Semaine internationale du cerveau
du 15 au 21 mars 1999

DROGUES ET CERVEAU

Anne-Françoise Chevalley

Les mécanismes de la dépendance, le fonctionnement du circuit de "récompense", les interactions directes ou indirectes entre substances psycho-actives et les cellules à dopamine du circuit de récompense, ainsi que la notion de vulnérabilité individuelle seront les thèmes abordés dans cette conférence.

Cocaïne, alcool, cannabis, stimulants, sédatifs, hypnotiques, tabac sont autant de substances psycho-actives. Celles-ci se lient sur des récepteurs cellulaires présents dans notre organisme, en particulier au niveau du cerveau, et conduisent à la dépendance. La dépendance est un syndrome pour lequel la consommation d'un produit devient une exigence supérieure à celle d'autres comportements qui avaient auparavant une plus grande importance. Elle apparaît progressivement avec la répétition des prises de drogues. Dans sa forme extrême, l'état de dépendance se caractérise par un besoin impérieux du produit qui pousse l'individu à une recherche compulsive. La dépendance n'est pas un phénomène typiquement humain. Elle est observée, de façon naturelle, chez de nombreux organismes vivants tels que les insectes, les oiseaux, les primates, etc. Des scientifiques l'ont également provoquée, de façon expérimentale, avec des drogues utilisées par l'Homme. L'identification de la dépendance s'effectue grâce aux symptômes qui se manifestent lorsque l'organisme est privé du produit auquel il s'est habitué. La dépendance est tant physique que psychique. Les symptômes de manque liés à la dépendance physique disparaissent après quelques jours d'abstinence. La dépendance psychique se traduit, quant à elle, par des troubles de l'humeur et peut subsister de nombreuses années après l'arrêt de la consommation du produit. C'est donc elle qui pose les problèmes les plus importants et qui fait l'objet des recherches actuelles.

Cerner la dépendance consiste à expliquer pourquoi un individu recherche un produit de façon compulsive et pourquoi ce besoin ne fait que s'accroître, en dépit du fait que ce comportement aboutit à des conséquences négatives pour lui. Deux facteurs principaux contribuent à la dépendance, l'effet "renforçateur positif" du produit qui est lié au plaisir obtenu lors de sa consommation et les importants désagréments (états de manque) qui apparaissent lorsque le produit n'est plus présent dans l'organisme. Les substances psycho-actives consommées fournissent du plaisir à l'individu et/ou diminuent les désagréments dont il peut se plaindre. Ces "renforçateurs positifs" puissants ont des propriétés de "récompense" qui contribuent fortement au maintien et à l'augmentation des comportements de consommation qui les ont engendrés.

Le circuit de récompense cérébral identifié par les scientifiques explique un tel comportement. Les cellules du cerveau qui font partie de ce circuit communiquent entre elles grâce à un "messager", la dopamine. Elles sont toutes connectées à une structure située à la base du cerveau, l'hypothalamus, qui joue un rôle central dans les mécanismes de satisfaction ou de satiété (faim, soif, sexe, etc.). Ainsi, en présence d'un élément agréable, les organes des sens prélèvent une information qui comporte des caractéristiques physiques et hédoniques. La partie physique de l'information (odeur, forme, couleur, son, texture, etc.) est traitée par les zones du cerveau qui lui correspondent et l'aspect hédonique devient, quant à lui, un signal, annonçant une récompense. L'arrivée de ce signal dans le circuit de récompense se traduit par une augmentation de la quantitié de dopamine circulant entre les cellules nerveuses. Après l'effet de satisfaction, l'hypothalamus envoie alors un nouveau message aux cellules du circuit afin de provoquer un retour à une activité normale.

Les substances psycho-actives consommées ont une propriété comparable à celle des signaux naturels de récompense, décrits ci-dessus: elles provoquent une augmentation de la dopamine. Toutefois, il existe une différence de taille entre les deux: la modification de l'activité des cellules nerveuses du circuit, sous l'action des récompenses naturelles, ne dure qu'une à deux secondes alors que les drogues ont une action de plusieurs dizaines de minutes. Ceci a été démontré chez l'animal et très récemment chez l'Homme grâce aux techniques actuelles, comme l'imagerie par résonance magnétique (IRM) et la tomographie par émission de positrons (PET).

Par ailleurs, on a constaté que l'environnement dans lequel une récompense a été obtenue à plusieurs reprises, peut devenir un signal conditionnel de récompense. L'environnement, habituellement associé à la récompense, est en effet capable d'activer le circuit de récompense et de déclencher la recherche de la récompense. Ce phénomène a notamment été observé avec des substances psycho-actives consommées de façon répétées. L'environnement d'un consommateur de substances psycho-actives est constitué par exemple de la seringue, d'un lieu, des personnes avec qui elle consomme, de l'ambiance, etc. L'action prolongée des substances psycho-actives sur l'activité des cellules du circuit de récompense permet l'association de nombreux éléments de l'environnement ainsi que des sensations psychiques à l'effet de récompense que ces substances procurent.

Ainsi, lorsque que la personne est soumise à des éléments familiers assimilés à la prise de drogue, son circuit de récompense est activé et provoque une élévation du taux de la dopamine. Si la drogue est consommée, l'hyptothalamus envoie un message de satisfaction aux structures du circuit. En revanche, si la récompense, ici synonyme de drogue, ne vient pas, l'absence du message de satisfaction entraine une baisse d'activité du circuit et la baisse momentanée de la dopamine qui lui est associée. Cette réaction pourrait être à l'origine du mal-être ressenti.

Image E-mail Sylvie Détraz Presse, Informations, Publications
Webadmin
Mise à jour: mars 1999 - Louis Monney

[Accueil] [Communiqué] [En bref] [Cérémonie] [Conférences] [Concerts] [Portes ouvertes] [En Suisse] [Université]