Testez votre efficacité !

Olivier MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

27 mai 2005

Texte paru dans l'Educateur (n°6), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?) | version pdf


Quand vous travaillez, êtes-vous efficace, centré sur vous-même, sur l’élève ou sur ce que vous devez lui enseigner ? Pour le savoir, passez notre test scientifiquement validé.

Quality management, contrôle externe, enquêtes internationales, indicateurs, rankings et best practices : la « culture de l’évaluation » et l’« ingénierie des systèmes humains » passent l’école au crible de la standardisation et font (parfois) passer les maîtres pour des idiots. La « pratique efficace », par exemple, est le dernier élixir supposé nous remettre d’aplomb, surtout quand elle vient d’Amérique et que son principe actif est breveté statistiquement. Vous vous inquiétez ? Vous enseignez depuis vingt ans, mais par les temps qui courent vous craignez d’être hors norme, peu compatible, non certifié ? Prenez les devants en testant votre efficacité !

Voilà quatre situations ordinaires. Dites chaque fois comment vous agiriez. Cochez A, B ou C pour découvrir votre profil didactique, votre rendement professionnel, votre coefficient d’employabilité :

1. Chaque lundi, vous menez votre classe à la bibliothèque du quartier. Sur le trajet :

A.     Vous marchez en tête pour montrer le chemin.

B.     Vous marchez derrière en vous fiant aux enfants.

C.     Ils vous suivent ou se perdent : vous ne marchez plus et leur apprenez à lire le plan.

2. À la gym, vous voulez enseigner le volley-ball. Pour commencer :

A.     Vous dites « Regardez-moi : je suis un champion ! »

B.     Vous dites « Voilà des ballons : jouez à votre façon ! »

C.     Personne ne bouge ou alors n’importe comment : vous travaillez la passe et la réception.

3. Dans le journal de l’école, les élèves doivent publier des articles. Au tableau noir :

A.     Vous notez le texte à recopier.

B.     Vous notez : « Rédigez librement, les fautes sont encouragées ! »

C.     La fois d’après, vous ne voyez aucun progrès : vous cessez d’écrire et donnez une leçon de français.

4. Combien coûteront 107 journaux à 6 francs ? Pour aider ceux qui posent une addition :

A.     Vous récitez à haute voix la table de 107.

B.     Vous attendez que quelqu’un réinvente la multiplication.

C.     Comme tout cela prend du temps, vous suspendez le comptage et enseignez les quatre opérations.

C’est une blague ? Oui et non. Aucun de nous ne fait ni A ni B, mais ils servent de repoussoirs à tous ceux qui affirment que leur troisième voie est la mieux étalonnée. On nous demande tour à tour de calmer nos ardeurs (« Madame A : directive, trop d’ex cathedra. »), de quitter notre langueur (« Monsieur B : inactif, trop de débats. »), en un mot de revenir dans le droit chemin dont le démon de l’autre bord nous a sournoisement écartés. Pour être efficace, il ne faut ni penser à la place des enfants, ni leur demander ce qu’ils voudraient apprendre éventuellement. Le bon enseignant s’occupe d’enseigner… : ce serait drôle si l’on ne feignait pas de nous en informer.

Pourquoi ce genre de régression ? Tout conduire empêche les élèves de chercher ; ne rien forcer les condamne à errer : merci bien, nous y avions songé ! Le prof compétent guide la classe et s’assure qu’elle apprend. S’il échoue, il change de méthode, adapte le traitement sans attendre son certificat de différenciation. Quand sommes-nous efficaces ? Quand nous contraignons l’écolier à se passer de nous, que nous le rendons intelligent, autonome, capable de lire le plan, de rédiger l’article ou de calculer un jour aussi bien que nous le faisons. Nous devons, c’est sûr, faire de mieux en mieux sur ce plan. Nous ne savons pas tout et pouvons progresser comme progressent toutes les professions, y compris en prenant appui sur la recherche en éducation. Mais ceux qui prétendent nous révéler le sens de notre métier tout en déplorant que nous manquions d’autorité, ceux-là nous apportent une aide de mauvaise qualité. Mesurent-ils seulement leur inefficacité ?

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À propos d’efficacité : Gauthier, C. et al. (2005). Quelles sont les pédagogies efficaces ? Un état de la recherche. Les Cahiers du débat. | pdf

À propos de standardisation : Strittmatter, A. (2004). Jusqu'où peut-on et doit-on standardiser l'École ? In J.-P. Bronckart, J.-P. & Gather Thurler, M. (Ed.) Transformer l'école (pp. 193-217). Bruxelles : De Boeck.