«A l’origine, le christianisme n’est pas une religion du Livre»

Jésus a transmis son enseignement par oral, comme ici lors du sermon sur la montagne. / @iStock
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Jésus a transmis son enseignement par oral, comme ici lors du sermon sur la montagne.
@iStock

«A l’origine, le christianisme n’est pas une religion du Livre»

INTERVIEW
Jésus fascine et intrigue depuis plus de 2000 ans. Mais que savons-nous de la figure centrale du christianisme et de ceux qui ont raconté son histoire? Rencontre avec Andreas Dettwiler, professeur de Nouveau Testament à Genève.

Le christianisme est considéré comme une religion du Livre, pourtant Jésus n’a jamais rien écrit…

ANDREAS DETTWILER C’est vrai, Jésus n’a probablement rien écrit. Ce n’est pas surprenant, car dans l’Antiquité la transmission du savoir se faisait essentiellement par oral. Il faut toutefois un peu nuancer en ce qui concerne le christianisme. Il fait initialement partie du judaïsme, qui possède une grande culture de l’interprétation et de l’actualisation du savoir religieux, tant orale qu’écrite. Le christianisme est donc familier avec la production écrite. D’ailleurs, dès les Ier et IIe siècles, les communautés chrétiennes produisent une quantité impressionnante de littérature. Le christianisme n’est donc initialement pas une religion du Livre, mais il le devient.
 

Par rapport à Jésus, est-on sûr qu’il a réellement existé?

Oui, sans nul doute. La très grande majorité des chercheurs le pensent également. Nous disposons d’une documentation littéraire variée qui émane de plusieurs sources indépendantes. Il y a plusieurs Evangiles, des lettres de Paul et quelques sources non chrétiennes, notamment Tacite et Flavius Josèphe. Ces dernières
sont modestes, mais elles attestent que Jésus a existé et a été crucifié par Ponce Pilate. A ma connaissance, personne dans l’Antiquité, même pas ses adversaires les plus coriaces, n’a remis en question l’existence de Jésus.

Sur quelles sources se basent les Evangiles pour raconter l’histoire de Jésus?

Selon un consensus bien établi dans la recherche, l’Evangile de Marc est le plus ancien. Rédigé autour de 70 de notre ère, il a servi de source aux Evangiles de Matthieu et de Luc. Ces deux derniers se sont probablement servis d’une tradition commune, parfois appelée «la source des paroles de Jésus», qui remonte à mon avis aux années 50. Quant à l’Evangile de Jean, il fait aussi apparaître des traditions plus anciennes qui sont intéressantes
d’un point de vue historique. Mais nous n’avons pas affaire à des récits de témoins oculaires. Nous sommes donc en situation de secondarité par rapport à l’événement historique.

Le dossier en bref

Le protestantisme ne reconnaît pas à une Église ou à une institution l’autorité de définir une interprétation correcte du texte biblique. Les croyantes et les croyants donnent donc des sens variés aux tensions qui existent dans le corpus biblique. Les tentatives de lire la Bible au pied de la lettre sont quant à elles, une invention moderne.

Dans le catholicisme romain, l’on reconnaît au pape et aux évêques l’autorité de canaliser la créativité des fidèles dans leur interprétation « dans une saine fidélité aux énoncés du Credo » alors que l’orthodoxie reconnaîtra d’autant plus facilement une interprétation nouvelle qu’elle s’inscrira dans une chaîne de sens remontant jusqu’aux pères de l’Église.

Si l’Église primitive a produit de nombreux écrits, elle s’inscrit dans une tradition où la transmission des savoirs se fait essentiellement par oral. D’ailleurs, Jésus n’a pas laissé d’écrits à ses disciples. D’ailleurs, aujourd’hui encore, le judaïsme fait de la lecture de la Torah, un événement oral.

Les Evangiles ont-ils une valeur de récits historiques?

Les Evangiles ne se considèrent pas comme un procès-verbal d’un événement historique. Il s’agit d’une littérature engagée, qui veut amener son auditoire vers un point de vue proprement religieux. Ils n’ont donc pas une ambition historiographique. L’auteur de l’Evangile de Luc, toutefois, annonce explicitement dans sa préface qu’il se comprend aussi comme historien. Dans ce cas, il convient de comparer son récit avec les autres œuvres historiographiques de l’époque.

Quelle est l’importance du Jésus historique pour les chrétiens?

Je vais peut-être vous surprendre, parce que je pense qu’elle est limitée. Certes, la foi chrétienne est intimement liée à l’Histoire, puisqu’elle ne se réfère pas à une vérité abstraite, mais à une personne historique concrète, Jésus de Nazareth. Cela dit, la foi chrétienne, comprise comme confiance en Dieu, ne peut en dernière instance se fonder sur telle ou telle reconstruction de la vie de Jésus. Ce serait confondre investigation historique et geste proprement religieux. Il s’agit là de deux approches du réel qui sont très différentes.

Au niveau de la recherche sur le Jésus historique, est-ce qu’il y a encore des choses à découvrir aujourd’hui?

Ce travail historique n’est jamais terminé ! De nouvelles connaissances ont beaucoup enrichi, ces derniers temps, notre compréhension de Jésus de Nazareth et du milieu culturel et politique dans lequel il a vécu. Bien entendu, la recherche sur le Jésus historique n’aboutit qu’à des résultats provisoires. Nous ne sommes pas en possession mais en quête d’une vérité. Et peut-être que nos questions sont plus importantes que les réponses que nous proposons.
 

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