|
|
|
Nouvelles
didactiques et
stratégies des élèves face au travail
scolaire
Faculté de
psychologie et de sciences de léducation
Université de Genève
1988
I. Un rapport stratégique au travail scolaireII. Lélève condamné aux stratégies du pauvre
Le concept de didactique, en sociologie, renvoie à lanalyse du processus de transposition didactique tel que Verret (1975) la défini : la transformation de la culture en objet denseignement et dapprentissage scolaire. La notion est aujourdhui au centre des travaux de didacticiens comme Conne (1986) ou Chevallard (1985). Elle peut et doit aussi rester un concept sociologique (Perrenoud, 1986).
Lorsquon analyse la scolarisation de certains savoirs et savoir-faire, on observe dabord la façon dont ils sont légitimés, codifiés et répartis aux fins de constituer un curriculum formel. Comme le montre D. Felder (1987) à propos de linformatique, cette " première phase " de la transposition didactique est riche denjeux scientifiques et statutaires. La question est alors de savoir à qui appartiennent le droit et le pouvoir de dire ce quil faut enseigner et à qui : quelle informatique pour quels élèves ?
Il reste ensuite à comprendre comment le curriculum formel - objectifs, plans détudes - devient un curriculum réel (Perrenoud, 1984, 1985). La seconde phase de la transposition didactique se joue dans la salle de classe, avec la mise en place dun " système didactique " qui met les savoirs et savoir-faire sous une forme compatible avec ce que Chevallard appelle " les lois du fonctionnement didactique ".
Il ne sagit plus seulement, à ce stade, de structurer le " texte du savoir " en vue dune progression du groupe-classe. Il sagit de mettre en place un système dinteractions, dactivités, de travail dans une organisation. Dans la perspective des didacticiens, le contenu des interactions et des tâches est essentiel. Jen ferai ici partiellement abstraction, pour mintéresser aux stratégies des élèves dans un système didactique.
Avant dêtre des occasions dapprentissages, les activités didactiques - écouter, intervenir, répondre à des questions, résoudre des problèmes, rédiger, etc. - sont des tâches assignées aux élèves puis surveillées, contrôlées et rétribuées. On se trouve alors plutôt dans le registre de la sociologie du travail et des organisations.
Institution interne, lorganisation didactique instaurée dans une classe règle notamment la nature et lintensité du travail demandé aux élèves. Comme dans nimporte quelle organisation, les élèves entretiennent avec les règles censées gouverner leur participation et leur travail un rapport stratégique. Bien loin de faire constamment tout ce quon leur demande, ils tentent, avec un succès inégal, de négocier ou de tourner les règles et les consignes.
La gamme des stratégies disponibles varie selon le système didactique institué. Je voudrais esquisser ici lanalyse de la transformation de lespace de jeu (Berthelot, 1983) des élèves lorsque se substituent aux formes classiques de lenseignement et du travail scolaire des didactiques nouvelles plus inspirées des principes de lécole active et du constructivisme. Lanalyse portera essentiellement sur lenseignement primaire. Elle permettra de redécouvrir que les élèves, même à lécole élémentaire, sont aussi des acteurs et quils conduisent dans lorganisation scolaire des stratégies, inégalement efficaces et diversement concertées, pour protéger leurs intérêts, leur tranquillité et leur liberté contre les exigences des adultes, et en particulier des maîtres (Woods, 1979, 1983 ; Nizet et Hiernaux, 1985 ; Perrenoud, 1987).
Dans une organisation, les stratégies des acteurs se situent entre deux pôles : les uns tentent dagir sur le système, den contrôler les règles de fonctionnement, les objectifs, les politiques ou les structures. Dautres se contentent de tirer leur épingle du jeu, en sefforçant den repérer les failles et les zones dincertitude, de bien choisir leurs alliances, de prendre des risques calculés, de monopoliser certaines informations ou certaines ressources, (Crozier et Friedberg, 1977).
Entre agir sur les règles et jouer avec les règles (Perrenoud, 1986), le choix des acteurs dépend de multiples paramètres, parmi lesquels la nature des enjeux : on peut obtenir certaines choses en utilisant savamment le système existant, mais dautres passent par sa transformation explicite. Importent également les représentations que les acteurs ont du système : prisonniers dun modèle formaliste ou juridique de lorganisation, ils auront tendance à ne pas voir quon peut jouer avec les règles ou à ne pas sy autoriser ; plus cyniques ou plus clairvoyants, ils utiliseront leur connaissance intuitive du fonctionnement des organisations pour tourner les règles sans sy opposer ouvertement.
Dans une organisation, seuls les dirigeants ont formellement le pouvoir de redéfinir les règles du jeu, dinfléchir les politiques, les budgets, les investissements, de remodeler les objectifs, la division du travail, les structures. Certes, ils ne décident pas seuls, ils sont dépendants de la coopération de leurs collaborateurs directs et dans une moindre mesure de lensemble des agents de lorganisation. Cette diffusion du pouvoir (Foucault, 1976) ne signifie pas cependant que chaque individu a prise sur la politique de lensemble. Même consulté, même proche du pouvoir, même écouté au sein dune coalition influente, il finit par se trouver placé dans un système de règles et de statuts quil doit, du moins dans limmédiat, considérer comme une donnée. Il cherchera alors à tirer le meilleur parti possible des règles en vigueur, de leur flou, de leurs contradictions.
Cest à ce degré zéro de prise individuelle ou collective sur le système que sont en général réduits les élèves. Il existe certes quelques écoles qui ont poussé assez loin des formules de participation des élèves, par exemple à travers lélection de représentants à un conseil détablissement ou à un conseil de classe. Il existe aussi des classes où le maître a instauré une forme de " cogestion " dans la ligne de la pédagogie institutionnelle ou des classes coopératives. À lécole obligatoire, cependant, le lot de la majorité des élèves est de navoir que peu de prise sur le système, tant individuellement que collectivement. Comment sen étonner ?
a. Ce faible pouvoir traduit dans la logique de lorganisation la dépendance des enfants et des adolescents à légard des adultes ; réputés immatures, irresponsables, incapables de gérer leur propre vie, les mineurs sont, à lécole comme ailleurs, placés sous la surveillance et le pouvoir dadultes supposés bienveillants.
b. Mêmes sils passent dix ou vingt ans à lécole, les élèves changent de degré et de maître presque chaque année, de cycle détude et détablissement plusieurs fois dans leur cursus. Les groupes délèves sont constamment défaits et refaits au gré de la sélection et des exigences de la carte scolaire. Les stratégies individuelles et collectives sont donc nécessairement à courte vue (les parents délèves souffrent du même handicap, cf. Montandon, 1987).
c. Les élèves sont en train dapprendre la vie dans les organisations ; ils en découvrent peu à peu les rouages et les règles, mais leur expérience est trop courte pour quils puissent sen servir immédiatement pour intervenir au niveau du système, sinon pour des actions sporadiques, liées par exemple à un conflit avec un professeur ou à lexclusion injuste dun élève.
d. Les enfants et les adolescents ne maîtrisent pas davantage les formes de laction collective qui permettent même aux adultes les plus démunis de réunir quelque peu leurs forces.
e. Les élèves sont placés dans une situation de compétition permanente qui empêche une véritable solidarité sur toute une série de thèmes, par exemple lévaluation, la quantité du travail en classe ou à domicile, le rythme de progression dans le programme, laide apportée par le maître aux uns ou aux autres, ses exigences, le système disciplinaire.
Les élèves sont donc pratiquement condamnés à des stratégies essentiellement défensives, qui consistent à jouer avec les règles, à les contourner, à y échapper ou à en négocier lapplication de cas en cas. Ces stratégies doivent en outre rester clandestines. Aucune organisation ne reconnaît volontiers à ses membres le droit de jouer avec les règles, de les interpréter, de tirer parti des zones dombre ou des contradictions. Mais dans certains systèmes, on considérera informellement que cest " de bonne guerre " ou même que cela contribue, dans une certaine mesure, au bon fonctionnement de lensemble. Depuis le début du siècle, la psychosociologie a montré que, réduites à la pure application de leurs structures formelles, beaucoup dorganisations seraient complètement sclérosées, incapables de changer, enfermées dans des routines tenant davantage du rituel que de laction efficace, peuplées de salariés investissant le meilleur de leur énergie et de leur imagination en dehors de leur travail. Les managers les plus réalistes comptent désormais sur la vie souterraine de lorganisation, sur les initiatives personnelles, sur le système D, le jeu avec les règles, voire la déviance caractérisée pour résoudre des problèmes quon ne peut gérer, ni même poser parfois au plan des structures formelles.
Cela vaut aussi pour lécole, mais sans être légitime et affiché dans la culture de lorganisation. Les libertés que prennent les enseignants avec leur cahier des charges, avec le curriculum formel, avec certaines règles rigides peuvent, comme ailleurs, contribuer à accroître lefficacité de lorganisation. Mais au plan des représentations, le jeu avec les règles reste inavouable. Certains maîtres nen ont même pas conscience.
Les élèves sont encore plus mal lotis. Beaucoup dadultes leur dénient le droit de mener des stratégies, de défendre leur point de vue, de maintenir une façade, de dissimuler leurs " coulisses ", de tenir un double discours, de tricher ou de mentir pour protéger leurs intérêts ou par solidarité. Pendant longtemps, on a refusé avec horreur lidée que les enfants puissent avoir une sexualité. Aujourdhui on refuse encore de les considérer comme des acteurs sociaux à part entière, dont les intérêts réels pourraient, sur certains terrains, sopposer à ceux de leurs parents ou de leurs maîtres. Les adultes se plaisent à croire quils savent ce qui est bon pour les enfants. Toute opposition leur paraît donc perverse
Il nen va pas autrement du travail scolaire. Censé garantir leur réussite, donc leur avenir, il ne souffre aux yeux des adultes aucune contestation légitime.
Chaque maître organise à sa façon le travail de ses élèves. Cependant, on peut identifier certaines régularités. La didactique traditionnelle est dautant plus reconnaissable quelle a fait lobjet dune codification explicite dans le cadre de la formation des maîtres aussi bien que dans les guides méthodologiques.
On peut appeler didactique traditionnelle lalternance bien connue de leçons, dexercices et de moments de contrôle des acquisitions. Progressant dans le " texte du savoir " (Chevallard, l985), texte quil a lui même établi ou quil a reçu déjà constitué, le maître aborde successivement, au fil de lannée scolaire, les divers chapitres du programme. Il explique alors de nouvelles notions, expose de nouvelles connaissances, introduit de nouveaux savoir-faire ; il définit la terminologie correspondante et la fait noter et mémoriser ; il énonce et fait répéter des faits, des règles ou des théorèmes ; il donne des exemples, montre des objets ou des illustrations ; il sassure par un questionnement que les élèves comprennent les explications et mémorisent lessentiel. Dans cette phase - la leçon - les élèves ne restent pas passifs, mais le maître joue le rôle principal, demandant avant tout leur attention, par moment leur participation à un dialogue dont il est le principal organisateur.
Une fois les notions introduites, les élèves sont invités à faire des exercices parfois oralement, très souvent par écrit, à partir de consignes dictées, notées au tableau ou imprimées dans des manuels ou des brochures dexercices. Leçons et exercices se combinent dans des proportions variables pour couvrir les notions constitutives dun chapitre du plan détudes. Lorsque le maître juge que suffisamment délèves ont compris ou appris, il les interroge oralement ou leur administre une épreuve écrite ; cette évaluation, outre le fait quelle est formellement communiquée aux élèves ou aux parents, permet au maître de " tourner la page " et daborder un nouveau chapitre du programme.
En pratique, ce schéma admet dinnombrables variantes, selon lâge des élèves, la discipline enseignée, le degré davancement dans le programme, le temps disponible ou les options personnelles du maître. En outre, les diverses composantes et leur articulation évoluent au gré du renouveau des idées pédagogiques. Ainsi la leçon magistrale tend-elle à devenir de plus en plus interactive ; elle fait une part croissante aux apports et aux curiosités des élèves, sans pour autant cesser dêtre ordonnée en fonction dune progression planifiée. Les exercices les plus traditionnels (lecture à haute voix, récitation par cur, copie, dictée, analyse grammaticale, opérations arithmétiques, exercices à trous), sans disparaître, font place à des exercices plus " modernes " : questionnaires, recherches, constructions, classements et graphiques, manipulations concrètes. Cette évolution tient pour une part au renouvellement des contenus ; mais il faut aussi faire la part de limportance croissante des livres et cahiers dexercices préparés par des spécialistes et mis sur le marché par les éditeurs de moyens denseignement. Les formes dévaluation se transforment également, on recourt davantage aux questionnaires à choix multiples, à des tests de connaissances standardisés, à des grilles dobservation.
Pendant les leçons, lélève est impliqué dans un réseau de communication fort contraignant : le maître sollicite en permanence son attention et parfois son intervention sous deux formes modales : dune part répondre à des questions, dautre part en poser, pour manifester sa curiosité ou clarifier ce quil na pas encore compris. Dans les deux cas, une règle dor : demander la parole, attendre la sollicitation ou lautorisation du maître pour sexprimer. R. Sirota (1985, 1987) a étudié les stratégies des élèves de lécole primaire dans cette situation dinteraction, en insistant sur les liens entre origine sociale et stratégie adoptée. Ces travaux montrent que les élèves ont le choix entre quelques stratégies seulement, dans la mesure où le réseau " officiel " de communication est sous le contrôle attentif du maître.
En renvoyant à cette étude, je me centrerai ici sur un autre aspect de la didactique traditionnelle, le travail demandé aux élèves entre les leçons. Je ne puis ici faire lanalyse des contenus, qui varient selon la discipline et le degré. Ce que je voudrais montrer, cest que les tâches assignées aux élèves relèvent essentiellement dune logique du contrôle.
1. Le travail scolaire est exigé par le maître ; il arrive très rarement quun élève se mette au travail de sa propre initiative, autrement dit sans injonction ni référence à une échéance ; autrement dit, le travail ne répond pas à un besoin personnel, mais à une attente de lenseignant, explicite ou implicite.
2. Le travail demandé est effectué sous surveillance ; on laisse rarement les élèves livrés à eux-mêmes pendant de longues périodes ; même les devoirs à domicile sont en principe faits sous le contrôle des parents ou de responsables des études surveillées ; en classe, les exercices sont faits sous lil du maître, qui vérifie au moins de loin que les élèves se mettent au travail, quils ne bavardent pas, quils se plongent dans les cahiers ou les livres indiqués, quils utilisent les instruments voulus. Souvent, le maître exerce une surveillance plus serrée en parcourant les rangs ou en interpellant tel ou tel élève.
3. Le travail des élèves est évalué lorsquil est achevé, non pas nécessairement pour recevoir une note mais pour être corrigé, et rendre avec indication des erreurs et consigne de compléter ou de rectifier les éléments peu satisfaisants.
Pour que le travail scolaire soit facile à donner, à surveiller et à corriger, la nature des tâches est essentielle. Sociologiquement, on peut analyser toute une série de caractéristiques des tâches scolaires sous cet angle : elles paraissent conçues pour favoriser un contrôle à la fois omniprésent et relativement économique pour un maître qui a devant lui vingt à trente élèves, parfois davantage. Quelles sont-elles ? Jen distinguerai une dizaine.
1. Laccomplissement synchronisé de tâches identiques permet au maître de concentrer toute son attention sur la façon dont les élèves travaillent ; même sil la donne pour la première fois, le maître na aucune difficulté à maîtriser les tenants et aboutissants dune tâche unique, à en connaître les consignes, à en repérer les difficultés, à savoir quelles procédures les élèves doivent adopter et où elles doivent les mener. Si tout le monde commence le même travail en même temps, le maître peut vérifier collectivement la compréhension des consignes ; navançant pas au même rythme, les élèves ne terminent pas tous ensemble, ce qui permet de contrôler leurs résultats les uns après les autres.
2. La fermeture des tâches garantit lexistence dune procédure unique dont la mise en uvre méthodique est à la fois nécessaire et suffisante pour faire correctement le travail demandé ; en questionnant un élève ou en lobservant, le maître repère immédiatement le stade davancement de son travail ; il peut évaluer le rythme de travail de lélève, donc sa bonne volonté ; une tâche ouverte, au contraire, oblige le maître à entrer dans le raisonnement et le cheminement de chacun ; il ne suffit plus dun coup dil sur un cahier, il faut un dialogue qui prend du temps, fixe le maître auprès dun élève et amoindrit son contrôle sur lensemble.
3. La fragmentation des tâches va dans le même sens : il est beaucoup plus facile de contrôler une série de tâches courtes indépendantes quune tâche unique demandant un travail équivalent, qui sera donc plus important et plus complexe ; lécole met donc souvent laccent sur des tâches élémentaires dépourvues de contexte : opérations arithmétiques en séries, formes verbales à compléter, phrases à transformer, unités à convertir, etc.
4. La standardisation des tâches simplifie elle aussi le contrôle, car elle élimine un élément difficile à évaluer, la compréhension des consignes ; devant une tâche inédite, les élèves ne comprennent pas immédiatement ce quon leur demande, ils tardent à se mettre au travail ou empruntent des voies sans issue ; cela narrive plus avec les tâches standards, semblables sinon dans leur détail (on ne donne pas dix fois exactement le même exercice), du moins dans leur structure : type de données et de consignes, genre dopérations et de démarches, façon de transcrire les étapes et les résultats du travail.
5. La composante écrite des tâches accroît leur visibilité, puisque le travail laisse des traces. Un maître na pas le temps de suivre pas à pas ce que fait chaque élève ; mais si lessentiel est mis par écrit, il reconstituera facilement la suite des opérations déjà faites ; il pourra identifier déventuelles erreurs, réorienter le travail ou le donner à refaire à partir dun point précis de la feuille ; il pourra aussi corriger le travail de façon différée, ce qui lui permet par exemple, au moment où les élèves sont en train de faire des exercices, de concentrer son intervention sur certains dentre eux ou de veiller à lapplication générale de tous - "Continue ! Retourne à ta place ! Ne lève pas le nez ! "- en remettant à plus tard la correction proprement dite.
6. Le caractère individuel du travail (à ne pas confondre avec son individualisation) oblige certes à un contrôle de chaque élève séparément, alors quun groupement des élèves en petites équipes de deux ou trois diminuerait dautant le nombre de tâches parallèles à suivre. En contrepartie, le maître na affaire chaque fois quà un seul élève, réputé responsable de son travail, quil peut féliciter ou blâmer individuellement, avec lequel il peut se fâcher, plaisanter, auquel il peut apporter ou refuser son aide, dont il peut évaluer et sanctionner les compétences et la bonne volonté en restant dans le registre de la psychologie individuelle.
7. Le caractère quantifiable des tâches permet un contrôle plus efficace parce que la " rétribution " de chacun (notes, appréciations qualitatives, récompenses ou sanctions diverses) est " calculée " en proportion de la quantité de travail correctement effectué ; dans certains domaines, les élèves travaillent quasiment " aux pièces ", leur rétribution est fonction inverse du nombre derreurs ou fonction directe du nombre dopérations ou de réponses correctes.
8. Lalternance rapide de tâches courtes permet de reprendre le contrôle du groupe-classe, de " remettre les compteurs à zéro " fréquemment ; plus une tâche se prolonge, plus les écarts se creusent entre élèves : les plus rapides sennuient, les plus lents se démobilisent ; pour avoir sa classe " bien en main " le maître préfère changer souvent dactivité.
9. La relative facilité des tâches est essentielle : si elles sont trop difficiles, la plupart des élèves seront rapidement bloqués, arrêteront de travailler, lèveront la main, sadresseront à leurs voisins, regarderont par la fenêtre, demanderont à aller au toilettes ou iront jeter un papier dans la corbeille Pour que les élèves restent concentrés pendant un certain temps sur une tâche écrite, il faut quelle soit à leur portée et quils puissent progresser sans appeler constamment à laide.
10. Le caractère peu interactif des consignes est une autre façon de limiter les interventions du maître. Chaque élève est censé disposer au départ de lensemble des informations nécessaires et suffisantes pour accomplir seul son travail. Ces informations seront en général dictées ou mises par écrit au tableau, sur stencil ou dans une brochure dexercices avec déventuels renvois à des ouvrages de référence. Le maître interviendra parfois pour éclairer le sens des informations initiales ou pour les répéter, pas pour en donner de nouvelles au fur et à mesure que les élèves progressent.
Face à de telles tâches, la marge de manuvre des élèves est limitée. Tous nont dailleurs pas la même attitude face au travail scolaire. Ceux qui aiment ce genre de tâches et sen acquittent sans trop de peine nont pas besoin de stratégies subtiles pour sen protéger. Ils font avec bonheur et sérieux ce quon leur demande de faire. Mais les autres ? Ceux que le travail scolaire nintéresse pas ? Ceux quil met en situation déchec ? Leurs stratégies de défense ne sont pas innombrables, en raison du caractère extrêmement structuré de la situation. On peut en recenser cinq :
i. Boire le calice jusquà la lie : plutôt que de se battre contre le système, lélève en accepte toute la logique, renonce à toute révolte, fait docilement ce quon lui dit de faire, comme il doit le faire, sans discuter, sans se poser de questions. Il investit peu de lui-même, ayant la satisfaction dêtre sinon irréprochable quant au résultat, du moins peu suspect de mauvaise volonté, ce qui lui vaut la confiance du maître et une certaine autonomie, par exemple dans les corrections.
ii. Vite ! vite ! vite ! ou comment sen débarrasser : il sagit alors dexpédier le plus rapidement possible les tâches scolaires pour soccuper à autre chose ; lélève bâcle ses exercices, met des abréviations ou des guillemets chaque fois quil peut, copie éventuellement sur un voisin plus avancé, prend le minimum de temps pour réfléchir, pour vérifier son raisonnement ou ses calculs, pour se relire ; lessentiel est davoir fini assez vite pour bénéficier dun petit moment de répit jusquau moment où le maître redonnera à tous un nouveau travail.
iii. Hâte-toi lentement : la stratégie est alors, sans refuser ouvertement le travail, de trouver mille manières den différer le début, puis de sinterrompre sous prétexte de tailler son crayon, de chercher un cahier ou de demander une explication ; il faut avant tout gagner du temps, avoir lair occupé sans faire deffort, feindre de sintéresser aux problèmes et exercices proposés ; cette stratégie est risquée, surtout si le maître exige que tous les élèves finissent le travail commencé, au besoin en restant en classe à la récréation ou après les heures, ou en achevant le travail à la maison ; dans certaines classes, où le contrôle est moins strict, beaucoup délèves narrivent pas à la fin du travail demandé parce quils ont avancé trop lentement, sans quon puisse ouvertement le leur reprocher.
iv. " Jy comprends rien ! " : savouer incompétent devant le travail à faire est une autre stratégie permettant déchapper à une partie du travail ; lincompétence, lincapacité de comprendre les consignes ou de trouver une voie vers la solution permet de justifier de longs moments dinactivité, surtout si le maître refuse de répondre aux questions ou est occupé avec dautres élèves ; si le maître est disponible, cette stratégie permet de lui faire faire en partie le travail, en lui soutirant des informations et des indices, en lui demandant de confirmer des réponses incertaines, en le mettant en situation, par impatience ou par charité, de piloter lactivité de lélève.
v. Contestation ouverte : cette cinquième stratégie est la plus dangereuse ; elle consiste à nier ouvertement lutilité du travail demandé, voire à refuser explicitement de le faire en invoquant son peu dintérêt, labsence denvie, la fatigue ou la mauvaise humeur. Peu délèves ont les moyens dadopter régulièrement cette stratégie sans courir au devant de graves ennuis disciplinaires ; cest pourquoi cest plutôt une stratégie occasionnelle ; ceux qui y recourent constamment nont en général plus grand chose à perdre et mènent une guerre dusure contre linstitution. Dautres élèves contestent plus subtilement le travail demandé : sans refuser le principe, ils argumentent avant même que le groupe se mette au travail, suggérant soit que les exercices sont trop difficiles et quil faut des explications supplémentaires, soit quon a déjà fait ce genre de travail et quil est inutile de recommencer, soit quon pourrait le faire à un autre moment. Le succès de ce type de stratégie dépend de loreille que le maître voudra bien prêter à de tels arguments. Aucun enseignant na envie dapparaître constamment comme celui qui impose sans discussion un travail unanimement jugé ennuyeux ou trop difficile. Il y a donc des moments où il est prêt à supprimer un exercice, à différer une tâche ou à la simplifier. Encore faut-il saisir ces moments. Cest là que le sens stratégique de certains élèves fait merveille !
On ne peut évidemment pas identifier un jour J où les didactiques traditionnelles auraient laissé la place à des didactiques nouvelles. Dans lenseignement primaire, on trouve plutôt un large éventail de pratiques, des plus traditionnelles aux plus actives. Chaque maître dispose dailleurs de plusieurs registres didactiques, de plusieurs systèmes de travail, différents selon les disciplines, selon les moments de lannée, selon lénergie dont il dispose, selon quil se trouve dans le creux de la vague ou en période doptimisme et dinnovation.
En gros, on peut dire que les didactiques nouvelles, nées dune critique des didactiques traditionnelles, se présentent comme des alternatives proposées à tous ceux qui ne se satisfont pas des formes classiques de lenseignement et du travail scolaire. Au-delà de leur forme canonique, elles sont, en pratique, ce qui reste des pédagogies alternatives, actives, coopératives, institutionnelles ou modernes lorsquelles se diffusent au-delà des mouvements pédagogiques qui leur ont donné naissance, lorsquelles sont reprises, sensiblement édulcorées, par les rénovations officielles qui touchent notamment lenseignement de la mathématique, de la langue maternelle et des disciplines dites déveil ou détude de lenvironnement. Lhistorien des idées pédagogiques attribuera ces idées à tel ou tel père fondateur, Freinet, Bovet, Dewey, Ferrière, Claparède, Decroly, Piaget et quelques autres. Mais à force dêtre évoquées, sinon mises en pratique massivement, dans des cercles qui vont sélargissant, ces idées sont tombées dans le fond commun de la pensée pédagogique. Elles alimentent dinnombrables discours sur les réformes sans que les intéressés sachent très bien doù viennent ces idées, ce dont ils se soucient dailleurs assez peu.
Les didactiques nouvelles se caractérisent en général par :
Tous les mouvements pédagogiques et tous les enseignants ne donnent pas la même importance à tous ces thèmes. Mais, quelles quen soient lintensité et les accents, toute rupture avec les didactiques traditionnelles se traduit notamment par une redéfinition des tâches.
En reprenant les dix critères utilisés plus haut pour décrire les tâches scolaires traditionnelles, on peut esquisser le profil dune didactique nouvelle sous langle de ce quelle attend des élèves mis au travail :
1. Tous les élèves ne font pas constamment la même chose en même temps ; cette diversité peut aller bien au delà dune absence de synchronisation, par exemple lorsque les élèves sengagent dans des tâches dont le contenu et la difficulté varient en fonction de leurs besoins ou de leurs préférences.
2. Les tâches sont ouvertes, nappellent pas une solution unique, mais requièrent linvention dune démarche partiellement originale, que personne ne connaissait davance, même pas le maître ; lorsquon se lance dans une recherche en mathématique, une enquête sur un aspect de lenvironnement ou la création dune pièce de théâtre, on ne sait pas exactement à quel résultat on va aboutir, ni combien de temps cela prendra.
3. Les tâches sont plus globales, dans la mesure où elles naissent en principe dun problème réel, dune nécessité fonctionnelle, et ne se plient pas, par conséquent, au découpage horaire et notionnel du curriculum.
4. Les tâches présentent des formes moins stéréotypées, parce quon ne les puise pas dans des répertoires dexercices, mais quon les invente au fur et à mesure en fonction de projets et de propositions du maître ou des élèves, en saisissant certaines occasions qui ne se représenteront pas régulièrement, une campagne électorale à analyser, une action collective dans lécole, une fête, un voyage, un élève qui sen va, un meuble à construire, etc.
5. Les tâches font fréquemment appel à loral. On ne recourt à lécrit que lorsquil est utile, on sen passe lorsquil alourdit ou ralentit inutilement le travail. Lessentiel est darriver à une décision, à une solution, à une réalisation sans âtre obsédé par des traces écrites.
6. Les tâches sont souvent assumées collectivement par plusieurs élèves, qui discutent, qui se partagent le travail, qui font des propositions à lensemble du groupe-classe.
7. Il est difficile de comparer le rendement des uns et des autres, parce que les tâches sont de natures diverses, et ne sanalysent pas facilement ; lappréciation du travail de chacun repose sur une évaluation globale et intuitive plus que sur un décompte précis de la quantité de phrases ou dopérations.
8. Certains élèves ou le groupe-classe tout entier sengagent parfois dans des tâches de longue haleine, plusieurs heures, une journée entière, parfois une semaine ou davantage lorsquil sagit de la préparation dun spectacle, dune enquête sur le terrain, de limpression dun journal par exemple. La journée ne se présente plus comme une alternance rapide de tâches distinctes, mais comme une succession de moments différenciés inscrits dans un même objectif général, dont la réalisation suppose toutes sortes dopérations et en général une division du travail.
9. Les tâches ne sont pas choisies essentiellement en fonction de leur facilité et des possibilités de correction quelles offrent, mais de leur utilité pratique ou de leur intérêt. Il arrive donc que les élèves soient confrontés à des tâches qui les dépassent et fassent lexpérience soit de leur impuissance, soit de leur dépendance par rapport à ladulte ou à dautres personnes ressources.
10. Les tâches se définissent progressivement, au gré dune concertation entre les élèves et le maître. Il ny a pas à proprement parler de " consignes ", mais un travail permanent de rappel et daménagement des objectifs généraux, dexplicitation des prochaines étapes et des priorités.
Il nexiste sans doute aucune classe où toutes les tâches présenteraient constamment toutes ces caractéristiques. Tout simplement parce quune telle didactique exigerait une dépense dénergie considérable, tant du maître que des élèves, et serait très difficile à gérer, même dans une école alternative, sans programme rigide ni évaluation formelle, a fortiori dans une école publique où les contraintes sont légion. Ces caractéristiques indiquent des tendances très diversement réalisées dune classe à lautre et dune tâche à lautre.
Cet inventaire nous permet cependant de décrire ce qui se passe alors du côté des élèves. Dans un tel système didactique, ils sont placés devant des choix beaucoup plus ouverts, mais aussi plus complexes et pour certains angoissants. Une didactique traditionnelle enserre les élèves dans un réseau serré dobligations et de contrôles. Une didactique nouvelle les emporte dans un tourbillon de projets et de possibilités, sans commune mesure avec lorganisation du travail dans une classe traditionnelle. Leur contrat devient à la fois plus flou et plus exigeant. Ils ne peuvent plus se contenter de faire simplement leur travail. On leur demande dêtre actifs, inventifs, damener des idées, de prendre des initiatives, dassumer des responsabilités, dâtre à la fois autonomes et capables de travailler en groupe, assez investis dans leur travail pour mener leurs tâches à bout, assez décentrés pour négocier la division du travail et les projets avec les autres Même si ces exigences ne se cumulent pas constamment, elles définissent un tout autre métier délève (cf. Perrenoud, 1984), appelant dautres stratégies.
Les stratégies disponibles face au travail scolaire traditionnel restent partiellement valables. Il reste possible : i. de boire le calice jusquà la lie à force de conformisme ; ii. de se débarrasser le plus vite possible du travail en en faisant le minimum ; iii. de perdre le maximum de temps ; iv. de feindre de ne rien comprendre aux consignes et dêtre dans limpossibilité davancer ; v. enfin de contester ouvertement lutilité du travail demandé ou den négocier le volume ou les modalités.
Le conformisme est moins facile cependant, parce que les normes sont moins claires et que lélève ne peut simplement suivre des rails ; quant à la contestation, elle implique lélève non plus seulement dans un rapport de force, mais dans un travail intellectuel constructif : on lui demande, sil nest pas daccord, de proposer autre chose de plus intéressant, ce qui risque en définitive de lui demander davantage defforts ! Il devient plus difficile aussi de se débarrasser rapidement dune tâche pour soccuper à autre chose, puisque la tâche nest pas définie davance, quelle peut se compliquer au fur et à mesure, que le maître est toujours prêt à relancer lélève qui a atteint une étape sur de nouvelles pistes, à lui demander de se fixer un nouveau défi, de sinventer un nouveau problème. Travailler très vite devient donc moins intéressant, puisque cest souvent se condamner à travailler davantage !
En revanche, la lenteur et le peu denthousiasme mis à comprendre ce quil faut faire restent des stratégies accessibles ; elles sont même plus simples encore que face aux didactiques traditionnelles : les tâches ne sont pas standardisées ; il faut chercher des méthodes par tâtonnements, donc " perdre du temps " ; devant une situation mathématique, un mécanisme linguistique ou un fait expérimental, beaucoup délèves nont pas beaucoup de mal à faire croire quils ne " voient rien ", quils nont aucune idée de ce quil faut faire. Devant des tâches ouvertes et plus créatives, la mauvaise volonté prend beaucoup plus facilement les dehors de limpuissance ou de lincompétence !
Les didactiques nouvelles modifient donc les coûts et les profits associés aux stratégies déjà disponibles face au travail scolaire traditionnel. Mais ce nest pas leur seul effet. Elles rendent également possible des stratégies différentes, qui nauraient guère de sens dans le cadre dune didactique traditionnelle. Voici les principales :
vi. Accaparer des tâches sécurisantes : certains élèves détestent les tâches ouvertes, naiment pas réfléchir, sont découragés à la simple idée de se poser des questions. Parmi plusieurs activités possibles, ils choisissent celles qui se rapprochent le plus du travail scolaire traditionnel, par exemple recopier un texte, classer des fiches, mettre en ordre des documents, chercher des mots ou des renseignements dans une liste, réaliser minutieusement les découpages ou les graphiques requis pour faire certains essais ; il y a toujours, dans des tâches complexes et collectives, place pour des tâches dexécution relativement stéréotypées ; certains élèves se les attribuent systématiquement, ayant lair de participer à une pédagogie nouvelle, reproduisant en réalité des conduites très conformistes.
vii. Organiser le travail des autres : les tâches ouvertes et collectives permettent lémergence dun râle nouveau, qui est dorganiser, de coordonner le travail des autres élèves. Dans une didactique traditionnelle, ce râle est monopolisé par le maître. Dans une didactique nouvelle, il ne peut plus animer et coordonner seul toutes les tâches parallèles, et souvent il ne le souhaite pas, pensant que le leadership est aussi formateur que toute autre tâche. Certains élèves qui nont quun intérêt limité pour le programme, trouvent des satisfactions intellectuelles et relationnelles dans lexercice dun leadership dont ils prennent linitiative ou qui leur est délégué par le maître ou par leurs camarades. Ils deviennent les porte-parole du groupe, ils organisent la discussion, ils rappellent les uns et les autres à leurs engagements.
viii. Disparaître dans les interstices : dans nimporte quelle classe, certains élèves tentent de " passer entre les gouttes ", déchapper à certaines tâches ; mais cest assez difficile lorsquon donne systématiquement le même exercice à tout le monde. Lorsque les tâches se diversifient, lorsque le maître sollicite des initiatives, attend des propositions, il devient possible de ne rien proposer du tout ! Encore faut-il le faire avec une certaine habileté : un élève qui ouvertement, ne jouerait pas le jeu, qui montrerait quil na aucune envie dinventer une histoire ou de trouver une démarche pour calculer laire dun polygone, courrait le risque dêtre rappelé à lordre, et éventuellement de se voir assigner des tâches plus conventionnelles. Certains élèves sont assez subtils pour ne pas afficher leur manque dintérêt ; il feignent avec application de se creuser la tête désespérément. Mais si on les observe assez longtemps, on saperçoit quils passent dun groupe à lautre, constamment sur le point de se mettre au travail, mais que vingt minutes plus tard, ils nont toujours rien fait et ne savent toujours pas ce quils veulent faire. Le maître est souvent trop occupé par ceux qui sinvestissent dans la tâche pour repérer rapidement les élèves habilement inactifs. Môme lorsquil les surveille du coin de lil, il lui est difficile, dans une telle didactique, de leur imposer demblée un travail structuré alors que la règle du jeu est de faire preuve dinitiative et de créativité.
ix. Lactivisme désordonné : au contraire des élèves qui ne font rien, dautres sont en permanence occupés, on pourrait même dire hyperactifs. Mais si lon regarde de près ce quils font, on se rend compte que, souvent, ils sengagent dans des tâches qui nont que peu de rapport avec la situation définie par le maître, qui nont quune utilité limitée et dont personne ne se servira vraiment. Certains élèves vérifient fébrilement dans le dictionnaire des mots dont on na pas besoin, font des calculs sans rapport avec le problème, mesurent, découpent, dessinent nimporte quoi sous prétexte de contribuer à la tâche commune. Cette agitation ne paraît guère source dapprentissages, mais elle fait illusion.
x. Faire cavalier seul : les didactiques nouvelles permettent à certains élèves, individuellement ou à deux, de se détacher complètement du groupe-classe et de sinventer un curriculum et des objectifs particuliers, avec la bénédiction du maître. Cest évidemment un privilège réservé aux meilleurs élèves, qui peuvent alors, plutôt que de chercher à combattre lennui par diverses formes dindiscipline, se distancer des tâches communes et trouver des activités à leur mesure. Si le maître tente de différencier son enseignement, une didactique nouvelle lui permet aussi, dans certaines limites, détablir pour les élèves les plus faibles un régime de travail partiellement indépendant des activités du groupe-classe, ce qui peut les aider à retrouver un intérêt, donc à recourir moins souvent aux stratégies défensives auxquelles les condamne le travail scolaire traditionnel.
Si des observations plus systématiques devaient valider ces observations conduites dans quelques classes primaires, il resterait à se demander si les stratégies adoptées varient en fonction de lorigine sociale des élèves. Si les pédagogies nouvelles sont à certains égards élitaires (Perrenoud, 1985), cest notamment parce quelles élargissent lespace de jeu des élèves et leur demandent, pour survivre, des compétences stratégiques plus étendues.
Autre piste à suivre : quelles que soient leurs vertus pédagogiques, les nouvelles didactiques affaiblissent le contrôle du maître et élargissent lespace de jeu des élèves. Pour expliquer lattachement de nombreux enseignants aux didactiques traditionnelles, il nest pas nécessaire de leur prêter une idéologie conservatrice ou une rigidité personnelle face au changement. Un enseignant qui ne maîtrise pas les stratégies des élèves face à une didactique nouvelle a de bonnes raisons dêtre réticent. Garant à la fois dune certaine discipline et de certaines acquisitions, il ne peut se permettre dinstituer une didactique qui lui ferait courir trop de risques sur lun de ces deux points. Pour comprendre le changement des pratiques des maîtres face aux courants de rénovation didactique (Dokic, Favre & Perrenoud, 1986 ; Favre & Steffen, 1987), il faut donc, parmi dautres facteurs, faire la part des stratégies nouvelles quils anticipent chez leurs élèves !
Berthelot, J.M. (1983) Le piège scolaire, Paris, PUF.
Chevallard, Y. (1985) La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée sauvage Éditions.
Conne, F. (1986) La transposition didactique à travers lenseignement des mathématiques en première et deuxième années de lécole primaire, Conne, Noverraz.
Crozier, M. & Friedberg, E. (1983) Lacteur et le système, Paris, Seuil.
Dokic, M., Favre, B. & Perrenoud, Ph. (1986) Enseigner le français dans les grands degrés, Genève, Service de la recherche sociologique, Cahier n° 21.
Favre, B. & Steffen, N. (1988) Tant quil y aura des devoirs, Genève, Service de la recherche sociologique, Cahier n° 25.
Foucault, M. (1976) Histoire de la sexualité. 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard.
Mouvet, B. (1987) Comment les maîtres font. Tableau de deux pratiques enseignantes à lécole primaire, Liège, Faculté de psychologie et des sciences de léducation.
Nizet, J. & Herniaux, J.P. (1985) Violence et ennui, Paris, PUF.
Perrenoud, Ph. (1984) La fabrication de lexcellence scolaire : du curriculum aux pratiques dévaluation. Vers une analyse de la réussite, de léchec et des inégalités comme réalités construites par le système scolaire, Genève, Droz, 2e édition augmentée 1995.
Perrenoud, Ph. (1985 a) Les pédagogies nouvelles sont-elles élitaires ? Réflexions sur les contradictions de lécole active, Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation (repris dans Perrenoud, Ph., La pédagogie à lécole des différences, Paris, ESF, 1995, 2e éd. 1996, chapitre 3, pp. 105-118).
Perrenoud, Ph. (1985 b) Scolarisation et sens des savoirs. De lobsession dinstruire la jeunesse pour son bien, Revue suisse de sociologie, n° 2, pp. 213-226 (repris dans Perrenoud, Ph., Métier délève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1994, 3e éd. 1996, chapitre 3, pp. 63-74).
Perrenoud, Ph. (1986) Lévaluation codifiée et le jeu avec les règles. Aspects dune sociologie des pratiques, in De Ketele, J.-M. (dir.) : Lévaluation : approche descriptive ou prescriptive ?, Bruxelles, De Boeck.
Perrenoud, Ph. (1987) Vers un retour du sujet en sociologie de léducation ?, in Van Haecht, A. (dir.) : Socialisations scolaires, socialisations professionnelles : nouveaux enjeux, nouveaux débats, Bruxelles, Université Libre, 1987, pp. 20-36.
Perrenoud, Ph. (1987) Le " go-between " : entre sa famille et lécole, lenfant messager et message, in Montandon, C. et Perrenoud, Ph. (dir.) Entre parents et enseignants : un dialogue impossible ?, Berne, Lang, pp. 49-87, (2e éd. augmentée 1994). Repris dans Perrenoud, Ph., Métier délève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 1994, 3e éd. 1996, chapitre 4, pp. 75-98.
Plaisance, E. (dir.) (1985) " Léchec scolaire " : Nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, Ed. du CNRS, l985.
Sirota, R. (1985) Classe moyenne et école primaire, in Plaisance, E. (dir.) : " Léchec scolaire " : Nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, Ed. du CNRS, pp. 79-82.
Sirota, R. (1987) Lécole primaire au quotidien, Paris, PUF.
Verret, M. (1975) Le temps des études, Paris, Honorè Champion, 1975, 2 vol.
Woods, P. (1979) The Divided School, London, Routledge & Kegan.
Woods, P. (1983) Sociology and the School. An Interactionist Point of View, London, Routledge & Kegan.
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1988/1988_03.html
Téléchargement d'une version Word au format RTF :
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1988/1988_03.rtf
© Philippe Perrenoud, Université de Genève.
Aucune reprise de ce document sur un site WEB ou dans une publication imprimée ne peut se faire sans l'accord écrit de l'auteur et d'un éventuel éditeur. Toute reprise doit mentionner la source originale et conserver l'intégralité du texte, notamment les références bibliographiques.
|
Autres textes : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/textes.html Page d'accueil de Philippe Perrenoud : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/ Laboratoire de recherche Innovation-Formation-Éducation - LIFE : |