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Ni une défaite ni un triomphe

Le samedi 29 février, une messe doit être célébrée sous les voûtes du temple de Saint-Pierre, l'ancienne cathédrale. C'est là un événement inédit… du moins depuis ce mardi 10 août 1535, quand le Conseil des Deux-Cents prenait la décision de suspendre jusqu'à nouvel avis l'exercice de la messe à Genève.

De quelque bord que l'on soit, on a forcément un avis. Si l'on est catholique et qu'on applaudit à l'événement, on pourrait être tenté de dresser un parallèle entre 1535 et 2020 et de voir entre ces deux dates une malencontreuse parenthèse de près de 500 ans. Si l'on est protestant et qu'on fulmine au contraire à l'idée qu'une messe soit célébrée à Saint-Pierre, on dira alors qu'il valait bien la peine de repousser les Savoyards en 1602 si c'est pour ouvrir aujourd'hui le lieu le plus symbolique de Genève à une cérémonie catholique.

Aucune de ces deux lectures n'a de pertinence historique. D'abord parce que les choses ont tellement changé à Genève depuis la Réforme que les comparaisons trop rapides sont hasardeuses. Entre le XVIe siècle et nous, il y eu les Lumières, les Révolutions, le Kulturkampf, la suppression du budget des cultes, le déclin des pratiques religieuses, soit autant d'étapes qui ont transformé notre paysage religieux. Ensuite parce que protestants et catholiques sont aujourd'hui plus proches les uns des autres qu'ils ne le sont de leurs ancêtres respectifs.

Un protestant genevois de 2020 a bien davantage en commun avec ses amis catholiques qu'avec les quatre grands Réformateurs des Bastions, lesquels considéraient comme autant d'évidences qu'on recoure à la condamnation à mort, qu'on tienne les femmes à l'écart du pouvoir et de la vie intellectuelle, ou qu'on qualifie les papistes d'esprits superstitieux et malfaisants. Et un catholique genevois de 2020 a bien davantage en commun avec ses amis protestants qu'avec ses prédécesseurs d'avant Vatican II, lesquels voyaient la Réforme comme le plus grand malheur qu'ait jamais connu l'Eglise, considéraient les protestants comme des traîtres à la solde de Satan ou tenaient pour un péché mortel de poser le pied dans un temple (c'est ce que racontait encore à ses catéchumènes le curé de Versoix dans les années 1940).

En 2020, à l'inverse de ce qu'un tel événement aurait signifié au lendemain de l'Escalade, l'ouverture de Saint-Pierre pour la célébration d'une messe n'est l'expression ni de la défaite des uns ni du triomphe des autres. A l'heure où le siège de Pierre est occupé par un homme exceptionnellement intelligent et ouvert au dialogue (ce qui lui vaut d'ailleurs dans son camp quelques haines tenaces), à l'heure où à Genève les liens entre les Eglises protestante et catholique sont éprouvés par plusieurs décennies d'échanges, l'ouverture de Saint-Pierre est un geste symbolique de solidarité qui vient à temps.