Longtemps l’Église s’est crue infaillible. Elle fait aujourd’hui l’amère expérience de sa propre mortalité. C’est du moins ainsi que l’on peut interpréter des réformes qui ― si modestes qu’elles paraissent ― sont néanmoins une petite révolution dans les antichambres compassées de la curie romaine. L’institution a-t-elle senti que, cette fois-ci, il en allait de sa survie ? Il n’est que temps. Avec les scandales de pédocriminalité et les viols de religieuses, les fidèles qui se croyaient membres d’un corps mystique se sont découvert les complices d’une société de criminels.

En Allemagne, 216 000 baptisés ont refermé la porte de leur église en 2018 [1]. Ils laissent derrière eux des lieux vides, des prêtres esseulés et surmenés. Quant aux Français, la majorité d’entre eux ont une image négative de l’Église catholique [2]. Non que les chiffres aient à dicter les choix. Ils sont le signe d’un profond désarroi : comment peut-on encore être catholique ? La question se pose crûment : matériellement et en conscience.

Renouveler une Église ruinée

Pourtant, qui prend au sérieux la question de la réforme des institutions et d’un aggiornamento de son rapport au pouvoir ? D’un côté, il y a ceux qui acceptent de laisser l’édifice brûler en comptant sur l’action de l’Esprit pour que l’Église renaisse de ses cendres. C’est l’option « évasion lyrique » ou « mystique de la terre brûlée ». D’autres préfèrent serrer les rangs et se tenir les coudes avec une discipline forte pour tenir ensemble, dans la débâcle, les derniers contingents d’irréductibles. C’est l’option « dogmatique martiale ».

Il est possible, pourtant, d’emprunter une troisième voie qui ne soit pas en marge du temps, un chemin de crête exigeant par lequel nous pouvons renouveler une Église ruinée en créant de nouveaux dispositifs institutionnels, et en exhortant tous les baptisés à participer à cette mission. C’est l’option « réinvention pragmatique ». Ce serait une Église intempestive : actuelle, au cœur des défis économiques, pour soutenir les combats à mener en vue de sortir du modèle de croissance imposé par les impératifs néo-libéraux.

Une Église au milieu des défis écologiques pour apprendre à habiter la terre sans la saccager, et des défis sociaux pour mettre fin à toutes les formes plus ou moins insidieuses de domination des femmes, des personnes « racisées », celles défiant les normes établies du genre, et de tout autre élément du vivant qui ne trouve pas grâce aux yeux de la reconnaissance humaine. Il s’agirait de porter un regard bienveillant sur la diversité des expériences humaines qui adviennent au gré des transformations sociales. Inactuelle, elle le serait dans un style de présence bienfaisante, la présence anticipée d’une vie ressuscitée.

Une Église en manque de sens des réalités

Pour cela, une riposte aux défis émanant des structures ecclésiales est urgente. Il est quand même sidérant de constater le manque de sens des réalités de la hiérarchie, que l’actualité des affaires de pédocriminalité manifeste une nouvelle fois avec l’humiliante proposition d’indemnisation faite à Lourdes, contestée de façon quasi-unanime par les victimes. On se gargarise de la nécessité de faire une place aux laïcs pour permettre aux clercs, et en premier lieu aux évêques, d’être au fait de ce que vivent, pensent et désirent les catholiques. Mais n’est-ce pas là un vœu pieux depuis le temps que résonne ce son de cloche ? De même que la structure de gouvernance actuelle, pensée et menée depuis des siècles surtout par des hommes, et des hommes célibataires, qui semblent juchés sur le tas de travaux des déshéritées de l’Église, n’offre pas les conditions d’un changement réel pour les femmes. Comment rendre active la participation de tou-te-s les baptisé-e-s ? Le synode organisé récemment à propos de l’Amazonie pour ajuster l’Église aux nécessités locales est un bon exemple d’une modalité institutionnelle qui permet aux fidèles de mettre la main à la pâte législative.

La pratique de la synodalité témoigne que l’Église n’est pas seulement une institution hiérarchique mais qu’elle peut être démocratique. Plus encore, qu’elle est substantiellement démocratique.

Écrire une page de l’histoire de l’Église en donnant à voir ses visages cachés

Mais ne nous enthousiasmons pas trop vite ; les propositions de création de nouveaux ministères, notamment pour les femmes, peuvent être des leurres. Si, a priori, elles sont un geste d’inclusion à leur égard, en réalité, elles peuvent aussi contribuer à renforcer le cléricalisme et la verticalité du pouvoir en réservant à des « ministres » des missions, c’est-à-dire en triant sur le volet, en contrôlant ces personnes, et en excluant les autres. Ce qui est à gagner en « inclusion » est perdu en liberté et en spontanéité des communautés.

L’élitisme de certains récusera le triomphe de la démocratie dans une institution pluriséculaire de droit divin dont la longévité tiendrait à son organisation hiérarchique et à ses ministères spécifiques. Mais cet élitisme institutionnel se trompe en pourfendant une « Église-reflet » de la démocratie qui se ferait le simple miroir (systématiquement en retard d’ailleurs !) de la société, dupée par ses modes illusoires et aliénant la puissance de contradiction des Évangiles. Or, ce dont nous avons besoin pour défricher cette troisième voie, c’est d’une « Église-source », qui permet à chacun d’écrire une page de l’histoire de l’Église en donnant à entendre ses voix tues, à voir ses visages cachés, à laisser officier ses mains perdues, celles des femmes, des hommes, des laïcs.

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Anne Guillard et Laurent Grzybowski, journaliste à La Vie sont co auteur du livre « Une autre Église est possible ! – 20 propositions pour sortir de la crise catholique », aux éditions Temps Présent (novembre 2019)

1] Chiffres publiés par le Conférence des évêques allemands le 19 juillet 2019.

[2] Sondage Odoxa-Témoignage chrétien du 27 mars 2019, selon lequel 56 % des personnes interrogées ont une mauvaise opinion de l’Église catholique, taux qui s’élève à 40 % chez les catholiques.