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1. L'épaule-introduction


1.1 Historique

      La luxation traumatique antérieure de l'articulation gléno-humérale a été de tout temps un problème important pour les hommes et leur médecine. La première allusion reconnue à cette affection remonte aux environs de 3000-2500 avant JC, sur le papyrus d'Edwin Smith80. La première description détaillée de la luxation antérieure de l'épaule (anatomie, types et premier traitement chirurgical) est due à Hippocrate, né en 460 avant JC28 : il y décrit notamment une méthode de réduction à l'aide du talon du médecin appuyant une balle de cuir contre la tête de l'humérus, et une méthode de cautérisation transcutanée de la capsule articulaire à l'aide d'un fer chauffé à rouge pour le traitement de la luxation récidivante.

      En 1861, Flower17 présente la première description des changements anatomiques dus à la luxation de l'épaule. Bankart décrit le détachement de la capsule articulaire de la partie antérieure de la glène lors du déplacement antérieur de la tête humérale en 19231, et Hill et Sachs décrivent en 1940 l'indentation postéro-supérieure de la tête humérale par la lèvre antérieure de la fosse glénoïde lors de luxation antérieure, qui n'est autre qu'une fracture de compression26 ; cette même lésion avait aussi été décrite en 1855 par Malgaigne47. En 1898, Franke décrit les changements radiologiques de cette affection18 trois ans après la découverte de la radiologie.

      Les premiers traitements de réduction en cas de luxation aiguë sont dus à Hippocrate. Il décrivit six méthodes différentes28 qui seront au fil des siècles améliorées et modifiées par ses successeurs (Kocher36, Milch52, Lacey37). Dès 1880, plusieurs méthodes de reconstruction anatomique de la capsule articulaire, des tendons, des ligaments, du labrum glénoïdien ou de la coiffe des rotateurs font leur apparition1, puis des techniques de tension de la capsule55, d'approfondissement de la cavité glénoïdienne25, d'augmentation de la stabilisation musculaire articulaire8 16 et enfin la technique du shrinkage thermique (par laser ou radiofréquences).


1.2 Anatomie15 68

      Les repères de surface de l'épaule sont le processus coracoïde, l'acromion et l'épine, faisant partie de la scapula, ainsi que le sillon delto-pectoral, dépression entre les muscles deltoïde et grand pectoral.

      Les muscles impliqués dans les mouvements de l'articulation gléno-humérale sont les suivants :

      L'articulation gléno-humérale, de type énarthrose, est la plus mobile et la plus instable des articulations : elle permet une abduction sur 120o (l'abduction totale de l'humérus est de 180o, les 60o restants grâce à la mobilité de l'articulation scapulo-thoracique), une rotation externe de 80o et interne de 80o, une élévation de 180o et une extension de 40o. La surface de la cavité glénoïde représente un quart de la surface de la tête de l'humérus, et son rayon de courbure est plus grand que celui de la tête humérale; cette cavité est assez plate, ce qui permet une mobilité très importante aux dépens d'une stabilité réduite.


1.3 Stabilisation de l'articulation gléno-humérale

      Certains éléments anatomiques et physiologiques contribuent à stabiliser l'articulation gléno-humérale en maintenant la tête humérale au centre de la cavité glénoïde :

      En résumé, la stabilisation de l'articulation gléno-humérale résulte des effets conjugués de l'orientation de la cavité glénoïde par rapport à la tête humérale, de la forme de la cavité glénoïde, des états de tension des ligaments, de la balance des forces musculaires, des forces d'adhésion et de cohésion, de la dépression intracavitaire et du volume articulaire réduit.


2. L'instabilité gléno-humérale

      L'instabilité gléno-humérale est l'impossibilité de maintenir la tête humérale dans la cavité glénoïde et se traduit par des luxations récidivantes de l'articulation ; ce phénomène est auto-entretenu, la luxation entraînant l'instabilité post-réductionnelle et l'instabilité engendrant la luxation.


2.1 Types

      L'instabilité gléno-humérale peut être classée selon différents schémas : luxation traumatique ou atraumatique ; luxation antérieure, postérieure, inférieure, supérieure (rarissime voire inexistante) ou multidirectionnelle ; luxation volontaire ou involontaire.

      La luxation traumatique est associée à une lésion osseuse, de la coiffe des rotateurs, du labrum, de la capsule articulaire ou des ligaments. Elle est unidirectionnelle et unilatérale, et son traitement en cas de récidive est chirurgical, d'où l'acronyme TUBS (Traumatic Unilateral Bankart Surgery)61.

      La luxation atraumatique est le plus souvent d'étiologie inconnue avec une tendance à l'anamnèse familiale positive11 (dans certains cas, une étiologie est reconnue : par exemple la dysplasie glénoïdienne, le syndrome d'Ehler-Danlos, les troubles neurologiques de type encéphalite, accident vasculaire cérébral ou lésion traumatique périnatale du plexus brachial), multidirectionnelle et bilatérale, et des lésions histologiques sont le plus souvent retrouvées à l'examen29 32 : les fibres collagènes des muscles, des tendons, de la capsule articulaire, du labrum et de la peau montrent souvent des signes d'immaturité avec une déplétion des images de «crossing-over». Son traitement en cas de récidive est d'abord la rééducation et le renforcement des éléments stabilisateurs musculaires puis devant un cas rebelle la chirurgie, d'où l'acronyme AMBRI (Atraumatic Multidirectional Bilateral Rehabilitation Inferior capsular shift).

      Une étude menée sur une série de luxations antérieures a montré qu'environ 96% d'entre elles sont d'origine traumatique et 4% seulement d'origine atraumatique67.

      Les différents types directionnels seront discutés plus loin.

      La luxation volontaire est souvent associée à une instabilité émotionnelle ou à des troubles psychiatriques66, et le traitement chirurgical est inefficace.


2.2 Degrés

      L'instabilité articulaire gléno-humérale peut être divisée en plusieurs degrés d'importance :


2.3 Directions

      La luxation antérieure, aussi appelée sous-coracoïde, est le type le plus commun. Elle survient en cas d'abduction/extension/rotation externe forcées. La tête humérale est déplacée antérieurement par rapport à la glène, soit sous le processus coracoïde, soit avec une composante inférieure la mettant sous le niveau de la glène, soit sous la clavicule et médialement au processus coracoïde. Deux types rares de luxation antérieure sont la luxation intrathoracique, la tête humérale passant entre les côtes, et la luxation rétropéritonéale ; ces deux types requièrent un traumatisme très important, et sont le plus souvent associés à des fractures du tubercule majeur de l'humérus, à une avulsion de la coiffe des rotateurs, à des troubles neurovasculaires ou pulmonaires et à un emphysème sous-cutané.

      La luxation postérieure est plus rare, et la tête humérale se retrouve souvent enclavée sous l'acromion (le plus fréquemment), sous la glène ou sous l'épine scapulaire. Ses étiologies sont l'épilepsie, les chocs électriques, les traumatismes routiers et la chirurgie, pendant lesquels la contraction violente des rotateurs internes dépasse la puissance des rotateurs externes et le bras se retrouve en adduction/rotation interne forcée. Son diagnostic reste initialement méconnu dans 60 à 79% des cas14 51 64.

      La luxation inférieure est rare et survient lors d'abduction forcée, le col huméral buttant contre l'acromion et créant ainsi une force de levier suffisante pour provoquer la luxation. La tête humérale se retrouve dans le creux axillaire sous la glène, bloquant le bras en abduction maximale (110o-160o) ; la clinique en est on ne peut plus claire (luxatio erecta). Au vu de la force importante nécessaire à ce type de luxation, de nombreuses lésions extra-articulaires sont associées : dommages importants aux tissus mous, fractures de la région du col huméral, avulsion des muscles sus-épineux, pectoral majeur ou petit rond39 46 54, troubles neurovasculaires et parfois même ouverture de la peau donnant lieu à une luxation ouverte dans l'aisselle. Le traitement en est la réduction fermée (traction axiale et contre-traction au niveau de l'épaule) ou chirurgicale avec réparation capsulaire.

      La luxation supérieure est extrêmement rare, donc peu connue. Son mécanisme est une force très importante vers le haut et l'avant appliquée à un bras en adduction. Souvent y sont associées des fractures (acromion, articulation acromio-claviculaire, clavicule, processus coracoïde ou tubercules majeur et mineur de l'humérus) et des lésions des tissus mous (coiffe des rotateurs, tendon du biceps, nerfs ou vaisseaux). Cliniquement, la tête humérale est vue et palpée plus haut que l'acromion et le bras est court et en adduction. Les mouvements de l'épaule sont diminués et douloureux, ce qui est cependant peu spécifique.

      La luxation bilatérale survient en cas de convulsions, de chocs électriques ou de traumatismes violents. Elle est rare et le plus souvent postérieure ou antérieure.


2.4 Clinique

      L'anamnèse précise le mécanisme de la luxation : position du bras, quantité de force appliquée, circonstances. En cas d'instabilité récurrente, il faut faire décrire le mécanisme du premier épisode de luxation, la durée de la luxation, les éventuelles radiographies disponibles, les moyens de réduction utilisés, les éventuelles lésions neurovasculaires ou de la coiffe des rotateurs et les éventuels traitements appliqués contre les luxations récidivantes et leur effet.

      L'examen clinique en cas de luxation antérieure montre des douleurs de l'épaule en cas d'épisode aigu, un spasme musculaire (essai de stabilisation articulaire), une tête humérale palpable sur la face antérieure de l'épaule et dans le creux axillaire, un creux sous l'acromion (signe de l'épaulette) sur la face postérieure de l'épaule, une position du bras en légère abduction et rotation externe, une limitation à l'adduction et à la rotation interne et des anomalies au status neurovasculaire.

      En cas de luxation postérieure, l'épaule montre peu de déformation et sa position est normale, en adduction et rotation interne. Cependant, la rotation externe est limitée (<0o) ainsi que l'abduction (<90o), par blocage de la tête humérale (impaction contre la lèvre de la glène, contracture musculaire). A l'inspection, on trouve une proéminence du processus coracoïde, une proéminence arrondie sur la face postérieure de l'épaule et un aplatissement de la face antérieure de l'épaule ; cette asymétrie est la mieux reconnue lors de l'inspection en vue axiale supérieure des épaules. La reconnaissance de cette affection n'en reste pas moins difficile et le risque d'évolution grave en cas d'absence de traitement est important : augmentation des dommages osseux permettant une augmentation de la mobilité articulaire et atrophie musculaire rendant plus flagrants l'aplatissement antérieur de l'épaule et la proéminence de la tête humérale et de l'acromion. Le délai moyen de diagnostic est d'environ huit mois27, et entre-temps le diagnostic immérité d'«épaule gelée» est le plus souvent posé.

      Dans tous les cas de luxation, il est impératif d'effectuer le status neurovasculaire avant toute tentative de réduction.


2.5 Radiologie

      En cas de luxation gléno-humérale, l'étude radiologique est un atout diagnostique permettant de préciser la direction de luxation, la présence d'éventuelles fractures associées (problématiques lors de la réduction) et l'existence de possibles obstacles à la réduction. Trois incidences standardisées sont utilisées : l'incidence antéro-postérieure dans le plan scapulaire, l'incidence latérale dans le plan scapulaire et l'incidence axillaire. L'incidence antéro-postérieure dans le plan du corps est inutile, car le chevauchement important des structures osseuses donne lieu à une vision imprécise de l'articulation gléno-humérale.

      L'incidence antéro-postérieure dans le plan scapulaire donne une bonne image de l'articulation gléno-humérale : l'espace articulaire y est normalement libre, et une fracture humérale ou de la lèvre glénoïde facilement diagnosticable.

      L'incidence latérale dans le plan scapulaire donne une image de la scapula en forme de «Y» (la branche antérieure représentant l'acromion et la branche postérieure le processus coracoïde et l'épine scapulaire), avec la tête humérale au centre des deux branches: on verra un déplacement antérieur de la tête humérale par rapport aux branches du «Y» en cas de luxation antérieure et un déplacement postérieur en cas de luxation postérieure.

      L'incidence axillaire est d'une grande importance, car elle révèle clairement d'une part la direction et l'importance du déplacement de la tête humérale par rapport à la glène dans les formes de loin les plus fréquentes de luxation gléno-humérale (antérieure et postérieure), et d'autre part les fractures de compression de la tête humérale (lésion de Hill-Sachs), les fractures de la glène et celles des tubercules huméraux.

      Les trois incidences décrites ci-dessus sont les plus importantes pour l'évaluation radiologique minimale d'une luxation gléno-humérale. Le CT-scan est aussi utilisable, pour des reconstructions en trois dimensions par exemple.


2.6 Lésions associées


2.6.1 Luxation antérieure

      Ligaments et capsule : à la luxation antérieure s'associe souvent une avulsion du ligament gléno-huméral antérieur inférieur et de la capsule au niveau de la partie antérieure de la lèvre glénoïde (lésion de Bankart), surtout chez les plus jeunes. La non-guérison d'une telle lésion est un facteur majeur d'instabilité récurrente d'origine traumatique. On assiste parfois à l'avulsion de la capsule articulaire au niveau de son attachement huméral antérieur et inférieur, avec à certaines occasions la présence d'un fragment osseux huméral libre.

      Fractures : en cas de luxation antérieure traumatique, on trouve souvent une fracture de la glène, de l'humérus (fracture par compression de la face postéro-latérale de la tête, résultant de son impaction contre la glène, dite lésion de Hill-Sachs, fracture du col parfois non-déplacée au moment de la luxation, mais se déplaçant au moment de la réduction), des tubercules majeur ou mineur ou du processus coracoïde.

      Coiffe des rotateurs : la fréquence d'une déchirure de la coiffe des rotateurs en cas de luxation antérieure augmente avec l'âge : 30% chez les plus de quarante ans, 80% chez les plus de soixante ans33 58 59 69. La clinique se compose de douleurs et de faiblesse lors de la rotation externe et de l'abduction (le diagnostic différentiel de la faiblesse est une lésion du nerf axillaire engendrant une parésie neurogène). Le diagnostic est posé grâce à l'échographie, l'arthrographie ou l'IRM : un de ces trois examens doit être effectué d'office si un patient de plus de quarante ans se présente avec un déplacement antérieur important de la tête humérale ou une faiblesse ou des douleurs persistant pendant plus de trois semaines après la luxation. Le traitement d'une déchirure de la coiffe des rotateurs amène à discuter une prise en charge chirurgicale rapide pour éviter une faiblesse importante de l'épaule et une instabilité antérieure récurrente.

      Vaisseaux : les lésions vasculaires se retrouvent surtout chez les patients âgés, porteurs de vaisseaux rigides et fragiles. Les lésions les plus fréquentes se produisent au niveau de l'artère axillaire ou de ses branches (artères thoracoacromiale, sous-scapulaire, circonflexe) et de la veine axillaire, ces deux axes passant antérieurement à l'articulation gléno-humérale35. Ces vaisseaux sont lésés soit au moment de la luxation (surtout s'il existe un déplacement inférieur de la tête humérale) soit au moment de la réduction (rarement, mais mortalité importante et risque d'amputation et de perte fonctionnelle)20. Les vaisseaux sont lésés soit par avulsion d'une branche, soit par section complète, soit par thrombose sur lésion intimale. Cliniquement, on peut trouver des douleurs, un hématome croissant, un déficit des pouls, une cyanose périphérique, une froideur et une pâleur périphérique, une dysfonction neurologique ou un état de choc. Le diagnostic se fait par doppler ou artériographie et le traitement est une urgence chirurgicale (reconstruction vasculaire ou résection-greffe, et lutte contre le choc). En attendant l'acte opératoire, on doit effectuer une compression digitale de l'artère axillaire contre la première côte. Le pronostic est bon si le traitement est rapide, avec cependant des risques de claudication intermittente du membre supérieur.

      Nerfs : le plexus brachial est situé antérieurement à l'articulation gléno-humérale, et est donc facilement lésé lors de la luxation antérieure, par étirement des fibres nerveuses3 72. Les types de lésion nerveuse sont la neurapraxie (pas de dommage structurel, guérison spontanée en six semaines), l'axonotmèse (interruption des axones avec conservation de l'intégrité des gaines nerveuses, croissance axonale de deux à trois centimètres par mois) et la neurotmèse (interruption des axones et des gaines nerveuses, pronostic fonctionnel mauvais)5 7 42. L'incidence de lésions nerveuses en cas de luxation antérieure est de 33 à 45%, le plus souvent au niveau du nerf axillaire (originaire du cordon postérieur du plexus) qui croise la face antérieure du muscle sous-scapulaire (jusque dans 33% des cas de luxation antérieure), parfois au niveau du nerf radial, musculo-cutané, médian, ulnaire ou du plexus entier. Cliniquement, en cas d'atteinte du nerf axillaire, on peut trouver une faiblesse, un engourdissement et une anesthésie (atteinte sensitive du moignon de l'épaule et faiblesse du muscle deltoïde), et le diagnostic est posé à l'électroneuromyographie trois à quatre semaines après l'événement. Il n'y a pas de traitement, la neurapraxie guérissant spontanément et les autres lésions ayant un mauvais pronostic.

      Récurrence : les facteurs les plus importants entraînant une instabilité gléno-humérale et une récurrence des luxations antérieures sont les suivants : l'avulsion de la capsule ou des ligaments gléno-huméraux capsulaires au niveau de la lèvre glénoïde antérieure (lésion de Bankart) ; la fracture compressive postéro-latérale de la tête humérale (lésion de Hill-Sachs) ; l'importance du traumatisme initial (plus la première luxation est facile, plus la récidive est fréquente) ; l'âge du patient (la luxation gléno-humérale a deux pics d'incidence : aux alentours de 20 ans et aux alentours de 60 ans ; les luxations primaires sont beaucoup plus fréquente vers 60 ans, mais ces luxations récidivent plus vers 20 ans (33-90%) que vers 60 ans (10-15%) ; chez la personne âgée, la fracture du tubercule majeur et la tension capsulaire post-luxation sont des facteurs de stabilité) ; la luxation atraumatique est beaucoup plus susceptible de récidiver que la luxation traumatique ; les hommes récidivent plus que les femmes ; il est à noter que la période d'immobilisation post-réduction n'influence pas la stabilité future de l'articulation. Les récidives se font le plus souvent dans les deux ans suivant la luxation initiale.


2.6.2 Luxation postérieure

      Fracture : les fractures le plus souvent associées à une luxation postérieure sont celles de la lèvre glénoïde postérieure et de l'humérus proximal (tubercules, tête). On trouve aussi fréquemment une fracture par compression de la tête humérale antéro-médiale («reverse Hill-Sachs lesion»), le plus souvent lors du premier épisode de luxation postérieure: la taille de la fracture augmente avec les récidives.

      Tissus mous : les lésions de la coiffe des rotateurs, des vaisseaux et des nerfs sont rares par rapport à la luxation antérieure.


2.7 Traitement de la luxation gléno-humérale


2.7.1 Luxation antérieure traumatique aiguë

      Le traitement de la luxation antérieure traumatique aiguë est la réduction douce après bilan radiologique. La réduction doit être effectuée le plus tôt possible, pour éviter les lésions neuromusculaires, le spasme musculaire, l'augmentation de la taille des lésions de Hill-Sachs et la chronicité de la luxation. Plusieurs techniques sont utilisables (Stimson, Davos, Saha) : le patient étant en décubitus ventral ou dorsal, une traction est appliquée dans l'axe du bras, accompagnée de mouvements de rotation interne et externe, et une contre-traction est appliquée au niveau de l'épaule ou de l'aisselle. La réduction une fois terminée, des radiographies et un bilan neurovasculaire doivent être effectués. L'indication à une analgésie pendant la réduction est discutée de cas en cas, suivant la durée de luxation, l'importance du choc subi, le nombre d'épisodes antérieurs, l'éventuel enclavement de la luxation et la relaxation musculaire locale possible.


2.7.2 Luxation antérieure traumatique chronique

      On parle de luxation chronique dès que sa durée sans réduction dépasse quelques jours : la plupart de ces cas se retrouvent chez les personnes âgées, les patients souffrant de maladie chronique et les malades mentaux. La réduction de ces luxations suit les mêmes modalités qu'en cas de luxation aiguë, avec la différence que l'anesthésie générale est le plus souvent utilisée afin d'obtenir l'analgésie et la relaxation musculaire requises pour des manipulations plus difficiles en raison d'une rétraction et d'une impaction des structures articulaires. En cas de réduction fermée impossible, la réduction chirurgicale est tentée, impliquant la section du tendon du muscle sous-scapulaire et de la capsule antérieure : le bras est alors mobilisé en rotation externe et traction latérale pour permettre la désimpaction de la tête humérale, puis en rotation interne et traction latérale pour sa réduction ; si des lésions importantes sont trouvées sur la tête humérale impliquant plus de 40% de sa surface articulaire, l'indication à son remplacement par une prothèse est posée. L'abstention thérapeutique est indiquée si la luxation chronique est bien supportée, sans plainte de la part du patient.


2.7.3 Prise en charge après réduction d'une luxation antérieure

      Des radiographies en incidences antéro-postérieure et latérale dans le plan de la scapula permettent de vérifier la qualité de la réduction et la présence d'éventuelles fractures. Le status neurovasculaire recherche des lésions des troncs nerveux et vasculaires. Le test de la force en rotation externe et interne vérifie l'intégrité de la coiffe des rotateurs. Pour augmenter la stabilité de l'articulation réduite, une protection de cette dernière est instaurée, accompagnée d'un renforcement musculaire progressif (muscles sous-scapulaire et sous-épineux). L'immobilisation complète n'apporte aucun bénéfice. Cependant, en chronique, une immobilisation bras au corps en rotation interne est effectuée.


2.7.4 Complication lors de réduction fermée

      La réduction peut se compliquer d'une interposition intra-articulaire de tissus mous (muscle sous-scapulaire, tendon du long chef du biceps), d'une fracture du tubercule majeur de l'humérus (ce genre de fracture se réduit normalement spontanément en même temps que la luxation), d'une fracture de la lèvre glénoïde (causant une incongruence post-réductionnelle) ou d'une lésion de Bankart menaçant la stabilité future de l'articulation.


2.7.5 Luxation postérieure traumatique aiguë

      Le traitement d'une luxation postérieure traumatique aiguë par réduction fermée est plus difficile que lors de la luxation antérieure traumatique aiguë : l'impaction de la lèvre glénoïde dans la tête humérale est en effet très fréquente, due au long délai diagnostique (jusqu'à huit mois en moyenne dans certaines séries). Le cas échéant, la réduction fermée s'effectue sous analgésie ou anesthésie générale, par une traction longitudinale et latérale avec des mouvements de rotation interne et externe (désimpaction), puis de traction antérieure (réduction), le patient étant en décubitus dorsal. La réduction ouverte est indiquée en présence d'une fracture déplacée du tubercule mineur, d'une fracture glénoïde postérieure importante, d'une luxation non-réductible, d'une luxation ouverte, d'une fracture par compression antéro-médiale de la tête humérale (pose d'une prothèse si la tête humérale est lésée sur plus de 30% de sa surface articulaire) et d'une réduction instable ; l'opération se fait par abord antérieur delto-pectoral, puis incision du tendon du muscle sous-scapulaire et de la capsule articulaire : des mouvements similaires à ceux de la réduction fermée sont exécutés pour la désimpaction et la réduction.


2.7.6 Luxation postérieure traumatique chronique

      Si la luxation postérieure traumatique chronique est bien supportée, aucun traitement chirurgical n'est requis : un simple renforcement musculaire progressif est entrepris.


2.7.7 Prise en charge après réduction d'une luxation postérieure

      Si l'épaule est stable, le bras est immobilisé en rotation neutre pendant 3 semaines en aigu ou 4 à 6 semaines en chronique (appareil thoraco-brachial). S'il y a instabilité post-réductionnelle, l'immobilisation est effectuée à un degré de rotation externe permettant la stabilité articulaire pendant quatre semaines. Un renforcement musculaire progressif est entrepris dans tous les cas.


2.8 Evaluation de l'instabilité gléno-humérale


2.8.1 Instabilité récidivante atraumatique

      Aucun traumatisme n'est impliqué dans la pathogenèse de cette affection, et il n'y a ni lésion des tissus mous, ni fracture. Les étiologies possibles sont par exemple une fosse glénoïde plate ou trop petite, une capsule articulaire mince, extensible ou trop grande, une coiffe des rotateurs faible ou un mauvais contrôle neuromusculaire. Cette instabilité est le plus souvent multidirectionnelle, bilatérale et familiale, et son traitement de choix est le renforcement du contrôle neuromusculaire, rarement la chirurgie.

      A l'anamnèse, l'âge du patient est le plus souvent inférieur à 30 ans, et ce dernier se plaint de difficultés dans l'accomplissement de ses activités quotidiennes (dormir, lancer des objets, lever les bras au-dessus de la tête) à cause des nombreux épisodes de subluxation ou de luxation totale, le plus souvent spontanément réductible. Avec le temps, la fréquence des luxations ou des subluxations et le nombre d'activités déclenchantes augmentent, marquant une instabilité articulaire grandissante. Il est important de noter les circonstances et les positions dans lesquelles surviennent les luxations, ainsi que l'état de l'épaule opposée, la présence d'une anamnèse familiale positive et la capacité de luxation volontaire (cette dernière circonstance contre-indiquant le traitement chirurgical).

      L'examen clinique dispose de plusieurs tests permettant la mise en évidence de l'instabilité (tiroir antéro-postérieur, test du sillon, mesure des forces des muscles de la coiffe des rotateurs).

      La radiographie permet d'exclure la présence de pathologie osseuse, mais, parfois, un déplacement de la tête humérale par rapport à la glène ou une dysplasie de la fosse glénoïde peuvent être reconnus.


2.8.2 Instabilité récidivante traumatique

      Cette affection est caractérisée par la présence de lésions des tissus mous (capsule articulaire, ligaments, labrum, coiffe des rotateurs) et des os (fracture de l'humérus ou de la glène). La force nécessaire pour luxer une épaule est soit importante si elle est appliquée au niveau de l'épaule, soit moindre si elle est appliquée au niveau de la main (effet de levier). La lésion pathologique la plus fréquente est l'avulsion de la capsule antéro-inférieure et des ligaments au niveau de la lèvre glénoïde (lésion de Bankart). L'instabilité est unidirectionnelle et le traitement en est chirurgical.

      A l'anamnèse, l'âge du patient est en général inférieur à 35 ans (lésions associées sous forme d'avulsion du labrum, de fracture de la glène, de défaut postéro-latéral de la tête humérale) et rarement supérieur à 35 ans (lésions associées sous forme de déchirure de la coiffe des rotateurs, de fracture du tubercule majeur). Le patient se plaint de difficultés dans l'accomplissement des activités quotidiennes (lancer un objet, dormir, mettre les mains derrière la tête, lever un poids au niveau de la tête). Il est important de s'informer sur le premier épisode de luxation: circonstances, position du bras et forces en présence, absence de réduction spontanée en cas d'origine traumatique, présence de lésion des os ou des tissus mous (radiographies, status neuromusculaire et examen de la coiffe des rotateurs) ; parfois, le premier épisode est une subluxation peu symptomatique. L'instabilité récidivante est soupçonnée si le patient décrit de l'appréhension lors de son travail ou de la pratique de sports.

      L'examen clinique met en évidence l'instabilité de l'épaule affectée et teste le status neurovasculaire.

      La radiographie peut montrer une fracture par compression de la surface articulaire de la tête humérale (lésion de Hill-Sachs), une fracture de la glène ou une réaction périostée au niveau de cette dernière en cas d'avulsion capsulaire ou ligamentaire. Le CT-scan n'est pas indispensable mais permet des reconstructions tri-dimensionnelles de l'articulation pour mieux reconnaître certaines fractures. L'examen de la coiffe des rotateurs se fait à l'aide de l'échographie, de l'arthrographie et parfois de l'IRM. L'arthroscopie n'est pas nécessaire au diagnostic.


2.9 Traitement de l'instabilité gléno-humérale


2.9.1 Traitement non-chirurgical

      Le but du traitement non-chirurgical de l'instabilité gléno-humérale récidivante est la rééducation de la coordination des mouvements et l'entraînement de la force de contraction musculaire, afin de stabiliser l'articulation gléno-humérale. Ce type de traitement est le plus efficace en cas de luxation atraumatique (perte du contrôle neuromusculaire sans lésion anatomique), chez l'enfant et en cas d'instabilité volontaire. En revanche, il est peu efficace pour la luxation traumatique. Ce traitement sera optimal si les situations sources de luxation sont évitées.


2.9.2 Traitement chirurgical de l'instabilité antérieure traumatique récidivante

      La première étape de ce traitement est l'identification de tous les facteurs concourrant à causer l'instabilité articulaire, et les moyens de les corriger. L'acte chirurgical en lui-même est réalisé dans le but de rétablir une stabilité et une mobilité normales, ainsi qu'un fonctionnement confortable.

      Différentes techniques existent : la plus utilisée est la reconstruction capsulolabrale, qui apporte la meilleure stabilité et la meilleure mobilité, ainsi qu'un bon confort de fonctionnement ; son but est la reconstruction anatomique de l'avulsion de la capsule antéro-inférieure et du ligament gléno-huméral antérieur inférieur au niveau de la lèvre de la glène (lésion de Bankart). Différentes méthodes existent, toutes dérivées de la procédure initialement décrite par Bankart. En cas de laxité associée, une plicature capsulaire est réalisée.

      Différentes techniques (Putti-Platt, Magnusson-Stack) peuvent être appliquées au muscle sous-scapulaire, en retendant son tendon pour stabiliser l'articulation antérieurement ; cependant, les luxations et subluxations récidivantes sont nombreuses, ainsi que les restrictions de mouvement, les douleurs et les ostéoarthrites.

      Des opérations sur la lèvre glénoïde (reconstruction, augmentation de sa hauteur par greffe osseuse (Eden-Hybbinette13 31, Oudard57) ou par transfert coracoïde (Latarjet)40, et ostéotomie de recentrage) existent aussi.


2.9.3 Complications lors des opérations de réparation antérieure41

  • infections post-opératoires ;
  • instabilité récurrente post-opératoire : dans 0 à 30% des cas, le plus souvent à cause d'un déficit osseux, de tissus mous de mauvaise qualité, de troubles musculo-tendineux ou de décompensation neuro-musculaire. Dans de tels cas d'instabilité réfractaire, une arthrodèse est proposée chez le patient âgé60 ;
  • mauvais diagnostic : par exemple luxation atraumatique et multidirectionnelle, non stabilisable si aucun traitement de renforcement et de coordination musculaire n'est entrepris ;
  • lésions neuro-musculaires : le plus souvent au niveau du nerf axillaire ou du nerf musculo-cutané ;
  • matériaux de reconstruction : vis et agrafes peuvent causer des lésions des tissus mous (vaisseaux, nerfs, cartilages, muscles, tendons) et des érosions osseuses, et peuvent aussi se casser in situ. L'indication à de tels matériaux est donc réservée aux réinterventions ;
  • limitation des mouvements : surtout pour la rotation externe ;
  • arthropathie : maladie dégénérative de l'articulation secondaire à une tension excessive de la capsule articulaire ;
  • insuffisance du muscle sous-scapulaire : douleurs, faiblesse, appréhension, instabilité franche ; un traitement possible de cette complication est le transfert du muscle grand ou petit pectoral pour renforcer le muscle sous-scapulaire défaillant.

2.9.4 Arthroscopie lors d'instabilité antérieure traumatique récidivante

      La technique arthroscopique de chirurgie de l'épaule est actuellement en plein développement et l'on a peu d'éléments à disposition pour juger de son efficacité relative par rapport à la chirurgie ouverte ; cependant, la récidive post-arthroscopie semble plus importante (de 12 à 33%)10 38 62 que post-chirurgie ouverte (environ 1%)78, ceci étant principalement dû à une procédure technique difficile75. L'indication principale de cette méthode est la réparation d'une lésion de Bankart discrète lors d'instabilité antérieure unidirectionnelle traumatique76. Certains auteurs pensent que ses avantages sur la chirurgie ouverte sont un temps d'intervention diminué, des douleurs post-opératoires moins importantes, un temps de recouvrement de la force musculaire plus court et une moindre perte d'amplitude des mouvements23. Les complications sont la migration des matériaux de fixation (lésions des tissus mous et des os), les érosions des cartilages et l'instabilité récidivante.


2.9.5 Traitement chirurgical de l'instabilité postérieure récidivante

      La chirurgie est peu indiquée lors d'instabilité postérieure récidivante, car la majorité des cas est d'origine atraumatique. Les résultats sont en général beaucoup moins bons que lors d'instabilité antérieure, avec 50% de reluxation et 20% d'autres complications24. Le meilleur traitement dans ces cas est l'entraînement visant à augmenter le contrôle de la coordination neuromusculaire et la force musculaire. Dans un deuxième temps, si ce traitement n'apporte pas la guérison, la chirurgie peut être tentée, après avoir identifié toutes les directions de luxation et tous les facteurs impliqués dans l'instabilité. La chirurgie se fait par un abord postérieur, en exposant la capsule articulaire à travers le deltoïde en surface (incisé depuis le bord postérieur de l'acromion) et le tendon du muscle sous-épineux en profondeur79. Les buts de cette chirurgie sont la tension de la capsule articulaire, le déplacement du tendon du muscle sous-scapulaire afin de le réinsérer dans la fracture par compression de la tête humérale, l'ostéotomie de rotation humérale ou l'ostéotomie de reconstruction glénoïde. Il existe une tendance post-opératoire à la luxation antérieure.


2.9.6 Complications lors des opérations de réparation postérieure

  • instabilité récidivante par étirement de la capsule postérieure lors de la reprise des mouvements ;
  • déplacement antérieur de la tête humérale par tension trop importante de la capsule articulaire, induisant une limitation des mouvements de flexion, d'adduction et de rotation externe ;
  • fracture intra-articulaire ou nécrose aseptique après ostéotomie, instabilité antérieure par surcorrection ou arthropathie dégénérative lors de tentative d'ostéotomie ;
  • lésions neurovasculaires : surtout nerfs axillaire et sous-épineux (branche du suprascapulaire).

2.9.7 Traitement non-chirurgical de l'instabilité récidivante atraumatique

      L'instabilité récidivante atraumatique se traite par l'entraînement et la rééducation (contrôle neuromusculaire, coordination, force), visant à augmenter la compression dynamique de la tête humérale contre la glène.


2.9.8 Traitement chirurgical de l'instabilité récidivante atraumatique

      Le traitement chirurgical de l'instabilité récidivante atraumatique n'est pas indiqué sans entraînement neuromusculaire associé ; les résultats sont plus mauvais que pour l'instabilité récidivante traumatique4. L'opération consiste en la retension de la capsule articulaire (capsulorrhaphie selon Neer).


2.9.9 Arthroscopie lors d'instabilité récidivante atraumatique

      Les résultats de l'arthroscopie en cas d'instabilité récidivante atraumatique sont plus mauvais que ceux de la chirurgie ouverte. Le but opératoire est la plicature et la retension de la capsule articulaire, ainsi que l'approfondissement de la cavité glénoïde (augmentation capsulolabrale).

      Une nouvelle tendance est le rétrécissement capsulaire par radio-fréquence ou laser sous arthroscopie. Les résultats nécessitent encore d'être évalués à long terme.


3. Etude histomorphométrique du muscle sous-scapulaire dans les luxations gléno-humérales antérieures récidivantes post-traumatiques

      Les considérations sur l'anatomie et sur la luxation gléno-humérale ci-dessus et notamment sur les luxations post-traumatiques ont amené à une réflexion sur le rôle du muscle sous-scapulaire dans cette affection. En effet, ce muscle est impliqué dans la stabilisation active de la tête humérale sur la glène et il est toujours concerné par le traumatisme de la luxation. L'investigation présente a pour but d'analyser histologiquement ce muscle dans une série de patients présentant une luxation récidivante post-traumatique nécessitant une intervention de stabilisation.


3.1 Matériel et Méthode

      54 instabilités gléno-humérales antéro-inférieures post-traumatiques (symptomatiques sous la forme de luxations, sub-luxations ou de douleurs et d'appréhension à la mobilisation) chez 54 patients ont été incluses dans notre étude, 28 (52%) à droite et 26 (48%) à gauche. Le nombre d'épisodes de luxation par épaule allait de 1 à >10, 34 cas (63%) ne dépassant pas le chiffre de 10. Aucun traitement chirurgical n'avait jusqu'alors été appliqué, sauf dans 2 cas (1 récidive après stabilisation par chirurgie ouverte chez un patient de 21 ans, et 1 récidive après stabilisation par arthroscopie chez un patient de 31 ans). Le mécanisme impliqué dans l'épisode initial de luxation était un traumatisme important dans 51 cas (94%), le plus souvent lors de la pratique d'un sport (snowboard, ski, boxe, escalade, football, basket) mais aussi lors de simples chutes (6 cas) et d'accidents de la voie publique (2 cas), et un faux mouvement dans 3 cas (6%). Les patients présentaient les caractéristiques suivantes: âge moyen au moment de l'épisode initial : 21,2 ans (20,4 ans pour les hommes, 22,8 ans pour les femmes, intervalle de 13 à 37 ans); âge moyen au moment de l'intervention chirurgicale : 27,1 ans (24,8 ans pour les hommes, 31,8 ans pour les femmes, intervalle de 17 à 55 ans) ; sexe : 18 femmes (33%), 36 hommes (67%) ; membre dominant impliqué dans 21 cas (39%), membre non-dominant impliqué dans 26 cas (48%), la dominance n'ayant pas pu être déterminée chez 7 patients (tableau 1).

      L'intervention chirurgicale effectuée était une réparation selon Bankart (fixation de l'avulsion capsulo-labrale au niveau de la glène) associée à une capsulorrhaphie selon Neer (tension de la capsule articulaire), sauf dans 3 cas: 2 capsulorrhaphies isolées selon Neer (pas de lésion de Bankart associée) et une réparation isolée selon Bankart. Au cours de l'intervention, des biopsies musculaires ont été prélevées au niveau du muscle deltoïde (contrôle) et du muscle sous-scapulaire (sujet de l'étude).

      La prise en charge globale des patients, de la consultation motivant l'intervention chirurgicale jusqu'à l'opération, a été effectuée à la Clinique et Policlinique d'Orthopédie et de Chirurgie de l'appareil moteur de l'Hôpital Cantonal Universitaire de Genève.

      Les biopsies musculaires ont été examinées à l'Unité de Neuropathologie du Département de Pathologie de l´Hôpital Cantonal Universitaire de Genève. En vue de l´examen histopathologique6 77, les échantillons de muscle ont été congelés selon la technique azote-méthylbutane et les colorations suivantes ont été effectuées : Hématoxyline-Eosine pour l´aspect général du tissu musculaire (morphologie des fibres musculaires, homogénéité de leurs tailles, répartition des noyaux), van Gieson et Engel modifiée pour la mise en évidence du tissu conjonctif et des éventuelles « ragged red fibres », Bleu Nile pour les lipides, PAS pour le glycogène, NADH pour la mise en évidence des mitochondries et le typage des fibres musculaires (fibres de type 1, lentes et aérobes, plus riches en mitochondries que les fibres de type 2, rapides et anaérobes) et ATPase à différents pH pour le typage des fibres musculaires (fibres de type 2, rapides, plus riches en ATPase que les fibres de type 1, lentes). L´examen histopathologique a été réalisé lors du prélèvement des biopsies, puis confirmé par une révision complète des coupes après un intervalle de 2 à 5 ans.

      Sachant que les rapports normaux « fibres de type 2/fibres de type 1 » sont d´environ 2/1 en faveur des fibres de type 2 dans les muscles sous-scapulaire et deltoïde, et que ces rapports peuvent varier d'environ 25% en fonction de l´exercice demandé à ces muscles12, 24 cas, dont les coupes ont révélé une prédominance de fibres de type 1 ou 2, ont subi un comptage précis des fibres musculaires de chaque type, au moyen d´un microscope LEITZ DMRBE, d´une caméra SONY DXC-930P et d´un logiciel d´analyse numérique d´images LEICA Q550W. Le comptage a été effectué sur au moins 500 fibres musculaires par cas sur des coupes colorées pour l´ATPase à pH 9.4, l´examinateur marquant au fur et à mesure sur l´image numérisée de chaque champ microscopique toutes les fibres musculaires suivant leur type (fibres de type 1, lentes, de couleur gris clair, et fibres de type 2, rapides, de couleur gris foncé).

      Le rapport « fibres de type 2/fibres de type 1 » a été calculé pour toutes les coupes ayant subi le comptage précis. L'intervalle de normalité « 1,5-2,5 » a été appliqué (2 +/- 25%), les résultats de comptage entrant dans cet intervalle étant qualifiés de « Normaux », ceux inférieurs étant qualifiés de « Prédominance 1 » (figure 1) et ceux supérieurs de « Prédominance 2 » (figure 2).

      Les résultats complets de l'étude histopathologique et du comptage sont présentés dans le tableau 4.


3.2 Résultats

      L'analyse des résultats révèle en premier lieu que sur les 54 patients de la série, 20 présentent un muscle sous-scapulaire modifié et 11 un muscle deltoïde modifié. Sur les 20 muscles sous-scapulaires modifiés, 6 sont associés à un muscle deltoïde modifié et 14 à un muscle deltoïde non modifié. 5 des 11 muscles deltoïdes modifiés le sont de manière isolée, sans anomalie du muscle sous-scapulaire (tableau 2).

      L'aspect le plus important des lésions relevées au niveau des muscles sous-scapulaires est la fibrose (11 cas sur 54), absente de tout muscle deltoïde, suivie de la prédominance des fibres de type 1 (9 cas sur 54), associée dans 5 cas à la même lésion au niveau du muscle deltoïde ; 4 cas de prédominance des fibres de type 1 ne sont retrouvés qu'au niveau du muscle sous-scapulaire, et 4 autres cas ne le sont qu'au niveau du muscle deltoïde. On note par ailleurs 6 cas sur 54 de discrète atrophie focale des fibres du sous-scapulaire (1 cas sur 54 pour le muscle deltoïde), et 3 cas sur 54 de prédominance des fibres de type 2 au niveau du sous-scapulaire (1 cas sur 54 au niveau du deltoïde) (tableau 3).

      Une étude détaillée des résultats (tableau 4) montre une modification du rapport des fibres de type 1 et 2 au niveau du muscle sous-scapulaire, isolée dans 9 cas, et associée dans 3 cas à une fibrose avec ou sans atrophie focale des fibres musculaires. Dans 8 cas, la fibrose est retrouvée de manière isolée, le rapport des fibres de types 1 et 2 restant normal. Il y a 4 cas de prédominance de fibres de types 1 au niveau du muscle sous-scapulaire avec un rapport normal au niveau du deltoïde, 5 cas de prédominance de fibres de type 1 au niveau des 2 muscles, 3 cas de prédominance de fibres de type 1 au niveau du deltoïde avec un rapport normal au niveau du sous-scapulaire, 1 cas de prédominance de fibres de type 2 au niveau du sous-scapulaire associée à une prédominance de type 1 au niveau du deltoïde, 2 cas de prédominance de fibres de type 2 au niveau du sous-scapulaire avec un rapport normal au niveau du deltoïde, et enfin 1 cas de prédominance de fibres de type 2 au niveau du deltoïde avec un rapport normal au niveau du sous-scapulaire. A noter enfin une discrète accumulation sous-sarcolemnale de mitochondries dans un contexte de prédominance de fibres de type 1 dans un muscle sous-scapulaire, un infiltrat adipeux accompagné de fibrose et d'anisométrie dans un autre muscle sous-scapulaire, et une accumulation de gouttelettes lipidiques intracellulaires sans autre altération histopathologique dans les muscles sous-scapulaire et deltoïde d'un patient.


3.3 Discussion

      Le but de l'étude réalisée est de rechercher d'éventuelles modifications ou lésions histopathologiques du muscle sous-scapulaire, susceptibles d'avoir été produites lors des épisodes récidivants de luxation gléno-humérale antérieure, ou d'être à l'origine d'une instabilité antérieure de l'épaule par affaiblissement de ce muscle.

      Le muscle sous-scapulaire joue un rôle majeur au niveau de l'épaule. Ce muscle faisant partie de la coiffe des rotateurs prend son origine sur la fosse sous-scapulaire (face antérieure de la scapula) et s'insère sur le trochin (tubercule mineur de l'humérus) à l'aide d'un tendon court et large. C'est le principal rotateur interne au niveau de l'articulation gléno-humérale, et il participe aussi à l'abduction et à l'adduction de l'humérus par rapport à la scapula. Comme les autres muscles de la coiffe des rotateurs et les muscles deltoïde, biceps brachial et coraco-brachial, le muscle sous-scapulaire a aussi une importante action stabilisatrice de l'articulation gléno-humérale, par un effet de centrage de la tête humérale dans la glène (forces de coaptation). Il est innervé par les nerfs sous-scapulaires supérieurs (2 ou 3 rameaux) et inférieur, embranchements originaires de C5 et C6 par la partie supraclaviculaire du cordon postérieur du plexus brachial. Sa position antérieure à l'articulation gléno-humérale l'expose particulièrement lorsque la tête de l'humérus luxée antérieurement l'entraîne et l'étire brusquement, pouvant provoquer une faiblesse importante au décours, par lésion tendineuse ou musculaire. La stabilité de l'épaule se trouve alors gravement compromise, par diminution des forces de coaptation gléno-humérales, et par affaiblissement antérieur de la coiffe qui laisse libre cours à l'excursion antérieure de la tête humérale par rapport à la glène. Par ailleurs, une diminution de la force de l'épaule en rotation interne apparaît aussi.

      Le muscle sous-scapulaire est une structure omniprésente dans le champs chirurgical des stabilisations antérieures de l'épaule, que ce soit pour accéder à la glène antérieure afin de réparer une avulsion capsulo-labrale (lésion de Bankart), ou à la capsule articulaire antérieure, afin d'en effectuer la retension. Dans ces deux cas, l'extrémité distale du muscle sous-scapulaire (tendon) doit être incisée (complètement ou partiellement) et réclinée médialement afin d'obtenir une exposition adéquate du site opératoire, puis réinsérée en fin d'opération30.

      Les nerfs sous-scapulaires, quant-à eux, ne sont que très rarement lésés lors d'une luxation gléno-humérale antérieure, leur position supraclaviculaire les protégeant des forces de traction latérales de la tête de l'humérus sur la partie infraclaviculaire du plexus brachial. Des lésions nerveuses du plexus brachial surviennent dans 33 à 65% des cas de luxation gléno-humérale antérieure5 9 61 71 72, touchant essentiellement ses branches infraclaviculaires, en premier lieu le nerf axillaire (jusqu'à 33% des luxations)5 42 45 61, qui repose sur la face antérieure de la partie distale du muscle sous-scapulaire et entoure ensuite le col de l'humérus; le trouble moteur qui en résulte touche le muscle deltoïde et diminue ainsi la stabilisation de l'articulation gléno-humérale, et est associé à une atteinte sensitive du moignon de l'épaule. La lésion nerveuse la plus courante est la neurapraxie par étirement des axones, sans solution de continuité, suivie d'une récupération spontanée en quatre à huit mois, sans déficit résiduel.

      La première observation à tirer des résultats de cette étude est l'importance relative des lésions histopathologiques à type de fibrose et de prédominance de fibres de type 1. Une prédominance de fibres de type 2 est par ailleurs remarquée dans un petit nombre de cas. Différentes interprétations peuvent être données :

      Dans tous les cas, une atteinte du muscle sous-scapulaire peut être invoquée comme cofacteur des luxations gléno-humérales antérieures récurrentes, la capacité stabilisatrice dans le plan antérieur de ce muscle étant diminuée.

      La deuxième observation à tirer des résultats de cette étude est qu'il n'y a pas de signes d'atteinte de type neurogène50 du muscle sous-scapulaire, ce qui permet d'exclure une instabilité scapulo-humérale antérieure provoquée par une lésion nerveuse lors du traumatisme, affaiblissant le muscle sous-scapulaire. Comme nous l'avons déjà vu, l'atteinte des nerfs sous-scapulaires lors de luxation scapulo-humérale antérieure est rare, malgré la proximité entre ces structures nerveuses et le trajet de la tête humérale lors des épisodes de luxation.

      D'autre part, des gouttelettes lipidiques intracellulaires augmentées dans les deux échantillons musculaires d'un même patient traduisent l'obésité du sujet opéré.

      A notre connaissance, ce travail est le premier à avoir étudié systématiquement les lésions histologiques des muscles sous-scapulaire et deltoïde dans une série d'épaules instables, et nous ne pouvons donc pas comparer nos données à celles éventuellement disponibles dans la littérature. Nous ne disposons pas pour l'instant d'un suivi de l'évolution clinique des patients inclus dans notre série que nous pourrions corréler avec nos trouvailles histologiques.


3.4 Conclusion

      Ce travail montre que certaines des épaules opérées dans notre service pour une instabilité antéro-inférieure post-traumatique ont présenté à l'examen histologique des lésions compatibles avec un processus cicatriciel du muscle sous-scapulaire, ainsi que des indices pour une diminution de l'utilisation de ce muscle soit pour les mouvements fins, soit pour le maintien de la stabilité de l'épaule. Il n'y a à notre connaissance aucune autre étude histomorphométrique du muscle sous-scapulaire en cas de luxation antérieure récidivante de l'épaule, à laquelle nos résultats pourraient être comparés. Pour aller plus loin, nous pourrions imaginer d'effectuer un suivi à distance des patients de cette série afin de comparer la fonction globale de l'épaule opérée (ainsi que sa stabilité) aux résultats des biopsies musculaires : un électroneuromyogramme pourrait par exemple être réalisé, afin de faire le bilan d'éventuelles lésions myogènes ou neurogènes.

      Il pourrait être intéressant dans le futur de pratiquer, avant l'intervention, un électroneuromyogramme, et de le comparer à celui effectué après l'opération ainsi qu'aux résultats des biopsies musculaires.


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