5    Méthode générale

 

 

Le présent chapitre, Méthode générale, présente les éléments communs à l'ensemble des recherches qui font l'objet de ce travail, cependant que les éléments spécifiques de chacune des expériences seront décrits successivement dans le chapitre 6, Expérimentation.

 

5.1     Population

La totalité des sujets qui participent aux expériences de ce travail ont été recrutés au sein de la communauté des plongeurs amateurs. Ils sont tous détenteurs d'un brevet de plongée sous‑marine décerné par la Fédération Suisse de Sports Subaquatiques (FSSS), la Professional Association of Diving Instructor (PADI) ou toutes autres fédérations affiliées à la Confédération Mondiale des Activités Subaquatiques (CMAS). Au cours de l'expérimentation, les sujets sont restés dans les limites des prérogatives que leur confère leur brevet.

 

En préambule à l'expérience, on établit un audiogramme de la sensibilité auditive des sujets. Cet audiogramme est incomplet, puisqu'on ne teste l'audition des sujets qu'aux fréquences 500 Hz et 6 kHz. Seuls ont été retenus pour l'expérience les sujets qui présentent un audiogramme normal. Le critère d'admission des sujets est de ne pas présenter de déficit auditif supérieur à 20 dB aux fréquences testées pour chaque oreille. Cette valeur est un seuil couramment utilisée en audiologie médicale.

 


5.2     Profondeur de passation

Deux critères ont été essentiels dans la détermination de la profondeur de passation des conditions expérimentales: 1) la réflexion de l'onde acoustique et 2) la sécurité des sujets. Les sons ne franchissent pas la surface de l'eau, pas plus qu'on n'entend le bruit des évènements qui s'y déroulent. En ce sens, la surface de l'eau constitue un miroir acoustique parfait (Rossi, 1980). Ce miroir contraint à choisir une profondeur de passation suffisamment importante pour éviter que les ondes réfléchies reviennent directement au sujet et que cette réflexion devienne une source d'erreur. Pour échapper à ces effets parasites et pour sécuriser l'expérience, la profondeur de passation a été fixée à 10 mètres. Cette profondeur est constante pour l'ensemble des expériences. Elle présente de multiples avantages: a) comme mentionné ci‑dessus, elle est suffisamment importante pour éviter que les ondes réfléchies reviennent au sujet; b) elle permet d'empêcher les effets de la narcose à l'azote, qui ne sont pas ressentis à cette profondeur; c) elle tolère qu'un plongeur à court d'air remonte jusqu'à la surface sans palier; d) elle permet d'intervenir rapidement et sans scaphandre en cas de problèmes, et enfin; e) elle autorise les plongeurs débutants à participer à l'expérience.

 

5.3     Site expérimental

Toutes les expériences se déroulent dans un plan d'eau naturel, le lac Léman. Le dispositif expérimental a été installé dans une anse proche de la Pointe‑à‑la‑Bise. Cette anse borde une réserve ornithologique, qui confère à cet endroit toute la quiétude nécessaire au bon déroulement des expériences. Le choix de ce site permet de réduire les nuisances qu'engendrerait une activité lacustre intense, la présence de baigneurs, ou le passage d'une route à proximité. En outre, de manière à diminuer encore les perturbations sonores liées au trafic lacustre de surface en été, toutes les expériences ont lieu durant les jours ouvrables.

 

5.4     Procédure de sécurité

Hormis des procédures de sécurité normales liées à la pratique de la plongée (annexe 9.1.5), il a été nécessaire de prévoir une procédure propre à l'expérience en raison du paradigme expérimental choisi. Dans le cas où un sujet ne répondrait pas dans le délai imparti, il est prévu que le programme "ré‑injecte" le stimulus resté sans réponse dans le tirage aléatoire, de manière à compléter la récolte des données. Si un sujet continue à ne pas répondre, la situation peut durer indéfiniment. Dans un cas extrême, le sujet pourrait, en théorie au moins, séjourner des jours sous l'eau jusqu'à ce que les données soient obtenues de façon complète. Pour contourner cette difficulté, on a prévu un dépassement maximal de 3 minutes par rapport à la durée normale d'une condition expérimentale, qui est d'environ 12 minutes en fonction des hypothèses, soit approximativement 25% de temps supplémentaire. Cette procédure permet d'éviter les immersions trop longues et les risques qu'elles entraîneraient: panne d'air, paliers de décompression importants, hypothermie... La gestion de la durée de l'expérience est assurée par un ordinateur. En cas de dépassement du temps maximal imparti, le sujet et l'expérimentateur qui l'accompagne sont avertis par l'ordinateur. Des signaux lumineux et sonores les préviennent de la nécessité d'interrompre l'expérience et de rejoindre la surface. Cette procédure de rappel des plongeurs fait partie des consignes expérimentales de chacune des expériences (annexe: 9.1.1, 9.1.2, 9.1.3, 9.1.4).

 


5.5     Matériel

La conception et la réalisation du dispositif, et plus largement de l'ensemble du matériel expérimental, sont dus à nos soins, en collaboration avec des entreprises ou écoles genevoises (Figure 18).

 

Figure 18: La nacelle est le cœur du dispositif expérimental
(voir texte en ce qui concerne les légendes).

 

Le cœur du dispositif expérimental[4] est constitué de deux cadres superposés. Une selle placée au centre du cadre inférieur marque la position du sujet (Figure 18a). On fait référence à ces cadres en les désignant comme étant: la nacelle (Figure 18). Huit bras rayonnent autour de la nacelle. Ce sont les supports des haut‑parleurs (Figure 18b). Les bras permettent de régler les haut‑parleurs à hauteur des oreilles des sujets et à équidistance du centre de la tête du sujet; la distance entre les haut‑parleurs et la tête du sujet est d'un mètre. Les haut‑parleurs sont de type piézo‑céramique. Le son est transmis par la déformation d'un quartz (Rossi, 1980). En face du sujet, se trouve une potence (Figure 18c). Cette potence est réglable en hauteur et en profondeur. Elle sert de support à plusieurs accessoires expérimentaux qui seront décrits ultérieurement. La nacelle et tous ses compléments sont suspendus entre deux eaux à l'aide d'une "patte d'oie" (Figure 18d). Cette patte d'oie est réalisée au moyen de quatre drisses fixées aux coins de la nacelle et reliées à une bouée de surface (Figure 18e). Cette dernière est, elle-même, amarrée par une ancre flottante à l'une des deux embarcations utilisées pour l'expérience.

 

Une fois installé sur la selle, le sujet est entouré des haut‑parleurs piézo‑céramiques, qui sont disposés en cercle par pas de 45° allant de 0° à 315°. Les haut‑parleurs sont numérotés de 0 à 7, le haut‑parleur "0" est à 0°, c'est-à-dire qu'il est en face du sujet, le "1" est à 45° sur sa droite et ainsi de suite. Dans les résultats, on présentera la variable "direction", selon ce mode circulaire. Cette présentation peu orthodoxe a pour but de faciliter la lecture des résultats (Figure 19).

 

Figure 19: Représentation de la position des haut‑parleurs;
le haut‑parleur "0" est situé face au sujet, le "1" est à 45° sur sa droite et ainsi de suite.

 

Au centre de la nacelle, sur la potence (Figure 18c), se trouve un potentiomètre étanche (Figure 18f). Le potentiomètre permet d'enregistrer la position de la tête du sujet tous les deux dixièmes de seconde. Sur le potentiomètre, un système de cardan donne au sujet une entière liberté de mouvements (Figure 20a & b). Ce dispositif est toutefois limité puisqu'il permet l'enregistrement des mouvements de tête en rotation uniquement. En sus de son équipement de plongée, le sujet porte un casque muni d'une glissière (Figure 20c). La glissière permet la fixation de la tête du sujet au potentiomètre qui le surplombe. Dans la consigne, on demande au sujet de se fixer lui‑même à l'ensemble de la structure. Cette mesure de sécurité assure que le sujet est familiarisé avec la manœuvre de désincarcération.

 

Figure 20: Le potentiomètre permet d'enregistrer les mouvements de rotation
a) vue de face et b) vue de profil, et c) le casque avec sa glissière de fixation.

 

Une fois le sujet en position, un boîtier pend devant lui. Il s'agit d'un boîtier réponse parfaitement étanche sur lequel huit boutons‑poussoirs reproduisent la position des haut-parleurs (Figure 21a). L'utilisation de boutons‑poussoirs traditionnels est impossible, la pression hydrostatique, 2 kg/cm2 à 10 mètres, aurait d'elle‑même activé l'ensemble des boutons simultanément. Des boutons‑poussoirs spécifiques ont été mis au point pour cette expérience. Ils transmettent le signal de la réponse par des contacts magnétiques de type Reed. Au centre de ce boîtier se trouve une diode électroluminescente rouge qui s'allume avant chaque stimulus pendant trois secondes, elle indique au sujet qu'il lui faut faire une apnée. La mise en apnée des sujets est rendue nécessaire par le matériel respiratoire utilisé en plongée. En effet, l'inspiration et l'expiration à l'aide d'un détendeur sont bruyantes, environ 30 dB (Brandt & Hollien, 1967). En réalisant une apnée, le sujet empêche sa propre respiration de masquer totalement ou partiellement le stimulus. Ce type de procédure est communément utilisé lors d'expériences sous‑marines sur l'audition (Brandt & Hollien, 1967, Andersen & Christensen, 1969; Feinstein, 1973 a&b; Hollien, 1973). Une seconde lampe (Figure 21b) est fixée sur la potence (Figure 18c). Cette seconde lampe est destinée à l'expérimentateur, en charge de la sécurité, qui accompagne le sujet. Elle s'allume en phase avec la lampe précédente et a la même fonction: à savoir prévenir l'expérimentateur de l'imminence du stimulus et de la nécessité de se mettre en apnée afin de ne pas gêner, par le bruit de sa respiration, la perception du sujet.

a)                      b)

Figure 21: a) Le boîtier réponses avec en son centre la diode rouge qui transmet le signal de mise en apnée, b) la lampe qui signale à l'expérimentateur sa mise en apnée.

 

Quittons la partie immergée du dispositif pour nous intéresser à sa partie émergée. Le cerveau du dispositif est un ordinateur portatif, un PC de marque Asinfo, modèle Ulysse Pentium/120. Les expériences sont réalisées depuis une embarcation, ce qui explique le choix d'une machine de type industriel. Ce choix est imposé par une utilisation en milieu particulièrement agressif: chocs, humidité, aspersions... L'ordinateur est équipé d'une carte d'interface sonore "SoundBlaster 16", d'une carte analogiques/numériques, et d'un convertisseur analogique/digital: CAD "LPM16". L'ordinateur pilote l'expérience de la surface et en gère tous les paramètres: choix aléatoire des stimuli et des haut-parleurs, durée maximale de la manipulation, et acquisition et la sauvegarde des données. Les différents haut-parleurs sont activés par l'intermédiaire d'un boîtier répartiteur, le SubAquaSys développé et conçu par le Centre d'Intégration Professionnelle de Genève (Figure 22b). L'interface du SubAquaSys permet le contrôle visuel et sonore du bon déroulement de l'expérience depuis la surface. Enfin, un amplificateur de puissance complète l'ensemble du dispositif expérimental (Figure 22a). Le matériel électronique est alimenté en 12 volts par une batterie embarquée.

 

Figure 22: L'amplificateur de puissance (a) et le SubAquaSys (b).

 

Les flèches noires de la Figure 23 montrent le sens du flux des informations entre les différents éléments du dispositif expérimental.

 

Figure 23: Vue de l'ensemble du dispositif informatique de gestion des expériences.

 

Le dispositif expérimental est amené sur place à l'aide d'une embarcation pneumatique (Figure 24) et d'une barque. Une fois sur le site, la nacelle est immergée à dix mètres de profondeur. Elle est ensuite amarrée à une barque et ancrée sur le site. Le fond vaseux du lac est ici à une profondeur variant entre 18.4 et 26.2 mètres. Le pneumatique sert au transfert des sujets et à l'acheminement des scaphandres. L'expérience est pilotée depuis l'embarcation qui sert au transport du matériel.

 

Figure 24: Représentation de l'embarcation pneumatique
 qui a servi au transport du matériel et des sujets.

 

5.6     Ordre de passation

La passation expérimentale se déroule sur un mode contrebalancé de manière à neutraliser tout effet d'ordre. Ainsi, si le sujet "X" passe initialement la condition "A" puis la condition "B", le sujet suivant "Y" commence par la condition "B" puis enchaîne avec la condition "A", et ainsi de suite sur le principe de l'alternance.

 

5.7     Stimuli

Les stimuli utilisés sont des fichiers ".wav", créés avec le logiciel MATLAB par M. B. Crochet. Ils ont une enveloppe comportant une partie d'accroissement initial et une partie de diminution finale du signal, de 0.05 seconde chacune. La durée du stimulus est définie en fonction des hypothèses. Les paramètres des stimuli sont étalonnés préalablement à l'expérience: 1) pour en régler et uniformiser l'intensité qui est de ≈100 dB SPL réf 20 µPa soit au-dessus du niveau de bruit de fond du lac qui se situe à ≈50 dB réf µPa, et 2) pour vérifier la nature spectrale de la restitution du stimulus par les haut-parleurs (annexes: 9.5.1, 9.5.2, 9.5.3). La distribution aléatoire des stimuli sur l'un ou l'autre des haut‑parleurs est gérée par l'ordinateur qui pilote l'expérience, à raison de N émissions par haut‑parleur.

 

Figure 25: Spectre du bruit blanc (en noir), et spectre propre du Léman (en gris).

 


5.8     Programme de commande et d'enregistrement des données

Le programme expérimental initial baptisé "LPM16", du nom de la carte CAD, a été réalisé par Messieurs R. Humbert et P. Bovet à l'aide du logiciel Turbo Pascal. Le programme "LPM16" a été décliné en fonction des spécificités des expériences: nombre de conditions expérimentales, de stimuli, d'itérations... (annexes: 9.4.2, 9.4.3, 9.4.4). Une version comportant les réglages spécifiques du volume et le pilotage individuel de chaque haut‑parleur par le pavé numérique (touches 1 à 8) est utilisée pour la vérification du matériel hors de l'eau. Cette version du programme est baptisée "LPMAIR" (annexes: 9.4.1).

 

Le seul travail à la charge de l'expérimentateur, qui reste à bord du pneumatique au moment de la passation expérimentale, consiste à taper un code spécifique pour chaque sujet au lancement du programme LPM16. Ce code sert de racine à l'enregistrement des données de chaque sujet. Le programme sauvegarde des fichiers en mode "texte" qui ont pour extensions: ".txt" et ".tet". Le fichier ".txt" contient toutes les informations sur le numéro de l'essai, le haut‑parleur émetteur, la réponse du sujet, le temps de la réponse et les valeurs extrêmes de la position de la tête du sujet. Le fichier ".tet" contient les valeurs du potentiomètre qui sont recueillies toutes les 0.2 seconde sur la position de la tête du sujet.

 

Pour résumer, le programme "LPM16" gère...

1.   les paramètres de réglage des stimuli,

2.   le tirage aléatoire des stimuli,

3.   la répartition aléatoire des stimuli sur les différents haut-parleurs,

4.   l'absence de réponse, et il "ré-injecte" dans son tirage les items restés sans réponse,

5.   l'enregistrement des réponses du sujets (direction et temps),

6.   l'enregistrement de la position de la tête du sujet,

7.   l'écriture des fichiers de sortie (.txt & .tet),

8.   la durée maximale de l'expérience (rappel des plongeurs).

 

5.9     Consignes expérimentales

Après un rappel des consignes élémentaires de sécurité en plongée sous-marine (annexe: 9.1.5), on donne au sujet les consignes expérimentales spécifiques à chaque expérience sous forme écrite (annexes: 9.1.1, 9.1.2, 9.1.3, 9.1.4). Suite à la lecture des différentes consignes, l'expérimentateur répond aux éventuelles questions du sujet.

 

Voici un exemple de consignes employées dans la première expérience de ce travail, dans la condition tête mobile:

 

Vous allez descendre à 10 mètres de profondeur, et rejoindre la nacelle. Installez-vous confortablement sur la selle située au centre. Une fois assis, fixez le casque à la potence; un expérimentateur sera à vos côtés et pourra le cas échéant vous aider dans cette manœuvre. Vous prendrez ensuite le boîtier dans vos mains. Quand vous serez prêt, faites signe à l'expérimentateur, qui avertira la surface. L'expérience commencera alors : dès que le voyant rouge situé au centre du boîtier s'allumera, vous devrez vous mettre en apnée. Après 3 secondes, vous entendrez un son de 2 secondes, durée pendant laquelle vous devrez maintenir votre apnée. Le son pourra sortir de n'importe lequel des 8 haut-parleurs situés autour de vous. Votre tâche consistera à indiquer, au moyen des 8 boutons reproduisant la position des haut-parleurs sur le boîtier, lequel a émis le son que vous venez d'entendre. Pendant que vous tentez d'estimer la position du son, vous pouvez bouger librement la tête. Vous avez 5 secondes pour répondre avant le signal d'apnée suivant, mais vous pouvez répondre dès le début du son. Si vous avez commis une erreur dans votre réponse, vous pouvez appuyer sur un autre bouton; seule la dernière réponse donnée est prise en considération. Vous pouvez respirer dès qu'un son est fini et jusqu'au signal d'apnée suivant. Vous entendrez ainsi 72 sons. Essayez de donner une réponse à chaque essai.

 

5.10    Déroulement temporel de l'expérience

Le lieu de rendez‑vous pour les expériences a été fixé au port de La‑Belotte en raison de sa proximité avec le site expérimental. Une fois arrivé, le sujet commence par remplir les questionnaires: général (9.2.1) et médical (9.2.2). Il passe ensuite un audiogramme dans un cabanon mis gracieusement à notre disposition par M. Rummel, de la société ProNaval. Si l'audiogramme est "réussi", le sujet lit les consignes expérimentales et de sécurité. Les procédures administratives terminées, il se change et, une fois prêt, il est transporté sur le site expérimental au moyen du pneumatique. Là, l'expérimentateur lui remémore la première condition prévue. Le sujet achève de s'équiper, enfile la cagoule, met le casque, puis s'immerge. Pour des raisons de sécurité, il est accompagné d'un expérimentateur. Cet expérimentateur a la triple mission: 1) d'aider le sujet à prendre place dans la nacelle, 2) de surveiller le bon déroulement de l'expérience, et 3) le cas échéant, d'intervenir en cas de problèmes. Une fois installé dans la nacelle, le sujet signifie qu'il est prêt en appuyant à plusieurs reprises sur le bouton "0". Ce signal est visible en surface sur le panneau de contrôle du SubAquaSys. L'expérimentateur resté sur le bateau lance le programme correspondant à la condition. Le sujet est averti de l'imminence du premier stimulus par le voyant lumineux au centre du boîtier‑réponse. Le voyant s'allume pendant les trois secondes qui précèdent l'émission du signal sonore, et indique au sujet qu'il doit faire une apnée. À l'extinction du voyant, le stimulus est émis pendant "N" secondes, suit une période de latence de cinq secondes, pendant laquelle le sujet donne sa réponse avant que le voyant au centre du boîtier se rallume et indique la préparation de l'item suivant. Notons que le sujet peut donner sa réponse pendant la durée du stimulus ou pendant la période de latence qui suit. Dans tous les cas, si le sujet change d'avis et appuie à plusieurs reprises sur le bouton‑réponse, seule la dernière pression est considérée par l'ordinateur. On a tenu compte, pour déterminer la durée des cycles expérimentaux ‑alerte/stimulus/temps de réponse‑, de l'alternance du cycle respiratoire naturel chez l'Homme lorsqu'il est immergé. Un cycle complet inspiration/apnée/expiration correspond à la durée du signal apnée + la durée du stimulus + la période de latence. Le temps total d'un cycle expérimental est de 10 à 12 secondes ce qui correspond à un rythme respiratoire de 5 à 6 inspirations par minute.

 

Tableau 3: Représentation du déroulement temporel d'une séance expérimentale:
1) en rose le signal d'apnée (alerte visuelle); 2) en rouge le stimulus;
3) en vert la ou les réponse(s).

 

5.11    Variables dépendantes

1.   La réponse: Cette mesure, codée de 0 à 7, correspond au bouton sur lequel le sujet appuie pour identifier la position du stimulus. À partir de cette réponse, on peut calculer l'angle entre la direction indiquée par le sujet et celle du haut‑parleur ayant émis le stimulus, soit l'erreur angulaire. On exprimera cette mesure en degrés de valeur absolue, elle sera comprise entre 0° et 180°. On appellera cette mesure "erreur absolue".

2.   Le temps de réponse: Cette mesure, qui s'exprimera en secondes, sera comprise entre 0 et 7 secondes ou entre 0 et 10 secondes selon les expériences ou les conditions expérimentales.

3.   Les mouvements de tête: Cette mesure est définie comme la rotation maximale observée, et s'exprime en degrés; elle est comprise entre les valeurs maximales du potentiomètre, qui vont de +121.16° à ‑121.16°. On appellera "amplitude" la valeur absolue de cette rotation.


5.12    Présentation des résultats

La précision mesurée avec laquelle la position de la source est identifiée sera présentée selon plusieurs modes.

5.12.1                Lecture des graphiques

Les valeurs obtenues avec chacune des variables expérimentales seront présentées sous forme de graphique, une "étoile" à huit branches, chaque bras représentant la position de l'une des sources (Figure 19). Les sources sont numérotées de "0" à "7". Le "0" représente le haut‑parleur situé directement en face du sujet à 0°, le "1" se situe à 45° sur sa droite et ainsi de suite. On a choisi pour présenter graphiquement les résultats de faire coïncider la position du haut‑parleur "0" avec celle de la représentation classique du Nord géographique, c'est‑à‑dire avec le sommet du graphique. Le haut‑parleur "0" est au Nord, le haut‑parleur "1" au Nord‑Est, et ainsi de suite pour toutes les sources.

 

5.12.2                L'analyse de l'erreur angulaire

On présentera l'analyse de l'erreur des sujets sous deux formes: 1) le vecteur moyen et 2) l'erreur absolue.

5.12.2.1            Le vecteur moyen

S'il est impossible de calculer une moyenne arithmétique sur des angles, par contre il est possible d'en calculer la moyenne géométrique: le vecteur moyen, en appliquant des formules de statistique circulaire (Fisher, 1993). Le vecteur moyen est un indice qui fournit une double information. La première, la direction, représente la moyenne des angles. La seconde, la longueur, est une indication de la dispersion des réponses. Le vecteur résultant, en rouge dans la figure ci‑après, donne une double information: a) sa direction est la direction moyenne des vecteurs individuels (flèches noires) et b) sa longueur représente la longueur résultante des vecteurs. Les valeurs individuelles des vecteurs sont représentées par les points noirs.

 

Figure 26: Exemple d'addition de vecteur.

 

Imaginons que des données récoltées aient la distribution présentée dans la Figure 26. L'estimation de l'erreur par le calcul de la moyenne arithmétique normale est impossible. La manière de combiner des vecteurs est de les additionner. Le calcul s'effectue comme suit:

 

 

la direction du vecteur résultant de est donnée par...

 

 

ou par...

 

 

et est connue comme la direction moyenne ou moyenne géométrique.

 

La valeur R, longueur résultante du vecteur, est comprise entre 0 et n. La moyenne de la longueur résultante , associée à la direction moyenne , est définie par:

 

= R/n

 

 et est comprise entre 0 et 1. Les valeurs de donnent une indication sur la dispersion des réponses. Cette dispersion est inversement proportionnelle à la longueur du vecteur. Proches de 1, les points ont tendance à être regroupés, et si =1, tous les points coïncident. À l'opposé, plus est proche de 0, plus les points sont dispersés. Toutefois =0 n'implique pas que la dispersion des points autour du cercle soit uniforme (Fisher, 1993).

 

5.12.2.2            L'erreur absolue

Il n'existe pas de méthodes statistiques qui permettent de réaliser une analyse de la variance avec des vecteurs moyens ou avec des angles en général (Fisher, 1993). Pour cette raison, les analyses de la variance doivent être conduites sur une autre variable: l'erreur absolue. L'erreur absolue est la moyenne de l'erreur commise par les sujets indépendamment de la direction.

 

Exemple: Trois stimuli étant émis par le haut‑parleur "0", un sujet désigne le haut‑parleur "1" à la première stimulation (erreur de 45° sur la droite), le "0" à la deuxième (réponse correcte, 0° d'erreur) et le "7" à la troisième (erreur de 45° sur la gauche). Comment mesurer sa performance moyenne?

 

a)     Si dans le cas de notre exemple, on donne aux réponses les valeurs de 45°, 0° et 315°, la moyenne arithmétique mènera à une conclusion erronée, selon laquelle le sujet répond en moyenne "120°", c'est‑à‑dire derrière lui sur la droite, lorsque le haut‑parleur émetteur est face à lui...

 

b)    On peut réduire l'erreur en "signant" les réponses du sujet, c'est‑à‑dire en attribuant des valeurs positives ou négatives aux réponses selon qu'elles sont sur sa droite ou sur sa gauche; 45°, 0° conservent la même valeur alors que 315° devient -45°. Toutefois, la démonstration n'est pas plus probante. Si l'on reprend notre exemple, l'erreur obtenue est égale à 0°. On devrait conclure que le sujet ne se trompe jamais; il fait 0° d'erreur, alors que deux tiers de ses réponses sont fausses...

 

 

c)     Si l'on supprime le signe des réponses de l'exemple: b), pour ne conserver que leur valeur absolue, on empêche que les valeurs négatives et positives s'annulent réciproquement. Cet artifice mathématique permet d'avoir une meilleure estimation de la moyenne des points. Dans le cas de notre exemple, on obtient une erreur moyenne de 30°. Cette formule a, elle aussi, ses limites. Le résultat quantifie l'erreur mais ne donne pas d'informations sur sa nature. On perd toutes indications sur la latéralisation de l'erreur avec cette formule...

 

 

On ne dispose pas de meilleurs indices statistiques pour estimer l'erreur angulaire. Malgré ses limitations, c'est cette dernière formule qui sera utilisée pour définir la variable "erreur absolue" utilisée dans nos analyses de la variance.



 


6    Expérimentation

6.1     Plan expérimental

Présentation synthétique des cinq expériences de ce travail.

6.1.1   Expérience 1: Rôle joué par la fréquence du stimulus et par les mouvements de tête dans la localisation de l'origine spatiale d'un signal acoustique en milieu subaquatique

Dans cette expérience, seront comparées les performances d'un groupe de sujets soumis à 3 types de stimuli. Il s'agit d'un bruit blanc dont la bande passante va de 0 Hz à 10 kHz et de sons sinusoïdaux aux fréquences de 400 Hz et de 6000 Hz. Par fréquences de stimulus, on entend ici sa fréquence acoustique, s'exprimant en hertz. Ces stimuli sont présentés dans huit directions dans le plan horizontal (0°, 45°, 90°, 135°, 180°, 225°, 270° et 315°), et 2 conditions. Dans la première condition, la tête est mobile, c'est-à-dire que le sujet est libre de ses mouvements dans le plan horizontal, alors que dans la seconde condition la tête demeure immobile.

 

6.1.2   Expérience 2: Rôle joué par la durée du stimulus et par les mouvements de tête dans la localisation de l'origine spatiale d'un signal acoustique en milieu subaquatique

Dans cette expérience, seront analysées les performances d'un groupe de sujets qui entend un seul stimulus, un bruit blanc qui a les mêmes caractéristiques que celui de la première expérience à l'exception de sa durée qui est de 5 secondes, dans 2 conditions: tête mobile versus tête immobile. Les résultats seront ensuite comparés avec les données de la première expérience, et cela pour le stimulus de caractéristiques identiques, exception faite pour sa durée, qui est de 2 secondes dans la première expérience.

 

6.1.3   Expérience 3: Rôle joué par la pratique sportive de la plongée sous‑marine et par les mouvements de tête dans la localisation directionnelle de la source d'un son en milieu subaquatique

Dans cette expérience, seront comparées les performances de 2 groupes de sujets ayant une grande différence de pratique de la plongée sous‑marine, dans deux conditions tête mobile versus tête immobile: 1) les uns sont des débutants qui viennent ou sont en train de terminer leur premier brevet de plongée sous‑marine (<12 heures d'immersion), 2) les autres sont des experts qui ont à leur actif plus de 75 heures d'immersion.

 

6.1.4   Expérience 4: Rôle joué par les pavillons dans la localisation directionnelle de la source d'un son en milieu subaquatique

Dans cette expérience, seront comparées les performances d'un groupe de sujets libres de leurs mouvements de tête dans 2 conditions: sans versus avec informations en lien avec les pavillons. Les sujets sont porteurs d'une cagoule qui: 1) est percée au niveau du conduit auditif dans la condition sans pavillon, 2) est perforée au niveau des oreilles, et laisse les pinnæ à l'extérieur dans la condition avec pavillon.

 

6.1.5   Expérience 5: Rôle joué par la fréquence du stimulus et par les mouvements de tête en situation de conduction osseuse limitée

Dans cette expérience, on essaiera de limiter la propagation transcrânienne du signal sonore en recouvrant la tête du sujet avec une couche de NéoprèneTM ce qui l'isolera à l'égard du milieu dans lequel elle baigne, avec 2 cagoules: a) une cagoule classique et b) une cagoule faciale. Afin de contrôler si la tête tient à nouveau un rôle de barrière acoustique, seront comparées les performances des sujets aux fréquences: 400 Hz versus 6 kHz, et dans les conditions: tête mobile versus tête immobile.


 

Tableau 4: Tableau synthétique de l'ensemble des expériences.

             Expériences

N° 1

N° 2

N° 3

N° 4

N° 5

Mouvements de tête

avec vs sans

avec vs sans

avec vs sans

avec

avec vs sans

Stimuli

400 Hz, 6 kHz, bruit blanc1

bruit blanc

bruit blanc

bruit blanc

400 Hz vs 6 kHz

Émissions2 du signal

3

6

6

6

3

Durée3

2

2 versus 5

5

5

5

Pavillons

couverts4

couverts

couverts

couverts5
vs
découverts6

couverts

Conduction osseuse

Ø

Ø

Ø

Ø

cagoule faciale

Niveau de pratique

experts7

experts

débutants8
versus
experts

tous niveaux

tous niveaux

 

1     Le bruit blanc utilisé a une bande passante qui va de 0 à 10 kHz.

2     Nombre de fois que le signal est émis par chacun des haut‑parleurs dans chaque condition.

3     Durée de l'émission du signal en seconde.

4     Les sujets portent une cagoule qui recouvre les pavillons.

5     La cagoule est percée au niveau du conduit auditif.

6     Les perforations de la cagoule laissent les pavillons à l'extérieur de celle‑ci.

7     Pour être sélectionnés, les sujets "experts" doivent avoir passé >75 heures en immersion.

8     Pour être sélectionnés, les sujets "débutants" doivent avoir passé <12 heures en immersion.