L'utopie populiste

Olivier MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

17 juin 2005

Texte paru dans l'Educateur (n°7), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).


 

« Laxiste et paresseuse ; égarée et renégate ; instable, irresponsable, exécrable, bref : nulle. » Pour sauver l’école, le populiste commence par l’incendier. Et il dit ensuite que vous êtes illuminé.

Qu’est-ce que le populisme ? Pour les politologues, c’est un ensemble de « schèmes idéologiques », de « propositions simples (voire simplistes) » consistant à prendre le parti du peuple, moitié en le suivant, moitié en le manoeuvrant. Le tribun populiste est un pompier pyromane : il met le feu aux poudres pour mieux vendre sa lance à eau. D’abord, il dramatise la situation, attise les peurs, dénonce pêle-mêle la baisse de niveau, la décadence, la fin de la civilisation ; et quand l’angoisse se met à monter, quand on cherche l’homme providentiel qui remettra de l’ordre dans la nation, il brandit les sondages en disant « Vous voyez, c’est moi le porte-parole des inquiets ! » Il revendique la solution parce que lui seul est en phase avec la population.

C’est ici que tout se joue. En démocratie, le peuple a toujours le dernier mot. Mais il l’a justement au bout de la discussion, de l’examen des faits, de l’échange raisonné des meilleurs arguments. Le populiste précède le mouvement : il flatte l’électeur et lui donne immédiatement raison. « Pourquoi tant attendre puisque je parle déjà au nom des gens ? » Ce schéma peut tronquer n’importe quel débat : moins d’immigration réduira le racisme et l’exclusion ; moins d’Etat, l’égoïsme et l’impopularité de l’impôt ; moins de réformes, le repli sur soi et le rejet des innovations. Bref, persuader le peuple, c’est prévenir ses réactions. Si vous essayez d’objecter, de suggérer que la majorité peut se tromper, vous êtes accusé de l’embrouiller ou – c’est pire – de la prendre de haut. C’est la force de la démagogie, forme voilée du mépris : traiter d’arrogants ceux qui jugent que le respect d’autrui consiste à débattre plutôt qu’à lui dire tout de suite oui.

L’école, elle aussi, peut subir ce court-circuit. PISA publie des classements qui devraient documenter la réflexion ; le populiste n’en a cure et va droit aux conclusions. Il ignore ou amalgame les faits pour fixer son syllogisme dans l’opinion : « les réformes inquiètent ; l’inquiétude est néfaste ; donc les réformes sont néfastes ». Vous dites que les Finlandais le sauraient : il change d’argument, ne parle plus de notes ni de redoublement mais de l’« isolement du pays », de son « goût de l’étude » et de son « taux d’immigration ». Vous rétorquez que Genève et Lausanne ont justement leurs soucis, qu’elles innovent par nécessité plutôt que par lubie : il retourne le raisonnement, oublie la sociologie et condamne une pédagogie dont se garderaient à juste titre les plus sages de nos cantons. L’école romande a bien trente ans d’âge, elle a renouvelé de concert ses méthodes de mathématiques et de français, mais une presse complaisante chante en chœur que les repères ont fichu le camp depuis que le groupe-sujet se peint en jaune et que l’on range les nombres dans des arbres de classement ! Les Fribourgeois seraient au courant, mais peu importe puisque ce qui compte est moins de distinguer le vrai du faux que de mélanger opportunément les causes et les effets. En Laponie, le calme permet le changement. En Helvétie, il justifie l’inaction. Cela laisse deux solutions : déménager Genève à Turku ou y transplanter le Moléson. Vous vous êtes utopistes : vous voulez modifier l’évaluation.

---

Taguieff, P.-A. (Ed.) (2004). Le retour du populisme. Un défi pour les démocraties européennes. Paris : Universalis.