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De lécole active à
lécole interactive :
un nouveau mythe ?
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1987
I. Interactions sociales et école activeII. On peut apprendre tout seul !
IV. Intervention du maître et contrôle des interactions
V. Pour une approche statistique de linteraction
Que certaines interactions sociales soient déterminantes dans la construction des savoirs, voilà qui ne fait pas lombre dun doute aux yeux dun sociologue acquis à linteractionnisme symbolique et, sagissant de lhabitus et des représentations, à deux " constructivismes interactionnistes ", lun inspiré de Piaget et de ses continuateurs en psychologie sociale (Perret-Clermond, 1979), lautre de Berger et Luckmann (1971) ou de Watzlawick (1978). Limportance que donnent les chercheurs du CRESAS aux interactions sociales me paraît faire utilement contrepoids à la centration trop fréquente sur les facteurs individuels de la réussite scolaire. Si jexprime ici quelques doutes ou quelques questions, cest avant tout pour contribuer à une réflexion commune.
La société nexiste, comme système vivant, quà travers les interactions partiellement régulières et prévisibles qui recréent chaque jour ses structures. Modalité obligée dexistence du social, linteraction nest en elle-même ni un bien ni un mal ; elle peut être source de dautonomie ou dégalité aussi bien que daliénation ou de domination. De même, alors que certaines interactions sont formatrices, dautres sont sources dappauvrissement culturel ou de troubles de lidentité.
Une interaction ne contribue à la construction de savoirs et de savoir-faire que si elle favorise lactivité du sujet. Les intuitions qui ont fondé les notions déducation fonctionnelle et décole active et qui inspirent les mouvements décole moderne et les pédagogies nouvelles ont insisté depuis longtemps sur le rôle de lactivité du sujet dans lapprentissage. Wallon et de Piaget ont montré que la construction des connaissances passait par laction, entendue au sens large : action concrète aussi bien quopération mentale sur des représentations ou des symboles. Mais cela signifie pas que toute action est génératrice dun apprentissage : il faut quelle se heurte à une certaine résistance du réel, entraînant une accommodation, une coordination, une différenciation des schèmes, des savoir-faire ou des savoirs acquis.
La question est : en quoi linsistance sur linteraction sociale permet-elle de mieux poser ou de mieux résoudre les problèmes que rencontrent les pédagogies actives ? À cette question, on peut imaginer au moins trois réponses : 1. on peut avancer que toute activité favorable à la construction de savoirs est solidaire dune interaction sociale ; 2. on peut penser que les interactions sociales induisent, par leur nature, même des fonctionnements mentaux particulièrement féconds du point de vue des apprentissages ; 3. on peut soutenir que linteraction sociale est un moteur privilégie de laction, à la fois puissant et partiellement indépendant des interventions de lenseignant.
Les êtres humains participent dune culture et vivent en société. Toute activité individuelle, aussi intériorisée et privée soit-elle, renvoie en dernière analyse à des rapports sociaux, donc à des interactions passées ou à venir. Cela non seulement dans lesprit de lobservateur, mais dans celui de chaque acteur social : lorsque nous sommes seuls, même en rêve, nous passons beaucoup de temps à nous remémorer des interactions passées, pour les revivre, les comprendre, les justifier, les assimiler ; et non moins de temps à nous imaginer des interactions possibles, souhaitables ou probables. En ce sens, toutes nos pensées et tous nos actes, même les plus solitaires, renvoient à autrui et à des interactions sociales possibles ou réelles. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes constamment pris dans le vif dune interaction. Or nous narrêtons pas de penser et dagir pour autant. Notre mode de fonctionnement mental est certainement différent, mais rien ne permet daffirmer que les activités qui participent directement de linteraction sont les seules fécondes du point de vue de la construction des savoirs.
Nous pouvons apprendre en réfléchissant et en agissant seuls, en réorganisant nos informations, nos concepts, nos représentations, en jouant avec le langage et dautres systèmes de signes, ou agissant sur des objets ou des systèmes mécaniques ou électroniques. Quiconque dessine, travaille de ses mains, rédige un texte, résout un problème, programme un ordinateur ou joue en solitaire est confronté à une réalité qui résiste, qui loblige à différencier et à restructurer ses schèmes, ses savoirs, ses savoir-faire au même titre que dans une interaction directe. Papert (1981) a insisté sur la fécondité des engrenages, des " micromondes ", des " machines pour penser avec ". Sans doute le LOGO nest-il pas une solution à tous nos problèmes, pas plus que les technologies nouvelles dans leur ensemble. Mais linsistance sur les interactions sociales ne devrait pas dévaloriser les vertus éducatives des activités individuelles de toutes sortes, quelles soient ou non dépendantes dune technologie avancée. Lexploration, le jeu, la manipulation, la création, lécriture, la lecture, la rêverie restent des activités individuelles créatrices dapprentissages et quil vaut la peine de susciter dans un cadre scolaire au même titre que les interactions sociales. Ce qui conduit simplement à élargir le rapport entre interactions sociales et construction des savoirs : pour apprendre, il nest pas nécessaire dêtre pris constamment dans le vif dune interaction ; mais il faut être inséré dans un tissu social qui stimule lactivité personnelle.
Linteraction, qui nest pas nécessaire pour apprendre, nest pas non plus suffisante. Si toutes les interactions étaient éducatives, nous serions diablement savants ! En réalité, la plupart des interactions dans lesquelles nous sommes impliqués ne sont pas ou ne sont plus éducatives. Elles participent de nos routines, elles font fonctionner nos schèmes acquis et mobilisent des savoirs et des savoir-faire déjà constitués. La routine nest pas en tant que telle sans valeur : elle permet économie
dénergie, sécurité, rapidité, faible investissement affectif, automatisme et donc disponibilité pour dautres aspects de la réalité. Il reste que, pour engendrer des apprentissages nouveaux, une interaction doit nous obliger à mettre en question nos certitudes, à élargir nos connaissances, à surmonter des contradictions, à prendre des décisions difficiles, à négocier avec des partenaires peu commodes.
Les interactions éducatives correspondent donc à une classe bien définie de situations sociales. Sans disposer dune typologie exhaustive on peut mentionner les situations qui appellent : a. un partage équitable de ressources rares ; b. la concertation dune action collective ; c. une compétition ; d. la coordination de points de vue divergents ; e. une décision commune difficile ; f. une coopération intellectuelle dans la résolution dun problème difficile ; g. la résolution pacifique dun conflit. Ces situations exigent toutes communication, négociation, argumentation et calcul stratégique. Or, rien ne permet daffirmer que de telles interactions se produisent spontanément et constamment dans la vie scolaire.
On a affirmé longtemps que lenfant était naturellement actif. Peut-être est-ce vrai durant la petite enfance. Au-delà, lactivité nest plus une " compulsion ". Lindividu doit y trouver son compte de plaisir, dexcitation, démotion ou, plus prosaïquement, avoir limpression datteindre un but ou de préserver ses intérêts. Il en va de même des interactions : les acteurs sociaux ninteragissent pas pour interagir. Et lorsquils affrontent les autres, cest souvent de façon routinière. Il arrive bien entendu à chacun de rechercher la compétition, dinventer un problème pour le seul plaisir de le résoudre, de sengager librement dans un jeu ou un travail difficile, de se fixer des défis. Mais à linverse, rien ne permet de prétendre que les élèves recherchent constamment les problèmes à résoudre, les contradictions à surmonter, les conflits cognitifs à dépasser, les décisions épineuses à prendre. Avant dêtre " apprenant ", lélève est un acteur social à part entière (Perrenoud, 1984, 1985, 1988), il a des intérêts et des stratégies, il simplique pas linteraction pour des raisons qui lui appartiennent, souvent étrangères à tout projet éducatif.
Sans nier le goût du jeu, la curiosité, lenvie de maîtriser la réalité, le désir de gagner, le goût du pouvoir ou le plaisir de communiquer, il faut constater que, pour la plupart des individus, ces moteurs ne sont ni constants, ni inusables, ni toujours assez puissants pour les impliquer dans des interactions éducatives. Lindividu ne sengage dans une interaction que si elle a pour lui un sens. Or ce sens ne naît pas de la situation dinteraction en tant que telle, mais de la balance entre ce quil y perd et ce quil y gagne. Il a autant de raisons de se protéger de certaines interactions, de les tenir en lisière de son champ de conscience que dy entrer de plain pied.
Quel que soit lintérêt dune approche interactionniste il faut, pour ne pas construire un nouveau mythe, savoir que linteraction, en tant que telle, ne propose aucune solution miracles aux problèmes pédagogiques fondamentaux. Lidée dinteraction peut cependant, sur un point crucial, avancer très concrètement la réflexion didactique. Les pédagogies traditionnelles ne sont pas indifférentes à linteraction, mais elles la situent dabord entre le maître et lélève, quil sagisse du dialogue socratique ou de lexposé magistral suivi de questions. Ce qui limite considérablement la densité des interactions en classe. Sans doute le maître, qui dialogue avec lensemble de ses élèves et parfois avec chacun en particulier, a-t-il limpression dêtre au centre de très riches échanges. Cela masque la pauvreté des interactions " légitimes " entre élèves. Lexpérience dune interaction permanente est avant tout celle du maître, même dans une classe active !
Au contraire, dès le moment où lon considère que les échanges entre élèves sont féconds, on multiplie de façon extraordinaire les possibilités dinteraction au cours du temps scolaire. Chaque élève devient un moteur de linteraction ou une personne-ressource pour les autres. Il cesse dêtre ce personnage censé ne sanimer que lorsque le maître le sollicite. On retrouve ici, dune certaine façon, les intuitions fondatrices de lenseignement mutuel, débarrassées de ce qui en faisait les limites : la reproduction entre élèves du schéma dinteraction maître-élève. On peut considérer les interactions sociales entre élèves comme un enseignement mutuel spontané, chacun étant à son tour, sans même sen rendre compte, formateur pour lautre.
Reste à créer les conditions dans lesquelles pourront naître et se développer des interactions fécondes entre élèves. Par définition, le maître ne les contrôlera pas entièrement et en sera largement absent. Il naura donc pas prise sur leur continuité, leur densité, leur contenu ou leur symétrie. Autrement dit, les interactions dépendront de la confrontation des stratégies respectives des élèves, qui peuvent, selon les cas, rendre les échanges très enrichissants ou les vider de tout intérêt éducatif. Ainsi, dans une recherche-action conduite à Genève sur léchec scolaire et la différenciation de lenseignement (Groupe RAPSODIE, 1979 ; Haramein & Perrenoud, 1981 ; Hadorn, 1984), avons-nous constaté quen instituant une plage hebdomadaire consacrée au jeux de réflexion, nous perdions la maîtrise des interactions entre élèves dès le moment où nous renoncions à jouer avec eux, à arbitrer leurs parties ou à intervenir comme garants du respect des règles et de limplication de chacun dans un jeu. Les jeux de réflexion se prêtent en principe fort bien à des interactions entre égaux. Les élèves, un peu plus de trente, avaient à disposition une quarantaine de jeux de réflexion et trois ou quatre adultes fonctionnant comme partenaires ou comme personnes-ressources ; ils avaient du temps, une grande liberté dans le choix de leurs partenaires, la possibilité de se déplacer dans plusieurs locaux. Malgré cela, certains élèves ne jouaient à rien ou ne sengageaient sérieusement dans aucun jeu ; certaines parties étaient interrompues au premier signe de lassitude ou au moindre conflit. Beaucoup délèves choisissaient en priorité des jeux stéréotypés et répétitifs ; les règles étaient systématiquement simplifiées et appauvries, dentente entre tous les joueurs ; les élèves semblaient plus sensibles aux enjeux relationnels quau travail intellectuel que les maîtres espéraient favoriser.
Cette expérience, comme bien dautres, montre quil est très difficile, lorsquon crée des occasions dinteraction, de maîtriser ce que les élèves en font. On ne peut, à moins dintervenir constamment, au risque de transformer du tout au tout la nature des interactions, éviter complètement les inégalités dans la participation, lagressivité, la lassitude, la régression vers des formes stéréotypées dinteraction, lenlisement des activités, léclatement des groupes ou le détournement du matériel proposé.
Lorsquil est au centre du réseau dinteractions, le maître a un sentiment de maîtrise. Il peut donc prendre le risque dimproviser, de saisir des occasions, de tirer parti des initiatives des élèves ou des circonstances. En revanche, lorsquil accepte que ses élèves travaillent sans lui, individuellement ou en groupe, le maître a tendance, pour garantir une certaine " rentabilité ", à structurer fortement les interactions, à travers un matériel et des consignes précises. Un maître convaincu de la fécondité de lapproche du CRESAS pourrait être tenté dinvestir dans de " belles interactions ", bien pensées, bien planifiées, assorties dun matériel bien élaboré, placées sous contrôle de bout en bout. Serait-ce un tort ? Je conçois quon puisse préparer certaines situations dinteraction sur ce modèle. Il est sûr par exemple que certains jeux logico-mathématiques ne peuvent fonctionner que si lon propose des règles et un matériel conçus pour engendrer de façon optimale la formation de certains concepts ou de certains savoir-faire. De même, en structurant fortement certaines situations de communication, on oblige les élèves à affronter des difficultés spécifiques.
Souvenons-nous toutefois quen dehors du milieu scolaire, par exemple dans la famille, lenfant apprend souvent à travers des interactions qui nont pas été planifiées à cette fin, mais qui se produisent spontanément dans la vie quotidienne. Chacune de ces interactions, prise isolément, a sans doute une vertu éducative limitée, bien inférieure à ce quon peut attendre dune interaction didactique " bien pensée ". Mais cest la répétition aussi bien que la variété qui font peu à peu évoluer la construction des savoirs et des savoir-faire. Transposée aux apprentissages scolaires, cette approche statistique de linteraction obligerait à renoncer au perfectionnisme qui caractérise souvent lécole, à résister aux fantasmes de maîtrise, au désir de vouloir tout prévoir, tout contrôler, tout corriger. Il sagirait de concevoir des situations peut-être moins riches, mais beaucoup plus nombreuses. Lapprentissage naîtrait de leur densité et de leur partielle redondance plutôt que de la fécondité de chacune prise séparément.
Poussée à son extrême logique, linsistance sur les vertus des interactions sociales devraient amener à repenser lécole comme milieu de vie et dinteraction, pour y introduire délibérément des incertitudes, des conflits, des zones de désordre, en multipliant les décisions à prendre. Le milieu scolaire est pauvre en interactions éducatives parce quil est hyperorganisé, parce quon doit inventer des problèmes faute den avoir de vrais à résoudre, parce que le travail et les échanges suivent des formes stéréotypées qui nincitent guère à la négociation et à la création. Si les interactions sociales éducatives supposent des situations de compétition, de concertation de laction collective, de décisions, de résolution de problèmes, de partage, il faut que lorganisation scolaire fasse émerger de telles situations par sa structure même. Cela passe par une transformation de lorganisation scolaire et non seulement des didactiques. En ce sens, lautonomie des classes et des établissements est essentielle. Toutes les décisions qui viennent den haut sont autant doccasions perdues de susciter des interactions éducatives sur le terrain !
Je voudrais pour finir mettre en évidence un paradoxe. Si lon fonde la construction des savoirs sur des interactions sociales permanentes, riches et diversifiées, il faut éviter que ces interactions soient constamment contrôlées par les adultes, ou même placées sous leur regard. Comment assurer dans ces conditions la symétrie dont le CRESAS souligne la nécessité pour quune interaction soit éducative ? Faut-il absolument, pour quune interaction soit éducative, que les partenaires soient égaux ? Je ne le crois pas. Certaines formes de lutte contre une domination sont extrêmement éducatives. Encore faut-il que lasymétrie ne réduise pas lun des partenaires réduit au silence et à lobéissance. Une interaction éducative peut saccommoder dun rapport de pouvoir ou dune différence dâge ou de statut, mais elle doit laisser à chacun un espace de jeu, une possibilité dexpression, une marge de négociation et de choix.
Même nuancé de la sorte, ce modèle dinteraction reste improbable, tout simplement parce que les enfants ne sont pas égaux. Ils ne disposent pas des mêmes informations, ils nont pas les mêmes idées et les mêmes ressources. Certains ont le goût du pouvoir ou occupent, pour toutes sortes de raisons, une position centrale dans le groupe. Certains ont le goût du risque, dautres moins. Certains réinvestissent dans les interactions scolaires une expérience de la négociation ou de la communication acquise dans dautres contextes. Cest pourquoi, surtout hors de la présence des adultes, les interactions entre enfants sont rarement symétriques. On observe souvent, au contraire, de très fortes prises de pouvoir, des hiérarchies, des ségrégations, des phénomènes de marginalisation ou de dépendance. Pour que linteraction soit éducative pour tous ceux qui y participent, il peut être nécessaire que ladulte intervienne, non pas dans linteraction, mais pour fixer un cadre et des règles qui la rendent vivable et féconde pour tous, à commencer par les plus démunis. Ces règles peuvent être elles-mêmes explicitées et négociées. Rien nest plus formateur que de négocier les règles mêmes de fonctionnement dun groupe. Lécole de Palo Alto (Watzlawick et al., 1972) a montré limportance des échanges à ce second niveau pour le réglage des relations interpersonnelles.
Dans ce domaine, évitons toute approche morale ou idéologique de linteraction. La symétrie est intéressante non parce que cest une forme dégalité, mais parce quelle rend linteraction vivante, durable et éducative. Limportant nest pas quune interaction corresponde à un modèle idéal de relation sociale, mais quelle soit féconde du point de vue des apprentissages, autrement dit quelle soit stimulante, quelle incite à penser et à agir. Sous cet angle, gardons-nous de caricaturer les interactions adulte-enfant. Il nest pas nécessaire, pour valoriser les interactions entre enfants, de renvoyer la relation pédagogique traditionnelle au musée. Il est vrai quun enseignant est plus âgé, quil a plus de pouvoir et quil en sait davantage. Mais son rôle est justement de faire oublier cette asymétrie. Le maître est sociologiquement en situation de servir les intérêts de linteraction elle-même plutôt que ses intérêts particuliers.
Pour conclure sur ce point, je dirais que, si on peut les mettre en place, des interactions plus denses et plus riches sont certainement favorables à la construction des savoirs. Mais que le problème de la différenciation de lenseignement (Favre & Perrenoud, 1984 ; Perrenoud, 1979, 1982) nest pas réglé pour autant. Il est simplement reposé en dautres termes, à la fois plus difficiles et plus réalistes : comment créer des espaces dinteraction sans favoriser à nouveau les plus favorisés ?
La psychologie sociale, comme composante de la psychologie ou comme carrefour interdisciplinaire, a dès sa naissance, presque par définition, intégré la dimension interactive ; la psychanalyse aussi, dune certaine manière. Mais en psychologie, pendant des décennies, ont tenu le haut du pavé un certain nombre dexpérimentalistes ou de psychologues comparatistes qui ont repoussé les " interactionnistes " dans lombre. En lisant les Études sociologiques de Piaget (Genève, Droz, 1965), on saperçoit quil mettait en évidence, dès 1923, la coopération intellectuelle comme dimension fondamentale du développement. En psychologie sociale - dans luvre de Georges Herbert Mead - et en psychologie génétique, chez Piaget, puis Wallon, lidée est acquise depuis des décennies. Une archéologie de la notion dinteraction, en psychologie et en pédagogie, montrerait que la conscience du pouvoir formateur des interactions nest pas récente, mais quelle longtemps heurtée aux paradigmes dominants.
Jinsisterai par ailleurs sur la nécessaire redondance des interactions génératrices dapprentissage ou de développement. Les travaux de Lautrey sur les structures de communication et dinteraction dans la famille montrent bien que les structures mentales ne se forment pas en un jour ; il se peut que certaines interactions décisives fassent passer un seuil. Mais cest la répétition inlassable de certains types dinteractions, de conflits cognitifs, de négociations, de contradictions qui, peu à peu, transforme les structures mentales et les savoirs. Cest ce que démontre toute analyse des apprentissages qui se font au jour le jour hors de lécole. Si lon veut introduire des interactions formatrices dans les salles de classe, cest plutôt sur ce modèle-là quil faudrait les penser, cest-à-dire comme quelque chose de permanent, de redondant et qui produit des effets à long terme.
Jajoute un dernier mot à propos de lidée de microculture ; les sociologues des organisations sintéressent très vivement à ce quon peut appeler la culture dune organisation, autrement dit à lensemble des codes, des valeurs internes à prison, un hôpital, une entreprise. Peut-être na-t-on à ce jour pas prêté assez attention à la culture interne de lorganisation scolaire. Sans doute parce quà force de parler de la culture à transmettre aux élèves, les enseignants et les gestionnaires finissent par oublier la culture quils partagent avec eux comme membres de lorganisation. Quelle est, dans cette culture, la valeur de linteraction ? Existe-t-il une culture de linteraction ?
Nombre despèces animales se caractérisent pas des interactions sociales assez denses : les comportements de chacun sont partiellement induits par les comportements des autres. Dans lespèce humaine, linteraction est non seulement vécue, elle est constamment pensée, et pas seulement dans les colloques Tous les acteurs sont des sociologues et des psychologues de leurs pratiques dinteraction. Et linteraction a constamment son double, la représentation plus ou moins fantasmée que sen font les intéressés. Les acteurs sont capables de maîtriser leurs interactions parce quils se les représentent, les codifient, les anticipent. Développer les interactions dans lécole, cest aussi mettre en circulation des images et des normes relatives à la de la communication et à linteraction.
On pourrait suggérer que le développement de situations interactives dans les classes doit saccompagner dune métacommunication, en dautres termes déchanges et de négociations à propos de la communication, pour en fixer les codes et les règles. Cest à travers la métacommunication que se forgent prises de conscience et modèles culturels de linteraction. En outre, quy a-t-il de plus formateur que dessayer de mettre à distance et dobjectiver le fonctionnement interactif dans lequel on se trouve, pour le changer, en fixer les règles, le rendre plus équitable ou plus transparent ?
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