Source et copyright à la fin du texte

Texte remanié et complété d'une conférence présentée le 26 avril 1989 à Locarno, dans le cadre de la Journée d'étude de l'Association tessinoise des opérateurs de soutien

 

 

 

 

Le soutien pédagogique,
une réponse à l’échec scolaire ?

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1991

 

Sommaire

I. L’échec scolaire, une représentation fabriquée

II. Expliquer les inégalités réelles : l’école face aux différences

III. Exigence d’égalité et lutte contre l’échec scolaire

IV. L’échec combattu par l’action pédagogique

V. Les acteurs et l’organisation du soutien

VI. L’avenir du soutien

Références


Je ne suis pas un spécialiste du soutien pédagogique, je m’y intéresse parce qu’il touche à l’échec scolaire et aux inégalités devant l’école qui sont mes thèmes de recherche depuis vingt ans. Or on ne peut plus aujourd’hui analyser l’échec scolaire sans prendre en compte les stratégies qui prétendent le combattre, parmi lesquelles les pédagogies de soutien.

Peut-être pourrais-je apporter à votre réflexion mes questions et un regard un peu différent, parce que la sociologie pose nécessairement le problème de l’échec scolaire en termes systémiques.

J’ai prévu un plan en six parties :

  1. Dans un premier temps, je soulignerai que l’échec scolaire, loin d’être une donnée naturelle, est une réalité construite par le système d’enseignement.
  2. Je ferai ensuite le point, très rapidement, sur les explications de l’échec, en insistant sur la part du système non seulement dans sa définition institutionnelle, mais dans sa genèse.
  3. Je tenterai ensuite de montrer que la lutte contre l’échec scolaire ne naît pas d’une indignation " naturelle " ; elle dépend de l’histoire du système scolaire et de l’état du débat social sur l’école, qui commandent la prise de conscience des inégalités, la volonté politique de les combattre, la mise en place de moyens de démocratisation.
  4. Sur cette toile de fond, j’en viendrai plus directement aux actions de nature pédagogique, qui n’interviennent qu’après les mesures financières et les réformes de l’école moyenne. À la période triomphante de l’éducation compensatoire, opposée aux " handicaps socioculturels ", succéderont des pédagogies différenciées moins marquées idéologiquement.
  5. Parmi les remèdes pédagogiques à l’échec scolaire, je tenterai de situer les pédagogies de soutien. J’espère montrer qu’elles constituent une réponse parmi d’autres à l’échec scolaire, une réponse datée, qu’on peut rapporter à la conjoncture économique, politique, pédagogique des années 1970 ; cela ne signifie pas que nous avons rompu avec cette façon de penser et de traiter l’échec, ni que nous en sortirons rapidement avec des solutions nouvelles ; la crise peut conduire à une régression… À partir du moment où le soutien existe, devient un métier, il relève d’une sociologie des professions et de la division du travail au sein de l’organisation scolaire. Comme tout corps professionnel, les opérateurs de soutien apprennent à marquer leur territoire, à défendre leurs intérêts, à revendiquer un statut et des pouvoirs ; la routine s’installe, les pionniers font place à des fonctionnaires, et le soutien, qui était au départ une aventure, une conquête, devient peu à peu un rouage de la machine scolaire.
  6. J’aborderai pour finir la question de l’avenir du soutien. Non pas au plan de ses méthodes ou de son instrumentation, mais sous l’angle de sa place dans un dispositif plus général de lutte contre l’échec scolaire. L’avenir le plus probable du soutien, c’est de s’instituer, en déchargeant l’ensemble du système de la préoccupation de l’échec scolaire, en lui offrant donc un alibi. Cette évolution n’est cependant pas fatale : le soutien pourrait être la mauvaise conscience du système, l’aiguillon du changement, l’agent d’innovation et de recherche de solutions qui dépasseraient l’action des opérateurs et impliqueraient l’ensemble des maîtres et l’école elle-même.

Du soutien, peut-on passer à une vraie différenciation de l’enseignement, intégrée, préventive, généralisée, qui serait prise en charge d’abord par les maîtres de classe ? Par quels chemins ? Et quel serait le rôle des opérateurs de soutien dans ce processus ?

 I. L’échec scolaire, une représentation fabriquée

Selon la définition qu’on donne de l’échec scolaire, on se situe différemment sur l’échiquier idéologique, politique, pédagogique. Entre fatalisme et utopie on s’engage différemment dans l’action. Je ne puis ici retracer dans le détail les étapes successives de la théorisation de l’échec scolaire. Ce qui m’importe, c’est plutôt de fixer quelques points de repère et de prévenir un certain nombre de confusions. Contrairement aux habitudes, je ne commencerai pas par discuter des causes, par exemple du poids respectif de l’inné et de l’acquis, ou de l’élève et de l’école, dans la genèse des inégalités de réussite scolaire. Parce que ce débat escamote une étape essentielle, la clarification de la construction de ces inégalités par le système scolaire et ses procédures d’évaluation.

Des inégalités de capital culturel aux hiérarchies d’excellence

Tous les individus qui coexistent dans une société, enfants comme adultes, n’affrontent pas les situations de la vie, qu’elles soient banales ou extraordinaires, avec les mêmes moyens intellectuels et culturels, au sens le plus général de ces termes. Cette inégalité existe partout, même dans les sociétés sans école. Dans les premières sociétés humaines, il y avait déjà des gens qui connaissaient mieux le terrain, qui avaient de meilleures stratégies, qui comprenaient mieux les lois de la nature, qui étaient donc au départ de meilleurs chasseurs, de meilleurs éleveurs, de meilleurs guerriers, de meilleurs organisateurs de la vie sociale. Tous ne pouvaient donc prétendre exercer le pouvoir, prévoir l’avenir, soigner les maladies ou intercéder auprès des dieux avec le même bonheur.

Présentes dans toute société, les inégalités de capital culturel se présentent d’abord comme d’inégales capacités d’action, manifestant un pouvoir inégal sur les choses, les hommes et les idées. Cependant, dans la mesure où les êtres humains sont capables d’évaluer le capital culturel d’un individu, les inégalités réelles se doublent très vite de hiérarchies d’excellence, de classements. Autrement dit de représentations plus ou moins partagées de la dotation de chacun, donc de sa " valeur ". Même dans une société sans écriture et sans école, l’observateur se heurte aux représentations diffuses des compétences et à des classements. L’inégalité de capital culturel est toujours partiellement pensée, affirmée ou niée, critiquée ou justifiée, expliquée ou commentée par les intéressés.

Dans notre société, il appartient à l’école non seulement de transmettre une partie du capital culturel, mais d’évaluer sa maîtrise. Les hiérarchies d’excellence scolaire ont désormais un tel poids que nous ne savons plus penser les différences et les inégalités culturelles en tant que telles, indépendamment des jugements de l’école et des diplômes qu’elle décerne.

Pourtant, les inégalités de capital culturel ne sont jamais réductibles aux hiérarchies d’excellence scolaire. Cela ne veut pas dire que la façon dont l’école définit les bons et les mauvais élèves est sans rapport aucun avec ce que les uns et les autres savent " vraiment ". Mais que nous avons intérêt, tant pour réfléchir que pour agir, à dissocier les deux plans, à considérer qu’il y a dans les sociétés scolarisées, notamment entre les enfants et les adolescents :

Dans une société sans école, il y a des inégalités réelles et des hiérarchies d’excellence, des réussites et des échecs de tous genres, mais il n’y a pas d’échec scolaire. L’échec scolaire, comme son nom l’indique, n’existe que parce que parce qu’il a été déclaré par l’institution du même nom. Chacun peut avoir un sentiment d’échec personnel lorsqu’il n’arrive pas à ses fins, par exemple lorsqu’il ne parvient pas, en dépit de ses efforts, à apprendre ou comprendre quelque chose. Mais ce sentiment d’échec n’est, à l’école, que l’intériorisation d’un jugement du maître et plus globalement de l’institution scolaire. Ce jugement est constitutif de l’échec : l’école évalue ses élèves et conclut que certains sont suffisants, d’autres non. Que ce jugement soit ou non relayé par la famille, pris ou non à son compte par l’intéressé, fondé ou non sur de réelles inégalités, tout cela n’enlève rien à sa réalité institutionnelle !

Ignorer ou dramatiser les inégalités réelles

Parfois l’école fabrique de l’inégalité à partir de presque rien. Par exemple lorsqu’elle transpose imprudemment aux épreuves scolaires, notamment aux épreuves standardisées, certaines techniques psychométriques. D’un bon test d’aptitudes par exemple, on attend qu’il différencie au maximum les " sujets ". C’est pourquoi, dans sa mise au point, on élimine les questions auxquelles personne ne sait répondre, de même que les questions trop faciles ; on retient les " items discriminants ". Ce qui se justifie si l’on veut disposer d’un instrument qui permette de classer tout le monde. Or l’école, sous couvert de modernité, tend à adopter ce modèle : on attribue des points aux diverses parties d’une épreuve écrite, on calcule le total des points de chacun, on établit la courbe de Gauss ou un histogramme qui s’en approche pour l’ensemble des élèves d’un degré, voire d’une classe. Il n’y a plus qu’à faire correspondre l’échelle des notes à l’éventail des scores, de sorte à attribuer la meilleure note au score le plus élevé, la plus mauvaise au plus faible. Et le tout est joué : on a fabriqué de bons et des mauvais élèves par la magie d’un barème. Peu importe alors que, du point de vue des compétences réelles, la distance entre ces élèves se compte en années-lumière ou qu’ils se situent au contraire dans " un mouchoir de poche ". Avec des items suffisamment discriminants, on produira toujours un large éventail de scores, donc un classement. Il suffit, intuitivement ou scientifiquement, de fixer un seuil pour qu’émergent de bons et de mauvais élèves !

Même si les écarts réels sont importants, rien ne dit qu’ils portent sur des maîtrises essentielles, ni qu’ils vont se stabiliser ou s’accroître. Lorsqu’on s’intéresse à l’échec scolaire, il faut constamment mettre en doute le caractère décisif et inéluctable des hiérarchies formelles que l’évaluation scolaire fabrique. Rien ne garantit a priori que ces hiérarchies recouvrent des inégalités réelles aussi affirmées et définitives et que ces inégalités auraient de dramatiques conséquences si l’école les ignorait.

Certaines inégalités culturelles ont cours dans des domaines que l’école ignore complètement : certains sports, certaines formes de musique ou de loisirs ; et, assez globalement, ce qui touche à la vie pratique : argent, ménage, cuisine, santé, art de vivre, connaissance des drogues, expérience sexuelle, conversation, sociabilité, leadership, sens de l’orientation, art de négocier, de jouer un rôle, de conduire des stratégies, capacité de se débrouiller dans la ville ; ces savoirs et savoir-faire, très importants dès l’enfance et l’adolescence, ont très peu de place dans les programmes, sinon dans l’évaluation scolaire.

À l’autre extrême, certaines inégalités réelles coïncident fortement avec les savoirs et savoir-faire que l’école valorise : lire, écrire, compter, bien sûr, mais aussi maîtriser certaines langues étrangères, certaines connaissances scientifiques ou techniques, ou encore diverses " qualités " : politesse, autonomie bien tempérée, capacité d’organiser son travail et de s’intégrer à un groupe…

D’un point de vue anthropologique, toutes les inégalités de capital culturel importent, que l’école les sanctionne ou les ignore. Il faut certes expliquer pourquoi certains savoirs sont scolarisés et d’autres non, pourquoi certaines inégalités donnent lieu à des hiérarchies formelles, d’autres non. Mais cela ne dispense pas d’étudier leurs effets directs. Et, là où il y a cumul d’effets directs et indirects, de maintenir une distinction analytique entre l’incidence des inégalités réelles de capital culturel et celle des hiérarchies d’excellence scolaire. Savoir ou ne pas savoir lire n’est pas sans effet dans la vie quotidienne d’un enfant de sept ans, mais cette inégalité est sans commune mesure avec le poids des hiérarchies d’excellence scolaire dans ce domaine, qui commandent une sélection féroce. À l’inverse, durant l’adolescence et à l’âge adulte, l’école n’évalue plus guère le savoir-lire en tant que tel, alors que l’inégale maîtrise de la lecture a des conséquences pratiques considérables. Dans une ville comme Paris, ne pas savoir lire condamne à ruser pour prendre le métro, à se faire assister pour obtenir le moindre renseignement ou pour faire les démarches administratives les plus simples, sans parler de l’accès à l’information (politique, économique, juridique, sanitaire, etc.), aux technologies nouvelles, aux biens culturels, à la formation, aux emplois qui exigent la maîtrise de l’écrit. On parle beaucoup aujourd’hui de l’analphabétisme fonctionnel, on sait que beaucoup de gens sont handicapés dans leur vie quotidienne, faute de savoir lire un journal, un plan, un règlement, un contrat, faute aussi d’oser avouer qu’ils ne savent pas.

L’incidence des inégalités réelles n’est pas uniforme : dans une zone plus rurale, la relation entre les gens est plus orale, il n’y a pas de panneaux partout, on ne communique pas par circulaires : on se débrouille donc un peu plus facilement qu’en ville si on ne sait pas lire. Dans une société du Tiers Monde, où une minorité des enfants achèvent le cycle d’étude primaire, la norme est de ne pas savoir lire… On voit bien que les mêmes inégalités " objectives " n’ont pas du tout les mêmes conséquences selon l’âge et les conditions de vie. La valeur des compétences s’établit sur un marché et en fonction d’un type défini d’organisation sociale. Or, en dépit de cette diversité, toutes les écoles du monde construisent, dès sept ans, des hiérarchies d’excellence essentiellement fondées sur le savoir-lire.

De la même façon, dans la vie d’un enfant de huit ans, la maîtrise de la soustraction (comme écriture symbolique) ne joue guère de rôle en dehors de l’école. Par contre, elle a des incidences évidentes sur ses pronostics de réussite scolaire, voire sur le redoublement du degré dans lequel la soustraction doit être " acquise ".

Souvent les hiérarchies formelles d’excellence scolaire ont des conséquences sans commune mesure avec l’incidence pratique des inégalités réelles sous-jacentes ; l’école a le pouvoir de montrer ou d’ignorer ces inégalités, de les dramatiser ou de les banaliser, d’en faire des critères d’échec ou de ne pas s’en servir.

Pour toutes ces raisons, expliquer l’échec scolaire, ce n’est pas seulement expliquer pourquoi le petit Paul sait lire et pourquoi le petit Jean ne sait pas ; c’est aussi analyser les politiques scolaires, les choix de curriculum, les fonctionnements didactiques et les mécanismes d’évaluation qui font de ces inégalités bien réelles des critères décisifs de réussite ou d’échec, alors que des inégalités aussi massives (en dessin ou en musique par exemple), n’ont guère de conséquences.

Selon le moment où l’école saisit certaines " insuffisances ", elle les transforme parfois en drames, parfois en retards provisoires. Lorsqu’on réfléchit sur le soutien, il est très important de se souvenir que l’échec scolaire est en partie l’émanation d’un système qui a " choisi " de dramatiser certaines inégalités à certains moments.

Bien entendu, ce n’est pas seulement un problème d’évaluation : les normes d’excellence s’ancrent dans le curriculum ; les maîtres évaluent ce qu’il importe de maîtriser à tel âge. Et ils ne sont pas seuls juges de cette importance, puisqu’ils ont un programme à suivre. Si un maître primaire accorde plus d’importance au savoir lire plutôt qu’à l’art de déchiffrer une partition musicale, ce n’est pas de son propre fait. L’organisation scolaire elle-même se conforme à une volonté politique, à des choix culturels. Mais ne négligeons pas la part d’interprétation : ainsi, dans nombre de classes, on évalue encore le savoir-lire à travers la lecture à haute voix ; or cette forme d’excellence a cours dans l’école avant tout : ce n’est pas une exigence du système politique. L’école n’est évidemment pas libre d’évaluer n’importe quoi, mais elle jouit d’une certaine autonomie dans la mise en œuvre des objectifs et l’évaluation des acquis. Ainsi certains maîtres et certains établissements s’en tiennent-ils aux acquis de base du degré concerné, alors que dans d’autres écoles ou d’autres classes, on met un point d’honneur à " charger le bateau ", à compliquer, à anticiper sur le programme des années suivantes. En Belgique, dans les écoles primaires, c’est le maître de classe qui compose un examen de fin d’année. Aletta Grisay a recueilli plusieurs centaines d’examens de première année et autant de deuxième et a montré qu’une bonne partie des maîtres anticipaient sur le programme des degrés suivants et donc fabriquaient de l’échec à partir d’exigences que nul ne leur avait imposées. En lecture, certains évaluaient sur la base de textes de 4 lignes ne comportant que des mots très simples, d’autres exigeaient la compréhension d’un texte d’une page entière avec des mots très compliqués.

On voit que l’échec se joue dans la définition du niveau d’exigence, mais aussi du type de maîtrise. Il a y des maîtres qui considèrent qu’un enfant de dix ans, s’il arrive à écrire un texte simple, à peu près lisible, avec quelques idées organisées, fait son métier d’élève de dix ans. D’autres assimilent le savoir-écrire à la maîtrise de la dissertation. Dans la définition des formes d’excellence, l’école, les établissements et finalement les maîtres ont une part d’autonomie, et donc une responsabilité dans la fabrication de l’échec scolaire.

Il reste à dire que les conséquences des hiérarchies formelles ne sont pas les mêmes selon les systèmes scolaires, parfois selon les établissement. Il y a des systèmes où ne pas savoir lire à six ans indique qu’on est sur le point de rater sa carrière scolaire et, pourquoi pas, sa vie ! Dans certains pays, un cinquième ou un quart des enfants de six-sept ans redoublent parce qu’ils ne savent pas lire à la fin de la première année de scolarité obligatoire. Dans d’autres systèmes, le redoublement n’existe pas, ou il est de l’ordre de 2 à 5 % ; on considère qu’un enfant peut encore apprendre à lire au-delà de sept ans, sans cesser d’apprendre autre chose pour autant.

Une cuisine bien artisanale

À cela s’ajoutent les déformations et les erreurs qui caractérisent la fabrication des hiérarchies d’excellence scolaire et des jugements de réussite ou d’échec. On sait que l’évaluation scolaire est une pratique assez artisanale, qui comporte beaucoup d’aléas, de biais systématiques ou accidentels. Il y a parfois corruption, iniquité délibérée, transaction peu avouable ; dans certains systèmes, on peut obtenir un doctorat ou un diplôme en payant ; l’évaluation se marchande comme n’importe quel avantage. Mais ce n’est pas l’essentiel. Dans les sociétés où l’école est devenue une institution respectable, en Suisse par exemple, la plupart des biais et des erreurs ne sont pas volontaires. Beaucoup d’injustices tiennent simplement à la diversité des critères et des méthodes d’évaluation des professeurs, au fait que chacun évalue en fonction des élèves qu’il a ou qu’il a eus, de ceux des classes parallèles, des attentes des collègues, de la direction, des parents…

Pourquoi, à la même dictée et au même âge, obtient-on ici un zéro pour dix erreurs et là pour trois erreurs seulement ? Entre celui qui a fait dix erreurs dans une dictée et reçoit un zéro, et celui qui n’a commis aucune erreur, quelle est la différence réelle de compétence orthographique ? Qu’est-ce que dix erreurs d’écart par rapport à ce que tous les élèves savent, par rapport aux cent erreurs que chacun a évitées et qui passent donc inaperçues ? Pourtant, ce sont ces dix erreurs qui feront la différence entre bons et mauvais élèves et décideront parfois de leur avenir.

La " cuisine " de l’évaluation est une cuisine très locale ; même lorsque les systèmes scolaires instituent des examens standardisés, ce ne sont jamais que des correctifs : on " modère " (c’est le terme technique) les fluctuations de la notation, à compétences égales, entre les maîtres et les établissements, on ramène à la moyenne, on élimine les jugements extrêmes comme on le fait en patinage artistique. Ces procédures, là où elles existent, montrent bien que l’évaluation tend à engendrer des inégalités de son propre cru, qu’elle produit des hiérarchies qui ne traduisent que très approximativement les inégalités réelles.

L’évaluation nage souvent en plein arbitraire : qui saurait dire exactement ce qu’on évalue dans les classes ? Qui décide de la pondération des disciplines et à l’intérieur de chacun des savoir-faire et des notions ?

L’évaluation est une approximation faite non seulement d’erreurs de mesure, mais de biais systématiques. On sait bien par exemple que dans un examen universitaire oral, on ne juge pas les connaissances solides d’un étudiant, mais plutôt sa capacité à faire illusion un quart d’heure, à se débrouiller dans une situation de ce type. Ce n’est pas un savoir socialement partagé, et l’institution l’évalue sans l’enseigner ! À l’école primaire, l’évaluation est plus continue, mais elle avantage néanmoins les élèves qui savent mettre en scène et en valeur leurs compétences, qui entrent dans le jeu des enseignants. Le fait que l’évaluation passe par le langage, dans presque toutes les disciplines, favorise évidemment tous ceux qui ont des compétences de communication.

On n’en finirait pas d’inventorier les sources d’erreur et de biais. Mais ce n’est pas ici mon propos principal. Car, même à supposer que l’évaluation scolaire soit un reflet absolument fidèle et standardisé des compétences réelles des élèves, elle resterait un jugement fabriqué par l’école. Même entièrement " fondée " et équitable, elle ferait exister les inégalités comme réalité symbolique. Même lorsqu’elle rend compte d’inégalités réelles et importantes, l’évaluation en donne une représentation sociale, qui est renvoyée aux élèves et à leurs familles, mais qui circule aussi dans l’établissement, qui détermine des pronostics sur la suite de la scolarité, qui commande parfois des mesures de soutien, des prises en charge médico-pédagogiques, des décision de sélection ou d’orientation.

L’élève désigné

Ces mécanismes-là, direz-vous peut-être, ne concernent pas directement les enseignants de soutien, parce qu’ils ne pratiquent pas cette forme d’évaluation. Mais comment oublier que les élèves en difficulté, en échec effectif ou potentiel, c’est à dire ceux qu’on envoie en soutien, ont été désignés par ces procédures d’évaluation, et qu’ils ne sont en échec que par rapport à un programme, à des formes d’excellence, à des niveaux d’exigence variables non seulement dans l’histoire et d’une société à l’autre, mais d’une classe à l’autre au sein du même système et dans le cadre du même curriculum formel.

Aucun maître de soutien ne devrait oublier qu’une partie des échecs qu’on lui signale révèlent les absurdités et les incohérences de l’évaluation ou du programme davantage que de réelles difficultés d’apprentissage. Sans parler des stratégies d’exclusion qui ne tiennent pas vraiment aux compétences des élèves, mais à leur comportement, au fait qu’ils ne jouent pas le jeu du savoir ou s’opposent à l’autorité et aux vues du maître de classe. Ou encore aux politiques sélectives de certains établissements ou du système scolaire dans son ensemble.

La sociologie de la déviance a montré maintes fois que les mécanismes sociaux de renvoi à une instance de répression ou de traitement sont peu fiables, qu’ils défèrent à la justice, à la médecine ou aux services sociaux des personnes qui n’en relèvent pas, et inversement. Cela reste vrai du signalement médico-pédagogique et de l’envoi en soutien. Il faut donc vérifier les " diagnostics ", mettre a priori en doute la réalité et la gravité d’un échec déclaré. Se garder donc d’accepter facilement tous les " clients " potentiels en prenant au pied de la lettre ce qu’en disent les titulaires de classe. Il faut donc résister à la tentation de fermer les yeux, soit pour ne pas ouvrir un conflit avec d’autres adultes, soit pour justifier sa place et son emploi dans l’école.

Je ne dis pas que les hiérarchies sont fabriquées de toute pièce, je dis que leur fabrication contient un certain degré d’arbitraire, que les différents systèmes scolaires n’évaluent pas de la même façon et que, si on lutte contre l’échec scolaire, c’est sûrement une des variables changeables auxquelles il faut réfléchir. Sous cet angle, il est sûr que le passage d’une évaluation très sommative et normative à une évaluation plus formative ou par objectifs de maîtrise produit d’autres images de l’inégalité.

Mais là n’est pas le principal. L’analyse qui précède doit être prolongée. Pour expliquer l’échec scolaire, il ne suffit pas de faire la part de la fabrication des hiérarchies formelles et de mettre en question leur rapport aux inégalités réelles. Il faut encore rendre compte de ces dernières, qui sont indéniables.


II. Expliquer les inégalités réelles :
l’école face aux différences

Pendant des lustres, on a tenté d’expliquer l’échec scolaire abstraction faite des contenus de l’enseignement et de la nature des normes d’excellence et des procédures d’évaluation. Mais surtout, c’est la pédagogie même qu’on a mise entre parenthèses.

L’échec comme manifestation d’un manque

Longtemps, on a cherché l’explication de l’échec scolaire du côté de l’élève ou de sa famille. Dans ce registre, on a passé progressivement d’une explication par les aptitudes ou le don à une explication par le milieu culturel familial environnant. On a admis que les ressources que l’élève mobilise à l’école ne sont pas uniquement l’expression d’un patrimoine génétique, mais qu’il faut faire la part de l’héritage culturel.

Michel Schiff (1982) a publié une passionnante recherche sur le développement intellectuel et la réussite scolaire d’enfants issus du milieu ouvrier mais adoptés par des familles de cadres. Il a montré que ces enfants, du point de vue du développement de l’intelligence et de la réussite scolaire, étaient tout à fait comparables aux enfants " biologiques " des cadres. Ce livre, " L’intelligence gaspillée ", montre une nouvelle fois le poids déterminant de l’acquis. Ce n’est certes pas superflu en un temps où l’idéologie du don reste vivace. Reconnaissons toutefois que c’est un domaine fort complexe, qu’on ne sait pas vraiment quel est le poids exact de l’environnement par rapport à des déterminations plus génétiques, ni quelles sont les interactions. On sait peut-être simplement que calculer les pourcentages dus à l’un ou à l’autre est une absurdité, Albert Jacquard (1978) le dit avec force…

Du côté de l’environnement, il faut aussi sortir des représentations simplistes et mécanistes : la condition sociale de la famille joue certes un rôle très important, toutes les statistiques le démontrent. Mais il faut dépasser les modèles matérialistes du milieu social : l’étendue de la bibliothèque familiale compte moins que le style d’éducation, le climat, la densité des interactions, le rapport au jeu, à la norme, à la réalité, l’usage du langage. Par ailleurs, le milieu ne se réduit pas à une condition de classe : chaque famille a sa propre culture, son propre paradigme (Montandon, 1987, Troutot & Montandon, 1988) ; et elle construit son fonctionnement non seulement en fonction de sa position dans la hiérarchie sociale, mais de ses affiliations à d’autres communautés, ethniques, confessionnelles, politiques, locales.

On pourrait nuancer à l’infini la théorie du patrimoine génétique et la théorie du milieu culturel, les opposer ou tenter de les articuler. J’insisterai ici sur ce qu’elles ont souvent de commun : elles partent du postulat qu’en raison d’une diversité des patrimoines (génétiques ou culturels), il manque quelque chose à certains élèves pour réussir à l’école : QI insuffisant ou héritage culturel trop " pauvre ", développement trop lent ou langage trop rudimentaire, manque de motivation ou refus de la scolarisation. Ces manques, ces absences " expliqueraient " les retards et les échecs scolaires.

En suivant ce modèle, on a dit et on dit encore volontiers que les enfants des classes populaires ne réussissent pas à l’école parce qu’ils ne sont pas motivés, parce que leurs parents n’arrivent pas à les aider, parce que leur logement est petit, parce que le langage familial est fruste, parce que le capital culturel de la famille est bas, parce que les enfants ne sont pas dociles à l’école…

Tout cela n’est certes pas du même ordre. Mais dans tous les cas, on suggère qu’en fin de compte, dans l’absolu ou en regard d’une norme scolaire particulière, quelque chose fait défaut à l’élève et sa famille. La sociologie de l’éducation a il est vrai contribué assez vite à enrichir, à diversifier, à relativiser cette explication " en creux ". Elle a souligné que le " handicap socioculturel " n’est pas absolu, qu’il ne traduit pas une hiérarchie naturelle, mais l’inégale distance à une culture scolaire imposée par certaines classes sociales à l’ensemble de la population. Mais le pas décisif est d’une autre nature : il consiste à montrer que les différences et les inégalités biologiques, psychologiques, économiques, sociales, culturelles ne se transforment en inégalités d’apprentissage et de réussite scolaire qu’en " vertu " d’un fonctionnement particulier du système d’enseignement.

L’indifférence aux différences

Dès 1966, Pierre Bourdieu analysait le rôle de " l’indifférence aux différences " dans la genèse des inégalités de réussite scolaire. Il montrait que la logique de l’école consiste à traiter les élèves de même âge comme " égaux en droit et en devoirs " ; aujourd’hui encore, après plus de vingt ans de débat sur la différenciation possible et souhaitable de l’enseignement, la plupart des systèmes scolaires entretiennent encore la fiction selon laquelle, par exemple, tous les enfants de six ans admis en première année de l’école obligatoire sont également capables et désireux d’apprendre à lire et à écrire en un an. Chacun sait que c’est faux. Il n’empêche que cette fiction reste au principe de la structure scolaire, du traitement des classes d’âges, du découpage du programme en degrés. Au début de la scolarité obligatoire, les différences d’âge sont les seules que l’école accepte de prendre en compte. Qu’à six ans, certains élèves puissent avoir un développement que d’autres atteindront à huit-neuf ans et que d’autres avaient atteint à quatre-cinq ans, on a voulu l’ignorer ou feindre de s’en remettre aux dispenses d’âge et au redoublement pour faire face à la formidable diversité des rythmes de développement. Ce ne serait pas déterminant si l’âge ne commandait que le fait de la scolarisation. Mais il uniformise les contenus, les méthodes, les exigences, le contrat didactique.

Quant aux autres différences, elles sont soit traduites en termes de maturité, d’avance ou de retard de développement, soit prises en compte une fois qu’elles ont produit des échecs : par le biais du redoublement, l’école prétend rendre à chaque classe une homogénéité permettant d’enseigner à tous le même programme en une année scolaire.

Au-delà de l’évaluation et du curriculum, c’est l’organisation scolaire qui produit l’échec scolaire massif. Certes, l’école n’invente pas les inégalités et les différences de tous ordres qui s’établissent entre enfants de même âge. Il lui suffit d’ignorer ou simplement de sous-estimer les différences, de construire la pédagogie et le cursus sur une fiction d’homogénéité pour que ces différences se transforment, en moins d’un an, en réussite pour les uns, en échec pour les autres.

Benjamin Bloom propose d’axer la lutte contre l’échec scolaire sur les variables changeables. À moins d’uniformiser la société à la manière d’Aldous Huxley, il n’y a pas de raison de penser que les enfants arriveront jamais à l’école avec les mêmes ressources, le même niveau de développement, les mêmes attitudes. L’inégalité et la diversité sont des réalités ambiguës, gages de liberté autant que de domination. Mais elles sont là. L’école doit faire avec. Elle peut en revanche remettre en question la façon dont elle prend en compte les différences et les inégalités dont elle hérite.

On a souvent, dans les cercles " progressistes ", le souci de parler d’enfants simplement " différents ", pour mieux accuser l’école de les rendre inégaux. Cette démarche, respectable, risque cependant de masquer la réalité. Quand un enfant est parvenu au stade des opérations formelles deux ans avant les autres, c’est une inégalité de développement, pas une simple différence qualitative y compris en dehors de l’école. C’est un avantage dans des milliers de situations quotidiennes, cela donne une prise plus grande sur la réalité. Je ne dirai donc pas qu’avant la scolarisation, il n’y a que des différences, que les inégalités n’existent que par l’effet des hiérarchies formelles d’excellence scolaire. Il faut prendre au sérieux les inégalités réelles de développement et de capital culturel. Reste à comprendre comment inégalités et différences personnelles et culturelles se transforment en inégalités et en hiérarchies proprement scolaires.

Il y a différenciation et différenciation

À l’école primaire, l’indifférence aux différences n’est pas absolue. Le maître ne traite pas vraiment tous ses élèves comme égaux en droits et en devoirs. Il pratique, volontairement ou non, une certaine différenciation de l’enseignement. Les élèves ne forment pas un vaste public auquel on s’adresserait sans cesse globalement. Une partie des interactions didactiques se produisent entre le maître et certains élèves, voire un seul.

On parle généralement de la différenciation intentionnelle de l’action pédagogique. Et on lui prête des mobiles nobles, en refusant d’envisager qu’elle puisse être élitiste, privilégier délibérément les privilégiés, enfoncer plus encore les mauvais élèves. Dans le débat pédagogique, la différenciation est une valeur progressiste, on parle de discrimination positive, de soutien intégré, d’éducation compensatoire. C’est bien entendu la différenciation la plus avouable, celle qu’on peut revendiquer : a. parce qu’elle est délibérée, donc maîtrisée ; b. parce qu’elle prétend lutter contre l’échec scolaire, ou du moins venir en aide aux enfants défavorisés.

On ne peut cependant décrire les pratiques pédagogiques effectives sans faire la part de la différenciation sauvage. Je parle ici d’une différenciation qui n’est pas consciente, pas maîtrisée, pas volontaire, qui naît simplement de la pression de la situation, de l’urgence, du fait que dans aucune interaction sociale, nul ne peut traiter ses interlocuteurs exactement de la même façon. Dans la vie, on ne peut pas fonctionner sans différencier, mais cette différenciation nous échappe largement, elle se joue en partie au niveau inconscient, à travers des automatismes, au gré des circonstances ; il y a dans nombre d’interventions pédagogiques une part d’aléa, l’action du maître est loin d’être toujours programmée.

La différenciation involontaire peut avoir toutes sortes d’effets par rapport à l’échec scolaire. Parfois, spontanément, intuitivement, le maître s’intéresse aux élèves qui ont le plus besoin de lui, même s’ils ne l’appellent pas. Tout dépend de son caractère, de ses préférences. Il ne faut pas se cacher cependant que la différenciation sauvage peut accroître les écarts, contribuer à la fabrication des inégalités. Ainsi, dans une classe, quand il conduit une activité collective, le maître travaille-t-il de préférence avec les élèves qui posent des questions, se manifestent, l’aident à construire une " bonne leçon " ; avec ceux qui ne disent rien, il est difficile de créer une dynamique, un " dialogue socratique ", un climat de curiosité. D’autre part, dans les interactions plus individualisées, le maître est porté à réagir de façon positive avec les élèves les plus gratifiants, qui peuvent être les plus intelligents, les plus sympathiques, les plus beaux, les plus sages… Cette différenciation là relève à la fois de la psychanalyse et de l’anthropologie ; parce que la distance culturelle est moindre, l’identification plus facile, le contact plus stimulant, on peut être enclin à " favoriser les favorisés ". Travailler avec les élèves qui n’aiment pas l’école, qui refusent tout effort, qui ne jouent pas le jeu, voilà qui n’est pas très gratifiant. Ainsi, l’intervention auprès d’un élève en difficulté peut-elle être vécue comme une expérience difficile, une relation conflictuelle, une entreprise incertaine. Le maître peut avoir l’impression de travailler pour rien, de " se heurter à un mur ", de " tirer un poids mort ". Quand on est enseignant de soutien, on a choisi et on assume la part ingrate du travail avec de mauvais élèves. Quand on est maître de classe, il y a mille autres choses à faire.

En résumé, il faut nuancer la théorie de l’indifférence aux différences ; il y a différenciation, en tout cas dans l’enseignement obligatoire. Mais rien n’assure que cette différenciation contribue à la lutte contre l’échec scolaire. Elle n’a parfois pas d’effet discernable, parce qu’elle obéit, consciemment ou non, à d’autres critères. Parfois, en général involontairement, elle accroît les inégalités. Enfin, même lorsqu’il y a discrimination positive, tentative de favoriser les défavorisés, la différenciation est le plus souvent dérisoire en regard de la nature et de l’ampleur des différences entre élèves.

Le soutien, une différenciation instituée

C’est d’ailleurs une des raisons de l’émergence du soutien. Au vu de l’impuissance des maîtres de classe, on a dans un premier temps pensé qu’il fallait que la différenciation soit confiée à des intervenants spécialisés. Il est vrai que la plupart des maîtres de classes ne savent pas et ne peuvent pas, dans l’état actuel des programmes et de l’organisation du cursus, gérer des différences aussi massives que celles qu’on trouve dans des classes hétérogènes. La différenciation que pratiquent les maîtres les plus engagés dans la lutte contre l’échec ressemble souvent une goutte d’eau dans la mer. Et ils le savent. Lorsqu’il s’arrache à un élève pour courir en aider un autre, le maître soucieux de différenciation se trouve dans la situation du pompier qui n’a qu’une seule voiture pour lutter contre douze incendies dispersés aux quatre coins de la ville ! Le problème de la différenciation, c’est en partie le problème du partage du temps, de la gestion rationnelle des ressources.

Même lorsqu’il pratique une pédagogie aussi différenciée que possible, le maître de classe est souvent en deçà de ce qu’il voudrait faire. Même dans les classes où la différenciation de l’enseignement et le soutien sont devenus non seulement des mots d’ordre, mais des réalités, le traitement " égalitariste " reste en dessous des besoins. En fait, l’école reste impuissante devant l’échec scolaire aussi longtemps que la différenciation n’est pas à la mesure des différences, et cela dès le début de l’enseignement primaire. Contrairement à ce qu’on espère parfois, le temps ne suffit pas à homogénéiser les élèves ; sans doute certaines différences initiales s’amenuisent-elles ; mais d’autres se maintiennent ou surgissent au fil des années ; et surtout, aux différences d’origine extrascolaire s’ajoutent, d’année en année, des inégalités de maîtrise du curriculum des degrés antérieurs, qui commandent à leur tour de nouvelles inégalités d’apprentissage.

Lorsqu’on progresse dans le cursus, l’éventail des différences paraît de moins en moins gérable en classe " homogène ", précisément parce qu’en dépit de redoublements parfois massifs, cette homogénéité est de plus en plus fictive. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, dans beaucoup de systèmes, on pense qu’à dix ou douze ans, il est temps d’orienter ou de sélectionner. Les systèmes d’école unique ou, de façon plus limitée, les systèmes à niveaux et options, montrent qu’on peut enseigner en classes très hétérogènes jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, à condition d’adapter la pédagogie et la formation des maîtres à la situation. Mais à ce stade, il ne s’agit plus vraiment de lutter contre l’échec par une différenciation constante de l’enseignement. La question est plutôt de savoir si l’on veut ouvertement prendre son parti des inégalités accumulées ou tenter encore de laisser quelques portes ouvertes… On le voit, le traitement des différences n’est pas, n’est plus, une pratique inconsciente. Tant les débats sur les classes hétérogènes à l’école moyenne que sur les diverses formes d’individualisation et de soutien indiquent que l’école construit désormais une représentation de son fonctionnement en rapport avec les inégalités et l’échec scolaire.

C’est pourquoi, aujourd’hui, expliquer l’échec scolaire n’est plus un travail solitaire sans incidences sur le système. Les sciences de l’éducation, la sociologie, les sciences humaines renvoient à l’école une image de son fonctionnement. Les théories du handicap culturel, les plaidoyers pour la différenciation ont eu des effets, l’école s’est emparée peu à peu de ces idées et les met partiellement en pratique, par exemple en développant le soutien.

En pédagogie, les idées, justes ou fausses, transforment la réalité, non seulement dans les esprits, mais dans les classes. Ne serait-ce que parce qu’elle font paraître l’échec fatal ou non, l’égalité relative des acquis scolaire possible ou impossible. Ce qui introduit à mon troisième chapitre.


III. Exigence d’égalité et lutte contre l’échec scolaire

D’une certaine manière, surtout si on est engagé dans la lutte contre l’échec scolaire, on ne mesure pas à quel point cette préoccupation est moderne. Il faut dater de l’après-guerre, des années 1950, l’émergence du thème de l’échec scolaire comme problème de société (Isambert-Jamati, 1985).

Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’échecs scolaires auparavant. Mais ils ne suscitaient guère d’indignation, on n’en parlait pas comme d’un phénomène anormal, appelant une action.

L’invention de l’inégalité des chances

Au début du siècle, on s’intéressait aux enfants scolairement inadaptés, aux " débiles ". Binet et Simon ont " inventé " à cette occasion les " tests d’intelligence ", en fait d’adaptation scolaire. Ce qui était en cause, ne n’était ni l’échec, ni l’école, mais la place à faire, dans le système, aux enfants qui posaient des problèmes d’intégration, de développement intellectuel, de discipline, de rythme de travail.

L’inégalité, qui était alors dans l’ordre des choses, se jouait encore largement en amont du système scolaire : au siècle dernier et au début du XXe siècle encore, les enfants de la bourgeoisie entraient à six-sept ans dans les petites classes des lycées, promis déjà aux études longues, alors que les autres enfants entraient à l’école primaire pour en sortir au mieux vers onze ou treize ans, nantis d’une instruction élémentaire. Baudelot et Establet (1971) ont montré que ces deux réseaux de scolarisation ont subsisté au-delà de la création d’un tronc commun, du moins si l’on analyse les carrières les plus probables des enfants des classes privilégiées d’un côté, des classes populaires de l’autre (probabilité de redoublement, orientation à l’issue du tronc commun). Mais au début du siècle et parfois jusqu’au années 1930, voire plus tard, nombre de systèmes scolaires séparaient ces réseaux explicitement dès le début de la scolarité obligatoire. Le recrutement initial était déterminé par l’appartenance à une classe sociale. Dans une telle structure, les hiérarchies d’excellence stricto sensu étaient internes soit à la filière longue, soit à l’école primaire populaire ; entre les filières s’établissait une hiérarchie culturelle et sociale globale qui rejaillissait bien sûr sur les élèves des unes et des autres, mais sans qu’ils soient confrontés aux mêmes normes et aux mêmes évaluations.

L’inégalité de réussite scolaire, telle que nous la connaissons aujourd’hui, naît au contraire de la compétition, dès six-sept ans, à l’intérieur des mêmes établissements et des mêmes classes, d’enfants de toutes les origines sociales. Structurellement, cette forme d’inégalité est un phénomène récent. Son importance sociale ne s’est en outre pas affirmée d’emblée : il a fallu prendre conscience du poids de la réussite et des diplômes, non seulement pour ceux qui se destinent aux emplois intellectuels, mais pour presque tout le monde. Dès le moment où les savoirs et les diplômes sont devenus des enjeux à l’échelle de générations entières, il est apparut " anormal ", " injuste " que certains échouent à l’école alors que d’autres réussissent, et plus injuste encore que cette inégalité des chances soit fortement liée à l’appartenance à une classe sociale, à un groupe ethnique ou à une région.

L’exigence d’égalité devant l’école est une idée encore neuve. La Révolution affirmait le droit de tous à l’instruction, mais nul ne songeait alors à donner à tous la même instruction et les mêmes chances. Garante de la liberté individuelle, de la raison, de la démocratie, l’instruction n’était pas au XIXe siècle une ressource mise au service d’une carrière, comme elle l’est devenue pour pratiquement tous les parents aujourd’hui.

Cette exigence d’égalité ne cesse en réalité d’évoluer. Il fut un temps où le grand défi des sociétés était de scolariser tout le monde. Aujourd’hui, parce que cette exigence est grosso modo satisfaite dans les pays développés, et parce que les représentations du savoir et de ses fonctions ont changé, on ne se contente plus du droit d’aller à l’école. On revendique le droit pour tous d’y apprendre, et d’y apprendre plus qu’à lire, écrire, compter. En France, on vise 80 % de bacheliers, ce qui n’est pas absurde, puisque la moitié d’une classe d’âge y atteint dès aujourd’hui ce niveau d’études.

L’inégalité devant l’école, statistiquement, était plus massive au XIXe siècle et au début du XXe que maintenant. En France, moins de 5 % d’une génération fréquentait le lycée en 1900 (Isambert-Jamati, 1990). La démocratisation de fait, au sens large, a spectaculairement progressé. Mais ce n’est pas, cependant, une évolution automatique et linéaire dans toutes les sociétés. Parce que toutes n’ont pas les mêmes raisons de favoriser le développement et la démocratisation de l’instruction.

Trois conditions pour que l’inégalité soit problématique

Pour que l’inégalité devant l’école fasse problème, à l’échelle d’une société, il faut que trois conditions au moins soient réunies.

La première, c’est qu’il y ait un minimum de statistiques, de données, de transparence. Il ne suffit pas que quelques uns sachent intuitivement qu’il y a inégalité devant l’école pour qu’une société se mobilise. Il faut qu’une partie des maîtres, des parents, de la classe politique, de l’opinion publique en prennent conscience. Il y a encore des cantons, en Suisse, où on ne sait pas grand-chose de l’inégalité devant l’école. Dans une telle situation, on peut prétendre n’importe quoi avec la même bonne foi apparente : l’ampleur, voire l’existence même des inégalités devant l’école est une question d’opinion. Les conservateurs, qui s’appliquent évidemment à maintenir le black-out, ont beau jeu de dire que tout va bien. À l’inverse, les systèmes qui se sont donnés les moyens de savoir doivent adopter une politique plus active ou assumer ouvertement l’inégalité. Dans le canton de Genève par exemple, depuis plus de 25 ans, grâce aux statistiques et aux enquêtes du Service de la recherche sociologique, on sait assez précisément l’ampleur des échecs et de l’inégalité sociale devant l’école. Nul ne peut ignorer que les taux de redoublement et l’orientation au début du secondaire varient fortement en fonction de la classe sociale. La prise de conscience publique exige évidemment une volonté politique. Une fois devenue irréversible, elle la renforce.

Deuxième condition : il faut que suffisamment de gens pensent que l’inégalité et l’échec ne sont pas des fatalités. Chacun peut reconnaître par exemple que les êtres humains ne sont pas égaux devant la maladie ; mais certains ajouteront aussitôt " C’est dommage, mais enfin, on n’y peut rien ! " Tant qu’une inégalité semble s’inscrire dans l’ordre des choses, il n’y a pas lieu de se mobiliser. Pour que l’exigence d’égalité inspire des politiques de l’éducation, il faut qu’une partie de la société - qui ne saurait se limiter à quelques spécialistes ou à quelques militants -, soit acquise à l’idée que l’échec et les inégalités dépendent des institutions, des programmes, des pédagogies. On considère alors non seulement que l’inégalité existe, mais qu’elle est évitable à certaines conditions. C’est ce qu’affirme le canton de Genève lorsqu’il inscrit dans sa loi sur l’instruction publique " L’école doit, dès les premiers degrés, tendre à corriger les inégalités de réussite scolaire ".

Troisième condition : il ne suffit pas d’affirmer que les inégalités sont à la fois réelles et - au moins en partie - évitables. Il faut encore considérer qu’elles ne sont pas acceptables. Pendant longtemps, le fait qu’il y ait des gens instruits et d’autres ignorants n’a rien eu de révoltant. Avant la Révolution française et même tout au long du XVIIIe siècle, même ceux qui passaient pour des libéraux ou des gens éclairés n’imaginaient pas une société où tout le monde serait instruit. Il paraissait tout à fait naturel que le 90 % de la population en sache juste assez pour lire la Bible (en pays protestant), se débrouiller dans le travail manuel, voter.

Qu’il soit choquant, scandaleux, injuste que certains soient plus instruits que d’autres, est une idée récente, loin d’être unanimement partagée aujourd’hui encore. On peut rencontrer n’importe où des gens qui disent " Où est le problème ? Effectivement, il y a de bons et de mauvais élèves, donc des adultes instruits et d’autres moins. Et alors ? C’est la vie ! " Pour qu’une société, dans sa majorité, estime l’échec scolaire et l’inégalité devant l’école font problème, il faut qu’y soient à l’œuvre des idéologies, des mouvements sociaux, des forces politiques qui s’indignent, qui affirment que l’inégalité d’éducation n’est pas tolérable, parce qu’elle n’est pas conforme aux droits de l’homme, au principe d’égalité devant la loi, aux idéaux démocratiques. Tout cela sur fond de compétition économique, de modernisation, de développement scientifique et technique, de relève des cadres. La démocratisation massive de l’enseignement se situe généralement au confluent d’idéologies généreuses et de politiques réalistes (Perrenoud, 1978, Hutmacher, 1982, 1985, 1987).

Des dynamiques fragiles, internes à chaque société

Les conditions historiques particulières qui rendent le débat possible ne sont pas réunies partout, même en Europe. En Suisse, il subsiste entre les cantons de fortes différences dans la façon dont le problème de l’inégalité devant l’école est posé. L’ampleur des pédagogies de soutien en est un bon analyseur. Il y a des cantons où le soutien pédagogique n’existe pas, où on n’en parle pas, où on sait à peine de quoi il s’agit. Dans d’autres, c’est une institution assez récente, dans les textes ou dans les pratiques. Dans le canton de Vaud, depuis les années septante, une loi cantonale donnait aux communes des ressources pour mettre des maîtres d’appui à disposition des écoles primaires. Pendant dix ans, personne n’a utilisé ces ressources. Et puis, on a découvert, à la faveur du débat sur la réforme scolaire adoptée en 1984, qu’après tout l’appui était nécessaire, qu’il ne concernait pas seulement les enfants handicapés, mais toutes sortes d’enfants. Pendant dix ans, la loi était en avance sur l’exigence d’égalité de la majorité des acteurs du terrain… Ce qui montre que tout ne joue pas au niveau politique, que la politique de l’éducation traduit les aspirations des familles, des maîtres, des employeurs. Aussi longtemps que l’échec scolaire n’était pas un problème de société, les communes vaudoises trouvaient sans doute superflu, voire choquant, qu’on dépense de l’argent pour payer des maîtres de soutien, alors que tout allait bien… Le fait qu’il y ait des échecs n’était pas un indice de dysfonctionnement : l’école était l’école, celle que les adultes avaient connue, avec son lot d’inégalités (Gilliéron, 1988).

Il faut le savoir : ce qu’on appelle en jargon sociologique " la problématisation d’un phénomène de société " (drogue, avortement, nucléaire) n’est jamais dictée seulement par l’ampleur et la gravité " objectives " du phénomène (Perrenoud, 1986). Il faut que des gens surgissent sur la scène sociale pour direIl y a un problème, ce n’est pas normal, il faut que l’État, que la loi… " La prise de conscience d’une réalité et l’impression qu’elle fait problème sont des représentations fragiles, qui ne font jamais l’objet d’un consensus absolu et définitif. Il y a toujours des gens qui, dans leur for intérieur ou même ouvertement, disent : " On fait beaucoup de bruit, on dépense beaucoup d’argent pour rien… À quoi servent tous les milliards engloutis dans l’éducation ? " Le " processus de problématisation " peut régresser ou progresser, en fonction de rapports de force politiques et culturels.

Les opérateurs du soutien, qu’ils le veuillent ou non, sont au coeur de ces rapports de force, parce qu’ils incarnent la réalité du problème, parce que leur métier est de dire " Il y a quelque chose à faire, il faut le faire ". Ils ont parfois (souvent ?) en face d’eux des inspecteurs, des enseignants, des parents qui n’en sont pas convaincus et qui se demandent, sans oser peut-être l’exprimer, s’il est bien nécessaire de payer des gens pour lutter contre quelque chose d’aussi naturel et inéluctable que l’échec scolaire.

À Genève, la lutte contre les inégalités est inscrite dans la loi, ce qui n’est pas courant et témoigne d’une volonté politique constante, depuis le début des années soixante, mais régulièrement combattue. Ainsi, en 1984, les partis conservateurs ont-ils proposé, sinon la pure et simple suppression d’un article jugé " égalitariste ", du moins une formulation plus prudente, insistant sur les appuis. Finalement, les textes ont été maintenus, mais ils peuvent être remis en cause n’importe quand. La réalité de l’échec n’est plus niée, mais la société reste divisée sur la question de savoir s’il faut combattre l’inégalité ou s’y résigner.

Ce débat traverse peu ou prou toutes les sociétés scolarisées, mais chacune en définit les termes à sa façon : l’exigence d’égalité s’alimente certes à des valeurs humanistes qui dépassent les nations, mais son expression concrète est toujours propre à une société politique donnée et, en Suisse, à chaque société cantonale. Ce que décide le Tessin n’a aucune incidence obligée de l’autre côté des Alpes, et inversement. Le cloisonnement est le même entre cantons de même langue : que les petits Fribourgeois soient inégaux devant leur école, les Neuchâtelois ne s’en soucient guère, et vice versa. On ne saurait mieux souligner la dérision de certains affrontements. Dans un mouchoir de poche, les forces sociales s’affrontent sur une politique de l’éducation dans une presque totale indifférence à ce qui se passe dans le reste du monde. Pour l’instant, il n’y a pas de société européenne et encore moins de société mondiale, du moins pour ce qui concerne l’inégalité devant l’instruction. Certes, dans les organisations internationales, les experts rédigent des rapports et des recommandations. Mais au-delà de ces cercles restreints, l’exigence d’égalité n’est pas encore pensée à l’échelle du continent, encore moins de la planète. Peut-être en ira-t-il autrement dans 20 ans, mais aujourd’hui il y a, à propos de l’échec scolaire des dynamiques indépendantes et fort diverses. La mosaïque des vingt-trois cantons suisses va des plus conservateurs, où rien ou presque n’a changé depuis la guerre, aux plus novateurs, qui ont instauré des lois sur l’accès aux études, réformé l’école moyenne, développé le soutien et d’autres formes de différenciation et de démocratisation. Cette diversité montre que le régime économique - ici uniformément capitaliste - ne détermine pas une seule politique de l’éducation.

Trois étapes dans les politiques de démocratisation

La démocratisation de l’enseignement a pris des formes diverses. Je distinguerai schématiquement trois étapes (Perrenoud, 1978).

Première étape : lorsqu’elles prennent conscience de l’inégalité devant l’école, les sociétés commencent par s’attaquer aux obstacles géographiques et financiers. On cherche à faciliter l’accès aux études en décentralisant les établissements et en attribuant des bourses ou allocations d’étude. Le problème est loin d’être uniformément réglé : aujourd’hui encore, il y a des cantons où l’allocation d’étude est un droit, une procédure automatique ; d’autres en sont encore au régime du " prêt d’honneur ". Le problème de la décentralisation des équipements scolaires n’est pas non plus réglé. En Europe du Sud, il reste des zones assez éloignées des grandes villes dans lesquelles le personnel enseignant n’est ni très stable, ni très qualifié, alors que les équipements scolaires sont fort précaires ; ainsi, au Portugal, dans certains quartiers ou certaines régions, deux ou trois classes se partagent chaque jour les mêmes locaux. Le simple accès à des lieux d’enseignement n’est pas assuré dans tous les pays développés, sans parler du Tiers Monde, où certains pays ont à peine les moyens d’accueillir 10 à 20 % des enfants à l’école élémentaire.

Seconde étape : dans les pays nantis, le souci de démocratisation a donné lieu, parfois dès les années soixante, à une réforme des structures de l’école moyenne. On a investi beaucoup d’énergie dans l’aménagement de cycles d’observation et d’orientation, de troncs communs, de cours à niveaux et options, avec en général une sélection plus tardive, partiellement réversible, et des programmes modernisés et moins élitaires que ceux des écoles secondaires traditionnelles. Ces structures étalent l’orientation sur trois ou cinq ans, la fondent sur une évaluation continue ou des tests d’aptitudes. En retardant la sélection, on pense donner davantage de chances aux élèves les moins favorisés ou les moins avancés. Ce qui se vérifie globalement : dans la plupart des systèmes scolaires européens, la restructuration de l’école moyenne conduit à des taux de scolarisation plus élevés dans les voies gymnasiales, dont à une augmentation des formations scolaires postobligatoires et des diplômes. Il y a démocratisation des études au sens large : plus de gens scolarisés, plus d’années de scolarité pour la moyenne. À Genève, depuis plus de quinze ans, il n’y a plus dans chaque génération que très peu d’élèves (moins de 5 %) qui abandonnent toute formation à l’issue de leur scolarité obligatoire. À 19 ans, plus 80 % des élèves ont un diplôme postobligatoire ou sont en voie de l’acquérir. La démocratisation de l’école moyenne s’accompagne d’une plus grande égalité entre filles et garçons, y compris dans les universités. L’une des inégalités tenues pour " naturelles " jusqu’aux années 1950 tend donc à disparaître. Ce qui montre que le système n’est pas voué à la reproduction pure et simple. Mais il est vrai que l’inégalité entre les classes sociales, elle, ne fait que se déplacer vers le haut : la condition sociale ne sépare plus aussi massivement ceux qui entre directement sur le marché du travail et ceux qui poursuivent une formation ; le clivage touche désormais au type d’études postobligatoires commencées et surtout achevées. Du point de vue de l’égalité des chances, c’est donc le statu quo. L’accroissement massif des niveaux de scolarisation s’accompagne d’ailleurs d’une dévalorisation des diplômes. Là où il suffisait d’avoir une qualification d’employé de commerce il y a dix ou vingt ans, il faut maintenant une maturité, voire un diplôme universitaire ; d’une génération à l’autre, des emplois situés de la même façon dans la hiérarchie des revenus et des qualifications exigent davantage de titres. Le surcroît de scolarisation pour tout le monde n’est certainement pas négligeable mais, du point de vue de l’égalité, ce n’est pas une solution définitive…

Troisième étape : d’où une nouvelle vague de mesures et de réponses qui, elles, commencent à toucher les établissements et les salles de classe. On peut dire que c’est vers le début des années ou vers la fin des années 1970 (selon les systèmes scolaires), qu’on se rend compte que si on ne s’attaque pas aux inégalités dans le processus même d’enseignement, il restera un noyau très important que les mesures financières ou géographiques et les réformes de structure ne sauraient entamer. Et le soutien, d’une certaine manière, exprime au moins une prise de conscience fondamentale : on s’aperçoit qu’en dernière instance la lutte contre l’inégalité doit être pédagogique.


IV. L’échec combattu par l’action pédagogique

Cette idée, qui paraît peut-être évidente aujourd’hui, est l’aboutissement d’une longue marche, et sans doute d’une désillusion, du constat que les mesures structurelles ont des rendements décroissants et ne touchent pas à l’inégalité entre les classes sociales.

L’éducation compensatoire et sa critique

Dans un premier temps, l’approche pédagogique prend une forme aujourd’hui décriée : on parle d’éducation compensatoire. En clair : les enfants qui échouent souffrent de handicaps, de manques, de privations, de pauvreté économique, mais aussi culturelle, linguistique, psychologique… L’action pédagogique doit donc compenser, donner plus à ceux qui ont moins. C’est le modèle des transferts de ressources, qui a fait ses preuves dans beaucoup de domaines : la fiscalité, la sécurité sociale, les inégalités régionales. Aux États-Unis, les stratégies de compensation " (Isambert-Jamati, 1973 ; Little & Smith, 1975) visent l’élève, mais aussi les familles ou les quartiers défavorisés (idées que reprendront bien plus tard les zones d’éducation prioritaire, en Grande-Bretagne, ultérieurement en France). Sous l’impulsion de l’administration fédérale américaine, d’immenses projets s’implantent au nom de la compensation, en particulier dans l’enseignement élémentaire ; cette politique produira beaucoup d’échecs et quelques résultats mitigés. Les stratégies compensatoires (éduquer les parents pour qu’ils éduquent mieux leurs enfants ou prendre en charge en classe les enfants défavorisés pour les aider à surmonter leurs handicaps) feront assez vite l’objet de vivres critiques, théoriques et politiques. Bernstein et Labov, notamment, dénoncent le caractère ethnocentrique des notions de compensation, de pauvreté linguistique, de handicap socioculturel. Ces chercheurs, sociolinguistes, montrent que les classes sociales n’ont pas exactement le même langage et le même rapport au code, mais que les classes populaires, dans la vie quotidienne, ne sont pas plus pauvres que les autres du point de vue des capacités de communication et d’échange. Simplement l’une est plus proche de la norme scolaire que l’autre, ce qui est tout à fait différent. En France, le CRESAS, en publiant en 1978 " Le handicap socioculturel en question ", contribue au refus béat du modèle selon lequel les enfants qui échouent souffriraient de handicaps intrinsèques ; c’est la définition de la culture scolaire et la nature des pédagogies qui créent un handicap relatif.

Les enfants des classes populaires, disent psychologues et sociologues, ne sont ni moins intelligents, ni moins motivés ; leur milieu familial et leur itinéraire personnel les disposent moins que les enfants de cadres à maîtriser les jeux qui ont cours à l’école : compétition, nominalisme, abstraction, savoir coupé de toute pratique sociale, contenus aseptisés ou très éloignés de l’expérience quotidienne des classes populaires ; Duneton (1978) montre par exemple à quel point les familles des manuels d’anglais sont calquées sur la condition des classes moyennes : les enfants ont chacun une chambre, la famille part en vacances, le père travaille en col blanc, la mère s’occupe de la maison, etc.

Ces critiques, souvent radicales, sèment le doute chez quelques uns des chantres des pédagogies compensatoires. Mais elles ne seront pas immédiatement entendues et ne freineront pas vraiment l’évolution vers des pédagogies de soutien, qui resteront, au départ en tout cas, relativement enfermées dans le modèle compensatoire. Si les pédagogies de soutien " familial " à travers l’éducation des parents se développent peu, ce n’est pas parce qu’elles suscitent des réticences idéologiques, c’est parce que, dans notre société en tout cas, il n’est pas du tout évident d’intervenir au niveau des familles. C’est possible dans les zones de grande pauvreté, où les stratégies compensatoires relèvent de l’action sociale et du développement communautaire autant que de la pédagogie ; ainsi dans certains zones industrielles anglaises ou dans certains quartiers des grandes villes américaines, on ne pouvait s’attaquer au problème de l’échec scolaire qu’en s’adressant à des collectivités entièrement défavorisées, minées par le chômage, caractérisées par des taux de mortalité, de morbidité, de divorce beaucoup plus élevés qu’ailleurs.

En Suisse, il y a des concentrations de classes populaires dans certains quartiers, il y a des régions défavorisées. Mais ce n’est jamais aussi massif. Il y a toujours mélange : même dans les écoles des quartiers populaires, il y a des enfants des classes moyennes et vice versa. Le problème de l’éducation compensatoire a donc rarement été posé à l’échelle de la communauté ; pour des raisons sociologiques assez explicables, la lutte contre l’échec scolaire a privilégié la prise en charge individuelle de l’élève, dans le cadre scolaire.

On aurait pu imaginer d’autres stratégies, passant par une revalorisation de la capacité éducative des familles, mais aussi des quartiers et communautés. Dans un pays comme la Belgique, qui n’est pas très différent du nôtre, qui n’est pas beaucoup plus grand, la lutte contre l’échec scolaire est un thème mobilisateur de la vie associative, de mouvements de quartier, de mouvements d’habitants. Des spécialistes de la santé publique, des travailleurs sociaux, des éducateurs, des parents collaborent avec des enseignants, ce qu’on connaît beaucoup moins chez nous (par exemple Mouvet, 1989, 1990). Dans notre pays, l’échec scolaire est traité comme une addition de problèmes individuels semblables. Ce n’est pas sur la structure scolaire, mais sur l’élève en difficulté qu’on se propose d’agir.

Les pédagogies de soutien, une solution pour l’individu

Les pédagogies de soutien traitent les symptômes ; on ne demande pas aux gens d’école de s’intéresser au système social qui produit de mauvaises conditions de vie, d’éducation, d’alimentation, de développement. Peut-être est-ce la rançon de la relative prospérité de notre pays. La Suisse ne connaît pas ou cache mieux les inégalités spectaculaires qu’on observe dans les pays industriels qui nous entourent. D’une certaine manière, historiquement, l’inégalité en Suisse est une affaire d’individus à prendre en charge ; dans la mesure où on a les moyens financiers de cette prise en charge, elle dispense de mettre en question l’organisation de la collectivité.

Dans ce contexte, les pédagogies de soutien se sont présentées comme la solution ; elles ont mis beaucoup de temps à s’imposer, leur caractère prioritaire ne convainc pas tout le monde. Mais du moins constituent-elles un type de réponse parfaitement assimilable dans son principe, sinon dans son opportunité ou son urgence, par les systèmes politiques cantonaux qui gèrent l’éducation dans ce pays.

On a assisté au développement de l’appui ou du soutien pédagogique dans un certain nombre de cantons suisses au moment où cette formule s’installait, parmi d’autres, dans les pays voisins. Ces évolutions ne sont coordonnées par nul pouvoir supranational ou supracantonal, pas plus que les réformes de l’école moyenne dans la décennie précédente, mais les parallélismes sont frappants. On voit très bien que les mouvements locaux puisent une partie de leur inspiration dans des modèles étrangers. En Suisse, l’étranger commence à la frontière du canton, mais on se renseigne, on se rend visite, certains organismes de coordination font circuler des informations.

Les pédagogies de soutien, sans être une marque déposée, sans être liée à un auteur comme la pédagogie coopérative l’est à Freinet ou la pédagogie de maîtrise à Bloom, semblent avoir fait assez rapidement l’objet d’un certain consensus. Pourquoi ? Je n’ai pas étudié la question de près, mais on peut faire différentes hypothèses.

Un élève est en difficulté, on le soutient ; quelqu’un a besoin d’appui, on le lui donne " : ce modèle d’action relève du bon sens, tout le monde peut le comprendre sans avoir fait d’études en sciences humaines. On peut donner du soutien une définition très sophistiquée, s’inspirer des théories et des instruments de la psychologie clinique ou de l’intervention pédagogique ; mais ce n’est pas indispensable pour se faire comprendre. Le soutien est une idée simple, dont le principe peut être exposé et compris par n’importe qui, sans recours au jargon psychologique et pédagogique. Dans des salles des maîtres et les administrations scolaires, encore méfiantes à l’égard des sciences de l’éducation et des innovations pédagogiques, le soutien paraissait contrôlable, gérable, assimilable à une logique connue : plus du même !

Deuxième hypothèse : le soutien reste dans le registre de la philanthropie, de la charité ; il s’inscrit dans une tradition proche de l’hygiénisme et de l’assistance sociale. Depuis le XIXe siècle, la bourgeoisie concède à ses représentants les plus éclairés quelques chiches ressources pour qu’ils luttent contre l’alcoolisme, les maladies vénériennes ou infantiles, la désorganisation familiale, autant de fléaux censés frapper en priorité la classe ouvrière. On se penche sur le sort des classes populaires par philanthropie, mais aussi par intérêt. " Classe laborieuse - classe dangereuse ", telle était l’association d’idée qui prévaut il y un siècle encore, nous rappelle le livre de Chevalier. Ce qui veut dire qu’au-delà d’un certain seuil, le désordre des moeurs, la pauvreté, la boisson, l’absence d’hygiène sont vécues comme des menaces contre la société industrielle et sa croissance, qui exige rendement et discipline. L’État devient un des instruments de normalisation, de moralisation et donc de soutien des classes populaires.

Ce modèle n’a rien de révolutionnaire, ni même d’égalitariste. Il s’agit, au nom de l’ordre social, de " fixer les errants " (Fragnière, 1976), de socialiser les marginaux, de prévenir les épidémies ou la désorganisation. C’est une façon de rendre les classes populaires conformes aux intérêts de la société industrielle. L’instruction restera passible longtemps de la même logique : il faut scolariser tous les enfants pour que chacun soit capable de tenir son rôle dans le système.

Selon ce schéma de pensée, sauf dans les sociétés totalitaires, les classes au pouvoir les plus soucieuses de conserver leurs privilèges acceptent un certain nombre de dépenses en faveur des plus déshérités. Elles cèdent, ce faisant, aux conseils de leurs membres les plus lucides, qui veulent prévenir l’explosion sociale ou la dégradation du capital humain. Il s’ensuit que le soutien n’est pas nécessairement une idée de gauche ; on peut y adhérer par pure générosité, amour des enfants, sentiment de solidarité avec les moins favorisés ; on peut en accepter le principe par stratégie, voire tactique électorale ou simple bon sens. Une société moderne ne peut prétendre se développer en laissant " en arrière " une large fraction de sa population. C’est pourquoi l’analphabétisme massif ou l’émergence d’une société duale peuvent inquiéter même ceux que le sort des plus marginaux n’émeut guère. Il y a rencontre entre des gens qui luttent pour l’égalité et contre l’échec scolaire au nom d’une société meilleure, voire du socialisme, et d’autres qui laissent faire parce que, sans être de gauche, ils pensent que c’est raisonnable, qu’on peut le faire et qu’on en a les moyens.

Troisième hypothèse : soutenir, c’est aider ceux qui ont de la peine sans bouleverser l’ordre des choses, c’est " donner un coup de pouce " qui ne remet en question ni le programme, ni l’évaluation, ni le découpage en degrés, ni les pédagogies pratiquées dans les classes. Seuls les adversaires militants de la démocratisation des études peuvent prendre ombrage du soutien. Il n’empêche personne de continuer à travailler comme par le passé. Il laisse largement la responsabilité de l’échec à sa famille et à l’enfant. En plus, il ne garantit aucun droit à la réussite. Il reste sinon une faveur, du moins une mesure " en faveur " des défavorisés, dont l’existence même atteste la modernité et la bonne santé du système.

Le soutien fait émerger de nouveaux professionnels qui, dans une période de relative abondance, ne prennent la place de personne. Les enseignants en place n’ont pas de raisons de se sentir menacés. Le soutien est pour certain un avenir possible ou un passage éventuel. Les titulaires de classes n’ont ni à se recycler, ni à changer leur point de vue sur l’échec ou leur pratique en matière de différenciation, Pour le dire un peu cyniquement : pour lutter contre l’échec scolaire sans mobiliser trop d’oppositions, on ne pouvait qu’inventer le soutien. Il concilie l’innovation et le conservatisme dominant en Suisse. N’oublions pas que notre pays a partout des majorités bourgeoises, que l’alternance gauche/droite n’y a pratiquement pas cours. Certes, le parti socialiste est présent dans nombre de gouvernements cantonaux et au Conseil fédéral, ce qui garantit une certaine constance de la volonté de démocratisation, mais assure en même temps sa tiédeur. L’école unique, le renoncement au redoublement, les zones d’éducation prioritaire, les expériences de suppression des degrés et de différenciation systématique de l’enseignement exigent davantage qu’une indignation bien tempérée. En Suisse, les politiques de démocratisation ont toujours été plus prudentes, en raison du rapport des forces politiques. Le soutien était et reste un compromis que la classe dirigeante pouvait accepter sans avoir l’impression qu’une autre société se préparait à travers une autre école.


V. Les acteurs et l’organisation du soutien

Il restait, dans les systèmes qui ont développé le soutien, à trouver une organisation permettant aux " opérateurs " de soutien d’intervenir dans les classes. Dans sa définition initiale, en effet, le soutien ne se confondait pas avec l’action du maître de classe en faveur de certains de ses élèves. Quel statut donner aux opérateurs, quelle formation, quel rattachement institutionnel, quel cahier des charges ? À ces questions, les réponses ont été variées.

Un autre métier ?

Au Tessin, les opérateurs de soutien exercent une profession à part entière, qui exige une formation proche de la psychologie clinique, bien distincte de l’enseignement. Les opérateurs sont mieux payés que les maîtres, relèvent de services indépendants des inspecteurs, ont leur propre association professionnelle. À Genève, où le soutien s’est développé de façon quantitativement comparable et à peu près à la même époque, l’organisation est radicalement différente : les maîtresses et les maîtres de soutien sont, dans le primaire, des enseignants qui, sans changer de statut ni de salaire, exercent pendant quelques années, au prix d’une formation complémentaire, une fonction différente de la maîtrise de classe (Andrews, Buonomo & Borzykowski, 1986). Dans le secondaire, les heures d’appui sont intégrées au poste d’une partie des professeurs. Dans le primaire, une évolution récente tend même à fondre le soutien dans un ensemble d’activités exercées par des GNT (" généralistes non titulaires ") et l’association professionnelle ne souhaite ni la fragmentation du métier ni l’installation à vie dans telle ou telle fonction. Les mots d’ordre sont au contraire polyvalence et mobilité (Perrenoud, 1988, 1990).

Il est évident que ces différences d’organisation retentiront à terme sur la nature du soutien, et qu’elles influencent déjà fortement les modalités de collaboration entre opérateurs de soutien et enseignants titulaires. " L’aide aux enfants en difficulté " n’est une pratique simple qu’en apparence. Son orientation (thérapeutique, clinique, pédagogique) peut varier d’un professionnel ou d’un système à l’autre. On peut s’attendre, s’il y a division formelle des rôles, distinction des statuts et des carrières, à des tendances à la spécialisation : le soutien doit lutter alors contre sa plus forte pente, l’alignement sur le modèle de l’intervention médicopsychiatrique. À l’inverse, l’identité des statuts et l’alternance des rôles peut tendre à affaiblir la spécificité du soutien : à la limite, l’opérateur de soutien devient une sorte de second du maître de classe, qui partage avec lui, quelques heures par semaine, un travail d’animation et d’enseignement qui n’est plus nécessairement orienté en priorité vers les enfants en difficulté. L’évolution genevoise va dans ce sens.

Ces problèmes sont en germe dès les premières phases d’institutionnalisation du soutien. Mais on ne s’aperçoit en général que plus tard des incidences des choix initiaux. Dans les cantons suisses les plus avancés, la question d’actualité touche à l’avenir du soutien dans ses rapports au reste du système. Mais dans d’autres cantons, le développement a été plus tardif et plus timide. Il y a beaucoup moins d’opérateurs de soutien, ils partagent leur temps entre de nombreuses classes, parfois fort dispersées. On lutte contre l’absence de moyens, de budgets, de formation, de structure et d’une certaine façon, le soutien se fraie une voie là où la résistance est la moins forte.

Lorsque le soutien est devenu une des composantes du système que nul ne peut ignorer, un métier ou une fonction stable qui assurent identité et gagne-pain à un nombre important de salariés, qui forment dès lors un groupe de pression agissant sur le système, est-il encore temps de repenser le tout ? N’y a-t-il pas trop d’intérêts acquis, de routines établies, de territoires délimités, d’équilibres à préserver. On peut le craindre. Il y a une chance cependant de rouvrir le débat : la profession enseignante n’est pas au bout de ses transformations, la division du travail peut s’y transformer radicalement au cours des années à venir. Dans ce cadre, la question de la place des opérateurs de soutien s’inscrit dans un débat plus général sur l’évolution de la profession et de l’école. 

Une profession appartenant aux nouvelles classes moyennes

À l’époque de Jules Ferry, les instituteurs étaient glorifiés comme les " hussards de la République ". On soulignait de la sorte leur rôle décisif dans l’avènement d’une société démocratique, laïque et moderne. Cet aspect du métier n’a pas complètement disparu. La laïcité militante reste vivace dans le corps enseignant français, par exemple, et dans nombre de pays, les maîtres ont conscience de préparer les enfants à vivre ensemble dans une société nationale ou mondiale. Cependant, à l’époque de Jules Ferry déjà, une fraction des instituteurs n’étaient pas sensibles au mythe républicain et exerçaient leur métier comme un gagne-pain, d’ailleurs mal payé. Aujourd’hui, le choix de la profession n’est pas davantage nécessairement lié à un engagement politique ou moral, à une vision de la société. Cela n’empêche pas de faire son travail sérieusement. Mais le sentiment de participer à travers l’école à la construction d’une identité nationale et d’une société démocratique n’est plus une évidence partagée par tous les enseignants. La foi dans l’école comme instrument de civilisation et d’unité, c’est bon pour les discours de promotions et de premier août, ça ne sous-tend pas l’effort quotidien. Le métier d’enseignant est certainement plus sûr et mieux payé qu’il y a un siècle, du moins en Suisse. Mais, du fait de l’industrialisation, de l’urbanisation, de l’élévation générale du niveau d’instruction, il ne jouit plus de la même considération. Le maître d’école n’est plus le notable du village, le seul parfois qui y incarnait la culture ; il n’est plus en général chef de la fanfare ou secrétaire de mairie, comme c’était le cas il y quarante ans encore. Dans certaines régions, c’est encore vrai, mais à la manière d’une survivance. Le métier se situe autrement dans la hiérarchie des choix professionnels. Il se féminise, ce qui est souvent un indice de dévalorisation.

Nous vivons dans une société dont les valeurs ont changé, une société de relative abondance, même s’il y a encore des pauvres. Inutile de souligner ce que chacun peut observer : l’obsession du confort, du niveau de vie, du temps de loisirs et donc aussi le repli sur la vie privée, la tendance à considérer la vie professionnelle comme un champ dans lequel on peut conquérir un statut social et des avantages plus qu’une identité.

Aujourd’hui, beaucoup d’instituteurs et de professeurs semblent considérer que " la vie est ailleurs ", que ce n’est pas à l’école qu’ils se réalisent pleinement, en tout cas pas seulement. Certes, enseigner est plus qu’un job. C’est un travail utile et intéressant, même s’il n’est pas facile tous les jours. Mais la vie, c’est aussi et parfois d’abord le sport, les vacances, les spectacles, les voyages, les amis… Le rapport au travail et à l’école s’est modifié. Cette évolution là, qui touche toutes sortes de métiers, est inséparable de l’émergence de ce que les sociologues appellent les nouvelles classes moyennes. Pendant longtemps, les classes moyennes ont été composées de commerçants, d’artisans, de cols blancs. La nouvelle classe moyenne est faite de gens employés dans un tertiaire qui est moins celui de l’administration que de la médecine, du paramédical, du social, de la recherche, de l’éducatif, de la gestion de personnes, du tourisme. Il s’agit de métiers de relation, de métiers plus qualifiés, de métiers salariés la plupart du temps, alors qu’une bonne partie des classes moyennes traditionnelles - qui demeurent - sont formées de petits propriétaires, commerçants ou artisans.

Parmi les caractéristiques des nouvelles classes moyennes, on cite souvent le souci de la modernité, l’insistance sur la vie privée, sur l’épanouissement personnel, sur des valeurs de réussite, de bonheur qui ne sont pas des valeurs partagées de la même façon par toutes les classes sociales. Or la profession enseignante tend aujourd’hui à se fondre dans ces couches sociales, à adopter une vision du monde assez individualiste, orientée vers la réussite et l’épanouissement de soi, forte consommatrice de psychologie, de culture, d’information, mais aussi de soins, de sports, de loisirs, de voyages. On cherche dans le travail un moyen, parmi d’autres, de réussir sa vie. Dans les professions sociales, éducatives, paramédicales, on ne peut espérer un revenu ou un pouvoir comparables à ceux qui font courir les cadres de l’industrie ou de la banque. Le travail participe plutôt de la recherche d’un arrangement, d’un équilibre entre toutes sortes d’aspirations, la famille, les enfants, les voyages,

Division du travail et défense du territoire

Tout cela a des incidences sur ce qu’on appelle la division du travail, c’est-à-dire la tendance à spécialiser les gens, à fragmenter les tâches, à faire émerger de nouveaux rôles ou de nouveaux métiers. Si l’on fuit le stress, le conflit, la compétition, la lutte pour le pouvoir, si l’on préfère le confort, l’harmonie, le temps libre, la spécialisation est une bonne stratégie. Elle assure un revenu qui sanctionne une qualification plus qu’une responsabilité hiérarchique. Elle facilite parfois le travail à temps partiel. Elle protège des autres en offrant une identité spécifique, en délimitant un territoire.

On peut avancer que le développement du soutien est une manifestation parmi d’autres de la tendance à une division accrue du travail dans le domaine pédagogique, où elle est fort en retard en regard de ce qui se passe dans d’autres secteurs, comme le travail social ou la santé. Si on considère les effectifs des travailleurs sociaux, éducateurs, éducateurs de rue, éducateurs spécialisés dans les zones fortement urbanisées, on observe une véritable explosion, qui s’accompagne d’une forte différenciation des tâches et des statuts. Certains ont parlé d’une sorte de " cancérisation ", d’une croissance largement incontrôlée, sans rapport avec les besoins de la population. Le propre des services est de nourrir leur propre croissance. C’est l’un des effets, sinon des buts de la division du travail ; la tendance est partout à la définition de nouveaux spécialistes, à la complexification des structures, à la multiplication des niveaux hiérarchiques et des rôles de coordination.

Et l’école est en train de suivre un processus du même type, l’école secondaire étant un peu plus avancée parce qu’elle est plus proche des professions universitaires, dans lesquelles la spécialisation est la norme. La situation de l’enseignement primaire genevois est tout à fait intéressante à cet égard. Son personnel se compose évidemment de directeurs généraux, d’inspecteurs, de chefs de service, de secrétaires. Il y a aussi environ 1400 titulaires de classes. C’est entre ces deux catégories traditionnelles que la division du travail se développe. Plusieurs centaines de maîtres n’ont ni la responsabilité d’une classe, ni de statut hiérarchique ; une partie d’entre eux travaillent hors des écoles, dans des services de documentation, de didactique, de recherche, de formation continue. Les autres travaillent dans les écoles, avec des enfants, mais comme " généralistes non titulaires ". Cette fonction n’existait pas il y a vingt ans, n’avait pas de nom il y a cinq ans. Certains de ces GNT font du soutien, d’autres sont " enseignants complémentaires " dans une équipe pédagogique, d’autres animent un atelier du livre, enseignent le français à des non francophones ou travaillent à l’intégration d’enfants non scolarisés. À quoi il faut ajouter, sur le modèle du secondaire, des professeurs spécialisés d’éducation physique, de dessin, de musique, de travaux manuels. Il n’est pas exclu que d’autres fonctions se dessinent, ou qu’on confie une fois ou l’autre l’enseignement de l’allemand ou de l’informatique à des maîtres spécialistes.

Effets pervers

Les décisions contribuant à accroître la division du travail sont généralement justifiées dans l’intérêt des enfants et en vertu d’un besoin précis et indéniable. Chacune de ces décisions participe à une évolution globale, mais on n’en a pas immédiatement conscience. Puis le temps passe et émergent un certain nombre d’effets pervers, au sens sociologique du terme.

À la question de savoir pourquoi la Suisse existe, les citoyens d’aujourd’hui ne sont pas obligés d’avoir une réponse argumentée. Pourquoi justifier l’évidence ? Il arrive, dans l’histoire du soutien, un certain moment où il en va de même. Il est là, il fait partie des moeurs, il fonctionne. Même ceux qui le pratiquent ont la mémoire courte. Tous ne font pas partie des pionniers, les plus jeunes sont entrés dans un rôle qui leur préexistait, qu’il n’ont eu ni à construire ni à justifier. Le sens d’un dispositif de lutte spécifique, choisi et organisé de façon délibérée, ce sens s’effiloche. La mémoire se dégrade, la mémoire collective plus encore que la mémoire individuelle. Il faut un travail constant pour remettre les choses en place, retrouver des raisons, les remettre à jour lorsque la situation évolue. C’est un premier effet pervers, banal. On fait toujours comme si on coulait les institutions dans le bronze, pour des siècles, alors qu’en réalité elles sont condamnées à perdre très vite leur identité initiale, à s’engluer dans la routine.

Autre effet pervers, la lutte des territoires, des identités professionnelles, des statuts. Dès que les professions et les fonctions se différencient, les salariés s’observent, se mesurent : " Les autres sont mieux payés, ont de meilleures conditions de travail ou davantage de chances d’avancement ". Certains se savent favorisés, mais se gardent bien de le reconnaître ouvertement. D’autres se sentent prétérités, le disent tout haut ou empoisonnent l’atmosphère à force de rancœurs. Ainsi va la vie quotidienne dans les bureaucraties publiques et privées. L’école n’est pas une exception. L’angélisme du discours pédagogique et la prétention d’agir avant tout dans l’intérêt de l’enfant empêchent peut-être de reconnaître et de parer les risques des guerres de territoires et de conflits de statuts. On fait volontiers comme si tous les gens d’école tiraient à la même corde. Cette illusion se paie.

Troisième effet pervers : dans un métier qui s’institue, les intérêts acquis bloquent progressivement l’évolution et même le débat. Au début, on construit, on part de rien, tout est à faire ; puis, c’est la rançon du succès, on obtient des locaux, on crée des statuts et des services, on stabilise une définition du soutien, des conditions de travail décentes, des savoirs nécessaires, des règles de collaboration. À tout cela, on doit une certaine identité, une certaine sécurité. Donc on y tient, on le défend, c’est normal, c’est très humain. Ce qui veut dire qu’on pourvoit certains postes non parce qu’ils répondent encore à un besoin, mais parce qu’ils existent ; on prend ou on garde des locaux par réflexe " territorial " ; on revendique une égalité de traitement pour le principe et non pas parce qu’on a de vrais besoins. Dans les organisations industrielles et bureaucratiques en général, il y a plein de services qui jouent leur jeu, qui ont leurs stratégies, qui ont leur politique de développement ; on investit de plus en plus d’énergie dans la croissance ou le maintien du budget, du personnel, des équipements, parfois sans se demander si c’est une priorité, si cela se justifie en regard des buts généraux de l’organisation. Chacun " joue le jeu ", respecte les plates-bandes des voisins, à charge de revanche. La dynamique d’un système social s’effondrerait si chacun interrogeait sans arrêt le bien fondé de l’existence et de l’action des autres ; tels sont les rapports de bon voisinage, qui assurent une coexistence pacifique mais conduisent aussi à des gaspillages considérables d’énergie et de ressources.

Si on regarde les budgets de l’éducation et leur croissance depuis le début du siècle, la croissance est spectaculaire, même rapportée à l’évolution des populations scolarisables et scolarisées. Est-ce que les inégalités ont diminué dans la même proportion ? Évidemment non. De même, les niveaux réels d’instruction n’ont pas augmenté aussi vite, parce qu’une partie des ressources sont absorbées par le fonctionnement de la machine et le maintien des structures et des intérêts acquis. Et puis, il y a tout simplement la routine, le fait que la plupart des êtres humains ne sont pas portés à se remettre en question tous les jours, à chercher constamment à mieux faire. L’institutionnalisation d’une profession, son installation dans le système, s’accompagnent en général de ces effets pervers, qui sont maîtrisables, mais pas sans efforts. Même les directions générales, dont la mission est de gérer l’attribution des ressources, n’ont pas toujours intérêt à susciter de multiples de conflits ouverts ou larvés avec des services ou des associations. On s’installe donc peu ou prou dans des fonctionnements peu convaincants, mais difficiles à réformer. Ou alors, pour fuir la contradiction, on s’applique à ne pas voir ou à oublier toutes sortes d’incohérences.

Le soutien pédagogique, au départ, se fondait sur une analyse, voire sur une critique assez vive du système scolaire. Qu’en reste-t-il dix ou vingt ans plus tard ? Peut-on éviter d’en arriver à défendre becs et ongles les positions désormais conquises dans le système ?


VI. L’avenir du soutien

Paradoxalement, ce qui menace la vitalité d’une profession, c’est son succès. C’est le fait qu’à un certain moment, elle " fait partie des meubles ". Plus personne ne va entamer une croisade pour éliminer les professeurs d’éducation physique. Il en ira sans doute de même pour les opérateurs de soutien. Dans vingt ans, il se peut que personne ne soupçonne que l’école ait pu exister sans soutien. Bientôt, on se dira en toute bonne foi que le soutien est né avec l’école.

Une profession instituée n’a plus besoin d’avoir des projets. Qui aurait l’idée de demander aux pharmaciens ou aux notaires ce qu’ils vont faire dans les dix années qui viennent ? L’identité même de la profession est assurée, sauf grave crise technologique ou disparition du marché. Les professionnels restent organisés pour défendre leurs intérêts, pas pour construire une utopie. S’agissant d’une profession salariée, il y plus grave : plus elle s’institue, plus elle s’incorpore au système, moins elle se sent responsable de l’ensemble. Il y a quelqu’un, " en dessus ", qui est payé pour prévoir et préparer l’avenir…

L’intérêt des métiers encore neufs, c’est qu’ils ne se contentent pas de défendre leurs intérêts. Ils ont un idéal pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres, pour le système, pour la société et c’est ce qui la fait bouger. Mais rien ne s’use aussi vite que l’idéalisme. Toutes les professions ne sont pas cependant également menacées de sclérose. Certaines obligent à travailler là où la société " se défait ", à côtoyer la mort, la maladie, l’injustice, la misère, l’absurde. Le soutien en fait partie. Le fait d’être tous les jours confronté à l’échec n’aide sans doute pas à vivre dans l’euphorie. Mais il empêche peut-être de s’endormir sans se poser de questions.

Que veulent devenir les " opérateurs de soutien " ? Il leur appartient de répondre. Au-delà des réponses individuelles, une association peut essayer de travailler sur des convergences et des réponses collectives. Faut-il inscrire le plus vite possible le soutien dans la logique de toutes les professions, notamment celles des nouvelles classes moyennes, des professions qualifiées offrant une certaine autonomie ? Dans ce cas, les opérateurs travailleront à améliorer leurs conditions de travail, leur légitimité dans le système, et un peu l’école, par-dessus le marché, si c’est possible. À moins qu’ils ne décident de rester une profession qui dérange, qui n’est pas l’alibi mais l’aiguillon, une profession qui empêche les autres professionnels de l’éducation de dormir, ou du moins d’avoir la conscience tout à fait tranquille.

Autre façon de poser le problème : le soutien doit-il être considéré sinon comme une forme achevée et définitive de réponse à l’échec scolaire, du moins une forme convaincante, qu’il faut améliorer de l’intérieur. Dans ce sens, on peut viser des opérateurs mieux formés, mieux instrumentés, mieux acceptés par l’autorité scolaire et par les enseignants. La logique qui consiste à demander plus pour travailler mieux, tous les professionnels la maîtrisent très bien, elle peut les guider pendant un siècle encore. Parce qu’il est souvent vrai qu’avec plus de ressources, des structures plus claires, une formation plus complète, on ferait mieux. C’est un puits sans fond. On peut s’emprisonner dans cette dynamique de la croissance et de la consolidation sans fin d’un métier. C’est souvent ce qui se passe, même s’il existe dans chaque métier quelques professionnels plus radicaux ou autocritiques qui tiennent un autre discours. Si on veut mobiliser les gens, il faut trouver un consensus. Il est tentant de le réaliser à propos de la défense de l’identité et du territoire, de la qualification, du revenu. C’est ce qui réunit le plus facilement les professionnels.

Quelle serait l’alternative ? Peut-être d’oser se dire : " Revenons aux sources, l’important n’est pas le soutien, c’est la lutte contre l’échec scolaire ! " Le rôle des opérateurs de soutien n’est pas de le perfectionner et de le développer à l’infini, mais de chercher les dispositifs les mieux aptes à corriger, à neutraliser les mécanismes générateurs de l’échec. Cela conduit à s’engager dans une évaluation critique des effets observables du soutien, mais aussi des raisons théoriques de penser que cette forme d’intervention " mord " vraiment sur la réalité de l’inégalité et de l’échec.

Il n’est pas possible ici d’évaluer globalement l’efficacité du soutien pédagogique à l’école primaire. Tout dépend de ses modalités, de son ampleur, de sa cohérence, qui peuvent varier d’un système à l’autre, mais aussi d’une zone ou d’un établissement à l’autre. En outre, dans l’histoire du même système scolaire, des pratiques apparemment stables peuvent avoir des rendements décroissants du fait de l’installation dans des routines et des stratégies des acteurs, qui s’adaptent aux situations et possibilités nouvelles. Ainsi, il se peut que le soutien, à l’origine destiné aux enfants défavorisés, soit progressivement utilisé par des enfants de classe moyenne pour s’assurer un surcroît de chances de réussite. Il faut aussi faire la part des transformations considérables des populations scolarisées dans certaines régions, à cause de l’immigration, de l’urbanisation, de l’évolution des familles. Une étude genevoise (Hutmacher, 1991) met très clairement en évidence la difficulté de démêler les effets propres du soutien dans l’évolution (ou le maintien) des inégalités. Ce travail suggère cependant que les effets observables du soutien, toutes choses égales d’ailleurs, sont sans commune mesure avec les espoirs placés à une certaine époque dans cette formule magique.

Il s’agit donc de ne plus se payer de mots. Qu’elle soit fondée scientifiquement ou nourrie d’observations plus locales et intuitives l’interrogation n’est pas très confortable, ni pour l’administration scolaire, ni pour les opérateurs de soutien. Pour faire du soutien, mieux vaut y croire, sinon on le fait sans plaisir et sans efficacité ; il faut donc être un peu schizophrène pour se demander " Si c’était à refaire, est-ce qu’on créerait le soutien, est-ce qu’on y investirait autant d’espoirs ? " Ou, en se tournant vers l’avenir : " Les dix ans qui viennent, doivent-ils consolider les acquis ou amorcer autre chose ? ".

Le projet des opérateurs de soutien pourrait être, pour les dix ans qui viennent, de réfléchir sur la différenciation de l’enseignement au sens le plus large, de travailler à faire changer l’école en général et pas seulement ce sur quoi ils ont directement prise. Je ne connais pas assez la situation politique et pédagogique du Tessin pour dire si c’est pure utopie, ni à quelles conditions ce serait faisable.

Aux opérateurs de soutien et au système éducatif de choisir. Entre deux identités professionnelles, laquelle privilégier ? Vaut-il mieux être celui auquel on confie les enfants en difficulté, ce qui est une tâche noble et tout à fait respectable ? Ou celui auquel on donne le devoir et le droit d’ennuyer tout le monde, en rappelant constamment qu’il y a encore beaucoup à faire pour moderniser l’évaluation, prendre en compte toutes les différences psychologiques et culturelles, assouplir le système des degrés, faire participer les parents ?

Les opérateurs de soutien sont une ressource très importante pour un système scolaire. La principale objection qu’on peut faire aux concepts de différenciation et d’évaluation, c’est leur simplisme. Il faut se défaire de l’illusion qu’il suffira d’expliquer trois fois plutôt qu’une, de proposer des fiches " graduées ", de faire un contrat de travail ou un plan de semaine, un peu d’autoévaluation et un peu de soutien intégré pour que l’enseignement soit différencié. Il y a là une sorte de naïveté persistante. Peut-être les opérateurs de soutien le voient-ils mieux que personne. Faire réussir tout le monde à l’école, on peut penser avec Bloom que c’est possible, au sens ou il n’y a pas d’obstacles anthropologiques ou génétiques qui empêcheraient les enfants et les adolescents de maîtriser le programme de l’école obligatoire. Il reste que faire apprendre presque tout le monde est une entreprise plus difficile et plus complexe que d’envoyer une fusée sur la lune. Cela demande, pendant huit à dix ans, une coordination, une cohérence, une continuité de l’action éducative sans précédent, à large échelle, dans l’école publique. Nous en sommes extrêmement loin. Aucune formule isolée ne saurait créer les conditions requises pour que tous les enfants apprennent. C’est pourquoi le soutien, sans être une mauvaise idée, paraît une tentative un peu dérisoire par rapport à l’ampleur, à la longueur et à la complexité des processus en jeu dans la fabrication de l’échec.

La lutte contre l’échec, ce devrait être évident aujourd’hui, ne saurait se limiter à des mesures d’individualisation et de soutien. On ne peut faire l’économie d’une réflexion sur l’école active, les contenus de l’enseignement, le contrat didactique, le sens du travail scolaire, l’implication des familles, notamment celles des milieux populaires. La lutte contre l’échec scolaire, ce doit être plus et autre chose que la prise en charge individuelle des élèves en difficulté. Il faudra se décider à repenser l’organisation du temps scolaire, les programmes, l’évaluation, les moyens d’enseignement. On pourrait dire, en schématisant beaucoup, que les opérateurs de soutien prennent en charge des élèves qui n’auraient pas été en échec ou en difficultés graves si l’école était organisée différemment. Des élèves qui sont le produit de l’ennui, d’un certain nombre d’affrontements, de méconnaissances, d’incompréhensions, de blocages, d’absurdités, d’indifférences.

Si l’on accepte l’idée que la fabrication de l’échec tient au fonctionnement ordinaire du système scolaire, la question se pose : ne peut-on s’attaquer aux causes plutôt qu’aux symptômes ? Est-ce le rôle des services et des opérateurs de soutien ? À supposer qu’ils le veuillent, de quel droit, au nom de quelle légitimité, se prendraient-ils pour la conscience, voire le " Surmoi " du système scolaire ? Il est évident que ce ne peut être une tâche à plein temps, qui définirait officiellement leur identité principale. Il n’est d’ailleurs nullement question, dans mon esprit, de suggérer d’abandonner le travail avec les enfants pour faire de l’agitation dans la salle des maîtres. Mais peut-être y a-t-il un équilibre à chercher entre l’énergie mise à intervenir auprès d’un certain nombre d’enfants en difficulté et l’énergie vouée à faire évoluer le système ! Vous connaissez le proverbe chinois ou la maxime qu’on prête à Mao Tse Toung : " Mieux vaut enseigner à pêcher à quelqu’un plutôt que de lui donner un poisson ". Le soutien ne s’attaque pas aux causes structurelles de l’échec. Non qu’il soit illégitime de faire ce qu’on peut pour les enfants aujourd’hui en échec ou en difficulté ; ce sont les produits du système tel qu’il est. À moyen terme, cependant, pour éviter de se retrouver chaque jour ou presque devant des situations désespérées, chaque opérateur de soutien a sûrement la tentation et l’envie de s’en prendre aux causes, de prévenir plutôt que d’essayer de remédier. Mais ce n’est pas ce qu’on lui demande au premier chef. On le ne paie pas pour critiquer l’école. Il court donc certains risques s’il s’engage dans un combat contre les degrés, les procédures d’évaluation, les didactiques en vigueur. Surtout s’il s’engage seul. À la crainte du conflit avec l’autorité scolaire ou les enseignants titulaires s’ajoute l’ambivalence compréhensible de professionnels dont le rôle prend en partie racine dans les dysfonctionnements du système. Le succès de la prévention, c’est en fin de compte l’effondrement du marché de la thérapie. Les dentistes perdraient leur clientèle si chacun de leurs patients suivaient tous les bons conseils qu’ils leur prodiguent…

Une association professionnelle n’échappe jamais complètement à la tentation du corporatisme. Mais c’est aussi un lieu possible de définition d’une politique à long terme, assignant au soutien une double vocation, à la fois recherche d’un moindre mal pour les élèves qui sont en échec aujourd’hui et contribution à une politique de prévention pour demain.

Parmi les raisons d’hésiter, l’une des plus honorables touche certainement au dilemme suivant : a-t-on a le droit de distraire une partie de son temps de travail pour préparer l’avenir ? La lutte contre l’échec est un rocher de Sisyphe, chaque génération est un recommencement. Et pour chacune, on pourrait toujours faire plus. Les enseignants qui s’engagent le plus activement dans la lutte contre l’échec scolaire se sentent, paradoxalement, les plus facilement coupables de " ne pas en faire assez ". Ils ont souvent l’impression qu’une prise en charge un peu plus intensive, l’essai d’une nouvelle démarche, une conversation plus approfondie avec les parents pourraient sauver un enfant du redoublement, ici et maintenant. Or, préparer l’avenir, c’est se désintéresser partiellement du présent. Peut-on, même dans l’intention de préparer l’avenir, ne pas engager toute son énergie dans la résolution des problèmes urgents ? C’est un dilemme qu’il est difficile d’affronter seul. D’où l’importance d’en faire un choix collectif.


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