012, № 3 ).     

Pudovkin Duparc
FIG. 9. Dunite: la plus intéressante roche de la région.
Photo I. A. Lobanova
       Mais revenons à la dunite, la roche la plus intéressante de la région de Kytlym. [FIG. 9] La dunite est une roche qui a scellé le destin du village de Kytlym. L'altération superficielle de la dunite a engendré le placer platinifère de Kytlym. Il y a plus de 100 ans naquit le village qui vécut surtout de l'extraction du platine. Dans les années 80 du siècle dernier des militaires s’intéressèrent à la dunite du mont Kosva. La venue des militaires fit renaître le village. Peut-être que l'avenir de la région sera également lié à la dunite. À la fin des années 70 du siècle passé, il est apparu que les dunites du massif d’Iov étaient des matières premières pour la fabrication de matériaux réfractaires (elles peuvent résister à des températures allant jusqu'à 1770 degrés). Une investigation détaillée fut réalisée jusqu'à une profondeur de 100 m; les réserves s'élèvent à environ 100 millions de tonnes. Le gisement est prêt pour une exploitation industrielle. Probablement, dans un avenir proche, on va chercher le platine originaire des dunites d'Iov, bien que ce massif ne soit pas considéré comme très prometteur: il n'a pas produit des riches placers platinifères. A propos, cette dernière circonstance, peut également témoigner que le platine est conservé dans la dunite indigène.

     Les histoires liées aux dunites de Kytlym, roche particulière et rare, ont commencé il y a longtemps. Dans la première moitié du 19e siècle, des mineurs itinérants espéraient trouver des zones plus riches en allant au Nord des placers platinifères de la rivière Is. En 1835, ils ont découvert un placer alluvial de platine au pied sud-ouest de la montagne Kosvinskii Kamen à la hauteur de la rivière Kosva mais le développement du site ne commença que 40 ans plus tard. En 1893, on découvrit de riches gisements d’un placer alluvial au bord des affluents de la rivière Tylai qui prend sa source dans la montagne Sosnovskii Uval (à l’est du mont Kosvinskii Kamen). En 1898, le développement des riches placers sur ses pentes orientales était entamé; ce qui fut la cause de l’apparition du village de Kytlym. La détection et le développement du placer de platine du Kosvinskii Kamen a animé la vie de la région. Les terres de la Nicolae - Pavdinskaia datcha sont revendues, transférées de main en main et finalement sont devenues des biens du marchand d’Astrakhan K.P.Vorobiov. Dans les deux années précédant la transaction Vorobiov avait invité Louis Duparc pour effectuer des recherches géologiques. Apparemment les résultats des premières expéditions de Louis Duparc dans la région de Kytlym ont convaincu Vorobiov d'acquérir les mines.

    Louis Duparc, diplômé de l'Université de Genève, en 1887 a défendu sa thèse de doctorat en sciences physiques. [FIG. 10] Au début des années 90 du 19e siècle le jeune scientifique fut invité en Russie pour la première fois par Leonid Khatimskii, propriétaire de mines dans le nord de l'Oural, pour explorer des gisements d'or et de platine. Le village Vsevolodo – Blagodatskoie, propriété de Khatimskii, est devenu sa base de recherche. Louis Duparc a examiné de nombreux gisements et indices mais ils n’ont pas montré de grandes réserves. Il a décrit l’orographie et la structure géologique du Denezhkin Kamen; il a étudié la possibilité de construire des routes à travers la taïga vierge vers le sud, en direction de Bogoslovsk. C'est probablement à cette époque que Louis Duparc a rencontré sa future épouse, diplômée des cours supérieurs pour les femmes, Margarita Nikolaievna Tikhonovitch. Louis Duparc aimait non seulement la beauté des montagnes de l'Oural, mais aussi les perspectives d'études géologiques de ce territoire peu peuplé et inexploré. Les premières expéditionsdans l'Oural formé Louis Duparc comme géologue et chercheur; ses articles publiés à Genève l'ont rendu célèbre dans le monde scientifique. L’invitation de Vorobiov a déterminé le sort de Louis Duparc. Pendant vingt ans (jusqu'en 1920) il mena des expéditions dans l'Oural, principalement dans la région de Kytlym. Il étudia des gisements de platine, dirigea des travaux de prospection minière, avança loin au nord jusqu’à Tchistop à la recherche de massifs de dunite. Pendant tout ce temps Margarita Tikhonovitch l’accompagna. "... Pendant les six années suivantes, accompagné de ma diligente collaboratrice M. N. Tikhonovitch, j’ai exploré le nord de l'Oural... en vue de découvrir dans ce vaste espace de nouveaux massifs de dunite... et j'ai réussi à trouver quelques nouveaux gisements de platine."

Il y a cent ans, le "Gornyi Journal" ("Revue minière") a publié une traduction en russe d'une œuvre du professeur de l'Université de Genève Louis Duparc "Le Platine et gisements platinifères de l'Oural " (1913, № 1-3). [FIG. 11] Dans l'histoire de l'étude géologique de l'Oural ce travail est considéré comme un classique. Selon A. A. Efimov, géologue connu de l'Oural, auteur de "Le Massif platinifère de Kytlym", dans la littérature géologique consacrée à l'Oural, les recherches de Duparc sont inégalées en ce qui concerne les descriptions géologiques, l'exhaustivité et la rigueur de l'étude de la composition des roches. La carte géologique de la datcha Nicolae - Pavdinskaia dressée par Louis Duparc est précise et objective. De 1901 à 1920 Louis Duparc et son équipe ont publié en français une longue série d'articles et de monographies sur la ceinture platinifère de l'Oural. Une grande partie de ce travail concerne la zone de platine de Kytlym. L’œuvre fondamentale de Louis Duparc, en collaboration avec M. N. Tikhonovitch, est "Le platine et les gisements platinifères de l'Oural et du monde " publié en 1920 à Genève.

 

Pudvkin Duparc
FIG. 10 Louis-Claude Duparc

Pudovkin Duparc
FIG. 11. Publication de Louis Duparc dans le Journal des Mines
(Горный журнал), 1913.

     On peut supposer avec assurance que l’attitude 1311,0 m (le mont Yuzhnyi Iov) était un point de vue privilégié pour Louis Duparc, autant que pour les géologues suivants. "En 1900 déjà, après mes premières investigations des gisements du Kamen de Kosva, je suis arrivé à la conclusion que le platine se trouve exclusivement dans les dunites... ". De ce lieu d'observation tout est visible et compréhensible: voici des cols creusés à la place des dunites altérés; tout autour des rochers et des éboulis de blocs de pyroxénites, des roches résistantes à l’érosion; la rivière Poloudnevaia commence sa course au petit lac sur le replat d’Iov. Depuis des millions d'années elle a creusé la gorge dans les dunites et les pyroxénites – le Précipice d’Iov - et a emporté une grande quantité de dunite dans son lit. Le platine libéré par l'érosion de la dunite a glissé vers le bas, et s'est accumulé au fond de la rivière, sur le socle rocheux. "Il peut descendre très profondément... et s'y accumuler comme dans de véritables poches qui sont incroyablement riches." Ainsi a été ouvert le gisement de Tylai-Konzhakovskoie avec ses deux rivières platinifères: Severnyi Iov et Poloudnevaia. "J’ai découvert ce gisement en 1901; le tamisage des sables a commencé sur les deux rivières en 1907." Le nouveau gisement fut nommé Konzhakovskii. L’exploitation fut réalisée à la manière des orpailleurs. La valeur du platine a augmenté à cause de la présence d'iridium.  La prospection des années 1913-1914 sous la direction de A. Dourandine mit en évidence la haute teneur du platine. Mais quelque chose alerta la direction du district de Nicolae-Pavdinskii. Le directeur des Affaires minières régionales, P. S. Rumine et le professeur Louis Duparc inspectèrent soigneusement les deux vallées, parcourant environ 40 verstes à pied. La vérification des documents d'exploration a montré que les résultats furent faussés; la teneur réelle du platine dans les sables était décuplée. Dourandine fut accusé de fraude; l'exploitation économique de la mine Konzhakovskii fut arrêté par crainte de voir les pertes augmenter. Le désir de Dourandine de dissimuler des erreurs et de prolonger son service furent reconnus comme le mobile des fraudes. Nous pouvons supposer que Dourandine croyait en un grand gisement de platine du Konzhak et qu'il a, dans ses rapports, augmenté la teneur du métal dans les échantillons afin de conserver le financement des travaux de prospection. Où est donc la platine de la dunite d’Iov? De simples calculs montrent qu'il devrait y en avoir environ une tonne. Peut-être faut-il chercher la partie riche du gisement non près de la surface mais à une profondeur de plusieurs dizaines de mètres, au fond de la gorge enterrée de la rivière Poludnevaia, ensevelie sous des moraines glaciaires à teneur faible en platine? Actuellement, des entreprises minières emploient leurs forces à investiguer frénétiquement des terrains, y compris dans la région de Kytlym. La vallée de la Poludnevaia conserverait le platine de Duparc mais, comme cent ans auparavant, la prospection se déroule dans des conditions très difficiles et défavorables.

     Les résultats de l'étude de Louis Duparc sur le platine de l’Oural ont attiré l'attention des hommes d'affaires occidentaux. "Dans la période 1906-1909 la Société du platine français, se fondant sur les recherches de Louis Duparc, a conclu des contrats profitables pour l'acquisition de platine dans des propriétés privées des districts de Lysva et de Nizhnii Taguil avec le droit d'effectuer sa propre exploitation des gisements. Cela a permis à l'entreprise d'augmenter sa part du marché de platine de l'Oural à 94% et de détenir un monopole dans ce domaine" (Bulletin de la Direction générale de l'Oural de l'Académie des sciences de Russie. 2009, № 2).

     Dans le tourbillon des événements économiques et politiques et des recherches scientifiques du début du 20e siècle, le destin du géologue suisse et ceux de beaucoup de Russes se sont mêlés étroitement. La vie d’un chercheur russe connu, Modeste Anissimovich Clerc, organisateur et chef de la Société des naturalistes amateurs de l'Oural (UOLE) et associé au projet radium, est liée avec celle de Louis Duparc. Dans la seconde moitié des années 1890, Clerc fit son stage chez Duparc à Genève. Clerc a servi consciencieusement sa patrie sous les époques tsariste et soviétique, mais en fin de compte il fut accusé d'espionnage. En tant que consultant de l’Uralplatina, il aurait prétendument transmis à une compagnie anonyme française, avec le concours de Duparc, des informations secrètes sur les gisements de platine. En 1923 Clerc fut exécuté. Dans l’Oural le nom de Boris Vladimirovitch Didkovskii est largement connu. Révolutionnaire, ancien combattant de la guerre civile et militant, il était un de ceux qui ont signé l' ordre d'exécution de la famille du tsar. Dans sa jeunesse Didkovskii fut obligé d'émigrer en raison de sa participation à l'organisation anarchiste. Il fit ses études à l'Université de Genève, sous la conduite de Louis Duparc. En 1913, Duparc emmena le jeune géologue en Russie, comme assistant. Bientôt, Didkovskii devint géologue en chef du district minier de Nicolae-Pavdinskii. Il habita à Pavda de 1913 à 1918. Après la révolution et la guerre civile, à partir de 1920, Didkovskii organisa des recherches géologiques dans l'Oural, devenant ainsi le premier directeur de l'Administration géologique de l'Oural. En 1937, après avoir été arrêté sur de fausses accusations, il fut exécuté. Très probablement, l'ombre de "l’espion français" Louis Duparc planait sur le destin de ce remarquable organisateur de la mise en valeur géologique de l'Oural.

     Le sort de Duparc même et de sa famille fut aussi triste. Son épouse Margarita Nikolaievna est morte à l'étranger au début des années 20. Après la mort prématurée de Duparc en 1932 sa fille fut contrainte de retourner en URSS.

     L'idée de perpétuer le nom de Louis Duparc sur la carte de l’Oural appartient au célèbre géologue O. K. Ivanov. Faisant des études sur le massif Konzakovskii dans les années 1989, il a donné des noms à des endroits caractéristiques pour faciliter ses repères. Ainsi sur les cartes géologiques d’Ivanov est apparu le mont Duparkov Kamen. C'est compliqué d'entériner officiellement l'emploi d'un nouveau nom géographique Cependant avec mes étudiants du Technicum de recherche géologique d’Iss, nous poserons une modeste plaque sur le sommet. [FIG. 12]

Pudovkin Duparc
FIG. 12. Les étudiants du Technicum de Recherche géologique d'Iss au sommet du Mont Duparc (Gora Duparkov Kamen).
Photo I. A. Lobanova
       Les gisements de platine de Kytlym ne sont pas des plus riches; ils représentaient environ 5 à 10% du platine exploité dans l'Oural (environ 30 tonnes). Mais du point de vue du géotourisme "platinifère" cette région est très attractive: un paysage magnifique, des sites géologiques classiques, des vestiges d'anciennes exploitations, la possibilité d’extraire quelques grains de platine pour sa propre collection (quand cela sera légalement autorisé dans notre pays). Dans un futur guide de la région de Kytlym une place sera réservée à des textes et à des illustrations d'articles scientifiques de Louis Duparc.

 

© Auteur: A. E. Poudovkine, professeur au Technicum de Recherche Géologique d’Iss, Nizhniaia Tura, Sverdlovsk Oblast, Russie.
© Traduction française par Karine Perroud de l'original de A. E. Poudovkine.
© Photos:  I. A. Lobanova, E. A. Liamina.

Le même texte et les figures ont été aussi envoyés au magazine Ouralskii Sledopit (Уральский следопыт) et publiés dans le №5, 2014.

 


 

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