Olivier
MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
23 mai 2003
Texte paru dans l'Educateur (n°6), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
Re- : préfixe signifiant " de nouveau ", " à nouveau ", " une fois de plus ". Très utilisé en pédagogie. Aveu dimpuissance ou condition du mouvement ?
" Réformer lécole ". " Refonder lécole ". " Rénover lécole " et même la " rescolariser ". A en croire notre vocabulaire, la pédagogie serait toujours à re-prendre. A re-mettre sur le métier. A re-commencer. Tout ne serait quéternelle répétition. Certains sen émeuvent. Ils demandent moins de rengaines, moins de ressassements. Ils veulent de la constance, de la confiance, de laplomb, pas une éternelle rénovation. Mais le paradoxe, cest que les déçus du changement veulent carrément rebrousser chemin. Revenir aux sources. Tout réinventer. Ils aimeraient " relever le niveau ", " réhabiliter le savoir ", " rétablir lautorité ". Lécole, ils ne veulent pas seulement la perfectionner : ils veulent la " refaire " de la cave au grenier.
Est-ce une fatalité ? Daniel Hameline le notait dans ces pages il y a bientôt vingt ans : sil y a quelque chose qui ne change pas, dans lécole, cest la rhétorique de la restauration, le bégaiement des exhortations. Lhistoire de léducation est décidément une histoire bégayante. " Le niveau baisse ", " la discipline se dégrade ", " lorthographe est en friche ", " les valeurs traditionnelles sont bafouées ", " les meilleurs sont ravalés au rang des médiocres, victimes du nivellement par le bas ", " le sens de leffort est perdu au profit des caprices et de lintérêt ", " ladulte adapté au monde de demain est sacrifié à lenfant heureux daujourdhui " Vieux refrains. Vieilles chansons. Sempiternelle redite des mêmes propos. Litanie et récitation. Impuissance dans linsistance, dit Hameline. Si hier était mieux quaujourdhui, cest donc que nos pères ont failli. Et sils nous ont mal éduqués, comment nous tirerons-nous par les cheveux pour sortir des sables où ils nous ont laissés ?
Notre avenir derrière nous, beaucoup de regrets et aucun progrès, une plainte toujours remâchée. Il y aurait de quoi se décourager. De quoi céder au désabusement (" taisons-nous ! ") ou aux sirènes de la démolition (" changeons tout ! "). Doù limportance de cette distinction : à préfixe équivalent, tous les retours ne se valent pas. Il ne faut pas confondre les boucles de rétroaction. Dire " réformons lécole ! ", par exemple, est-ce dire quil faut changer ses formes sans rien toucher au fond ? Est-ce questionner ses structures, ses filières, ses méthodes mais surtout pas ses missions ? Et " refonder linstitution ", est-ce faire contrepoids en renversant le raisonnement ? Est-ce réclamer du soutien, des renforts, des protections, et dire que tout est discutable les murs, la morale, la politique, les finances publiques sauf les (ré)formes de lécole qui frisent la perfection ? Curieuse séparation, ma foi. Tout jeter dun côté et tout garder de lautre, cest découpler le fondement de notre action et ce quelle devrait transformer. Quand le bègue est borgne, cesse-t-il de bégayer ? Ou passe-t-il de réformes sans fond à dinformes refondations, confondant léquilibre et loscillation, ouvrant la route aux bulldozers de la réfection ?
Réformer, refonder ou refaire lécole, cest chercher quelque part dans lhistoire lidée parfaite quil suffirait de recycler. Cest la chercher à gauche, à droite ou en arrière, partout sauf sous nos pieds. Quitte à bégayer, autant rénover : en fonction des besoins, renouveler la forme ou renouveler le fond ; récrire un programme ou réviser un règlement, sans refaire à chaque fois toute la maison. Si le ré-novateur fait " de nouveau du nouveau ", il insiste, mais il nest pas impuissant. De coup de pédale en coup de pédale, le cycliste ne cafouille pas, il va de lavant. Cest en le répétant quil entretient le mouvement.
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Hameline, D. (1985). Le bègue et loiseau-chanteur, Educateur, n°2. Texte repris dans : Hameline, D. (2002). Léducation dans le miroir du temps. Lausanne : LEP.