|
|
Le soutien pédagogique,
une réponse à léchec
scolaire ?
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1991
I. Léchec scolaire, une représentation fabriquéeII. Expliquer les inégalités réelles : lécole face aux différences
III. Exigence dégalité et lutte contre léchec scolaire
IV. Léchec combattu par laction pédagogique
Je ne suis pas un spécialiste du soutien pédagogique, je my intéresse parce quil touche à léchec scolaire et aux inégalités devant lécole qui sont mes thèmes de recherche depuis vingt ans. Or on ne peut plus aujourdhui analyser léchec scolaire sans prendre en compte les stratégies qui prétendent le combattre, parmi lesquelles les pédagogies de soutien.
Peut-être pourrais-je apporter à votre réflexion mes questions et un regard un peu différent, parce que la sociologie pose nécessairement le problème de léchec scolaire en termes systémiques.
Jai prévu un plan en six parties :
Du soutien, peut-on passer à une vraie différenciation de lenseignement, intégrée, préventive, généralisée, qui serait prise en charge dabord par les maîtres de classe ? Par quels chemins ? Et quel serait le rôle des opérateurs de soutien dans ce processus ?
I. Léchec scolaire, une représentation fabriquée
Selon la définition quon donne de léchec scolaire, on se situe différemment sur léchiquier idéologique, politique, pédagogique. Entre fatalisme et utopie on sengage différemment dans laction. Je ne puis ici retracer dans le détail les étapes successives de la théorisation de léchec scolaire. Ce qui mimporte, cest plutôt de fixer quelques points de repère et de prévenir un certain nombre de confusions. Contrairement aux habitudes, je ne commencerai pas par discuter des causes, par exemple du poids respectif de linné et de lacquis, ou de lélève et de lécole, dans la genèse des inégalités de réussite scolaire. Parce que ce débat escamote une étape essentielle, la clarification de la construction de ces inégalités par le système scolaire et ses procédures dévaluation.
Des inégalités de capital culturel aux hiérarchies dexcellence
Tous les individus qui coexistent dans une société, enfants comme adultes, naffrontent pas les situations de la vie, quelles soient banales ou extraordinaires, avec les mêmes moyens intellectuels et culturels, au sens le plus général de ces termes. Cette inégalité existe partout, même dans les sociétés sans école. Dans les premières sociétés humaines, il y avait déjà des gens qui connaissaient mieux le terrain, qui avaient de meilleures stratégies, qui comprenaient mieux les lois de la nature, qui étaient donc au départ de meilleurs chasseurs, de meilleurs éleveurs, de meilleurs guerriers, de meilleurs organisateurs de la vie sociale. Tous ne pouvaient donc prétendre exercer le pouvoir, prévoir lavenir, soigner les maladies ou intercéder auprès des dieux avec le même bonheur.
Présentes dans toute société, les inégalités de capital culturel se présentent dabord comme dinégales capacités daction, manifestant un pouvoir inégal sur les choses, les hommes et les idées. Cependant, dans la mesure où les êtres humains sont capables dévaluer le capital culturel dun individu, les inégalités réelles se doublent très vite de hiérarchies dexcellence, de classements. Autrement dit de représentations plus ou moins partagées de la dotation de chacun, donc de sa " valeur ". Même dans une société sans écriture et sans école, lobservateur se heurte aux représentations diffuses des compétences et à des classements. Linégalité de capital culturel est toujours partiellement pensée, affirmée ou niée, critiquée ou justifiée, expliquée ou commentée par les intéressés.
Dans notre société, il appartient à lécole non seulement de transmettre une partie du capital culturel, mais dévaluer sa maîtrise. Les hiérarchies dexcellence scolaire ont désormais un tel poids que nous ne savons plus penser les différences et les inégalités culturelles en tant que telles, indépendamment des jugements de lécole et des diplômes quelle décerne.
Pourtant, les inégalités de capital culturel ne sont jamais réductibles aux hiérarchies dexcellence scolaire. Cela ne veut pas dire que la façon dont lécole définit les bons et les mauvais élèves est sans rapport aucun avec ce que les uns et les autres savent " vraiment ". Mais que nous avons intérêt, tant pour réfléchir que pour agir, à dissocier les deux plans, à considérer quil y a dans les sociétés scolarisées, notamment entre les enfants et les adolescents :
Dans une société sans école, il y a des inégalités réelles et des hiérarchies dexcellence, des réussites et des échecs de tous genres, mais il ny a pas déchec scolaire. Léchec scolaire, comme son nom lindique, nexiste que parce que parce quil a été déclaré par linstitution du même nom. Chacun peut avoir un sentiment déchec personnel lorsquil narrive pas à ses fins, par exemple lorsquil ne parvient pas, en dépit de ses efforts, à apprendre ou comprendre quelque chose. Mais ce sentiment déchec nest, à lécole, que lintériorisation dun jugement du maître et plus globalement de linstitution scolaire. Ce jugement est constitutif de léchec : lécole évalue ses élèves et conclut que certains sont suffisants, dautres non. Que ce jugement soit ou non relayé par la famille, pris ou non à son compte par lintéressé, fondé ou non sur de réelles inégalités, tout cela nenlève rien à sa réalité institutionnelle !
Ignorer ou dramatiser les inégalités réelles
Parfois lécole fabrique de linégalité à partir de presque rien. Par exemple lorsquelle transpose imprudemment aux épreuves scolaires, notamment aux épreuves standardisées, certaines techniques psychométriques. Dun bon test daptitudes par exemple, on attend quil différencie au maximum les " sujets ". Cest pourquoi, dans sa mise au point, on élimine les questions auxquelles personne ne sait répondre, de même que les questions trop faciles ; on retient les " items discriminants ". Ce qui se justifie si lon veut disposer dun instrument qui permette de classer tout le monde. Or lécole, sous couvert de modernité, tend à adopter ce modèle : on attribue des points aux diverses parties dune épreuve écrite, on calcule le total des points de chacun, on établit la courbe de Gauss ou un histogramme qui sen approche pour lensemble des élèves dun degré, voire dune classe. Il ny a plus quà faire correspondre léchelle des notes à léventail des scores, de sorte à attribuer la meilleure note au score le plus élevé, la plus mauvaise au plus faible. Et le tout est joué : on a fabriqué de bons et des mauvais élèves par la magie dun barème. Peu importe alors que, du point de vue des compétences réelles, la distance entre ces élèves se compte en années-lumière ou quils se situent au contraire dans " un mouchoir de poche ". Avec des items suffisamment discriminants, on produira toujours un large éventail de scores, donc un classement. Il suffit, intuitivement ou scientifiquement, de fixer un seuil pour quémergent de bons et de mauvais élèves !
Même si les écarts réels sont importants, rien ne dit quils portent sur des maîtrises essentielles, ni quils vont se stabiliser ou saccroître. Lorsquon sintéresse à léchec scolaire, il faut constamment mettre en doute le caractère décisif et inéluctable des hiérarchies formelles que lévaluation scolaire fabrique. Rien ne garantit a priori que ces hiérarchies recouvrent des inégalités réelles aussi affirmées et définitives et que ces inégalités auraient de dramatiques conséquences si lécole les ignorait.
Certaines inégalités culturelles ont cours dans des domaines que lécole ignore complètement : certains sports, certaines formes de musique ou de loisirs ; et, assez globalement, ce qui touche à la vie pratique : argent, ménage, cuisine, santé, art de vivre, connaissance des drogues, expérience sexuelle, conversation, sociabilité, leadership, sens de lorientation, art de négocier, de jouer un rôle, de conduire des stratégies, capacité de se débrouiller dans la ville ; ces savoirs et savoir-faire, très importants dès lenfance et ladolescence, ont très peu de place dans les programmes, sinon dans lévaluation scolaire.
À lautre extrême, certaines inégalités réelles coïncident fortement avec les savoirs et savoir-faire que lécole valorise : lire, écrire, compter, bien sûr, mais aussi maîtriser certaines langues étrangères, certaines connaissances scientifiques ou techniques, ou encore diverses " qualités " : politesse, autonomie bien tempérée, capacité dorganiser son travail et de sintégrer à un groupe
Dun point de vue anthropologique, toutes les inégalités de capital culturel importent, que lécole les sanctionne ou les ignore. Il faut certes expliquer pourquoi certains savoirs sont scolarisés et dautres non, pourquoi certaines inégalités donnent lieu à des hiérarchies formelles, dautres non. Mais cela ne dispense pas détudier leurs effets directs. Et, là où il y a cumul deffets directs et indirects, de maintenir une distinction analytique entre lincidence des inégalités réelles de capital culturel et celle des hiérarchies dexcellence scolaire. Savoir ou ne pas savoir lire nest pas sans effet dans la vie quotidienne dun enfant de sept ans, mais cette inégalité est sans commune mesure avec le poids des hiérarchies dexcellence scolaire dans ce domaine, qui commandent une sélection féroce. À linverse, durant ladolescence et à lâge adulte, lécole névalue plus guère le savoir-lire en tant que tel, alors que linégale maîtrise de la lecture a des conséquences pratiques considérables. Dans une ville comme Paris, ne pas savoir lire condamne à ruser pour prendre le métro, à se faire assister pour obtenir le moindre renseignement ou pour faire les démarches administratives les plus simples, sans parler de laccès à linformation (politique, économique, juridique, sanitaire, etc.), aux technologies nouvelles, aux biens culturels, à la formation, aux emplois qui exigent la maîtrise de lécrit. On parle beaucoup aujourdhui de lanalphabétisme fonctionnel, on sait que beaucoup de gens sont handicapés dans leur vie quotidienne, faute de savoir lire un journal, un plan, un règlement, un contrat, faute aussi doser avouer quils ne savent pas.
Lincidence des inégalités réelles nest pas uniforme : dans une zone plus rurale, la relation entre les gens est plus orale, il ny a pas de panneaux partout, on ne communique pas par circulaires : on se débrouille donc un peu plus facilement quen ville si on ne sait pas lire. Dans une société du Tiers Monde, où une minorité des enfants achèvent le cycle détude primaire, la norme est de ne pas savoir lire On voit bien que les mêmes inégalités " objectives " nont pas du tout les mêmes conséquences selon lâge et les conditions de vie. La valeur des compétences sétablit sur un marché et en fonction dun type défini dorganisation sociale. Or, en dépit de cette diversité, toutes les écoles du monde construisent, dès sept ans, des hiérarchies dexcellence essentiellement fondées sur le savoir-lire.
De la même façon, dans la vie dun enfant de huit ans, la maîtrise de la soustraction (comme écriture symbolique) ne joue guère de rôle en dehors de lécole. Par contre, elle a des incidences évidentes sur ses pronostics de réussite scolaire, voire sur le redoublement du degré dans lequel la soustraction doit être " acquise ".
Souvent les hiérarchies formelles dexcellence scolaire ont des conséquences sans commune mesure avec lincidence pratique des inégalités réelles sous-jacentes ; lécole a le pouvoir de montrer ou dignorer ces inégalités, de les dramatiser ou de les banaliser, den faire des critères déchec ou de ne pas sen servir.
Pour toutes ces raisons, expliquer léchec scolaire, ce nest pas seulement expliquer pourquoi le petit Paul sait lire et pourquoi le petit Jean ne sait pas ; cest aussi analyser les politiques scolaires, les choix de curriculum, les fonctionnements didactiques et les mécanismes dévaluation qui font de ces inégalités bien réelles des critères décisifs de réussite ou déchec, alors que des inégalités aussi massives (en dessin ou en musique par exemple), nont guère de conséquences.
Selon le moment où lécole saisit certaines " insuffisances ", elle les transforme parfois en drames, parfois en retards provisoires. Lorsquon réfléchit sur le soutien, il est très important de se souvenir que léchec scolaire est en partie lémanation dun système qui a " choisi " de dramatiser certaines inégalités à certains moments.
Bien entendu, ce nest pas seulement un problème dévaluation : les normes dexcellence sancrent dans le curriculum ; les maîtres évaluent ce quil importe de maîtriser à tel âge. Et ils ne sont pas seuls juges de cette importance, puisquils ont un programme à suivre. Si un maître primaire accorde plus dimportance au savoir lire plutôt quà lart de déchiffrer une partition musicale, ce nest pas de son propre fait. Lorganisation scolaire elle-même se conforme à une volonté politique, à des choix culturels. Mais ne négligeons pas la part dinterprétation : ainsi, dans nombre de classes, on évalue encore le savoir-lire à travers la lecture à haute voix ; or cette forme dexcellence a cours dans lécole avant tout : ce nest pas une exigence du système politique. Lécole nest évidemment pas libre dévaluer nimporte quoi, mais elle jouit dune certaine autonomie dans la mise en uvre des objectifs et lévaluation des acquis. Ainsi certains maîtres et certains établissements sen tiennent-ils aux acquis de base du degré concerné, alors que dans dautres écoles ou dautres classes, on met un point dhonneur à " charger le bateau ", à compliquer, à anticiper sur le programme des années suivantes. En Belgique, dans les écoles primaires, cest le maître de classe qui compose un examen de fin dannée. Aletta Grisay a recueilli plusieurs centaines dexamens de première année et autant de deuxième et a montré quune bonne partie des maîtres anticipaient sur le programme des degrés suivants et donc fabriquaient de léchec à partir dexigences que nul ne leur avait imposées. En lecture, certains évaluaient sur la base de textes de 4 lignes ne comportant que des mots très simples, dautres exigeaient la compréhension dun texte dune page entière avec des mots très compliqués.
On voit que léchec se joue dans la définition du niveau dexigence, mais aussi du type de maîtrise. Il a y des maîtres qui considèrent quun enfant de dix ans, sil arrive à écrire un texte simple, à peu près lisible, avec quelques idées organisées, fait son métier délève de dix ans. Dautres assimilent le savoir-écrire à la maîtrise de la dissertation. Dans la définition des formes dexcellence, lécole, les établissements et finalement les maîtres ont une part dautonomie, et donc une responsabilité dans la fabrication de léchec scolaire.
Il reste à dire que les conséquences des hiérarchies formelles ne sont pas les mêmes selon les systèmes scolaires, parfois selon les établissement. Il y a des systèmes où ne pas savoir lire à six ans indique quon est sur le point de rater sa carrière scolaire et, pourquoi pas, sa vie ! Dans certains pays, un cinquième ou un quart des enfants de six-sept ans redoublent parce quils ne savent pas lire à la fin de la première année de scolarité obligatoire. Dans dautres systèmes, le redoublement nexiste pas, ou il est de lordre de 2 à 5 % ; on considère quun enfant peut encore apprendre à lire au-delà de sept ans, sans cesser dapprendre autre chose pour autant.
Une cuisine bien artisanale
À cela sajoutent les déformations et les erreurs qui caractérisent la fabrication des hiérarchies dexcellence scolaire et des jugements de réussite ou déchec. On sait que lévaluation scolaire est une pratique assez artisanale, qui comporte beaucoup daléas, de biais systématiques ou accidentels. Il y a parfois corruption, iniquité délibérée, transaction peu avouable ; dans certains systèmes, on peut obtenir un doctorat ou un diplôme en payant ; lévaluation se marchande comme nimporte quel avantage. Mais ce nest pas lessentiel. Dans les sociétés où lécole est devenue une institution respectable, en Suisse par exemple, la plupart des biais et des erreurs ne sont pas volontaires. Beaucoup dinjustices tiennent simplement à la diversité des critères et des méthodes dévaluation des professeurs, au fait que chacun évalue en fonction des élèves quil a ou quil a eus, de ceux des classes parallèles, des attentes des collègues, de la direction, des parents
Pourquoi, à la même dictée et au même âge, obtient-on ici un zéro pour dix erreurs et là pour trois erreurs seulement ? Entre celui qui a fait dix erreurs dans une dictée et reçoit un zéro, et celui qui na commis aucune erreur, quelle est la différence réelle de compétence orthographique ? Quest-ce que dix erreurs décart par rapport à ce que tous les élèves savent, par rapport aux cent erreurs que chacun a évitées et qui passent donc inaperçues ? Pourtant, ce sont ces dix erreurs qui feront la différence entre bons et mauvais élèves et décideront parfois de leur avenir.
La " cuisine " de lévaluation est une cuisine très locale ; même lorsque les systèmes scolaires instituent des examens standardisés, ce ne sont jamais que des correctifs : on " modère " (cest le terme technique) les fluctuations de la notation, à compétences égales, entre les maîtres et les établissements, on ramène à la moyenne, on élimine les jugements extrêmes comme on le fait en patinage artistique. Ces procédures, là où elles existent, montrent bien que lévaluation tend à engendrer des inégalités de son propre cru, quelle produit des hiérarchies qui ne traduisent que très approximativement les inégalités réelles.
Lévaluation nage souvent en plein arbitraire : qui saurait dire exactement ce quon évalue dans les classes ? Qui décide de la pondération des disciplines et à lintérieur de chacun des savoir-faire et des notions ?
Lévaluation est une approximation faite non seulement derreurs de mesure, mais de biais systématiques. On sait bien par exemple que dans un examen universitaire oral, on ne juge pas les connaissances solides dun étudiant, mais plutôt sa capacité à faire illusion un quart dheure, à se débrouiller dans une situation de ce type. Ce nest pas un savoir socialement partagé, et linstitution lévalue sans lenseigner ! À lécole primaire, lévaluation est plus continue, mais elle avantage néanmoins les élèves qui savent mettre en scène et en valeur leurs compétences, qui entrent dans le jeu des enseignants. Le fait que lévaluation passe par le langage, dans presque toutes les disciplines, favorise évidemment tous ceux qui ont des compétences de communication.
On nen finirait pas dinventorier les sources derreur et de biais. Mais ce nest pas ici mon propos principal. Car, même à supposer que lévaluation scolaire soit un reflet absolument fidèle et standardisé des compétences réelles des élèves, elle resterait un jugement fabriqué par lécole. Même entièrement " fondée " et équitable, elle ferait exister les inégalités comme réalité symbolique. Même lorsquelle rend compte dinégalités réelles et importantes, lévaluation en donne une représentation sociale, qui est renvoyée aux élèves et à leurs familles, mais qui circule aussi dans létablissement, qui détermine des pronostics sur la suite de la scolarité, qui commande parfois des mesures de soutien, des prises en charge médico-pédagogiques, des décision de sélection ou dorientation.
Lélève désigné
Ces mécanismes-là, direz-vous peut-être, ne concernent pas directement les enseignants de soutien, parce quils ne pratiquent pas cette forme dévaluation. Mais comment oublier que les élèves en difficulté, en échec effectif ou potentiel, cest à dire ceux quon envoie en soutien, ont été désignés par ces procédures dévaluation, et quils ne sont en échec que par rapport à un programme, à des formes dexcellence, à des niveaux dexigence variables non seulement dans lhistoire et dune société à lautre, mais dune classe à lautre au sein du même système et dans le cadre du même curriculum formel.
Aucun maître de soutien ne devrait oublier quune partie des échecs quon lui signale révèlent les absurdités et les incohérences de lévaluation ou du programme davantage que de réelles difficultés dapprentissage. Sans parler des stratégies dexclusion qui ne tiennent pas vraiment aux compétences des élèves, mais à leur comportement, au fait quils ne jouent pas le jeu du savoir ou sopposent à lautorité et aux vues du maître de classe. Ou encore aux politiques sélectives de certains établissements ou du système scolaire dans son ensemble.
La sociologie de la déviance a montré maintes fois que les mécanismes sociaux de renvoi à une instance de répression ou de traitement sont peu fiables, quils défèrent à la justice, à la médecine ou aux services sociaux des personnes qui nen relèvent pas, et inversement. Cela reste vrai du signalement médico-pédagogique et de lenvoi en soutien. Il faut donc vérifier les " diagnostics ", mettre a priori en doute la réalité et la gravité dun échec déclaré. Se garder donc daccepter facilement tous les " clients " potentiels en prenant au pied de la lettre ce quen disent les titulaires de classe. Il faut donc résister à la tentation de fermer les yeux, soit pour ne pas ouvrir un conflit avec dautres adultes, soit pour justifier sa place et son emploi dans lécole.
Je ne dis pas que les hiérarchies sont fabriquées de toute pièce, je dis que leur fabrication contient un certain degré darbitraire, que les différents systèmes scolaires névaluent pas de la même façon et que, si on lutte contre léchec scolaire, cest sûrement une des variables changeables auxquelles il faut réfléchir. Sous cet angle, il est sûr que le passage dune évaluation très sommative et normative à une évaluation plus formative ou par objectifs de maîtrise produit dautres images de linégalité.
Mais là nest pas le principal. Lanalyse qui précède doit être prolongée. Pour expliquer léchec scolaire, il ne suffit pas de faire la part de la fabrication des hiérarchies formelles et de mettre en question leur rapport aux inégalités réelles. Il faut encore rendre compte de ces dernières, qui sont indéniables.
Pendant des lustres, on a tenté dexpliquer léchec scolaire abstraction faite des contenus de lenseignement et de la nature des normes dexcellence et des procédures dévaluation. Mais surtout, cest la pédagogie même quon a mise entre parenthèses.
Léchec comme manifestation dun manque
Longtemps, on a cherché lexplication de léchec scolaire du côté de lélève ou de sa famille. Dans ce registre, on a passé progressivement dune explication par les aptitudes ou le don à une explication par le milieu culturel familial environnant. On a admis que les ressources que lélève mobilise à lécole ne sont pas uniquement lexpression dun patrimoine génétique, mais quil faut faire la part de lhéritage culturel.
Michel Schiff (1982) a publié une passionnante recherche sur le développement intellectuel et la réussite scolaire denfants issus du milieu ouvrier mais adoptés par des familles de cadres. Il a montré que ces enfants, du point de vue du développement de lintelligence et de la réussite scolaire, étaient tout à fait comparables aux enfants " biologiques " des cadres. Ce livre, " Lintelligence gaspillée ", montre une nouvelle fois le poids déterminant de lacquis. Ce nest certes pas superflu en un temps où lidéologie du don reste vivace. Reconnaissons toutefois que cest un domaine fort complexe, quon ne sait pas vraiment quel est le poids exact de lenvironnement par rapport à des déterminations plus génétiques, ni quelles sont les interactions. On sait peut-être simplement que calculer les pourcentages dus à lun ou à lautre est une absurdité, Albert Jacquard (1978) le dit avec force
Du côté de lenvironnement, il faut aussi sortir des représentations simplistes et mécanistes : la condition sociale de la famille joue certes un rôle très important, toutes les statistiques le démontrent. Mais il faut dépasser les modèles matérialistes du milieu social : létendue de la bibliothèque familiale compte moins que le style déducation, le climat, la densité des interactions, le rapport au jeu, à la norme, à la réalité, lusage du langage. Par ailleurs, le milieu ne se réduit pas à une condition de classe : chaque famille a sa propre culture, son propre paradigme (Montandon, 1987, Troutot & Montandon, 1988) ; et elle construit son fonctionnement non seulement en fonction de sa position dans la hiérarchie sociale, mais de ses affiliations à dautres communautés, ethniques, confessionnelles, politiques, locales.
On pourrait nuancer à linfini la théorie du patrimoine génétique et la théorie du milieu culturel, les opposer ou tenter de les articuler. Jinsisterai ici sur ce quelles ont souvent de commun : elles partent du postulat quen raison dune diversité des patrimoines (génétiques ou culturels), il manque quelque chose à certains élèves pour réussir à lécole : QI insuffisant ou héritage culturel trop " pauvre ", développement trop lent ou langage trop rudimentaire, manque de motivation ou refus de la scolarisation. Ces manques, ces absences " expliqueraient " les retards et les échecs scolaires.
En suivant ce modèle, on a dit et on dit encore volontiers que les enfants des classes populaires ne réussissent pas à lécole parce quils ne sont pas motivés, parce que leurs parents narrivent pas à les aider, parce que leur logement est petit, parce que le langage familial est fruste, parce que le capital culturel de la famille est bas, parce que les enfants ne sont pas dociles à lécole
Tout cela nest certes pas du même ordre. Mais dans tous les cas, on suggère quen fin de compte, dans labsolu ou en regard dune norme scolaire particulière, quelque chose fait défaut à lélève et sa famille. La sociologie de léducation a il est vrai contribué assez vite à enrichir, à diversifier, à relativiser cette explication " en creux ". Elle a souligné que le " handicap socioculturel " nest pas absolu, quil ne traduit pas une hiérarchie naturelle, mais linégale distance à une culture scolaire imposée par certaines classes sociales à lensemble de la population. Mais le pas décisif est dune autre nature : il consiste à montrer que les différences et les inégalités biologiques, psychologiques, économiques, sociales, culturelles ne se transforment en inégalités dapprentissage et de réussite scolaire quen " vertu " dun fonctionnement particulier du système denseignement.
Lindifférence aux différences
Dès 1966, Pierre Bourdieu analysait le rôle de " lindifférence aux différences " dans la genèse des inégalités de réussite scolaire. Il montrait que la logique de lécole consiste à traiter les élèves de même âge comme " égaux en droit et en devoirs " ; aujourdhui encore, après plus de vingt ans de débat sur la différenciation possible et souhaitable de lenseignement, la plupart des systèmes scolaires entretiennent encore la fiction selon laquelle, par exemple, tous les enfants de six ans admis en première année de lécole obligatoire sont également capables et désireux dapprendre à lire et à écrire en un an. Chacun sait que cest faux. Il nempêche que cette fiction reste au principe de la structure scolaire, du traitement des classes dâges, du découpage du programme en degrés. Au début de la scolarité obligatoire, les différences dâge sont les seules que lécole accepte de prendre en compte. Quà six ans, certains élèves puissent avoir un développement que dautres atteindront à huit-neuf ans et que dautres avaient atteint à quatre-cinq ans, on a voulu lignorer ou feindre de sen remettre aux dispenses dâge et au redoublement pour faire face à la formidable diversité des rythmes de développement. Ce ne serait pas déterminant si lâge ne commandait que le fait de la scolarisation. Mais il uniformise les contenus, les méthodes, les exigences, le contrat didactique.
Quant aux autres différences, elles sont soit traduites en termes de maturité, davance ou de retard de développement, soit prises en compte une fois quelles ont produit des échecs : par le biais du redoublement, lécole prétend rendre à chaque classe une homogénéité permettant denseigner à tous le même programme en une année scolaire.
Au-delà de lévaluation et du curriculum, cest lorganisation scolaire qui produit léchec scolaire massif. Certes, lécole ninvente pas les inégalités et les différences de tous ordres qui sétablissent entre enfants de même âge. Il lui suffit dignorer ou simplement de sous-estimer les différences, de construire la pédagogie et le cursus sur une fiction dhomogénéité pour que ces différences se transforment, en moins dun an, en réussite pour les uns, en échec pour les autres.
Benjamin Bloom propose daxer la lutte contre léchec scolaire sur les variables changeables. À moins duniformiser la société à la manière dAldous Huxley, il ny a pas de raison de penser que les enfants arriveront jamais à lécole avec les mêmes ressources, le même niveau de développement, les mêmes attitudes. Linégalité et la diversité sont des réalités ambiguës, gages de liberté autant que de domination. Mais elles sont là. Lécole doit faire avec. Elle peut en revanche remettre en question la façon dont elle prend en compte les différences et les inégalités dont elle hérite.
On a souvent, dans les cercles " progressistes ", le souci de parler denfants simplement " différents ", pour mieux accuser lécole de les rendre inégaux. Cette démarche, respectable, risque cependant de masquer la réalité. Quand un enfant est parvenu au stade des opérations formelles deux ans avant les autres, cest une inégalité de développement, pas une simple différence qualitative y compris en dehors de lécole. Cest un avantage dans des milliers de situations quotidiennes, cela donne une prise plus grande sur la réalité. Je ne dirai donc pas quavant la scolarisation, il ny a que des différences, que les inégalités nexistent que par leffet des hiérarchies formelles dexcellence scolaire. Il faut prendre au sérieux les inégalités réelles de développement et de capital culturel. Reste à comprendre comment inégalités et différences personnelles et culturelles se transforment en inégalités et en hiérarchies proprement scolaires.
Il y a différenciation et différenciation
À lécole primaire, lindifférence aux différences nest pas absolue. Le maître ne traite pas vraiment tous ses élèves comme égaux en droits et en devoirs. Il pratique, volontairement ou non, une certaine différenciation de lenseignement. Les élèves ne forment pas un vaste public auquel on sadresserait sans cesse globalement. Une partie des interactions didactiques se produisent entre le maître et certains élèves, voire un seul.
On parle généralement de la différenciation intentionnelle de laction pédagogique. Et on lui prête des mobiles nobles, en refusant denvisager quelle puisse être élitiste, privilégier délibérément les privilégiés, enfoncer plus encore les mauvais élèves. Dans le débat pédagogique, la différenciation est une valeur progressiste, on parle de discrimination positive, de soutien intégré, déducation compensatoire. Cest bien entendu la différenciation la plus avouable, celle quon peut revendiquer : a. parce quelle est délibérée, donc maîtrisée ; b. parce quelle prétend lutter contre léchec scolaire, ou du moins venir en aide aux enfants défavorisés.
On ne peut cependant décrire les pratiques pédagogiques effectives sans faire la part de la différenciation sauvage. Je parle ici dune différenciation qui nest pas consciente, pas maîtrisée, pas volontaire, qui naît simplement de la pression de la situation, de lurgence, du fait que dans aucune interaction sociale, nul ne peut traiter ses interlocuteurs exactement de la même façon. Dans la vie, on ne peut pas fonctionner sans différencier, mais cette différenciation nous échappe largement, elle se joue en partie au niveau inconscient, à travers des automatismes, au gré des circonstances ; il y a dans nombre dinterventions pédagogiques une part daléa, laction du maître est loin dêtre toujours programmée.
La différenciation involontaire peut avoir toutes sortes deffets par rapport à léchec scolaire. Parfois, spontanément, intuitivement, le maître sintéresse aux élèves qui ont le plus besoin de lui, même sils ne lappellent pas. Tout dépend de son caractère, de ses préférences. Il ne faut pas se cacher cependant que la différenciation sauvage peut accroître les écarts, contribuer à la fabrication des inégalités. Ainsi, dans une classe, quand il conduit une activité collective, le maître travaille-t-il de préférence avec les élèves qui posent des questions, se manifestent, laident à construire une " bonne leçon " ; avec ceux qui ne disent rien, il est difficile de créer une dynamique, un " dialogue socratique ", un climat de curiosité. Dautre part, dans les interactions plus individualisées, le maître est porté à réagir de façon positive avec les élèves les plus gratifiants, qui peuvent être les plus intelligents, les plus sympathiques, les plus beaux, les plus sages Cette différenciation là relève à la fois de la psychanalyse et de lanthropologie ; parce que la distance culturelle est moindre, lidentification plus facile, le contact plus stimulant, on peut être enclin à " favoriser les favorisés ". Travailler avec les élèves qui naiment pas lécole, qui refusent tout effort, qui ne jouent pas le jeu, voilà qui nest pas très gratifiant. Ainsi, lintervention auprès dun élève en difficulté peut-elle être vécue comme une expérience difficile, une relation conflictuelle, une entreprise incertaine. Le maître peut avoir limpression de travailler pour rien, de " se heurter à un mur ", de " tirer un poids mort ". Quand on est enseignant de soutien, on a choisi et on assume la part ingrate du travail avec de mauvais élèves. Quand on est maître de classe, il y a mille autres choses à faire.
En résumé, il faut nuancer la théorie de lindifférence aux différences ; il y a différenciation, en tout cas dans lenseignement obligatoire. Mais rien nassure que cette différenciation contribue à la lutte contre léchec scolaire. Elle na parfois pas deffet discernable, parce quelle obéit, consciemment ou non, à dautres critères. Parfois, en général involontairement, elle accroît les inégalités. Enfin, même lorsquil y a discrimination positive, tentative de favoriser les défavorisés, la différenciation est le plus souvent dérisoire en regard de la nature et de lampleur des différences entre élèves.
Le soutien, une différenciation instituée
Cest dailleurs une des raisons de lémergence du soutien. Au vu de limpuissance des maîtres de classe, on a dans un premier temps pensé quil fallait que la différenciation soit confiée à des intervenants spécialisés. Il est vrai que la plupart des maîtres de classes ne savent pas et ne peuvent pas, dans létat actuel des programmes et de lorganisation du cursus, gérer des différences aussi massives que celles quon trouve dans des classes hétérogènes. La différenciation que pratiquent les maîtres les plus engagés dans la lutte contre léchec ressemble souvent une goutte deau dans la mer. Et ils le savent. Lorsquil sarrache à un élève pour courir en aider un autre, le maître soucieux de différenciation se trouve dans la situation du pompier qui na quune seule voiture pour lutter contre douze incendies dispersés aux quatre coins de la ville ! Le problème de la différenciation, cest en partie le problème du partage du temps, de la gestion rationnelle des ressources.
Même lorsquil pratique une pédagogie aussi différenciée que possible, le maître de classe est souvent en deçà de ce quil voudrait faire. Même dans les classes où la différenciation de lenseignement et le soutien sont devenus non seulement des mots dordre, mais des réalités, le traitement " égalitariste " reste en dessous des besoins. En fait, lécole reste impuissante devant léchec scolaire aussi longtemps que la différenciation nest pas à la mesure des différences, et cela dès le début de lenseignement primaire. Contrairement à ce quon espère parfois, le temps ne suffit pas à homogénéiser les élèves ; sans doute certaines différences initiales samenuisent-elles ; mais dautres se maintiennent ou surgissent au fil des années ; et surtout, aux différences dorigine extrascolaire sajoutent, dannée en année, des inégalités de maîtrise du curriculum des degrés antérieurs, qui commandent à leur tour de nouvelles inégalités dapprentissage.
Lorsquon progresse dans le cursus, léventail des différences paraît de moins en moins gérable en classe " homogène ", précisément parce quen dépit de redoublements parfois massifs, cette homogénéité est de plus en plus fictive. Cest dailleurs une des raisons pour lesquelles, dans beaucoup de systèmes, on pense quà dix ou douze ans, il est temps dorienter ou de sélectionner. Les systèmes décole unique ou, de façon plus limitée, les systèmes à niveaux et options, montrent quon peut enseigner en classes très hétérogènes jusquà la fin de la scolarité obligatoire, à condition dadapter la pédagogie et la formation des maîtres à la situation. Mais à ce stade, il ne sagit plus vraiment de lutter contre léchec par une différenciation constante de lenseignement. La question est plutôt de savoir si lon veut ouvertement prendre son parti des inégalités accumulées ou tenter encore de laisser quelques portes ouvertes On le voit, le traitement des différences nest pas, nest plus, une pratique inconsciente. Tant les débats sur les classes hétérogènes à lécole moyenne que sur les diverses formes dindividualisation et de soutien indiquent que lécole construit désormais une représentation de son fonctionnement en rapport avec les inégalités et léchec scolaire.
Cest pourquoi, aujourdhui, expliquer léchec scolaire nest plus un travail solitaire sans incidences sur le système. Les sciences de léducation, la sociologie, les sciences humaines renvoient à lécole une image de son fonctionnement. Les théories du handicap culturel, les plaidoyers pour la différenciation ont eu des effets, lécole sest emparée peu à peu de ces idées et les met partiellement en pratique, par exemple en développant le soutien.
En pédagogie, les idées, justes ou fausses, transforment la réalité, non seulement dans les esprits, mais dans les classes. Ne serait-ce que parce quelle font paraître léchec fatal ou non, légalité relative des acquis scolaire possible ou impossible. Ce qui introduit à mon troisième chapitre.
Dune certaine manière, surtout si on est engagé dans la lutte contre léchec scolaire, on ne mesure pas à quel point cette préoccupation est moderne. Il faut dater de laprès-guerre, des années 1950, lémergence du thème de léchec scolaire comme problème de société (Isambert-Jamati, 1985).
Cela ne veut pas dire quil ny avait pas déchecs scolaires auparavant. Mais ils ne suscitaient guère dindignation, on nen parlait pas comme dun phénomène anormal, appelant une action.
Linvention de linégalité des chances
Au début du siècle, on sintéressait aux enfants scolairement inadaptés, aux " débiles ". Binet et Simon ont " inventé " à cette occasion les " tests dintelligence ", en fait dadaptation scolaire. Ce qui était en cause, ne nétait ni léchec, ni lécole, mais la place à faire, dans le système, aux enfants qui posaient des problèmes dintégration, de développement intellectuel, de discipline, de rythme de travail.
Linégalité, qui était alors dans lordre des choses, se jouait encore largement en amont du système scolaire : au siècle dernier et au début du XXe siècle encore, les enfants de la bourgeoisie entraient à six-sept ans dans les petites classes des lycées, promis déjà aux études longues, alors que les autres enfants entraient à lécole primaire pour en sortir au mieux vers onze ou treize ans, nantis dune instruction élémentaire. Baudelot et Establet (1971) ont montré que ces deux réseaux de scolarisation ont subsisté au-delà de la création dun tronc commun, du moins si lon analyse les carrières les plus probables des enfants des classes privilégiées dun côté, des classes populaires de lautre (probabilité de redoublement, orientation à lissue du tronc commun). Mais au début du siècle et parfois jusquau années 1930, voire plus tard, nombre de systèmes scolaires séparaient ces réseaux explicitement dès le début de la scolarité obligatoire. Le recrutement initial était déterminé par lappartenance à une classe sociale. Dans une telle structure, les hiérarchies dexcellence stricto sensu étaient internes soit à la filière longue, soit à lécole primaire populaire ; entre les filières sétablissait une hiérarchie culturelle et sociale globale qui rejaillissait bien sûr sur les élèves des unes et des autres, mais sans quils soient confrontés aux mêmes normes et aux mêmes évaluations.
Linégalité de réussite scolaire, telle que nous la connaissons aujourdhui, naît au contraire de la compétition, dès six-sept ans, à lintérieur des mêmes établissements et des mêmes classes, denfants de toutes les origines sociales. Structurellement, cette forme dinégalité est un phénomène récent. Son importance sociale ne sest en outre pas affirmée demblée : il a fallu prendre conscience du poids de la réussite et des diplômes, non seulement pour ceux qui se destinent aux emplois intellectuels, mais pour presque tout le monde. Dès le moment où les savoirs et les diplômes sont devenus des enjeux à léchelle de générations entières, il est apparut " anormal ", " injuste " que certains échouent à lécole alors que dautres réussissent, et plus injuste encore que cette inégalité des chances soit fortement liée à lappartenance à une classe sociale, à un groupe ethnique ou à une région.
Lexigence dégalité devant lécole est une idée encore neuve. La Révolution affirmait le droit de tous à linstruction, mais nul ne songeait alors à donner à tous la même instruction et les mêmes chances. Garante de la liberté individuelle, de la raison, de la démocratie, linstruction nétait pas au XIXe siècle une ressource mise au service dune carrière, comme elle lest devenue pour pratiquement tous les parents aujourdhui.
Cette exigence dégalité ne cesse en réalité dévoluer. Il fut un temps où le grand défi des sociétés était de scolariser tout le monde. Aujourdhui, parce que cette exigence est grosso modo satisfaite dans les pays développés, et parce que les représentations du savoir et de ses fonctions ont changé, on ne se contente plus du droit daller à lécole. On revendique le droit pour tous dy apprendre, et dy apprendre plus quà lire, écrire, compter. En France, on vise 80 % de bacheliers, ce qui nest pas absurde, puisque la moitié dune classe dâge y atteint dès aujourdhui ce niveau détudes.
Linégalité devant lécole, statistiquement, était plus massive au XIXe siècle et au début du XXe que maintenant. En France, moins de 5 % dune génération fréquentait le lycée en 1900 (Isambert-Jamati, 1990). La démocratisation de fait, au sens large, a spectaculairement progressé. Mais ce nest pas, cependant, une évolution automatique et linéaire dans toutes les sociétés. Parce que toutes nont pas les mêmes raisons de favoriser le développement et la démocratisation de linstruction.
Trois conditions pour que linégalité soit problématique
Pour que linégalité devant lécole fasse problème, à léchelle dune société, il faut que trois conditions au moins soient réunies.
La première, cest quil y ait un minimum de statistiques, de données, de transparence. Il ne suffit pas que quelques uns sachent intuitivement quil y a inégalité devant lécole pour quune société se mobilise. Il faut quune partie des maîtres, des parents, de la classe politique, de lopinion publique en prennent conscience. Il y a encore des cantons, en Suisse, où on ne sait pas grand-chose de linégalité devant lécole. Dans une telle situation, on peut prétendre nimporte quoi avec la même bonne foi apparente : lampleur, voire lexistence même des inégalités devant lécole est une question dopinion. Les conservateurs, qui sappliquent évidemment à maintenir le black-out, ont beau jeu de dire que tout va bien. À linverse, les systèmes qui se sont donnés les moyens de savoir doivent adopter une politique plus active ou assumer ouvertement linégalité. Dans le canton de Genève par exemple, depuis plus de 25 ans, grâce aux statistiques et aux enquêtes du Service de la recherche sociologique, on sait assez précisément lampleur des échecs et de linégalité sociale devant lécole. Nul ne peut ignorer que les taux de redoublement et lorientation au début du secondaire varient fortement en fonction de la classe sociale. La prise de conscience publique exige évidemment une volonté politique. Une fois devenue irréversible, elle la renforce.
Deuxième condition : il faut que suffisamment de gens pensent que linégalité et léchec ne sont pas des fatalités. Chacun peut reconnaître par exemple que les êtres humains ne sont pas égaux devant la maladie ; mais certains ajouteront aussitôt " Cest dommage, mais enfin, on ny peut rien ! " Tant quune inégalité semble sinscrire dans lordre des choses, il ny a pas lieu de se mobiliser. Pour que lexigence dégalité inspire des politiques de léducation, il faut quune partie de la société - qui ne saurait se limiter à quelques spécialistes ou à quelques militants -, soit acquise à lidée que léchec et les inégalités dépendent des institutions, des programmes, des pédagogies. On considère alors non seulement que linégalité existe, mais quelle est évitable à certaines conditions. Cest ce quaffirme le canton de Genève lorsquil inscrit dans sa loi sur linstruction publique " Lécole doit, dès les premiers degrés, tendre à corriger les inégalités de réussite scolaire ".
Troisième condition : il ne suffit pas daffirmer que les inégalités sont à la fois réelles et - au moins en partie - évitables. Il faut encore considérer quelles ne sont pas acceptables. Pendant longtemps, le fait quil y ait des gens instruits et dautres ignorants na rien eu de révoltant. Avant la Révolution française et même tout au long du XVIIIe siècle, même ceux qui passaient pour des libéraux ou des gens éclairés nimaginaient pas une société où tout le monde serait instruit. Il paraissait tout à fait naturel que le 90 % de la population en sache juste assez pour lire la Bible (en pays protestant), se débrouiller dans le travail manuel, voter.
Quil soit choquant, scandaleux, injuste que certains soient plus instruits que dautres, est une idée récente, loin dêtre unanimement partagée aujourdhui encore. On peut rencontrer nimporte où des gens qui disent " Où est le problème ? Effectivement, il y a de bons et de mauvais élèves, donc des adultes instruits et dautres moins. Et alors ? Cest la vie ! " Pour quune société, dans sa majorité, estime léchec scolaire et linégalité devant lécole font problème, il faut quy soient à luvre des idéologies, des mouvements sociaux, des forces politiques qui sindignent, qui affirment que linégalité déducation nest pas tolérable, parce quelle nest pas conforme aux droits de lhomme, au principe dégalité devant la loi, aux idéaux démocratiques. Tout cela sur fond de compétition économique, de modernisation, de développement scientifique et technique, de relève des cadres. La démocratisation massive de lenseignement se situe généralement au confluent didéologies généreuses et de politiques réalistes (Perrenoud, 1978, Hutmacher, 1982, 1985, 1987).
Des dynamiques fragiles, internes à chaque société
Les conditions historiques particulières qui rendent le débat possible ne sont pas réunies partout, même en Europe. En Suisse, il subsiste entre les cantons de fortes différences dans la façon dont le problème de linégalité devant lécole est posé. Lampleur des pédagogies de soutien en est un bon analyseur. Il y a des cantons où le soutien pédagogique nexiste pas, où on nen parle pas, où on sait à peine de quoi il sagit. Dans dautres, cest une institution assez récente, dans les textes ou dans les pratiques. Dans le canton de Vaud, depuis les années septante, une loi cantonale donnait aux communes des ressources pour mettre des maîtres dappui à disposition des écoles primaires. Pendant dix ans, personne na utilisé ces ressources. Et puis, on a découvert, à la faveur du débat sur la réforme scolaire adoptée en 1984, quaprès tout lappui était nécessaire, quil ne concernait pas seulement les enfants handicapés, mais toutes sortes denfants. Pendant dix ans, la loi était en avance sur lexigence dégalité de la majorité des acteurs du terrain Ce qui montre que tout ne joue pas au niveau politique, que la politique de léducation traduit les aspirations des familles, des maîtres, des employeurs. Aussi longtemps que léchec scolaire nétait pas un problème de société, les communes vaudoises trouvaient sans doute superflu, voire choquant, quon dépense de largent pour payer des maîtres de soutien, alors que tout allait bien Le fait quil y ait des échecs nétait pas un indice de dysfonctionnement : lécole était lécole, celle que les adultes avaient connue, avec son lot dinégalités (Gilliéron, 1988).
Il faut le savoir : ce quon appelle en jargon sociologique " la problématisation dun phénomène de société " (drogue, avortement, nucléaire) nest jamais dictée seulement par lampleur et la gravité " objectives " du phénomène (Perrenoud, 1986). Il faut que des gens surgissent sur la scène sociale pour dire " Il y a un problème, ce nest pas normal, il faut que lÉtat, que la loi " La prise de conscience dune réalité et limpression quelle fait problème sont des représentations fragiles, qui ne font jamais lobjet dun consensus absolu et définitif. Il y a toujours des gens qui, dans leur for intérieur ou même ouvertement, disent : " On fait beaucoup de bruit, on dépense beaucoup dargent pour rien À quoi servent tous les milliards engloutis dans léducation ? " Le " processus de problématisation " peut régresser ou progresser, en fonction de rapports de force politiques et culturels.
Les opérateurs du soutien, quils le veuillent ou non, sont au coeur de ces rapports de force, parce quils incarnent la réalité du problème, parce que leur métier est de dire " Il y a quelque chose à faire, il faut le faire ". Ils ont parfois (souvent ?) en face deux des inspecteurs, des enseignants, des parents qui nen sont pas convaincus et qui se demandent, sans oser peut-être lexprimer, sil est bien nécessaire de payer des gens pour lutter contre quelque chose daussi naturel et inéluctable que léchec scolaire.
À Genève, la lutte contre les inégalités est inscrite dans la loi, ce qui nest pas courant et témoigne dune volonté politique constante, depuis le début des années soixante, mais régulièrement combattue. Ainsi, en 1984, les partis conservateurs ont-ils proposé, sinon la pure et simple suppression dun article jugé " égalitariste ", du moins une formulation plus prudente, insistant sur les appuis. Finalement, les textes ont été maintenus, mais ils peuvent être remis en cause nimporte quand. La réalité de léchec nest plus niée, mais la société reste divisée sur la question de savoir sil faut combattre linégalité ou sy résigner.
Ce débat traverse peu ou prou toutes les sociétés scolarisées, mais chacune en définit les termes à sa façon : lexigence dégalité salimente certes à des valeurs humanistes qui dépassent les nations, mais son expression concrète est toujours propre à une société politique donnée et, en Suisse, à chaque société cantonale. Ce que décide le Tessin na aucune incidence obligée de lautre côté des Alpes, et inversement. Le cloisonnement est le même entre cantons de même langue : que les petits Fribourgeois soient inégaux devant leur école, les Neuchâtelois ne sen soucient guère, et vice versa. On ne saurait mieux souligner la dérision de certains affrontements. Dans un mouchoir de poche, les forces sociales saffrontent sur une politique de léducation dans une presque totale indifférence à ce qui se passe dans le reste du monde. Pour linstant, il ny a pas de société européenne et encore moins de société mondiale, du moins pour ce qui concerne linégalité devant linstruction. Certes, dans les organisations internationales, les experts rédigent des rapports et des recommandations. Mais au-delà de ces cercles restreints, lexigence dégalité nest pas encore pensée à léchelle du continent, encore moins de la planète. Peut-être en ira-t-il autrement dans 20 ans, mais aujourdhui il y a, à propos de léchec scolaire des dynamiques indépendantes et fort diverses. La mosaïque des vingt-trois cantons suisses va des plus conservateurs, où rien ou presque na changé depuis la guerre, aux plus novateurs, qui ont instauré des lois sur laccès aux études, réformé lécole moyenne, développé le soutien et dautres formes de différenciation et de démocratisation. Cette diversité montre que le régime économique - ici uniformément capitaliste - ne détermine pas une seule politique de léducation.
Trois étapes dans les politiques de démocratisation
La démocratisation de lenseignement a pris des formes diverses. Je distinguerai schématiquement trois étapes (Perrenoud, 1978).
Première étape : lorsquelles prennent conscience de linégalité devant lécole, les sociétés commencent par sattaquer aux obstacles géographiques et financiers. On cherche à faciliter laccès aux études en décentralisant les établissements et en attribuant des bourses ou allocations détude. Le problème est loin dêtre uniformément réglé : aujourdhui encore, il y a des cantons où lallocation détude est un droit, une procédure automatique ; dautres en sont encore au régime du " prêt dhonneur ". Le problème de la décentralisation des équipements scolaires nest pas non plus réglé. En Europe du Sud, il reste des zones assez éloignées des grandes villes dans lesquelles le personnel enseignant nest ni très stable, ni très qualifié, alors que les équipements scolaires sont fort précaires ; ainsi, au Portugal, dans certains quartiers ou certaines régions, deux ou trois classes se partagent chaque jour les mêmes locaux. Le simple accès à des lieux denseignement nest pas assuré dans tous les pays développés, sans parler du Tiers Monde, où certains pays ont à peine les moyens daccueillir 10 à 20 % des enfants à lécole élémentaire.
Seconde étape : dans les pays nantis, le souci de démocratisation a donné lieu, parfois dès les années soixante, à une réforme des structures de lécole moyenne. On a investi beaucoup dénergie dans laménagement de cycles dobservation et dorientation, de troncs communs, de cours à niveaux et options, avec en général une sélection plus tardive, partiellement réversible, et des programmes modernisés et moins élitaires que ceux des écoles secondaires traditionnelles. Ces structures étalent lorientation sur trois ou cinq ans, la fondent sur une évaluation continue ou des tests daptitudes. En retardant la sélection, on pense donner davantage de chances aux élèves les moins favorisés ou les moins avancés. Ce qui se vérifie globalement : dans la plupart des systèmes scolaires européens, la restructuration de lécole moyenne conduit à des taux de scolarisation plus élevés dans les voies gymnasiales, dont à une augmentation des formations scolaires postobligatoires et des diplômes. Il y a démocratisation des études au sens large : plus de gens scolarisés, plus dannées de scolarité pour la moyenne. À Genève, depuis plus de quinze ans, il ny a plus dans chaque génération que très peu délèves (moins de 5 %) qui abandonnent toute formation à lissue de leur scolarité obligatoire. À 19 ans, plus 80 % des élèves ont un diplôme postobligatoire ou sont en voie de lacquérir. La démocratisation de lécole moyenne saccompagne dune plus grande égalité entre filles et garçons, y compris dans les universités. Lune des inégalités tenues pour " naturelles " jusquaux années 1950 tend donc à disparaître. Ce qui montre que le système nest pas voué à la reproduction pure et simple. Mais il est vrai que linégalité entre les classes sociales, elle, ne fait que se déplacer vers le haut : la condition sociale ne sépare plus aussi massivement ceux qui entre directement sur le marché du travail et ceux qui poursuivent une formation ; le clivage touche désormais au type détudes postobligatoires commencées et surtout achevées. Du point de vue de légalité des chances, cest donc le statu quo. Laccroissement massif des niveaux de scolarisation saccompagne dailleurs dune dévalorisation des diplômes. Là où il suffisait davoir une qualification demployé de commerce il y a dix ou vingt ans, il faut maintenant une maturité, voire un diplôme universitaire ; dune génération à lautre, des emplois situés de la même façon dans la hiérarchie des revenus et des qualifications exigent davantage de titres. Le surcroît de scolarisation pour tout le monde nest certainement pas négligeable mais, du point de vue de légalité, ce nest pas une solution définitive
Troisième étape : doù une nouvelle vague de mesures et de réponses qui, elles, commencent à toucher les établissements et les salles de classe. On peut dire que cest vers le début des années ou vers la fin des années 1970 (selon les systèmes scolaires), quon se rend compte que si on ne sattaque pas aux inégalités dans le processus même denseignement, il restera un noyau très important que les mesures financières ou géographiques et les réformes de structure ne sauraient entamer. Et le soutien, dune certaine manière, exprime au moins une prise de conscience fondamentale : on saperçoit quen dernière instance la lutte contre linégalité doit être pédagogique.
Cette idée, qui paraît peut-être évidente aujourdhui, est laboutissement dune longue marche, et sans doute dune désillusion, du constat que les mesures structurelles ont des rendements décroissants et ne touchent pas à linégalité entre les classes sociales.
Léducation compensatoire et sa critique
Dans un premier temps, lapproche pédagogique prend une forme aujourdhui décriée : on parle déducation compensatoire. En clair : les enfants qui échouent souffrent de handicaps, de manques, de privations, de pauvreté économique, mais aussi culturelle, linguistique, psychologique Laction pédagogique doit donc compenser, donner plus à ceux qui ont moins. Cest le modèle des transferts de ressources, qui a fait ses preuves dans beaucoup de domaines : la fiscalité, la sécurité sociale, les inégalités régionales. Aux États-Unis, les " stratégies de compensation " (Isambert-Jamati, 1973 ; Little & Smith, 1975) visent lélève, mais aussi les familles ou les quartiers défavorisés (idées que reprendront bien plus tard les zones déducation prioritaire, en Grande-Bretagne, ultérieurement en France). Sous limpulsion de ladministration fédérale américaine, dimmenses projets simplantent au nom de la compensation, en particulier dans lenseignement élémentaire ; cette politique produira beaucoup déchecs et quelques résultats mitigés. Les stratégies compensatoires (éduquer les parents pour quils éduquent mieux leurs enfants ou prendre en charge en classe les enfants défavorisés pour les aider à surmonter leurs handicaps) feront assez vite lobjet de vivres critiques, théoriques et politiques. Bernstein et Labov, notamment, dénoncent le caractère ethnocentrique des notions de compensation, de pauvreté linguistique, de handicap socioculturel. Ces chercheurs, sociolinguistes, montrent que les classes sociales nont pas exactement le même langage et le même rapport au code, mais que les classes populaires, dans la vie quotidienne, ne sont pas plus pauvres que les autres du point de vue des capacités de communication et déchange. Simplement lune est plus proche de la norme scolaire que lautre, ce qui est tout à fait différent. En France, le CRESAS, en publiant en 1978 " Le handicap socioculturel en question ", contribue au refus béat du modèle selon lequel les enfants qui échouent souffriraient de handicaps intrinsèques ; cest la définition de la culture scolaire et la nature des pédagogies qui créent un handicap relatif.
Les enfants des classes populaires, disent psychologues et sociologues, ne sont ni moins intelligents, ni moins motivés ; leur milieu familial et leur itinéraire personnel les disposent moins que les enfants de cadres à maîtriser les jeux qui ont cours à lécole : compétition, nominalisme, abstraction, savoir coupé de toute pratique sociale, contenus aseptisés ou très éloignés de lexpérience quotidienne des classes populaires ; Duneton (1978) montre par exemple à quel point les familles des manuels danglais sont calquées sur la condition des classes moyennes : les enfants ont chacun une chambre, la famille part en vacances, le père travaille en col blanc, la mère soccupe de la maison, etc.
Ces critiques, souvent radicales, sèment le doute chez quelques uns des chantres des pédagogies compensatoires. Mais elles ne seront pas immédiatement entendues et ne freineront pas vraiment lévolution vers des pédagogies de soutien, qui resteront, au départ en tout cas, relativement enfermées dans le modèle compensatoire. Si les pédagogies de soutien " familial " à travers léducation des parents se développent peu, ce nest pas parce quelles suscitent des réticences idéologiques, cest parce que, dans notre société en tout cas, il nest pas du tout évident dintervenir au niveau des familles. Cest possible dans les zones de grande pauvreté, où les stratégies compensatoires relèvent de laction sociale et du développement communautaire autant que de la pédagogie ; ainsi dans certains zones industrielles anglaises ou dans certains quartiers des grandes villes américaines, on ne pouvait sattaquer au problème de léchec scolaire quen sadressant à des collectivités entièrement défavorisées, minées par le chômage, caractérisées par des taux de mortalité, de morbidité, de divorce beaucoup plus élevés quailleurs.
En Suisse, il y a des concentrations de classes populaires dans certains quartiers, il y a des régions défavorisées. Mais ce nest jamais aussi massif. Il y a toujours mélange : même dans les écoles des quartiers populaires, il y a des enfants des classes moyennes et vice versa. Le problème de léducation compensatoire a donc rarement été posé à léchelle de la communauté ; pour des raisons sociologiques assez explicables, la lutte contre léchec scolaire a privilégié la prise en charge individuelle de lélève, dans le cadre scolaire.
On aurait pu imaginer dautres stratégies, passant par une revalorisation de la capacité éducative des familles, mais aussi des quartiers et communautés. Dans un pays comme la Belgique, qui nest pas très différent du nôtre, qui nest pas beaucoup plus grand, la lutte contre léchec scolaire est un thème mobilisateur de la vie associative, de mouvements de quartier, de mouvements dhabitants. Des spécialistes de la santé publique, des travailleurs sociaux, des éducateurs, des parents collaborent avec des enseignants, ce quon connaît beaucoup moins chez nous (par exemple Mouvet, 1989, 1990). Dans notre pays, léchec scolaire est traité comme une addition de problèmes individuels semblables. Ce nest pas sur la structure scolaire, mais sur lélève en difficulté quon se propose dagir.
Les pédagogies de soutien, une solution pour lindividu
Les pédagogies de soutien traitent les symptômes ; on ne demande pas aux gens décole de sintéresser au système social qui produit de mauvaises conditions de vie, déducation, dalimentation, de développement. Peut-être est-ce la rançon de la relative prospérité de notre pays. La Suisse ne connaît pas ou cache mieux les inégalités spectaculaires quon observe dans les pays industriels qui nous entourent. Dune certaine manière, historiquement, linégalité en Suisse est une affaire dindividus à prendre en charge ; dans la mesure où on a les moyens financiers de cette prise en charge, elle dispense de mettre en question lorganisation de la collectivité.
Dans ce contexte, les pédagogies de soutien se sont présentées comme la solution ; elles ont mis beaucoup de temps à simposer, leur caractère prioritaire ne convainc pas tout le monde. Mais du moins constituent-elles un type de réponse parfaitement assimilable dans son principe, sinon dans son opportunité ou son urgence, par les systèmes politiques cantonaux qui gèrent léducation dans ce pays.
On a assisté au développement de lappui ou du soutien pédagogique dans un certain nombre de cantons suisses au moment où cette formule sinstallait, parmi dautres, dans les pays voisins. Ces évolutions ne sont coordonnées par nul pouvoir supranational ou supracantonal, pas plus que les réformes de lécole moyenne dans la décennie précédente, mais les parallélismes sont frappants. On voit très bien que les mouvements locaux puisent une partie de leur inspiration dans des modèles étrangers. En Suisse, létranger commence à la frontière du canton, mais on se renseigne, on se rend visite, certains organismes de coordination font circuler des informations.
Les pédagogies de soutien, sans être une marque déposée, sans être liée à un auteur comme la pédagogie coopérative lest à Freinet ou la pédagogie de maîtrise à Bloom, semblent avoir fait assez rapidement lobjet dun certain consensus. Pourquoi ? Je nai pas étudié la question de près, mais on peut faire différentes hypothèses.
" Un élève est en difficulté, on le soutient ; quelquun a besoin dappui, on le lui donne " : ce modèle daction relève du bon sens, tout le monde peut le comprendre sans avoir fait détudes en sciences humaines. On peut donner du soutien une définition très sophistiquée, sinspirer des théories et des instruments de la psychologie clinique ou de lintervention pédagogique ; mais ce nest pas indispensable pour se faire comprendre. Le soutien est une idée simple, dont le principe peut être exposé et compris par nimporte qui, sans recours au jargon psychologique et pédagogique. Dans des salles des maîtres et les administrations scolaires, encore méfiantes à légard des sciences de léducation et des innovations pédagogiques, le soutien paraissait contrôlable, gérable, assimilable à une logique connue : plus du même !
Deuxième hypothèse : le soutien reste dans le registre de la philanthropie, de la charité ; il sinscrit dans une tradition proche de lhygiénisme et de lassistance sociale. Depuis le XIXe siècle, la bourgeoisie concède à ses représentants les plus éclairés quelques chiches ressources pour quils luttent contre lalcoolisme, les maladies vénériennes ou infantiles, la désorganisation familiale, autant de fléaux censés frapper en priorité la classe ouvrière. On se penche sur le sort des classes populaires par philanthropie, mais aussi par intérêt. " Classe laborieuse - classe dangereuse ", telle était lassociation didée qui prévaut il y un siècle encore, nous rappelle le livre de Chevalier. Ce qui veut dire quau-delà dun certain seuil, le désordre des moeurs, la pauvreté, la boisson, labsence dhygiène sont vécues comme des menaces contre la société industrielle et sa croissance, qui exige rendement et discipline. LÉtat devient un des instruments de normalisation, de moralisation et donc de soutien des classes populaires.
Ce modèle na rien de révolutionnaire, ni même dégalitariste. Il sagit, au nom de lordre social, de " fixer les errants " (Fragnière, 1976), de socialiser les marginaux, de prévenir les épidémies ou la désorganisation. Cest une façon de rendre les classes populaires conformes aux intérêts de la société industrielle. Linstruction restera passible longtemps de la même logique : il faut scolariser tous les enfants pour que chacun soit capable de tenir son rôle dans le système.
Selon ce schéma de pensée, sauf dans les sociétés totalitaires, les classes au pouvoir les plus soucieuses de conserver leurs privilèges acceptent un certain nombre de dépenses en faveur des plus déshérités. Elles cèdent, ce faisant, aux conseils de leurs membres les plus lucides, qui veulent prévenir lexplosion sociale ou la dégradation du capital humain. Il sensuit que le soutien nest pas nécessairement une idée de gauche ; on peut y adhérer par pure générosité, amour des enfants, sentiment de solidarité avec les moins favorisés ; on peut en accepter le principe par stratégie, voire tactique électorale ou simple bon sens. Une société moderne ne peut prétendre se développer en laissant " en arrière " une large fraction de sa population. Cest pourquoi lanalphabétisme massif ou lémergence dune société duale peuvent inquiéter même ceux que le sort des plus marginaux némeut guère. Il y a rencontre entre des gens qui luttent pour légalité et contre léchec scolaire au nom dune société meilleure, voire du socialisme, et dautres qui laissent faire parce que, sans être de gauche, ils pensent que cest raisonnable, quon peut le faire et quon en a les moyens.
Troisième hypothèse : soutenir, cest aider ceux qui ont de la peine sans bouleverser lordre des choses, cest " donner un coup de pouce " qui ne remet en question ni le programme, ni lévaluation, ni le découpage en degrés, ni les pédagogies pratiquées dans les classes. Seuls les adversaires militants de la démocratisation des études peuvent prendre ombrage du soutien. Il nempêche personne de continuer à travailler comme par le passé. Il laisse largement la responsabilité de léchec à sa famille et à lenfant. En plus, il ne garantit aucun droit à la réussite. Il reste sinon une faveur, du moins une mesure " en faveur " des défavorisés, dont lexistence même atteste la modernité et la bonne santé du système.
Le soutien fait émerger de nouveaux professionnels qui, dans une période de relative abondance, ne prennent la place de personne. Les enseignants en place nont pas de raisons de se sentir menacés. Le soutien est pour certain un avenir possible ou un passage éventuel. Les titulaires de classes nont ni à se recycler, ni à changer leur point de vue sur léchec ou leur pratique en matière de différenciation, Pour le dire un peu cyniquement : pour lutter contre léchec scolaire sans mobiliser trop doppositions, on ne pouvait quinventer le soutien. Il concilie linnovation et le conservatisme dominant en Suisse. Noublions pas que notre pays a partout des majorités bourgeoises, que lalternance gauche/droite ny a pratiquement pas cours. Certes, le parti socialiste est présent dans nombre de gouvernements cantonaux et au Conseil fédéral, ce qui garantit une certaine constance de la volonté de démocratisation, mais assure en même temps sa tiédeur. Lécole unique, le renoncement au redoublement, les zones déducation prioritaire, les expériences de suppression des degrés et de différenciation systématique de lenseignement exigent davantage quune indignation bien tempérée. En Suisse, les politiques de démocratisation ont toujours été plus prudentes, en raison du rapport des forces politiques. Le soutien était et reste un compromis que la classe dirigeante pouvait accepter sans avoir limpression quune autre société se préparait à travers une autre école.
Il restait, dans les systèmes qui ont développé le soutien, à trouver une organisation permettant aux " opérateurs " de soutien dintervenir dans les classes. Dans sa définition initiale, en effet, le soutien ne se confondait pas avec laction du maître de classe en faveur de certains de ses élèves. Quel statut donner aux opérateurs, quelle formation, quel rattachement institutionnel, quel cahier des charges ? À ces questions, les réponses ont été variées.
Un autre métier ?
Au Tessin, les opérateurs de soutien exercent une profession à part entière, qui exige une formation proche de la psychologie clinique, bien distincte de lenseignement. Les opérateurs sont mieux payés que les maîtres, relèvent de services indépendants des inspecteurs, ont leur propre association professionnelle. À Genève, où le soutien sest développé de façon quantitativement comparable et à peu près à la même époque, lorganisation est radicalement différente : les maîtresses et les maîtres de soutien sont, dans le primaire, des enseignants qui, sans changer de statut ni de salaire, exercent pendant quelques années, au prix dune formation complémentaire, une fonction différente de la maîtrise de classe (Andrews, Buonomo & Borzykowski, 1986). Dans le secondaire, les heures dappui sont intégrées au poste dune partie des professeurs. Dans le primaire, une évolution récente tend même à fondre le soutien dans un ensemble dactivités exercées par des GNT (" généralistes non titulaires ") et lassociation professionnelle ne souhaite ni la fragmentation du métier ni linstallation à vie dans telle ou telle fonction. Les mots dordre sont au contraire polyvalence et mobilité (Perrenoud, 1988, 1990).
Il est évident que ces différences dorganisation retentiront à terme sur la nature du soutien, et quelles influencent déjà fortement les modalités de collaboration entre opérateurs de soutien et enseignants titulaires. " Laide aux enfants en difficulté " nest une pratique simple quen apparence. Son orientation (thérapeutique, clinique, pédagogique) peut varier dun professionnel ou dun système à lautre. On peut sattendre, sil y a division formelle des rôles, distinction des statuts et des carrières, à des tendances à la spécialisation : le soutien doit lutter alors contre sa plus forte pente, lalignement sur le modèle de lintervention médicopsychiatrique. À linverse, lidentité des statuts et lalternance des rôles peut tendre à affaiblir la spécificité du soutien : à la limite, lopérateur de soutien devient une sorte de second du maître de classe, qui partage avec lui, quelques heures par semaine, un travail danimation et denseignement qui nest plus nécessairement orienté en priorité vers les enfants en difficulté. Lévolution genevoise va dans ce sens.
Ces problèmes sont en germe dès les premières phases dinstitutionnalisation du soutien. Mais on ne saperçoit en général que plus tard des incidences des choix initiaux. Dans les cantons suisses les plus avancés, la question dactualité touche à lavenir du soutien dans ses rapports au reste du système. Mais dans dautres cantons, le développement a été plus tardif et plus timide. Il y a beaucoup moins dopérateurs de soutien, ils partagent leur temps entre de nombreuses classes, parfois fort dispersées. On lutte contre labsence de moyens, de budgets, de formation, de structure et dune certaine façon, le soutien se fraie une voie là où la résistance est la moins forte.
Lorsque le soutien est devenu une des composantes du système que nul ne peut ignorer, un métier ou une fonction stable qui assurent identité et gagne-pain à un nombre important de salariés, qui forment dès lors un groupe de pression agissant sur le système, est-il encore temps de repenser le tout ? Ny a-t-il pas trop dintérêts acquis, de routines établies, de territoires délimités, déquilibres à préserver. On peut le craindre. Il y a une chance cependant de rouvrir le débat : la profession enseignante nest pas au bout de ses transformations, la division du travail peut sy transformer radicalement au cours des années à venir. Dans ce cadre, la question de la place des opérateurs de soutien sinscrit dans un débat plus général sur lévolution de la profession et de lécole.
Une profession appartenant aux nouvelles classes moyennes
À lépoque de Jules Ferry, les instituteurs étaient glorifiés comme les " hussards de la République ". On soulignait de la sorte leur rôle décisif dans lavènement dune société démocratique, laïque et moderne. Cet aspect du métier na pas complètement disparu. La laïcité militante reste vivace dans le corps enseignant français, par exemple, et dans nombre de pays, les maîtres ont conscience de préparer les enfants à vivre ensemble dans une société nationale ou mondiale. Cependant, à lépoque de Jules Ferry déjà, une fraction des instituteurs nétaient pas sensibles au mythe républicain et exerçaient leur métier comme un gagne-pain, dailleurs mal payé. Aujourdhui, le choix de la profession nest pas davantage nécessairement lié à un engagement politique ou moral, à une vision de la société. Cela nempêche pas de faire son travail sérieusement. Mais le sentiment de participer à travers lécole à la construction dune identité nationale et dune société démocratique nest plus une évidence partagée par tous les enseignants. La foi dans lécole comme instrument de civilisation et dunité, cest bon pour les discours de promotions et de premier août, ça ne sous-tend pas leffort quotidien. Le métier denseignant est certainement plus sûr et mieux payé quil y a un siècle, du moins en Suisse. Mais, du fait de lindustrialisation, de lurbanisation, de lélévation générale du niveau dinstruction, il ne jouit plus de la même considération. Le maître décole nest plus le notable du village, le seul parfois qui y incarnait la culture ; il nest plus en général chef de la fanfare ou secrétaire de mairie, comme cétait le cas il y quarante ans encore. Dans certaines régions, cest encore vrai, mais à la manière dune survivance. Le métier se situe autrement dans la hiérarchie des choix professionnels. Il se féminise, ce qui est souvent un indice de dévalorisation.
Nous vivons dans une société dont les valeurs ont changé, une société de relative abondance, même sil y a encore des pauvres. Inutile de souligner ce que chacun peut observer : lobsession du confort, du niveau de vie, du temps de loisirs et donc aussi le repli sur la vie privée, la tendance à considérer la vie professionnelle comme un champ dans lequel on peut conquérir un statut social et des avantages plus quune identité.
Aujourdhui, beaucoup dinstituteurs et de professeurs semblent considérer que " la vie est ailleurs ", que ce nest pas à lécole quils se réalisent pleinement, en tout cas pas seulement. Certes, enseigner est plus quun job. Cest un travail utile et intéressant, même sil nest pas facile tous les jours. Mais la vie, cest aussi et parfois dabord le sport, les vacances, les spectacles, les voyages, les amis Le rapport au travail et à lécole sest modifié. Cette évolution là, qui touche toutes sortes de métiers, est inséparable de lémergence de ce que les sociologues appellent les nouvelles classes moyennes. Pendant longtemps, les classes moyennes ont été composées de commerçants, dartisans, de cols blancs. La nouvelle classe moyenne est faite de gens employés dans un tertiaire qui est moins celui de ladministration que de la médecine, du paramédical, du social, de la recherche, de léducatif, de la gestion de personnes, du tourisme. Il sagit de métiers de relation, de métiers plus qualifiés, de métiers salariés la plupart du temps, alors quune bonne partie des classes moyennes traditionnelles - qui demeurent - sont formées de petits propriétaires, commerçants ou artisans.
Parmi les caractéristiques des nouvelles classes moyennes, on cite souvent le souci de la modernité, linsistance sur la vie privée, sur lépanouissement personnel, sur des valeurs de réussite, de bonheur qui ne sont pas des valeurs partagées de la même façon par toutes les classes sociales. Or la profession enseignante tend aujourdhui à se fondre dans ces couches sociales, à adopter une vision du monde assez individualiste, orientée vers la réussite et lépanouissement de soi, forte consommatrice de psychologie, de culture, dinformation, mais aussi de soins, de sports, de loisirs, de voyages. On cherche dans le travail un moyen, parmi dautres, de réussir sa vie. Dans les professions sociales, éducatives, paramédicales, on ne peut espérer un revenu ou un pouvoir comparables à ceux qui font courir les cadres de lindustrie ou de la banque. Le travail participe plutôt de la recherche dun arrangement, dun équilibre entre toutes sortes daspirations, la famille, les enfants, les voyages,
Division du travail et défense du territoire
Tout cela a des incidences sur ce quon appelle la division du travail, cest-à-dire la tendance à spécialiser les gens, à fragmenter les tâches, à faire émerger de nouveaux rôles ou de nouveaux métiers. Si lon fuit le stress, le conflit, la compétition, la lutte pour le pouvoir, si lon préfère le confort, lharmonie, le temps libre, la spécialisation est une bonne stratégie. Elle assure un revenu qui sanctionne une qualification plus quune responsabilité hiérarchique. Elle facilite parfois le travail à temps partiel. Elle protège des autres en offrant une identité spécifique, en délimitant un territoire.
On peut avancer que le développement du soutien est une manifestation parmi dautres de la tendance à une division accrue du travail dans le domaine pédagogique, où elle est fort en retard en regard de ce qui se passe dans dautres secteurs, comme le travail social ou la santé. Si on considère les effectifs des travailleurs sociaux, éducateurs, éducateurs de rue, éducateurs spécialisés dans les zones fortement urbanisées, on observe une véritable explosion, qui saccompagne dune forte différenciation des tâches et des statuts. Certains ont parlé dune sorte de " cancérisation ", dune croissance largement incontrôlée, sans rapport avec les besoins de la population. Le propre des services est de nourrir leur propre croissance. Cest lun des effets, sinon des buts de la division du travail ; la tendance est partout à la définition de nouveaux spécialistes, à la complexification des structures, à la multiplication des niveaux hiérarchiques et des rôles de coordination.
Et lécole est en train de suivre un processus du même type, lécole secondaire étant un peu plus avancée parce quelle est plus proche des professions universitaires, dans lesquelles la spécialisation est la norme. La situation de lenseignement primaire genevois est tout à fait intéressante à cet égard. Son personnel se compose évidemment de directeurs généraux, dinspecteurs, de chefs de service, de secrétaires. Il y a aussi environ 1400 titulaires de classes. Cest entre ces deux catégories traditionnelles que la division du travail se développe. Plusieurs centaines de maîtres nont ni la responsabilité dune classe, ni de statut hiérarchique ; une partie dentre eux travaillent hors des écoles, dans des services de documentation, de didactique, de recherche, de formation continue. Les autres travaillent dans les écoles, avec des enfants, mais comme " généralistes non titulaires ". Cette fonction nexistait pas il y a vingt ans, navait pas de nom il y a cinq ans. Certains de ces GNT font du soutien, dautres sont " enseignants complémentaires " dans une équipe pédagogique, dautres animent un atelier du livre, enseignent le français à des non francophones ou travaillent à lintégration denfants non scolarisés. À quoi il faut ajouter, sur le modèle du secondaire, des professeurs spécialisés déducation physique, de dessin, de musique, de travaux manuels. Il nest pas exclu que dautres fonctions se dessinent, ou quon confie une fois ou lautre lenseignement de lallemand ou de linformatique à des maîtres spécialistes.
Effets pervers
Les décisions contribuant à accroître la division du travail sont généralement justifiées dans lintérêt des enfants et en vertu dun besoin précis et indéniable. Chacune de ces décisions participe à une évolution globale, mais on nen a pas immédiatement conscience. Puis le temps passe et émergent un certain nombre deffets pervers, au sens sociologique du terme.
À la question de savoir pourquoi la Suisse existe, les citoyens daujourdhui ne sont pas obligés davoir une réponse argumentée. Pourquoi justifier lévidence ? Il arrive, dans lhistoire du soutien, un certain moment où il en va de même. Il est là, il fait partie des moeurs, il fonctionne. Même ceux qui le pratiquent ont la mémoire courte. Tous ne font pas partie des pionniers, les plus jeunes sont entrés dans un rôle qui leur préexistait, quil nont eu ni à construire ni à justifier. Le sens dun dispositif de lutte spécifique, choisi et organisé de façon délibérée, ce sens seffiloche. La mémoire se dégrade, la mémoire collective plus encore que la mémoire individuelle. Il faut un travail constant pour remettre les choses en place, retrouver des raisons, les remettre à jour lorsque la situation évolue. Cest un premier effet pervers, banal. On fait toujours comme si on coulait les institutions dans le bronze, pour des siècles, alors quen réalité elles sont condamnées à perdre très vite leur identité initiale, à sengluer dans la routine.
Autre effet pervers, la lutte des territoires, des identités professionnelles, des statuts. Dès que les professions et les fonctions se différencient, les salariés sobservent, se mesurent : " Les autres sont mieux payés, ont de meilleures conditions de travail ou davantage de chances davancement ". Certains se savent favorisés, mais se gardent bien de le reconnaître ouvertement. Dautres se sentent prétérités, le disent tout haut ou empoisonnent latmosphère à force de rancurs. Ainsi va la vie quotidienne dans les bureaucraties publiques et privées. Lécole nest pas une exception. Langélisme du discours pédagogique et la prétention dagir avant tout dans lintérêt de lenfant empêchent peut-être de reconnaître et de parer les risques des guerres de territoires et de conflits de statuts. On fait volontiers comme si tous les gens décole tiraient à la même corde. Cette illusion se paie.
Troisième effet pervers : dans un métier qui sinstitue, les intérêts acquis bloquent progressivement lévolution et même le débat. Au début, on construit, on part de rien, tout est à faire ; puis, cest la rançon du succès, on obtient des locaux, on crée des statuts et des services, on stabilise une définition du soutien, des conditions de travail décentes, des savoirs nécessaires, des règles de collaboration. À tout cela, on doit une certaine identité, une certaine sécurité. Donc on y tient, on le défend, cest normal, cest très humain. Ce qui veut dire quon pourvoit certains postes non parce quils répondent encore à un besoin, mais parce quils existent ; on prend ou on garde des locaux par réflexe " territorial " ; on revendique une égalité de traitement pour le principe et non pas parce quon a de vrais besoins. Dans les organisations industrielles et bureaucratiques en général, il y a plein de services qui jouent leur jeu, qui ont leurs stratégies, qui ont leur politique de développement ; on investit de plus en plus dénergie dans la croissance ou le maintien du budget, du personnel, des équipements, parfois sans se demander si cest une priorité, si cela se justifie en regard des buts généraux de lorganisation. Chacun " joue le jeu ", respecte les plates-bandes des voisins, à charge de revanche. La dynamique dun système social seffondrerait si chacun interrogeait sans arrêt le bien fondé de lexistence et de laction des autres ; tels sont les rapports de bon voisinage, qui assurent une coexistence pacifique mais conduisent aussi à des gaspillages considérables dénergie et de ressources.
Si on regarde les budgets de léducation et leur croissance depuis le début du siècle, la croissance est spectaculaire, même rapportée à lévolution des populations scolarisables et scolarisées. Est-ce que les inégalités ont diminué dans la même proportion ? Évidemment non. De même, les niveaux réels dinstruction nont pas augmenté aussi vite, parce quune partie des ressources sont absorbées par le fonctionnement de la machine et le maintien des structures et des intérêts acquis. Et puis, il y a tout simplement la routine, le fait que la plupart des êtres humains ne sont pas portés à se remettre en question tous les jours, à chercher constamment à mieux faire. Linstitutionnalisation dune profession, son installation dans le système, saccompagnent en général de ces effets pervers, qui sont maîtrisables, mais pas sans efforts. Même les directions générales, dont la mission est de gérer lattribution des ressources, nont pas toujours intérêt à susciter de multiples de conflits ouverts ou larvés avec des services ou des associations. On sinstalle donc peu ou prou dans des fonctionnements peu convaincants, mais difficiles à réformer. Ou alors, pour fuir la contradiction, on sapplique à ne pas voir ou à oublier toutes sortes dincohérences.
Le soutien pédagogique, au départ, se fondait sur une analyse, voire sur une critique assez vive du système scolaire. Quen reste-t-il dix ou vingt ans plus tard ? Peut-on éviter den arriver à défendre becs et ongles les positions désormais conquises dans le système ?
Paradoxalement, ce qui menace la vitalité dune profession, cest son succès. Cest le fait quà un certain moment, elle " fait partie des meubles ". Plus personne ne va entamer une croisade pour éliminer les professeurs déducation physique. Il en ira sans doute de même pour les opérateurs de soutien. Dans vingt ans, il se peut que personne ne soupçonne que lécole ait pu exister sans soutien. Bientôt, on se dira en toute bonne foi que le soutien est né avec lécole.
Une profession instituée na plus besoin davoir des projets. Qui aurait lidée de demander aux pharmaciens ou aux notaires ce quils vont faire dans les dix années qui viennent ? Lidentité même de la profession est assurée, sauf grave crise technologique ou disparition du marché. Les professionnels restent organisés pour défendre leurs intérêts, pas pour construire une utopie. Sagissant dune profession salariée, il y plus grave : plus elle sinstitue, plus elle sincorpore au système, moins elle se sent responsable de lensemble. Il y a quelquun, " en dessus ", qui est payé pour prévoir et préparer lavenir
Lintérêt des métiers encore neufs, cest quils ne se contentent pas de défendre leurs intérêts. Ils ont un idéal pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres, pour le système, pour la société et cest ce qui la fait bouger. Mais rien ne suse aussi vite que lidéalisme. Toutes les professions ne sont pas cependant également menacées de sclérose. Certaines obligent à travailler là où la société " se défait ", à côtoyer la mort, la maladie, linjustice, la misère, labsurde. Le soutien en fait partie. Le fait dêtre tous les jours confronté à léchec naide sans doute pas à vivre dans leuphorie. Mais il empêche peut-être de sendormir sans se poser de questions.
Que veulent devenir les " opérateurs de soutien " ? Il leur appartient de répondre. Au-delà des réponses individuelles, une association peut essayer de travailler sur des convergences et des réponses collectives. Faut-il inscrire le plus vite possible le soutien dans la logique de toutes les professions, notamment celles des nouvelles classes moyennes, des professions qualifiées offrant une certaine autonomie ? Dans ce cas, les opérateurs travailleront à améliorer leurs conditions de travail, leur légitimité dans le système, et un peu lécole, par-dessus le marché, si cest possible. À moins quils ne décident de rester une profession qui dérange, qui nest pas lalibi mais laiguillon, une profession qui empêche les autres professionnels de léducation de dormir, ou du moins davoir la conscience tout à fait tranquille.
Autre façon de poser le problème : le soutien doit-il être considéré sinon comme une forme achevée et définitive de réponse à léchec scolaire, du moins une forme convaincante, quil faut améliorer de lintérieur. Dans ce sens, on peut viser des opérateurs mieux formés, mieux instrumentés, mieux acceptés par lautorité scolaire et par les enseignants. La logique qui consiste à demander plus pour travailler mieux, tous les professionnels la maîtrisent très bien, elle peut les guider pendant un siècle encore. Parce quil est souvent vrai quavec plus de ressources, des structures plus claires, une formation plus complète, on ferait mieux. Cest un puits sans fond. On peut semprisonner dans cette dynamique de la croissance et de la consolidation sans fin dun métier. Cest souvent ce qui se passe, même sil existe dans chaque métier quelques professionnels plus radicaux ou autocritiques qui tiennent un autre discours. Si on veut mobiliser les gens, il faut trouver un consensus. Il est tentant de le réaliser à propos de la défense de lidentité et du territoire, de la qualification, du revenu. Cest ce qui réunit le plus facilement les professionnels.
Quelle serait lalternative ? Peut-être doser se dire : " Revenons aux sources, limportant nest pas le soutien, cest la lutte contre léchec scolaire ! " Le rôle des opérateurs de soutien nest pas de le perfectionner et de le développer à linfini, mais de chercher les dispositifs les mieux aptes à corriger, à neutraliser les mécanismes générateurs de léchec. Cela conduit à sengager dans une évaluation critique des effets observables du soutien, mais aussi des raisons théoriques de penser que cette forme dintervention " mord " vraiment sur la réalité de linégalité et de léchec.
Il nest pas possible ici dévaluer globalement lefficacité du soutien pédagogique à lécole primaire. Tout dépend de ses modalités, de son ampleur, de sa cohérence, qui peuvent varier dun système à lautre, mais aussi dune zone ou dun établissement à lautre. En outre, dans lhistoire du même système scolaire, des pratiques apparemment stables peuvent avoir des rendements décroissants du fait de linstallation dans des routines et des stratégies des acteurs, qui sadaptent aux situations et possibilités nouvelles. Ainsi, il se peut que le soutien, à lorigine destiné aux enfants défavorisés, soit progressivement utilisé par des enfants de classe moyenne pour sassurer un surcroît de chances de réussite. Il faut aussi faire la part des transformations considérables des populations scolarisées dans certaines régions, à cause de limmigration, de lurbanisation, de lévolution des familles. Une étude genevoise (Hutmacher, 1991) met très clairement en évidence la difficulté de démêler les effets propres du soutien dans lévolution (ou le maintien) des inégalités. Ce travail suggère cependant que les effets observables du soutien, toutes choses égales dailleurs, sont sans commune mesure avec les espoirs placés à une certaine époque dans cette formule magique.
Il sagit donc de ne plus se payer de mots. Quelle soit fondée scientifiquement ou nourrie dobservations plus locales et intuitives linterrogation nest pas très confortable, ni pour ladministration scolaire, ni pour les opérateurs de soutien. Pour faire du soutien, mieux vaut y croire, sinon on le fait sans plaisir et sans efficacité ; il faut donc être un peu schizophrène pour se demander " Si cétait à refaire, est-ce quon créerait le soutien, est-ce quon y investirait autant despoirs ? " Ou, en se tournant vers lavenir : " Les dix ans qui viennent, doivent-ils consolider les acquis ou amorcer autre chose ? ".
Le projet des opérateurs de soutien pourrait être, pour les dix ans qui viennent, de réfléchir sur la différenciation de lenseignement au sens le plus large, de travailler à faire changer lécole en général et pas seulement ce sur quoi ils ont directement prise. Je ne connais pas assez la situation politique et pédagogique du Tessin pour dire si cest pure utopie, ni à quelles conditions ce serait faisable.
Aux opérateurs de soutien et au système éducatif de choisir. Entre deux identités professionnelles, laquelle privilégier ? Vaut-il mieux être celui auquel on confie les enfants en difficulté, ce qui est une tâche noble et tout à fait respectable ? Ou celui auquel on donne le devoir et le droit dennuyer tout le monde, en rappelant constamment quil y a encore beaucoup à faire pour moderniser lévaluation, prendre en compte toutes les différences psychologiques et culturelles, assouplir le système des degrés, faire participer les parents ?
Les opérateurs de soutien sont une ressource très importante pour un système scolaire. La principale objection quon peut faire aux concepts de différenciation et dévaluation, cest leur simplisme. Il faut se défaire de lillusion quil suffira dexpliquer trois fois plutôt quune, de proposer des fiches " graduées ", de faire un contrat de travail ou un plan de semaine, un peu dautoévaluation et un peu de soutien intégré pour que lenseignement soit différencié. Il y a là une sorte de naïveté persistante. Peut-être les opérateurs de soutien le voient-ils mieux que personne. Faire réussir tout le monde à lécole, on peut penser avec Bloom que cest possible, au sens ou il ny a pas dobstacles anthropologiques ou génétiques qui empêcheraient les enfants et les adolescents de maîtriser le programme de lécole obligatoire. Il reste que faire apprendre presque tout le monde est une entreprise plus difficile et plus complexe que denvoyer une fusée sur la lune. Cela demande, pendant huit à dix ans, une coordination, une cohérence, une continuité de laction éducative sans précédent, à large échelle, dans lécole publique. Nous en sommes extrêmement loin. Aucune formule isolée ne saurait créer les conditions requises pour que tous les enfants apprennent. Cest pourquoi le soutien, sans être une mauvaise idée, paraît une tentative un peu dérisoire par rapport à lampleur, à la longueur et à la complexité des processus en jeu dans la fabrication de léchec.
La lutte contre léchec, ce devrait être évident aujourdhui, ne saurait se limiter à des mesures dindividualisation et de soutien. On ne peut faire léconomie dune réflexion sur lécole active, les contenus de lenseignement, le contrat didactique, le sens du travail scolaire, limplication des familles, notamment celles des milieux populaires. La lutte contre léchec scolaire, ce doit être plus et autre chose que la prise en charge individuelle des élèves en difficulté. Il faudra se décider à repenser lorganisation du temps scolaire, les programmes, lévaluation, les moyens denseignement. On pourrait dire, en schématisant beaucoup, que les opérateurs de soutien prennent en charge des élèves qui nauraient pas été en échec ou en difficultés graves si lécole était organisée différemment. Des élèves qui sont le produit de lennui, dun certain nombre daffrontements, de méconnaissances, dincompréhensions, de blocages, dabsurdités, dindifférences.
Si lon accepte lidée que la fabrication de léchec tient au fonctionnement ordinaire du système scolaire, la question se pose : ne peut-on sattaquer aux causes plutôt quaux symptômes ? Est-ce le rôle des services et des opérateurs de soutien ? À supposer quils le veuillent, de quel droit, au nom de quelle légitimité, se prendraient-ils pour la conscience, voire le " Surmoi " du système scolaire ? Il est évident que ce ne peut être une tâche à plein temps, qui définirait officiellement leur identité principale. Il nest dailleurs nullement question, dans mon esprit, de suggérer dabandonner le travail avec les enfants pour faire de lagitation dans la salle des maîtres. Mais peut-être y a-t-il un équilibre à chercher entre lénergie mise à intervenir auprès dun certain nombre denfants en difficulté et lénergie vouée à faire évoluer le système ! Vous connaissez le proverbe chinois ou la maxime quon prête à Mao Tse Toung : " Mieux vaut enseigner à pêcher à quelquun plutôt que de lui donner un poisson ". Le soutien ne sattaque pas aux causes structurelles de léchec. Non quil soit illégitime de faire ce quon peut pour les enfants aujourdhui en échec ou en difficulté ; ce sont les produits du système tel quil est. À moyen terme, cependant, pour éviter de se retrouver chaque jour ou presque devant des situations désespérées, chaque opérateur de soutien a sûrement la tentation et lenvie de sen prendre aux causes, de prévenir plutôt que dessayer de remédier. Mais ce nest pas ce quon lui demande au premier chef. On le ne paie pas pour critiquer lécole. Il court donc certains risques sil sengage dans un combat contre les degrés, les procédures dévaluation, les didactiques en vigueur. Surtout sil sengage seul. À la crainte du conflit avec lautorité scolaire ou les enseignants titulaires sajoute lambivalence compréhensible de professionnels dont le rôle prend en partie racine dans les dysfonctionnements du système. Le succès de la prévention, cest en fin de compte leffondrement du marché de la thérapie. Les dentistes perdraient leur clientèle si chacun de leurs patients suivaient tous les bons conseils quils leur prodiguent
Une association professionnelle néchappe jamais complètement à la tentation du corporatisme. Mais cest aussi un lieu possible de définition dune politique à long terme, assignant au soutien une double vocation, à la fois recherche dun moindre mal pour les élèves qui sont en échec aujourdhui et contribution à une politique de prévention pour demain.
Parmi les raisons dhésiter, lune des plus honorables touche certainement au dilemme suivant : a-t-on a le droit de distraire une partie de son temps de travail pour préparer lavenir ? La lutte contre léchec est un rocher de Sisyphe, chaque génération est un recommencement. Et pour chacune, on pourrait toujours faire plus. Les enseignants qui sengagent le plus activement dans la lutte contre léchec scolaire se sentent, paradoxalement, les plus facilement coupables de " ne pas en faire assez ". Ils ont souvent limpression quune prise en charge un peu plus intensive, lessai dune nouvelle démarche, une conversation plus approfondie avec les parents pourraient sauver un enfant du redoublement, ici et maintenant. Or, préparer lavenir, cest se désintéresser partiellement du présent. Peut-on, même dans lintention de préparer lavenir, ne pas engager toute son énergie dans la résolution des problèmes urgents ? Cest un dilemme quil est difficile daffronter seul. Doù limportance den faire un choix collectif.
Allal, L., Cardinet J. & Perrenoud, Ph. (dir.) (1979) Lévaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Lang.
Andrews, B., Buonomo, N. & Borzykowski, R. (1986) Au fil de lappui. Jalons pour une micro-histoire, Genève, Service de la recherche pédagogique, Cahier n° 32.
Bain, D. (1979) Orientation scolaire et fonctionnement de lécole, Berne, Lang.
Baudelot, C. & Establet, R. (1971) Lécole capitaliste en France, Paris, Maspéro.
Bernstein, B. (1971) Class, Codes and Control. Vol. I, Theoretical Studies towards a Sociology of Language, London, Routledge & Kegan.
Bernstein, B. (1971) On the Classification and Framing of Educational Knowledge, in Young, M. (dir.) Knowledge and Control, London, Collier & MacMillan, pp. 47-70.
Bernstein, B. (1973) Class, Codes and Control. Vol. II : Applied Studies towards a Sociology of Language, London, Routledge & Kegan.
Bernstein, B. (1975) Class, Codes and Control. Vol. III : Toward a Theory of Educational Transmissions, London, Routledge & Kegan.
Bernstein, B. (1975) Classe et pédagogies : visibles et invisibles, Paris, OCDE.
Bernstein, B. (1975) Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Paris, Ed. de Minuit.
Berthelot, J.M. (1983) Le piège scolaire, Paris, PUF.
Bisseret, N. (1974) Les inégaux ou la sélection universitaire, Paris, PUF.
Bourdieu, P. (1966) Lécole conservatrice. Linégalité sociale devant lécole et devant la culture, Revue française de sociologie, 1966, n° 3, pp. 325-347.
Bourdieu P. & Passeron, J.-C. (1970) La reproduction. Éléments pour une théorie du système denseignement, Paris, Ed. de Minuit.
CRESAS (1978) Le handicap socio-culturel en question, Paris, Ed. ESF.
CRESAS (1981) Léchec scolaire nest pas une fatalité, Paris, Ed. ESF.
CRESAS (1987) On napprend pas tout seul ! Interactions sociales et construction des connaissances, Paris, Ed. ESF.
De Ketele, J.-M. (dir.) (1986) Lévaluation : approche descriptive ou prescriptive ?, Bruxelles, De Boeck.
Delay-Malherbe, N. (1981) De la philanthropie au travail social, Genève, Service de la recherche sociologique.
Delay-Malherbe, N. (1982) Enfance protégée, familles encadrées. Matériaux pour une histoire des services officiels de protection de lenfance à Genève, Genève, Service de la recherche sociologique, Cahier n° 16, 1982.
Duneton, C. (1978) Parler croquant, Paris, Stock + Plus.
Favre, B. & Perrenoud, Ph. (1985) Organisation du curriculum et différenciation de lenseignement, in Plaisance, É. (dir.) " Léchec scolaire " : Nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, Ed. du CNRS, pp. 55-73.
Forquin, J. C. (1979) La sociologie des inégalités déducation : principales orientations, principaux résultats depuis 1965. I, Revue française de pédagogie, n° 48, pp. 90-100.
Forquin, J. C. (1979) La sociologie des inégalités déducation : principales orientations, principaux résultats depuis 1965 II, Revue française de pédagogie, n° 49, pp. 87-99.
Forquin, J. C. (1980) La sociologie des inégalités déducation : principales orientations, principaux résultats depuis 1965 III, Revue française de pédagogie, n° 51, pp. 77-92.
Forquin, J. C. (1982) Lapproche sociologique de la réussite et de léchec scolaires : inégalités de réussite scolaire et appartenance sociale I, Revue française de pédagogie, n° 59, pp. 52-750.
Forquin, J.C. (1984) Les inégalités scolaires et les apports de la pensée sociologique : éléments pour une réflexion critique, in Berthelot, J.-M. (dir.) Pour un bilan de la sociologie de léducation, Toulouse, Centre de recherches sociologique de lUniversité de Toulouse-Le Mirail, Cahier n° 2, pp. 67-85.
Fragnière, J.-P. (1976) Vers une sociologie du travail social, Revue suisse de sociologie, n° 2, pp. 175-182.
Fragnière, J.-P. et Vuille, M. (dir.) (1982) Assister, éduquer et soigner, Ed. Réalités sociales, Lausanne, 1982.
Gather Thurler, M. & Perrenoud, Ph. (dir.) (1988) Savoir évaluer pour mieux enseigner. Quelle formation des maîtres ?, Genève, Service de la recherche sociologique, Cahier n° 26.
Gilliéron, P. (1988) Réforme scolaire et prise en charge des élèves en difficulté : les cas du canton de Vaud 1976-1984, Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation, mémoire de licence.
Grisay, A. (1984) Les mirages de lévaluation scolaire. Rendement en français, notes et échecs à lécole primaire, Revue de la Direction générale de lorganisation des études (Bruxelles), n° 5, pp. 29-42 & n° 6, pp. 9-23.
Grisay, A. (1988) Améliorer lévaluation-bilan à lécole primaire. La recherche APER fait chuter les taux de retard scolaire, Liège, Service de pédagogie expérimentale de lUniversité de Liège.
Grisay, A. (1988) Réduire léchec en début de secondaire : que suggère la recherche ?, Liège, Service de pédagogie expérimentale de lUniversité de Liège.
Groupe français déducation nouvelle (1984) Pédagogie de soutien ? Les contenus de lenseignement et léchec scolaire, Paris, GFEN, Cahier n°5.
Groupe français déducation nouvelle (1977) Réussir à lécole. " Pédagogie de soutien " ou soutien de la pédagogie ?, Paris, Ed. Sociales.
Groupe RAPSODIE (1979) Prévenir les inégalités scolaires par une pédagogie différenciée : à propos dune recherche-action dans lenseignement primaire genevois, in Allal, L., Cardinet J. & Perrenoud, Ph. (dir.) Lévaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Lang, pp. 68-108.
Haramein, A., Hutmacher, W. & Perrenoud, Ph. (1979) Vers une action pédagogique égalitaire : pluralisme des contenus et différenciation des interventions, Revue des sciences de léducation (Québec), n° 2, pp. 227-270.
Haramein, A. & Perrenoud, Ph. (1981) " RAPSODIE ", une recherche-action : du projet à lacteur collectif, Revue européenne des sciences sociales, n° 59, pp. 175-231.
Huberman, M. (1988) La pédagogie de maîtrise : idées-forces, analyses, bilans, in Huberman, M. (dir.) Maîtriser les processus dapprentissage. Fondements et perspectives de la pédagogie de maîtrise, Paris, Delachaux & Niestlé, pp. 12-44.
Huberman, M. (dir.) (1988) Maîtriser les processus dapprentissage. Fondements et perspectives de la pédagogie de maîtrise, Paris, Delachaux & Niestlé.
Hutmacher, W. (1978) La diversité des cultures et linégalité devant lécole. Éléments pour une sociologie de laction pédagogique, Genève, Service de la recherche sociologique.
Hutmacher, W. (1982) École et société : changements quantitatifs et structurels. Le cas du canton de Genève 1960-1978, Bulletin dinformation de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de linstruction publique, Réévaluation de la planification de léducation dans un pays fédéraliste : la Suisse. Contributions à un projet de lOCDE, n° 33, 1982, pp. 20-66.
Hutmacher, W. (1985) Enjeux autour de lécole dans une collectivité de type post-industriel, in Plaisance, É. (dir.) " Léchec scolaire " : Nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, Ed. du CNRS, pp. 29-42.
Hutmacher, W. (1987) Le passeport ou la position sociale ?, in CERI/OCDE, Les enfants de migrants à lécole, Paris, pp. 228-256.
Hutmacher, W. (1987) Enjeux culturels dans les politiques éducatives : une rétrospective, in CERI/OCDE, Léducation multiculturelle, Paris, pp. 356-375.
Hutmacher, W. (1993) Quand la réalité résiste à la lutte contre léchec scolaire. Analyse du redoublement dans lenseignement primaire genevois, Genève, Service de la recherche sociologique, 1993, Cahier n° 36.
Isambert-Jamati, V. (1973) Les " handicaps socio-culturels " et leurs remèdes pédagogiques, Lorientation scolaire et professionnelle, n° 4, pp. 303-318.
Isambert-Jamati, V. (1985) Quelques rappels de lémergence de léchec scolaire comme " problème social " dans les milieux pédagogiques français, in Plaisance, É. (dir.) " Léchec scolaire " : Nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, Ed. du CNRS, pp. 155-163.
Isambert-Jamati, V. (1990) Les savoirs scolaires, Paris, Éditions universitaires.
Jacquard, A. (1978) Éloge de la différence. La génétique et les hommes, Paris, Seuil.
Labov, W. (1978) Le parler ordinaire, Paris, Minuit, 2 vol.
Lautrey, J. (1980) Classe sociale, milieu familial, intelligence, Paris, PUF.
Monjardet, D. & Benguigui, G. (1982) Lutopie gestionnaire. Les couches moyennes entre lÉtat et les rapports de classe, Revue française de sociologie, XXIII, 1982, n° 4, pp. 605-638.
Monjardet, D. & Benguigui, G. (1984) Utopie gestionnaire, utopie sociologique ? Réflexions sur un débat, Revue française de sociologie, XXV, n° 1, pp. 91-99.
Mouvet, B. (1989) Pour une approche positive et intégrée de lalphabétisation, Liège, Service de pédagogie générale et de méthodologie de lenseignement de lUniversité de Liège.
Mouvet, B. (1990) Pour une approche positive et intégrée de lalphabétisation. Rapport final, Liège, Service de pédagogie générale et de méthodologie de lenseignement de lUniversité de Liège.
Montandon, Cl. (1987) Pratiques éducatives, relations avec lécole et paradigme familial, in Montandon, Cl. & Perrenoud, Ph. (dir.) Entre parents et enseignants : un dialogue impossible ?, Berne, Lang.
Perrenoud, Ph. (1970) Stratification socio-culturelle et réussite scolaire. Les défaillances de lexplication causale, Genève, Droz.
Perrenoud, Ph. (1978) Les politiques de démocratisation de lenseignement et leurs fondements idéologiques. Esquisse dun cadre théorique, Revue suisse de sociologie, n° 1, pp. 129-179.
Perrenoud, Ph. (1979) Des différences culturelles aux inégalités scolaires : lévaluation et la norme dans un enseignement indifférencié, in Allal, L., Cardinet J. & Perrenoud, Ph. (dir.) Lévaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Lang, pp. 20-55 (6e éd. 1991).
Perrenoud, Ph. (1981) Lexigence dégalité devant léducation : quelques réflexions, Genève, Service de la recherche sociologique.
Perrenoud, Ph. (1982) Lévaluation est-elle créatrice des inégalités de réussite scolaire ?, Genève, Service de la recherche sociologique, Cahier n° 17, 1982.
Perrenoud, Ph. (1982) Linégalité quotidienne devant le système denseignement. Laction pédagogique et la différence, Revue européenne des sciences sociales, n° 63, pp. 87-142 (repris dans Perrenoud, Ph., La pédagogie à lécole des différences, Paris, ESF, 1995, 2e éd. 1996, chapitre 2, pp. 59-105).
Perrenoud, Ph. (1984) La fabrication de lexcellence scolaire : du curriculum aux pratiques dévaluation, Genève, Droz (2e éd. augmentée 1995).
Perrenoud, Ph. (1985) Comment combattre léchec scolaire en dix leçons , Genève, Service de la recherche sociologique.
Perrenoud, Ph. (1986) De quoi la réussite scolaire est-elle faite ?, Education et recherche, n° 1, pp. 133-160.
Perrenoud, Ph. (1988) Nouvelles didactiques et stratégies des élèves face au travail scolaire, in Perrenoud, Ph. & Montandon, Cl. (dir.) Qui maîtrise lécole ? Politiques dinstitutions et pratiques des acteurs, Lausanne, Réalités sociales, pp. 175-195.
Perrenoud, Ph. (1988) La pédagogie de maîtrise, une utopie rationaliste ?, in Huberman, M. (dir.) Assurer la réussite des apprentissages scolaires. Les propositions de la pédagogie de maîtrise, Paris, Delachaux et Niestlé, pp. 198-233 (repris dans Perrenoud, Ph. Enseigner : agir dans lurgence, décider dans lincertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe, Paris, ESF, 1996, chapitre 4, pp. 87-108).
Perrenoud, Ph. (1988) Les enjeux de la division du travail pédagogique, Éducateur, n° 5, juin 1988, pp. 6-9.
Perrenoud, Ph. (1988) Échec scolaire : recherche-action et sociologie de lintervention dans un établissement, Revue suisse de sociologie, n° 3, pp. 471-493.
Perrenoud, Ph. (1989) La triple fabrication de léchec scolaire, Psychologie française, n° 34/4, pp. 237-245 (repris in B. Pierrehumbert. (dir.) Léchec à lécole : échec de lécole, Paris, Delachaux et Niestlé, 1992, pp. 85-102).
Perrenoud, Ph. (1991) Pour une approche pragmatique de lévaluation formative, Mesure et évaluation en éducation, vol. 13, n° 4, pp. 49-81 (repris dans Perrenoud, Ph., Lévaluation des élèves. De la fabrication de lexcellence à la régulation des apprentissages, Bruxelles, De Boeck, 1998, chapitre 7, pp. 119-145).
Perrenoud, Ph. (1991) La division du travail pédagogique à lécole primaire, in Unité de recherche en sociologie de léducation, Penser le changement en éducation, Paris, Université René Descartes & CNRS, pp. 29-46.
Petitat, A. (1982) Production de lécole - production de la société, Genève, Droz, 1982.
Pinell, P. & Zafiropoulos, M. (1983) Un siècle déchecs scolaires (1882-1982), Paris, Les Éditions ouvrières.
Plaisance, E. (dir.) (1985) L" échec scolaire " : Nouveaux débats, nouvelles approches sociologiques, Paris, Ed. du CNRS.
Prost, A. (1968) Lenseignement en France (1810-1967), Paris, A. Colin, 1968.
Prost, A. (1983) Quand lécole de Jules Ferry est-elle morte ?, in Frijhoff, E. (dir.) Loffre décole. Éléments pour une étude comparée des politiques éducatives au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, Institut national de recherche pédagogique, pp. 357-369.
Schiff, M. (1982) Lintelligence gaspillée. Inégalité sociale, injustice scolaire, Paris, Seuil, 1982.
Schweisguth, E. (1983) Les salariés moyens sont-ils des petits bourgeois ?, Revue française de sociologie, XXIV, n° 4, pp. 679-704.
Sirota, R. (1988) Lécole primaire au quotidien, Paris, Presses universitaires de France.
Troutot, P.Y. & Montandon, Cl. (1988) Systèmes daction familiaux, attitudes éducatives et rapport à lécole : une mise en perspective typologique, in Perrenoud, Ph. & Montandon, Cl. (dir.) Qui maîtrise lécole ? Politiques dinstitutions et pratiques des acteurs, Lausanne, Réalités sociales.
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1991/1991_01.html
Téléchargement d'une version Word au format RTF :
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1991/1991_01.rtf
© Philippe Perrenoud, Université de Genève.
Aucune reprise de ce document sur un site WEB ou dans une publication imprimée ne peut se faire sans laccord écrit de l'auteur et dun éventuel éditeur. Toute reprise doit mentionner la source originale et conserver lintégralité du texte, notamment les références bibliographiques.
Autres textes : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/textes.html Page d'accueil de Philippe Perrenoud : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/ Laboratoire de recherche Innovation-Formation-Éducation - LIFE : |