Source et copyright à la fin du texte

 

 

 

 

 

 

Propos décousus sur la
formation des enseignants

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et de sciences de l’éducation
Université de Genève
1994

 

Sommaire

1. Formateurs de terrain

2. Alternance, rôle et formation des formateurs

3. Retour de stages, établissements formateurs et cultures de coopération

4. Théorie, stratégie, tactique

Références

Annexe. État des lieux et des questions. Canevas pour le travail des GRI


 

Avant-propos

Ce texte réunis quatre " éditoriaux " proposés oralement dans le cadre d’une Université d’hiver-printemps (UHP) organisée à Fréjus, du 18 au 21 mars 1994, par le Pôle Sud-Est des IUFM sur le thème " Quelle formation pour les formateurs de terrain ? "

Le groupe de pilotage de cette UHP m’avait confié la tâche, chaque matin, de lancer les travaux par environ trois-quarts d’heure de libres propos, puisant à la fois dans les travaux de la veille (conférences et travaux de groupes), dans les synthèses du groupe de pilotage et dans mes propres réflexions.

Les textes qui suivent sont donc d’un genre assez particulier. Ils conservent en partie la forme orale, retravaillée à partir des transcriptions, et le caractère de coq à l’âne d’une pensée qui répond à des débats plutôt qu’elle ne s’élabore en vase clos. D’où le titre de cet ensemble.

Pour saisir ces pages, il importe de savoir que le programme de cette UHP avait été construit sur l’hypothèse d’une intégration à une démarche commune des sept IUFM du pôle Sud-Est (Aix-Marseille, Clermont-Ferrand, Corse, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nice) sur la même question : Quelle formation pour les formateurs de terrain ? Cette démarche supposait :

Les participants disposaient donc avant de se retrouver à Fréjus de nombreux documents de travail faisant état de la situation et des projets dans les divers IUFM. chaque GRI devait répondre à trois questions générales : aujourd’hui, dans votre IUFM, quelles sont les conceptions et les pratiques en matière : 1. d’alternance théorie - pratique, de stages, de rôle du terrain dans la formation ; 2. de rôle des formateurs de terrain ; 3. de formation des formateurs de terrain.

Ce questionnement (dont on trouvera le détail en annexe) partait du principe qu’on ne peut réfléchir sur la formation des formateurs de terrain qu’en clarifiant au préalable leur rôle et en l’inscrivant dans une conception de l’alternance théorie - pratique et du rôle du terrain dans la formation. C’était aussi l’occasion de vérifier une intuition : il n’y a, sur ces questions fondamentales, aucun consensus profond. Autant d’institutions, autant de formateurs, autant de conceptions. L’idée d’alternance renvoie, au minimum, à la succession de moments de formation qui se passent dans des lieux distincts - l’IUFM ou l’établissement scolaire - et selon des modalités distinctes.

Au delà de ce minimum, quelle articulation envisage-t-on ? Les stages sont-ils des moments isolés, qui ont leur autonomie, qu’on peut détacher du reste du cursus ? Ou sont-ils des moments qui prennent leur sens comme fondements ou comme prolongements d’autres activités de formation ? Qui exerce la responsabilité pédagogique des stages (à distinguer de leur gestion) ? Des formateurs spécifiques, chargés des stages ? Ou l’ensemble des formateurs impliqués dans la professionnalisation ? Les moments en IUFM forment-ils le " temps de la théorie " (au sens large) ? Et les moments de stages le " temps de la pratique " ? Ou le va-et-vient entre théorie et pratique s’opère-t-il en principe dans les deux lieux, les deux temps ?

Une certaine conception de l’alternance et des stages fonde certaines attentes à l’égard des formateurs de terrain. Mais il reste une assez large ouverture. Ainsi, si l’on définit le stage comme un " bain de pratique ", on peut imaginer le formateur de terrain comme un hôte, un garant, une personne-ressource dont le rôle est d’aider, de répondre, mais en laissant fondamentalement le stagiaire faire ses expériences, en lui offrant simplement un " filet ", une présence, un regard, une aide dans les moments les plus difficiles. À l’inverse, on peut attendre du formateur de terrain qu’il présente une pratique exemplaire et invite les stagiaires à l’imiter. Si l’on définit le stage comme un des lieux d’une forte articulation théorie-pratique, on peut attendre du formateur de terrain qu’il joue un rôle actif dans la théorisation de sa propre pratique et de celle du stagiaire ; on peut aussi réserver ce rôle aux formateurs en IUFM, en demandant essentiellement au formateur de terrain d’autoriser, de favoriser le questionnement, l’observation, l’expérimentation. Le formateur de terrain peut être un formateur à part entière, intégré à une équipe, au fait de l’ensemble des objectifs et du plan de formation ; ce peut aussi être un auxiliaire qui prête sa classe et sa réalité, sans être activement formateur. Son rôle dépendra aussi de sa participation à l’évaluation.

À conception semblable de l’alternance, du rôle des stages et du rôle des formateurs de terrain, on peut imaginer des représentations diverses de leur formation. Les uns diront qu’il n’est pas nécessaire d’offrir une véritable formation aux formateurs de terrain, parce que ce sont des enseignants expérimentés, donc des formateurs efficaces ; ou parce que le mode de sélection des formateurs de terrain permet de se contenter d’une simple information. D’autres insisteront sur la nécessité d’une véritable formation. Mais les uns mettront l’accent sur une formation méthodologique - relation, communication, observation, entretiens, feed-back, évaluation, encadrement du mémoire professionnel -. alors que d’autres concevront la formation des formateurs de terrain comme l’appropriation d’une culture commune à l’ensemble des formateurs.

Ces questions elles-mêmes mettent en crise la notion même de formateurs de terrain. Dans la terminologie qui s’étend, ce sont d’abord les professeurs d’écoles, collèges ou lycées qui acceptent de contribuer à la formation des nouveaux enseignants, soit en les accueillant dans leur classe, soit en jouant le rôle de conseillers pédagogiques durant un stage en responsabilité, soit en participant à des activités de formation dans le cadre de l’IUFM : analyse de la pratique, encadrement des mémoires. Mais, si la formation des enseignants est une formation professionnelle, n’est-elle pas toute entière orientée vers " le terrain " ? Tous les formateurs ne sont-ils pas, dans ce sens, quel que soit leur statut et leur insertion, des formateurs de terrain ? En dernière instance, on refusera la distinction entre les formateurs de terrain et les autres formateurs.

Ces thèmes ont été traités par plusieurs conférenciers : Kamel Arar (Université de Lyon II) Les processus relationnels à l’œuvre dans les formations de formateurs de terrain, Régine Astic (Hospices civils de Lyon) La formation des formateurs de terrain pour la formation des infirmières cadres, Louise Bélair (Université d’Ottawa) Une formation pour les formateurs de terrain en vue de faciliter l’appropriation de leur rôle., Sarah Blom (Université d’Amsterdam) La formation de formateurs dans un IUFM à Amsterdam, Françoise Clerc (IUFM de Nancy) Former des praticiens formateurs, dans quels buts, pour quelles interventions, Yves Mariani (UNAPEC, Paris) Quels rôles pour le formateur de terrain dans l’accompagnement de parcours de formation individualisés ?, M. Saillard (École des commissaires de police) La formation des formateurs de terrain pour la formation des commissaires de police.

Les propos décousus qui suivent ont été nourris par ces conférences et les travaux de groupes. On retrouvera le tout dans les Actes en préparation. Pour l’heure, ce document de travail peut se lire indépendamment. Les références bibliographiques indiquent quelques lectures directement liées aux principaux thèmes.

 
1. Formateurs de terrain
Vendredi 18 Mars 1994

Peut-être puis-je vous dire d’abord que j’ai accepté de travailler avec le groupe de pilotage de cette Université d’hiver-printemps pour au moins deux raisons :

Le cadrage théorique de cette université hiver-printemps a été esquissé en décembre 1993, au moment où elle a été essentiellement définie comme la réunion de " Groupes de réflexion internes " (GRI) constitués dans chaque IUFM deux ou trois mois avant, pour la circonstance. Les GRI étaient invités à dire quelles sont aujourd’hui, dans leur IUFM, les conceptions et les pratiques en matière : 1. d’alternance théorie - pratique, de stages, de rôle du terrain dans la formation ; 2. de rôle des formateurs de terrain ; 3. de formation des formateurs de terrain, Vous retrouverez le détail du questionnement dans le document de travail.

En guise d’introduction, je souhaiterais revenir sur l’idée même de formateur de terrain.

 1.1 Formateurs de terrain : une expression volontariste ?

Plus on cherche à définir ces termes, plus on se rend compte que ce n’est pas simple. On parle de terrain et on parle de formateurs de terrain. Parlons-nous de la même chose ? Avons-nous les mêmes images, les mêmes concepts ? Probablement pas, parce que le terrain est une métaphore ; or, toute métaphore prête à interprétation ; on y projette beaucoup plus de subjectivité qu’on ne croit.

C’est une métaphore forte, surtout dans une phase où la formation des enseignants devient universitaire. Le terrain, c’est la référence qu’on invoque pour suggérer que la formation n’est pas tout à fait déconnectée de la pratique. J’étais il y a une dizaine de jours au Québec. Le Ministre de l’Education venait de donner une interview qui a fait grand bruit. Il y a 30 ans que les Universités forment les enseignants en Amérique du Nord. Or, le ministre disait en substance et sans mâcher ces mots : La formation s’est complètement éloignée du milieu (c’est le terme canadien pour parler du terrain et des écoles), les professeurs des universités parlent dans l’abstrait, la formation des maîtres est inadéquate par rapport à la complexité des tâches dans le terrain ; j’offre aux universités une dernière chance de faire la preuve qu’elles sont capables de former des professionnels compétents

Propos excessifs d’un Ministre tenté par les formules à la hache ? Peut-être. Il est sûr cependant qu’on ne pourrait être aussi critique si la formation universitaire des enseignants faisaient l’unanimité. En Europe, nul ne souhaiterait entendre dans 30 ans que l’Université n’a pas été capable de former des enseignants convaincants sur le terrain. C’est probablement l’un des enjeux majeurs du débat d’aujourd’hui : quel rôle le terrain doit-il jouer dans l’articulation théorie-pratique pour qu’un surcroît de formation théorique ne se paie pas d’une moindre aisance dans les classes.

Je pourrais proposer une définition précise des formateurs de terrain. Mais elle masquerait le fond de l’affaire : si nous ne savons pas exactement ce que nous voulons dire, c’est faute de savoir exactement ce que nous voulons faire. Il serait absurde d’espérer surmonter nos incertitudes à travers une simple définition. Ce n’est pas une question sémantique. C’est un problème de conception de la formation.

Certes, il importe de clarifier le statut et le rôle des formateurs de terrain. Mais il n’est pas souhaitable de retomber trop vite dans les pesanteurs administratives, les langages codés, les problèmes quotidiens. Cette Université d’hiver-printemps constitue en quelque sorte un no man’s land. Nous n’avons rien à gérer, nous n’avons aucun pouvoir, sinon celui des idées. Nous n’avons ni décisions à prendre, ni dispositifs concrets à mettre en place. Ce qui laisse aux participants la possibilité de s’arrêter à une interrogation de base : à quoi sert le terrain ? quelle est sa place dans la formation des enseignants ?

Tentons d’arpenter le champ sémantique dans lequel on se trouve. Le terrain, au sens le plus banal du terme, désigne les classes et les établissements scolaires, c’est à dire le cadre des pratiques enseignantes quotidiennes, dans toutes leurs dimensions. Face aux élèves, naturellement, mais aussi face aux collègues, aux parents, à l’administration, à la collectivité locale. Et peut-être aussi face à soi-même : la pratique enseignante s’accompagne souvent d’une certaine solitude…

Le terrain paraît la référence ultime de la formation des enseignants. Du moins en principe. Parce que, comme toute formation professionnelle, elle devrait se fonder sur une transposition didactique opérée à partir d’une analyse réaliste des gestes. des pratiques, des savoirs, des compétences des professeurs en exercice. Même si elle doit préparer l’avenir et contribuer à la modernisation du système éducatif, la formation initiale devrait s’orienter en fonction de ce qui se passe aujourd’hui sur le terrain, c’est à dire d’une image réaliste des pratiques et de leur cadre institutionnel. Et en ce sens, tous les formateurs en IUFM sont " formateurs de terrain ", si l’on entend par là que leur action vise à donner la maîtrise des problèmes qui se posent au jour le jour dans les classes et les établissements. Le terrain devrait être la commune référence de tous les formateurs, quel que soit leur statut, leur rattachement, leur itinéraire personnel. Parler alors de formateurs de terrain ne renverrait pas alors à une catégorie particulière de formateurs, mais à une facette du travail de tous : préparer à exercer un métier dans les classes et les établissements scolaires. Ce serait un façon d’insister sur ce qui rassemble les divers formateurs d’enseignants, par delà la division du travail, les spécialisations disciplinaires, les distinctions de statut ; une manière de rappeler à chacun que la référence à ce que les futurs enseignants vont vivre dans les établissements et les classes devrait traverser tous les moments de leur formation professionnelle, qu’elle soit disciplinaire, didactique, pédagogique ou transversale, théorique ou pratique.

Convenons-en : il est rare qu’on entende " formateur de terrain " en un sens aussi large. On pense plutôt aux enseignants dont l’identité principale est d’être professeurs d’école, de collège ou de lycée, de travailler quotidiennement avec des enfants ou des adolescents scolarisés, mais qui, pour une fraction marginale de leur temps, participent à la formation initiale de leurs futurs collègues. La plupart du temps, on les appelle et ils s’appellent maîtres de stage, maîtres d’accueil, maîtres d’application, tuteurs, mentors, praticiens chevronnés, experts, conseillers pédagogiques ou autres dénominations qui courent les académies ou les systèmes éducatifs. Ils acceptent de contribuer à la formation initiale à titre de praticiens expérimentés, en sus de leur fonction principale, en quelque sorte " par dessus le marché ". Se sentent-ils formateurs d’enseignants, au plein sens du terme ? Ou se sentent-ils simplement hôtes, personnes ressources, auxiliaires des formateurs de l’IUFM jouant un rôle d’appoint dans la formation des maîtres ?

Dans le cadre de cette Université d’hiver-printemps, nous avons choisi de les appeler formateurs de terrain. Pourquoi ? Reconnaissons que cette dénomination est plus volontariste que réaliste : elle traduit le désir de donner, dans la formation des enseignants, une place plus importante et explicite au terrain et un rôle clair de formation aux professeurs d’écoles, collèges et lycées qui accueillent les stagiaires. L’appellation de formateurs de terrain est un appel plus qu’une description des identités et des pratiques d’aujourd’hui. D’une certaine manière, les formateurs de terrain sont l’avenir - un avenir possible - des maîtres de stage et des conseillers pédagogiques.

Cet avenir n’est pas nécessairement une pure projection, une utopie intégrale. Il s’incarne déjà dans certaines fonctions, comme par exemple celle d’IMF (instituteur maître formateur) héritée des Écoles normales, qui ont été depuis longtemps définis comme des formateurs à part entière plus que des maîtres de stage, chargés non seulement d’accueillir des étudiants dans leur classe, mais d’intervenir dans le cadre de cours et de séminaires, en École normale, puis en IUFM. Le rôle de formateur de terrain à part entière s’incarne aussi dans les parcours de formation les plus novateurs, au Canada par exemple, dans les expérience de formation conjointe ou d’écoles associées. Certains IUFM ou d’autres instituts de formation des maîtres dans le monde ont déjà donné aux professeurs accueillant des stagiaires un statut clair et institué de formateurs de plein droit. Enfin cet avenir s’incarne dans toutes sortes de pratiques individuelles novatrices ou simplement marginales, autorisées par le flou des cahiers des charges, alimentées par les initiatives de certains maîtres de stage ou conseillers pédagogiques qui se sentent formateurs et y sont encouragées par l’esprit du temps.

Rien n’interdit, au contraire, de projeter dans l’avenir une définition qui aide à le construire. Mais cet effort volontariste serait vain si l’on en restait au vœu pie, sans fonder cette définition sur une conception claire de l’alternance et de l’articulation théorie-pratique, donc du rôle du terrain dans la formation. Il ne s’agit pas simplement de (re) valoriser les maîtres de stages ou d’accueil en leur attribuant un brevet de formateurs d’adultes. C’est de changer les pratiques qu’il est question. Si l’on ne fait pas un détour par un débat sur la formation et l’alternance, on risque de se battre sur des mots qui renvoient à des images différentes, avec beaucoup d’implicite.

Notre travail est d’essayer de mettre une partie de cet implicite sur la table, tout en sachant que les imaginaires de la formation des enseignants sont inépuisables et que le terrain de l’un ne sera jamais exactement le terrain de l’autre. Il reste qu’autour de l’articulation théorie-pratique, nous pourrions faire l’effort et nous donner la discipline de dire aussi exactement que possible ce que nous avons en tête, pour savoir ensuite sur quoi nous sommes ou non d’accord, et pourquoi, à propos du rôle des formateurs de terrain et donc leur formation. Cette dernière ne s’analyse en effet qu’à partir d’une identification claire de leur rôle, qui n’est elle même possible qu’à partir d’une conception claire de la division du travail de formation et donc de l’articulation théorie-pratique dans un parcours de formation professionnelle.

Cette conception de l’articulation s’ancre elle-même, en amont, dans une réflexion sur les enjeux de la formation des enseignants, sur les compétences à construire, sur la nature des parcours, des dispositifs et des démarches de formation.

 1.2 Un métier nouveau

Quels sont aujourd’hui les enjeux ? C’est de contribuer à écrire ce que Philippe Meirieu a appelé un scénario pour un métier nouveau. C’est de viser plus loin qu’une modernisation de la formation, que son ajustement à un cadre universitaire. C’est de contribuer à un basculement possible du métier d’enseignant vers la professionnalisation. Rien n’est joué. Le métier oscille entre deux avenirs possible, décrits par un certain nombre d’auteurs et d’organisations internationales dans des termes divers. Pour ma part et avec Raymond Bourdoncle, j’opposerais professionnalisation et déprofessionnalisation (ou prolétarisation) du métier d’enseignant. On peut opposer autonomie et responsabilité accrues des enseignants à une dépendance accrue à l’égard de ce qu’Yves Chevallard a appelé la noosphère, la sphère de ceux qui pensent la pratique des maîtres et leur disent comment résoudre les problèmes. On peut, avec l’OCDE, opposer le " professionnalisme ouvert " à un " système à livraison de services ", l’enseignant livrant à l’enseigné un certain nombre de savoirs avec des moyens et selon des démarches didactiques pensées et confectionnées des spécialistes, de l’évaluation, de la didactique et des programmes.

Le métier d’enseignant est d’une certaine manière au milieu du gué. Il y a quelques raisons de penser que l’état actuel de " semi-professionnalisation ", d’autonomie de contrebande, d’ambiguïté ne pourra durer des décennies encore. Par moments l’enseignant se prétend autonome, à d’autres, il se présente comme un fonctionnaire qui fait ce qu’on lui dit et n’est pas responsable des effets de son enseignement. Cette valse-hésitation procure un certain nombre de bénéfices secondaires et on peut comprendre l’attachement d’une partie des enseignants à ce statu quo. Mais :

1. Les conditions d’exercice du métier se sont passablement dégradées, en raison de la concurrence entre établissements, de la floraison des " écoles parallèles " (informatique et media), de mouvements migratoires amplifiés, du renouvellement rapide des savoirs. Dans les banlieues ou dans certaines zones à hauts risques, différents problèmes sociaux se cumulent à l’échec scolaire. La réalité du métier se diversifient, affronte davantage la complexité des rapports sociaux et appelle davantage de professionnalisme ou de professionnalisation.

2. Les politiques de l’éducation sont toujours plus ambitieuses. Quand le ministre J.-P Chevènement en appelait à 80 % d’une génération au niveau du bac, il ne flirtait pas avec l’utopie, il reprenait ce que disent ou diront sous peu tous les ministres de l’éducation des pays développés, qu’ils soient de gauche ou de droite, c’est à dire qu’il faut viser de très hauts niveaux de formation. Ce n’est plus une utopie politique, c’est une nécessité gestionnaire pour les sociétés du XXIème siècle. On attend désormais des systèmes éducatifs qu’ils soient plus efficaces.

3. Dans le même temps, le développement des budgets éducatifs est largement freiné, les ressources se stabilisent ou régressent, on met fin à la fuite en avant. Il faut désormais faire mieux avec les mêmes moyens, voire avec un peu moins, relever de nouveaux défis sans recevoir de nouvelles ressources.

Pour ces trois ordres de raisons, il se pourrait bien qu’on ne puisse pas installer trente ans encore dans la définition actuelle du métier d’enseignant primaire ou secondaire. Ce qui amène à privilégier :

J’opte résolument pour une professionnalisation croissante, parce que je ne pense pas qu’on puisse indéfiniment tenir les enseignants par la main pour affronter les situations complexes. Chaque jour, dans une classe, on adopte une politique de l’éducation, on fonde une éthique, on négocie un contrat social. Les systèmes démocratiques sont incapables de dépasser leurs contradictions, chaque enseignant est donc condamné à revivre au niveau de l’établissement et de la classe, toutes sortes de conflits et d’ambiguïtés quant aux finalités et aux valeurs qui doivent guider l’éducation. Par ailleurs, il se trouve de plus en plus souvent en face d’acteurs - parents, élèves, collègues - qui négocient, qui n’acceptent plus l’autorité traditionnelle, qui veulent participer, avoir leur mot à dire, bénéficier de plages de liberté. Dans le métier d’enseignant, on court aussi des risques personnels, on est confronté aux limites de l’action, à son échec, à ses propres contradictions, à la résistance de l’autre. Face à la complexité, il faut réfléchir par soi même et construire sa propre identité plutôt que chercher des modèles. Or, le travail sur soi, alors qu’il est devenu presque évident dans les soins infirmiers, dans le travail social, dans les différents métiers de l’humain, reste encore le parent pauvre de la formation des enseignants. Comme si c’était un métier entièrement rationnel, basé sur des savoirs plutôt que la personne et les relations. Enfin, dans le domaine des savoirs et savoir-faire, les apports de la didactique et des technologies ne seront réellement utilisés que par des enseignants assez autonomes, critiques, créatifs pour imaginer des réponses originales aux situations complexes plutôt que des réponses orthodoxes, hier à un modèle normalisant, à une vulgate didactique aujourd’hui. Une véritable professionnalisation du métier est, à terme, la seule stratégie défendable. Tout espoir de rendre l’enseignement plus efficace par un contrôle externe plus serré ne fait que perdre du temps…

 1.3 Repenser les dispositifs de formation

Une fois (re) définie la nature même du métier et des compétences qu’il met en œuvre, comment revenir aux dispositifs de formation ? Quels sont les axes d’une formation initiale orientée vers la professionnalisation du métier d’enseignant ?. Je me borne ici à rappeler dix orientations développées ailleurs (Perrenoud, 1994) pour penser ou repenser la formation initiale :

1. Penser la transposition didactique à partir de pratiques complexes ; cela devrait aller de soi, mais en réalité, on la pense encore très largement, pour le métier d’enseignant, à partir de la maîtrise des savoirs disciplinaires et des savoirs savants plutôt que de la complexité, de la diversité et de l’urgence des problèmes qu’on gère au jour le jour dans une classe. Repenser la transposition didactique à partir de la réalité du métier et de son évolution probable, c’est associer les praticiens à la conception des objectifs de la formation.

2. Articuler théorie-pratique tout au long de la formation et pas seulement dans des phases précises ou à des moments où la pratique prend enfin le dessus, pour compenser un excès de théorie. Mieux vaudrait penser l’alternance comme une modalité constante dans un parcours de formation. Chaque moment de la formation renvoie à un autre, le suit ou le prépare, lui donne du sens, le complète, le met en perspective.

3. Pratiquer une démarche clinique, c’est à dire réfléchir sur des cas concrets, théoriser la pratique à partir de situations vécues, mobiliser les savoirs comme grilles de lecture de l’expérience et tremplins pour rebondir vers une nouvelle phase d’expérimentation.

4. Retrouver et reconnaître les savoirs des praticiens, organiser leur transmission explicite et la valoriser. Favoriser une relation qui le permette et que le terme de compagnonnage évoque assez bien. Reconstruire le rapport entre expert et novice comme un partage autour d’une pratique commune, avec moins d’asymétrie que d’ordinaire et peut-être aussi un moindre poids de l’évaluation.

5. Former à et par une pratique réfléchie. Les travaux de Schön, qui a développé les concepts de praticien réfléchi et de réflexion dans l’action ne sont malheureusement pas encore traduits. Ils vont l’être au Québec, d’ici quelques mois. On aura alors une base un peu plus large, dans notre culture francophone, pour savoir de quoi on parle. En résumé, il s’agit de former un praticien capable d’autorégulation de sa pratique, parce qu’il dispose des instruments d’analyse de ses échecs, de ses impasses, de ses ambiguïtés, ou simplement de ses habitudes, et qu’il peut, d’année en année, de mois en mois, de semaine en semaine, reconstruire ses façons d’agir, ne serait-ce que parce qu’il est capable d’en prendre conscience. À propos des processus intellectuels des élèves, on parle beaucoup de développer la métacognition et la métacommunication. Cela vaut aussi pour les adultes. Leur formation devrait leur donner les moyens de penser leurs propres processus de réflexion et de décision, pour pouvoir les réguler. Ce qui amène à communiquer : un praticien réfléchi est rarement solitaire ; son rapport réflexif à sa propre pratique est encouragé par le travail d’équipe, la concertation avec les collègues, l’implication dans un projet d’établissement.

6. Reconnaître et développer les savoirs d’expérience, c’est à dire mettre en mots, donner un statut à des savoirs construits pas les professionnels sans avoir immédiatement de stricts équivalents dans les savoirs savants sur l’enseignement.

7. Travailler sur les situations problèmes et les objectifs obstacles, partir des représentations préalables des futurs enseignants ; tout ce que les sciences de l’éducation et les didactiques des disciplines proposent pour l’éducation scolaire est largement transposable à la formation professionnelle des enseignants. Cela amène également à repenser les démarches de formation pour des adultes capables d’autoformation, à rompre assez largement avec la logique des cours, du texte du savoir pour faire travailler les gens sur des problèmes et des situations.

8. Transformer et former l’habitus c’est à dire l’ensemble des schèmes qui sous-tendent notre action, sans qu’on sache toujours pourquoi nous réagissons de telle ou telle façon. Pourquoi nous mettons-nous en colère ? Pourquoi réagissons-nous à l’injustice ? Pourquoi éloigne-t-on ou rapproche-t-on un élève d’un autre ou de soi ? Ces fonctionnements, qui mettent en jeu la personnalité profonde, mais aussi la culture, l’origine sociale, familiale ou nationale, sont des déterminants de la pratique aussi décisifs que les modèles didactiques. Aussi convient-il élargir un peu la zone de la personne et de sa culture sur laquelle on travaille en formation. Sortir du discours didactique, pédagogique ou relationnel convenu pour essayer de voir où sont les véritables sources de la pratique, qui sont loin d’être tous dans des représentations et des schémas explicites.

9. Aller vers l’individualisation des parcours. On ne peut plus aujourd’hui penser une formation d’adultes en faisant comme si tout le monde avait les mêmes besoins, partait du même point. C’est ce que l’on préconise dans les cycles pédagogiques pour les élèves de l’école primaire, et dans les modules, pour les élèves des lycées. La moindre des choses serait d’en faire autant pour la formation des adultes. C’est en réalité plus facile, car le contrat pédagogique est moins tendu, les problèmes de maintien de l’ordre, de discipline, de sélection ne sont pas majeurs avec les adultes. On n’a aucune excuse de ne pas individualiser les parcours de formation.

10. Dernier point penser ou repenser l’ensemble du fonctionnement de l’institution de formation comme un curriculum caché, mais diablement formateur. Beaucoup d’institutions de formation sont encore dans le : " Faites comme je dis, mais pas comme je fais ". On ne peut pas faire comme si le fonctionnement de la formation n’était pas en lui-même formateur. Ce qui veut dire qu’au delà des cahiers des charges, des programmations précises, il y a probablement à penser l’ensemble des expériences qu’on provoque chez les étudiants, expériences d’incohérence, de dispersion. Si " praticiens " et " théoriciens " n’arrivent pas à se parler, ils n’accréditent pas l’idée d’une forte articulation théorie-pratique. Cette dernière devrait commencer par s’incarner dans les rapports entre formateurs. Si les maîtres de stages et conseillers pédagogiques n’ont aucune idée du plan de formation et ne manifestent guère d’estime pour les " théoriciens du centre ", si ces derniers tiennent les praticiens des établissements dans l’ignorance ou le mépris, les étudiants comprendront vite que, dans le fond, l’articulation théorie-pratique, on leur en parle, mais que leurs formateurs n’y croient pas et ne la pratiquent pas. Il importe que tous les formateurs, quel que soit leur rôle et même leur temps de travail, aient une vue d’ensemble de la démarche, du parcours et des objectifs de la formation, et se sentent responsables de sa cohérence et de l’accord entre le dire et le faire.

 1.4 Une méthode

Pour poser et affronter lucidement le problème de la formation des formateurs de terrain, il faudrait en résumé franchir cinq étapes.

1. Il importe d’abord de clarifier la conception de l’alternance et de l’articulation théorie-pratique, en distinguant l’alternance entre moments en école ou en établissement et moments en IUFM d’une véritable articulation. L’alternance contient en germe l’articulation, mais ce n’est qu’une virtualité ; pour l’actualiser, il faut tisser des liens entre ces différents moments, c’est à dire les connaître, les comprendre et les construire dans une cohérence, faire en sorte qu’ils se répondent, se préparent, s’exploitent les uns les autres. Il ne suffit pas de les juxtaposer pour faire de l’articulation. Tant que les formateurs n’ont pas clarifié et négocié ensemble leurs conceptions de l’alternance, chacun se sent libre, une fois qu’il se retrouve avec ces étudiants, dans sa plage horaire, dans son type de pratique, d’oublier le reste du monde. Cela n’est pas un gage d’articulation théorie-pratique.

2. Dans un deuxième temps, il faudrait penser ou repenser la diversité des tâches de formation et des compétences qu’elles mobilisent, donc la division du travail de formation. La division disciplinaire est la plus connue, mais c’est la moins intéressante. Mieux vaudrait travailler sur d’autres découpages, c’est à dire différents types de médiation théorie-pratique et d’articulation entre des savoirs de sources diverses. Dans ce domaine, nous commençons à forger un langage et des concepts communs. Il importe de ne pas escamoter cette étape.

3. Une fois qu’on a une vision claire de la division du travail de formation, on peut songer à clarifier le rôle exact de chacun. Dans cette Université d’hiver-printemps, nous allons nous centrer sur les rôles des formateurs les plus proches du terrain, mais on ne peut y parvenir sans parler des autres rôles, car leur complémentarité est importante : chacun imagine que les autres formateurs font autre chose et qu’il peut compter sur leur travail.

4. Une fois qu’on aura clarifié les rôles de chacun, on pourra penser à la formation de formateurs qui leur permettrait d’exercer plus sûrement leur rôle. C’est notre thème principal, mais il renvoie à des débats inachevés sur les thèmes précédents.

5. On pourrait ajouter un cinquième point. Supposons qu’on construise un IUFM avec beaucoup de cohérence et de liberté, qu’on puisse en toute sérénité et en toute conscience définir et construire l’alternance, prévoir une division claire et pertinente du travail, préciser les rôles, former les formateurs. Au bout de six mois, tout cela serait déjà à reprendre. L’ensemble de ces représentations méritent d’être constamment concertées, revues et corrigées. Les dispositifs de concertation et de régulation sont une ressource majeure pour qu’aucune question complexe ne soit pas réglée une fois pour toutes, mais reprise et affinée constamment à la lumière de l’expérience.

 1.5 Les formateurs de terrain

Dans cette Université d’hiver-printemps, on pourra parler de tous ces thèmes, mais on tentera de se centrer davantage sur le rôle des professeurs d’écoles, lycées et collèges lorsqu’ils accueillent les étudiants, pour se demander s’ils peuvent être formateurs à part entière et à quelles conditions, dans quel contrat entre eux, avec le centre, avec l’établissement, avec le stagiaire, et en s’appuyant sur quelle identité et quelle formation. On peut aussi s’autoriser à parler d’un certain nombre de rôles complémentaires et notamment de ceux qui ont le plus de rapports avec le terrain comme objet de réflexion. J’en vois au moins quatre, qui émergent des différentes contributions :

1. Il y a les responsables de stages, qui gèrent un réseau et qui incarnent une conception des stages. Même s’ils ne sont pas souvent sur le terrain en personne, ils jouent un rôle de pivot, parce que ce sont eux qui donnent de la cohérence et du sens à aux stages et reconstruisent régulièrement le pourquoi et le comment, donc insufflent - ou non ! - un esprit là où la pesanteur normale des institutions va vers des routines impensées. Souvent, en matière de stages comme ailleurs, on suit des procédures héritées de prédécesseurs qui eux-mêmes n’ont peut-être jamais su pourquoi tel stage a lieu à tel moment, pourquoi on alterne sensibilisation, observation, pratique accompagnée, stage en responsabilité, dans quelle logique d’ensemble s’inscrivent les moments de terrain. Certes, le plan de formation est censé le dire. Le dit-il vraiment, donne-t-il des raisons ? Et même alors, qui relit le plan de formation au jour le jour ? Les responsables de l’organisation des stages sont maîtres non seulement du fonctionnement des stages, de l’animation et du renouvellement des réseaux de formateurs de terrain, mais aussi responsables de donner du sens aux pratiques, de rappeler les raisons d’être de tel ou tel dispositif.

2. Il existe un autre rôle intéressant, même s’il n’est pas connu et pratiqué en France. Il est bien connu au Québec et aux États-Unis, c’est celui de superviseur de stage, ou de visiteur. Le superviseur n’est pas responsable de l’ensemble du dispositif, mais du bon fonctionnement d’un stage. Il n’accueille pas le stagiaire, et n’intervient pas nécessairement à un autre moment de la formation. Il est seulement garant de la relation entre stagiaire et formateur de terrain. En Europe, ce rôle revient souvent au chef d’établissement ou à l’inspecteur, mais en ont-ils le temps et les moyens ?

3. Troisième rôle, voisin, celui d’animateur de groupes d’analyse de la pratique ; c’est, en IUFM, une fonction possible des instituteurs maîtres-formateurs dans le premier degré. Ce formateur travaille dans le centre, ou éventuellement en établissement, il pilote une réflexion collective relativement continue sur les problèmes de la pratique, sans être lui-même maître d’accueil ou maître de stage. Il est très proche de l’expérience vécue en stage, il crée un lieu " protégé " où l’on peut constamment faire état de son expérience, de ses doutes, de ses éventuelles difficultés, parce qu’on est " là pour çà ", parce qu’on travaille dans de bonnes conditions de dialogue, de confiance, de communication, parce qu’on a du temps et parce qu’on n’a pas un programme structuré qui empêcherait de parler de ce qu’on vient de faire et de vivre.

4. Quatrième catégorie ce sont les formateurs de l’IUFM les plus proche de la complexité, les plus centrés sur les pratiques. Dans les IUFM, ce sont des témoins, des garants, ceux qui, en raison d’un itinéraire personnel ou de leur domaine de recherche, compensent l’éloignement de tous ceux qui ne savent pas très bien ce qui se passe dans les classes. Ils peuvent être philosophes, didacticiens, psychologues, sociologues. Leur rattachement disciplinaire importe moins que leur choix : réfléchir sur les pratiques avec les praticiens. Ce sont parfois les cautions " praticiennes " du système universitaire.

Même si on se centre, dans les travaux de groupe, sur les professeurs des écoles, collèges et lycées qui accueillent et encadrent les stagiaires, on a le droit et même le devoir de se faire des idées sur ces quatre types de formateurs " proches du terrain ". Je souhaite que sur tous ces points, on se concentre plutôt sur des idées générales et communes que sur des problèmes de dispositifs, de terminologies et de statuts. Ces derniers sont évidemment très importants, mais peut-être prématurés. Ici, ils ne nous ne réunissent pas nécessairement, vu la diversité des insertions institutionnelles, des pratiques et des conditions de travail des uns et des autres.


2. Alternance, rôle et formation des formateurs

Samedi 19 Mars 1994

Des travaux de groupes émergent quelques idées sur l’alternance, le rôle des formateurs de terrain et la formation des formateurs.

 2.1 L’alternance, une idée vague

Le concept est loin d’être clair. On s’en doutait, mais cela se confirme. On n’est même pas sûr qu’il soit utile, qu’il nous aide vraiment à penser la complexité d’un parcours de formation professionnelle. On s’est même demandé si cette thématique n’enfermait pas dans une opposition simpliste, qui ne serait pas à la hauteur des problèmes.

Si le concept d’alternance rappelle simplement que l’étudiant va et vient entre plusieurs lieux de formation, et notamment entre l’IUFM et des établissements scolaires, cela ne nous mène pas très loin. Il reste au moins deux problèmes ouverts :

1. Quelles sont les contributions respectives du terrain et de l’IUFM à la formation ? L’idée même d’alternance entre des lieux ne répond pas à cette question.

2. Comment ces apports sont-ils coordonnés, articulés, intégrés ? L’idée d’alternance, en tant que telle, ne dit rien de la mise en synergie ou en relation entre ces différents moments, sur leurs sens respectifs.

Consensus provisoires

Des débats émergent deux points de consensus provisoire :

1.Y a-t-il un moment de la théorie dévolue à l’IUFM et un moment de la pratique dévolue aux établissements ? À cette question, posée au GRI, la réponse semble assez claire, du moins dans l’idéal : non, ce n’est pas le découpage qui convient, théories et pratiques sont présentes dans les différents lieux de la formation. L’articulation théorie-pratique devrait traverser toutes les composantes et tous les moments de la formation professionnelle. Nous sommes donc en rupture avec l’opposition traditionnelle entre formation théorique et formation pratique, encore très courante dans beaucoup d’institutions de formation.

2. L’important est que les dispositifs, les temps et les lieux de formation offrent à l’étudiant des occasions de construire ses compétences de façon réflexive, interactive, autonome et critique. On rompt avec l’intériorisation de modèles ou d’une orthodoxie ; il s’agit désormais de centrer la formation sur l’apprenant, sur le sens qu’elle prend à ses yeux et sur la façon dont il l’organise dans sa tête ; le reste n’est que détours pour favoriser cette démarche. C’est une banalité didactique, mais cela ne va pas encore de soi dans la formation des enseignants, où l’on tend encore à se centrer sur l’institution et sa logique plutôt que sur l’apprenant et son parcours de formation.

En tentant d’aller plus loin, on bute sur deux questions :

1. Quelle représentation adopte-t-on du métier d’enseignant et des compétences qu’il suppose ? Les plans de formation sont supposés donner la réponse, mais on se rend compte que si on ne reconstruit pas constamment et collectivement ces représentations, les malentendus sont probables au niveau des dispositifs.

2. Comment se représente-t-on exactement le processus de construction progressive de compétences professionnelles et donc la nature des interactions et des expériences de tout genre qui favorisent cette construction ? Nous avons là des images mentales assez globales, constructivistes, interactionnistes, avec une sorte d’adhésion aux démarches actives. Mais comment cela se passe-t-il exactement ?

L’alternance entre des postures

Une idée intéressante émerge, qui reprend la notion d’alternance en la redéfinissant : plutôt que de concevoir la formation comme une alternance entre des lieux, mieux vaudrait la concevoir comme une alternance entre des postures ou des positions de l’apprenant :

Il s’agirait de construire la formation comme une alternance entre ces deux postures, qui n’ont pas le même rapport à la décision et à l’action, mais qui s’alimentent mutuellement, dans une dynamique qui reste à préciser. En somme, on distingue deux boucles de régulation : l’une qui serait une régulation dans l’action, assez rapide, largement improvisée ; une autre plus lente, plus tranquille, passant par un détour réflexif, y compris, le cas échéant, par une formation complémentaire.

Cette opposition me semble féconde, parce qu’elle vaut aussi pour l’expert. Le praticien expérimenté, le vrai professionnel fonctionne dans ces deux registres en alternance, durant la journée, la semaine, l’année. D’où une conclusion provisoire : la formation en alternance consiste à former des praticiens réfléchis par une pratique réfléchie, à les former par et à l’alternance entre implication et explication. Aucun groupe ne s’est exprimé de cette manière. Je sollicite un peu les formulations, pour mettre en évidence ce qu’on pourrait appeler un principe d’homologie : la formation doit ressembler au fonctionnement que l’on veut installer durant le cycle de vie professionnelle ; c’est une façon de former le praticien par la pratique, mais on ne parle pas ici de l’action pédagogique, mais d’une pratique de métacognition, de prise de conscience et de régulation. Elle ne peut avoir exactement le même sens, la même intensité, les mêmes enjeux chez l’étudiant en formation et chez les enseignants expérimentés. En formation initiale, il faut des dosages spécifiques et une progression dans la complexité. Mais il faut aussi que l’étudiant soit mis assez vite en situation de responsabilité au moins partielle, tout en restant dans sa zone proximale de développement, pour éviter toute régression à des stratégies de survie. Il apprend à réfléchir sur sa pratique en étant placé dans une situation complexe mais maîtrisable, qui va le faire progresser. On passe de l’observation participante à la participation réflexive.

La régulation

Aucun dispositif d’alternance ne suffit à lui tout seul, il est nécessaire d’en concevoir plusieurs, complémentaires. Aucun ne dure sans usure, il faut donc ajuster ou inventer. D’où l’image d’une double régulation :

Cette complexité n’est pas facile à gérer. Mais elle évite de mettre tous les œufs de l’alternance dans le même panier.

 2.2 Le rôle des formateurs de terrain

Pour réfléchir sur ce second point, il faudrait évidemment, en bonne logique, avoir une réponse définitive, stable et consensuelle sur l’alternance. Ce qui est évidemment un rêve. Je retiendrai néanmoins quelques propositions constructives, qui sont sans doute l’envers de constats de carence ou de manque.

Premier principe : les formateurs de terrain sont des formateurs à part entière, ce ne sont pas de simples hôtes, des gens qui se bornent à prêter leur réalité ; ils ont un rôle propre à assumer dans la construction des compétences.

Deuxième principe : les formateurs de terrain doivent être dans un rapport de partenariat fort avec les formateurs d’IUFM ; ils ne leur sont pas subordonnés, et ne sont pas la cinquième roue du char ou une courroie de transmission ; c’est un partenariat entre des formateurs qui ne font pas la même chose, qui n’ont pas le même pouvoir, la même place, mais qui, à part égale ou équivalente, contribuent à l’ensemble du parcours de formation.

Troisième principe : on insiste sur l’importance d’une culture commune à l’ensemble des formateurs, c’est-à-dire de représentations partagées des finalités et des démarches de la formation et du rôle des uns et des autres. Le thème du sens a traversé un certain nombre de débats. Or, dans le fond, la culture commune n’est rien d’autre que ce qui donne du sens à la coexistence et au travail en commun.

Quatrième principe : on souligne la nécessité d’expliciter les attentes mutuelles, les complémentarités, les contrats des uns et des autres, contrats aussi bien entre les formateurs qu’avec l’institution et avec les stagiaires.

Cinquième principe, on préconise des réseaux d’échanges, des temps de travail et de formation commun. On sait que les représentations sociales se construisent dans la conversation. S’il n’y a pas de lieux de rencontre et de conversation, il n’y a pas de culture commune.

Sixième principe : on souhaite aussi des partenaires, des statuts durables pour construire dans la durée, sachant qu’une culture commune ne se fabrique pas en trois jours. Si les partenaires changent tout le temps, ils repartent sans cesse à zéro. Pour construire une culture et des contrats, la continuité est déterminante.

Septième principe : on propose de passer de la notion de personne formatrice à celle d’établissement formateur, en impliquant d’autres professionnels, dont les chefs d’établissement ou les équipes de direction ; il s’agit donc de construire des contrats avec des collectivités pédagogiques et pas seulement des personnes.

Huitième principe : associer tous les formateurs à la conception, à l’évaluation et à la régulation des plans et des dispositifs de formation. Qu’ils aient leur mot à dire pas seulement sur la conception d’ensemble, mais sur leur rôle dans l’orchestre. Ce qui semble pas vraiment acquis pour les formateurs d’IUFM et moins encore pour les formateurs de terrain.

Nous le pressentons, ces propositions sont des réponses à une série de failles :

Quant au rôle spécifique des formateurs de terrain, quelques idées se dessinent.

1. Leur rôle doit d’abord être explicité et négocié avec les intéressés. C’est la traduction logique de l’idée de partenariat et de coresponsabilité : dans cet esprit, on ne peut pas imaginer qu’on définisse le rôle des formateurs de terrain pour eux et sans eux.

2. Pour entamer cette négociation du point de vue des formateurs du centre, on ne proposerait pas aux formateurs de terrain d’abord d’offrir un modèle, mais :

3. À un niveau peut-être plus ambitieux, on attend du formateur de terrain qu’il crée des situations de formation pour que l’autre, le stagiaire, puisse se construire.

Cet idéal n’est probablement pas généralisable. Peut-être faut-il accepter qu’il y ait deux niveaux de qualification et d’implication des formateurs de terrain :

Cela pose le problème du statut des formateurs du second niveau, lorsqu’ils existent, comme les IMF, ou lorsqu’ils pourraient exister. Il faut reconnaître l’inconfort de leur position d’intermédiaire, admettre que c’est un passage, qu’elle peut déboucher sur un changement de carrière ou un autre rattachement après quelques années, savoir qu’on ne peut être facilement, durant vingt-cinq ans, écartelés entre deux mondes institutionnels. Entre le premier niveau et le deuxième, entre ce dernier et le statut de formateur IUFM, peut-être faut-il construire explicitement une filière de reconversion, voire de promotion.

Se pose un problème de fond pour les deux niveaux, mais plus encore pour le premier : comment faire pour que les formateurs de terrain trouvent leur compte dans l’entreprise ? La question se pose :

Hypothèse : pour que ça " tienne debout ", il ne faut pas que ce soit du bénévolat ou du dévouement ; il faut que le formateur de terrain ait intérêt à le devenir et à le rester, non pas seulement pour rendre service à la communauté ou par solidarité avec les futurs enseignants, mais parce qu’il y trouve son compte.

2.3 La formation des formateurs de terrain

Sur ce troisième point, le travail ne fait que commencer. On discerne néanmoins quelques tendances.

Un certain nombre de groupes refusent l’idée même d’une formation de formateurs de terrain. Est-ce pour dire qu’être formateur de terrain ne s’apprend pas ou ne suppose aucune compétence spécifique ? Nullement ! Mais on refuse l’idée d’une formation des formateurs de terrain par les formateurs de l’IUFM. En effet, cela renforcerait l’asymétrie de leurs positions. D’où l’idée que, s’il faut une formation des formateurs de terrain, il n’appartient pas aux formateurs du centre de l’assumer. On dessine trois alternatives :

Cela me semble une idée assez forte, qui va assez loin dans le sens d’une nouvelle répartition, d’un rééquilibrage des pouvoirs. Cela se heurte évidemment à un certain nombre de problèmes :

Cette idée générale et généreuse se heurte donc à différentes pesanteurs, mais il vaut la peine de la creuser. Pour ce qui touche aux contenus de la formation des formateurs, les groupes ne sont pas encore allés très loin, mais se dessinent quelques pistes :

1. La formation consiste d’abord à construire une culture commune, ce n’est pas forcement recevoir des outils, c’est réfléchir et réfléchir ensemble sur ce qu’on fait, pourquoi et comment.

2. C’est donc une forme de coformation, de pratique réfléchie, de réflexion commune sur une pratique de formateurs d’adultes, par l’échange, la confrontation, l’explicitation.

3. Se former, c’est se centrer sur une formation à la formation d’adultes au sens plein du terme ; c’est prendre les étudiants pour des personnes responsables et autonomes, ce qui est la moindre des choses ; c’est surtout emprunter à la formation des adultes un certain nombre d’outils, comme les bilans de compétences, ou simplement d’idées, par exemple qu’on s’adresse à des gens qui ont déjà des compétences, qui ont un itinéraire et une expérience ; ou l’idée que l’hétérogénéité des étudiants est la règle et qu’il vaut mieux en faire une ressource qu’un obstacle à la formation. La formation d’adultes, parce qu’elle les accueille à tous les âges de la vie, avec toutes sortes de cheminements, a su faire de nécessité vertu. La formation des formateurs ferait bien de s’en inspirer.

4. Le thème de l’évaluation et de la coévaluation de la formation des enseignants pourrait être un des thèmes organisateurs de la coformation des formateurs, et peut-être un objet de réflexion éthique.


3. Retour de stages, établissements
formateurs et cultures de coopération

Dimanche 20 mars 1994

Les groupes de travail de samedi ont soulevé divers problèmes. J’en ai choisi très arbitrairement quatre, qu’il me semblait intéressant d’approfondir un peu :

Ces quatre thèmes ont été touchés à des degrés inégaux par les conférences et repris par certains groupes.

 3.1 Le retour de stages

M. Saillard, Directeur des stages à l’École des commissaires de police, rappelait que, lorsque les stagiaires reviennent de stages, le terrain débarque dans les salles de cours ; il faut alors en faire quelque chose ! Trouve-t-on l’équivalent dans les IUFM ? Si le terrain débarque dans les salles de cours, lui ouvre-t-on un espace et temps légitime ? Ou s’efforce-t-on, au contraire, de l’ignorer ? Nombre de formateurs semblent encore penser que ce que les stagiaires ramènent de leur passage sur le terrain n’est guère pertinent pour la discipline qu’ils ont la charge de leur enseigner ; ou estiment que prendre du temps pour en parler les empêcherait d’avancer dans leur programme.

Certains, en revanche, estiment pouvoir faire un travail irremplaçable avec ce que les stagiaires apportent du terrain. Ils se posent au moins quatre questions :

  1. Que peut-on faire de ce terrain là ? C’est-à-dire du terrain médiatisé par une parole, au retour du stage.
  2. Dans quels espaces et quels dispositifs ?
  3. Avec quels formateurs ?
  4. Quelle place donner à ces pratiques dans un parcours global ?

Ce qu’on peut faire

Ce qui vient du terrain est d’ordre narratif, de l’ordre d’une histoire singulière. Ce qui n’empêche nullement de s’en saisir pour travailler chacun des quatre pôles définis par Yves Mariani.

a. Apporter des éclairages notionnels : chaque récit mobilise spontanément des grilles de lecture naïves ou savantes ; le formateur peut introduire ces dernières à dose homéopathique (qu’elles soient issues de l’analyse transactionnelle, de la didactique, de la sociologie des organisations ou de l’éducation, de la psychologie cognitive, de psychanalyse, de la systémique). Tout ce qui se passe est toujours lisible à partir d’un certain nombre de sciences humaines et tout récit est une occasion de faire fonctionner ou de former des concepts pour rendre des situations plus intelligibles. On peut donc travailler les éclairages notionnels à partir d’exemples et de cas singuliers.

b. On peut évidemment travailler sur le développement personnel et l’identité ; chaque situation un peu complexe confronte à soi, oblige à travailler sur ses limites, ses peurs, ses plaisirs, ses sadismes, ses zones d’ombres, ses points forts, ses rêves ; elle permet de prendre conscience de ses valeurs, de ses fonctionnements personnels, de son habitus.

c. Les cas concrets offrent évidemment un tremplin favorable à l’analyse de problèmes professionnels. Ce qui arrive dans la salle de cours, ce ne sont pas seulement des émotions, des états d’âme, des problèmes personnels ; ce sont souvent des problèmes professionnels. Les stagiaires ne racontent pas des histoires pour raconter des histoires. Ils racontent des histoires problématiques, des histoires où ils ne sont pas très sûrs de ce qui s’est passé, ni de ce qu’ils ont fait ou vu faire. On a à travers les récits de stages un échantillonnage tout à fait intéressant de problèmes et de dilemmes professionnels.

d. L’analyse de situations ex post n’est, par définition, pas assimilable à l’exercice de compétences en situation. Mais on peut dire que le récit est une sorte de debriefing de l’exercice de compétences en situation ; c’est un moment où l’on mesure ses compétences et ses incompétences, en regard de ce qu’on a pu mobiliser face à la situation. Il y a là une très bonne occasion d’identification des besoins de formation ou d’élucidation de ses propres difficultés, parce que chacun voit sur quels points il a été démuni aussi bien que sur quels points il a été relativement à l’aise. Les deux constats sont importants.

Quels dispositifs de formation ?

Il est certain que tout cela ne va pas se produire fortuitement, juste parce que les étudiants reviennent de stage. Il ne se produira quelque chose de formateur que parce qu’on l’anticipe, qu’on l’organise, qu’on le favorise activement, notamment par un travail d’explicitation du rôle des stages. Si ce n’est pas la règle du jeu annoncée, l’analyse des récits et observations ne va pas s’improviser facilement. Pour tirer le meilleur parti de ce moment, il faut donc faire en sorte que la règle du jeu soit connue d’avance et intégrée au contrat didactique et à l’accord entre formateur de terrain et formateur IUFM.

Il faut aussi un travail de construction de grilles d’observation et d’analyse susceptibles d’enrichir et de structurer l’expérience. Il y a, dans ce domaine, toutes sortes d’essais intéressants, notamment autour du journal, de l’étude de cas, de l’écriture clinique, de notes de terrain inspirées de l’ethnologie, de protocoles en didactique, des méthodes d’interview ou de reconstitution des histoires de vie, de jeux de rôles ; ces méthodes, librement adaptées, permettent de travailler avec des récits de stage un peu moins anecdotiques et superficiels, qui ne sont pas fondés seulement sur la mémoire aléatoire de ce qui s’est passé la veille ou la semaine d’avant. On peut armer à la fois le regard et la mémoire, pour travailler sur des choses relativement riches et tenter de neutraliser la censure et l’oubli, de maîtriser la part de reconstruction par le stagiaire en fonction de l’image qu’il a envie de donner. Là, on peut renvoyer notamment aux travaux de Pierre Vermersch et Nadine Faingold sur l’explicitation, qui montrent que le plus intéressant est ce que les gens disent dans un deuxième ou un troisième temps. C’est à dire quand on les aide à découvrir qu’il y a sous leur premier récit, un autre récit au niveau des émotions, des relations intersubjectives, des raisons profondes des actes.

Il faut un contrat didactique clair pour solliciter les récits des stagiaires. Lorsque quelqu’un accepte de raconter une partie de son expérience sans se donner le beau rôle, sans masquer ses incertitudes et ses erreurs, il doit être protégé, au bénéfice d’un rapport de confiance ; il faut que les intéressés sachent qu’on ne va pas utiliser contre eux les éléments qu’ils livrent. D’où la contradiction, soulevée dans nombre de débats, entre évaluation formative et évaluation certificative.

Quels espaces peut-on offrir à de telles pratiques ? J’en vois de plusieurs types. Aucun n’est à lui suffisant, il faut donc les multiplier. On peut fonder des espoirs sur l’interaction avec le formateur de terrain, ou, dans l’établissement aussi, avec un formateur du centre venant analyser " à chaud " ce qui s’est passé (par exemple une fois par semaine) ; on peut envisager un groupe d’accompagnement, des séminaires d’analyse de la pratique ou des sessions intensives de retour sur ce qui s’est passé dans un stage qui s’achève.

On peut aussi faire une partie de ce travail dans n’importe quel cours réunissant s’il y a un peu de temps, de bonnes conditions d’échanges, et un formateur qui accepte de jouer le jeu et se sent à l’aise dans ce registre.

Quels formateurs pour analyser les pratiques ?

Les formateurs qui aident les stagiaires à analyser son expérience sont là non pas pour exposer leurs propres convictions ou transmettre des savoirs prédéfinis, mais pour faire expliciter des émotions, décrire des façons de faire ou des dilemmes, faire surgir des éléments restés inaperçus, favoriser des prises de conscience ; c’est une autre posture qu’on demande alors aux formateurs, ils fonctionnent plutôt comme révélateur des problèmes des autres que comme experts exposant leurs façons de faire et de voir.

On peut imaginer plusieurs profils. Il peut s’agir :

L’idéal serait de proposer aux étudiants toutes sortes d’interlocuteurs, qui partent de leur expérience de terrain pour en faire des choses différentes. Dans tous les cas, il faut que ces formateurs acceptent de ne pas avoir réponse à tout, parce qu’ils seront forcément confrontés un certain nombre de problèmes qui les dépassent, à la limite de leurs compétences ou de leurs certitudes. Ils doivent être capables d’improviser, c’est à dire de partir de ce qui vient vraiment du terrain plutôt que de se raccrocher très rapidement à la planification de cours qu’ils avaient de toute façon en tête ; ils doivent enfin ne trop s’enfermer dans des découpages territoriaux ou disciplinaires, c’est à dire accepter qu’un problème réel coïncide rarement avec un objet construit à partir d’une seule discipline ; c’est la nature même des situations complexes que de ne pas se conformer au découpage du travail scientifique ou pédagogique.

 3.2 L’établissement formateur

Même si les écoles associées sont ou deviennent à la mode, on ne saurait sans autre substituer la notion d’établissement formateur à celle de formateur de terrain. Ce n’est pas LA formule. Mieux vaut être pragmatique. Il y a des endroits où " ça marche ", parce qu’il existe des équipes, un projet d’établissements ; et d’autres où il n’y a pas d’acteur collectif. On peut faire coexister plusieurs systèmes : des écoles associées là où c’est possible, et des formateurs de terrain engagés à titre individuel, parfois tout à fait isolés dans leur établissement : Les deux formules sont valables, les deux sont intéressantes, sachant qu’on ne peut attendre exactement la même chose d’une prise en charge collective ou d’une relation duale.

Disons, pour prévenir toute ambiguïté, qu’un établissement formateur n’est pas, du moins dans mon esprit, une école d’application, une école modèle ou une école pilote. C’est une école comme les autres, sauf qu’elle veut bien jouer le jeu de la formation. Elle n’est pas le lieu d’une pédagogie ou d’une didactique exemplaires, mais elle accepte une ouverture. Il est préférable que sa contribution à la formation initiale s’intègre clairement au projet d’établissement et pas seulement pour la forme ; autrement dit, il faut si possible que la vocation formatrice de l’établissement ait du sens par rapport à d’autres thématiques qui le mobilisent, que cela ne soit pas une greffe ou un service rendu On l’a dit plusieurs fois : si on participe à l’accueil de stagiaires, il faut y trouver son compte et pas seulement du point vue des indemnités ou de la reconnaissance ; il faut que ce soit stimulant et formateur pour les enseignants en place et les chefs d’établissements.

Cela suppose une réelle culture de coopération. Il n’est pas très utile d’envoyer des stagiaires en groupe dans une école où les enseignants sont des combattants solitaires. Il faut aussi que le chef d’établissement joue un rôle de garant du statut des stagiaires, de la règle du jeu, du droit de poser des questions idiotes, naïves, dérangeantes et de s’essayer. Être en stage ensemble dans la même école est une occasion idéale d’interaction entre stagiaires, mais cela ne va pas se passer spontanément sur un mode constructif, ce peut être aussi une relation défensive ou critique. Le travail en commun entre stagiaires se fera d’autant mieux qu’il suit certaines consignes, qu’il a été préparé et amorcé avant le stage. La coexistence et la confrontation de stagiaires dans un établissement peut être une source de compétition ou de conflit entre les titulaires de classe qui les accueillent, qui peuvent être assez facilement " montés " les uns contre les autres par des propos malveillants ou maladroits. Comparer des pratiques, des modes de gestion de classe peut induire des dynamiques assez négatives si l’on n’a pas pris la précaution de fixer un certain nombre de principes déontologiques. Les stagiaires ne peuvent pas comparer n’importe qui, raconter n’importe quoi ; ils sont tenus à un secret de fonction, à un devoir de réserve, à toutes sortes de précautions qui protègent les professionnels et les élèves ; c’est vrai de tout stage, mais le stage conjoint en école associée exige d’autres garde-fous.

Il faut aussi, si l’on veut parler d’établissement formateur, l’utiliser comme une organisation, comme un acteur collectif, comme une communauté de travail, et pas uniquement comme une concentration commode de formateurs de terrain. C’est à dire favoriser des stages en école et pas seulement en classe. C’est l’un des intérêts de la formule. On peut donc aussi concevoir des contrats avec l’établissement, des indemnités ou des rétributions de la collectivité, ce qui demande un petit peu d’imagination. On valorisera également une certaine souplesse, pour adapter la formule de stages à des dynamiques et des temporalités différentes : les établissements ne sont pas tous les mêmes et on ne peut leur demander de s’inscrire dans une logique immuable.

On pourrait souhaiter une présence régulière des formateurs du centre dans les établissements associés. C’est un lieu où ils peuvent jauger le terrain, prendre la température, éventuellement se ressourcer, négocier un certain nombre de choses avec les formateurs de terrain. L’établissement formateur pourrait être un lieu de rencontre, un lieu de réflexion autour de la formation, et pas seulement un endroit où l’on envoie des stagiaires en groupe.

Si l’on travaille dans cette perspective, acceptons que les établissements évoluent, qu’ils aient un cycle de vie, qu’ils puissent être pendant trois ou huit ans un endroit idéal pour envoyer des stagiaires, puis que les conditions d’accueil changent, parce que certains enseignants partent, ou en raison d’un conflit ou d’une baisse d’énergie. Pourquoi ne pas admettre qu’un établissement peut avoir, un certain moment de sa vie, des raisons de se refermer, de ne plus donner à voir ses conflits internes, ses incertitudes, sa lassitude ? Il y a donc renouvellement des établissements formateurs, comme il y a renouvellement des formateurs de terrain engagés individuellement. D’où la nécessité permanente de reconstruire des contrats et des représentations communes.

 3.3 La culture commune des formateurs

On a utilisé ce mot, notamment, lors du Séminaire structurant destiné aux futurs cadres des IUFM du pôle Sud-Est. Aujourd’hui, on parle souvent de " culture commune ", sans toujours s’arrêter pour savoir de quoi on parle au juste ! Pour le sociologue, la notion de culture commune est un pléonasme. La culture d’une institution ou d’un établissement, c’est justement ce que les gens partagent. La culture d’un groupe humain, comme la loi, est commune ou n’est pas. La seule question est de savoir à quelle échelle une culture est partagée.

L’intérêt de la notion de " culture commune ", au delà du pléonasme, est de faire porter l’attention sur l’existence d’une culture de l’organisation, sur ce qu’elle contient et ce qu’elle raconte. La culture d’un groupe ou d’un établissement propose notamment une réponse à quelques questions vitales pour les individus comme pour les acteurs collectifs :

Toute culture d’établissement, toute culture professionnelle donne des réponses. plus ou moins explicites. à ces questions. Plutôt que d’en appeler à une culture commune, comme si elle n’existait pas, on ferait mieux de décrire la culture en vigueur et de reconnaître qu’elle favorise souvent l’individualisme forcené ou le conflit entre clans plutôt que la coopération. Le paradoxe d’une culture est en effet qu’elle peut légitimer le " chacun pour soi " ! Les travaux de Catherine Staessens, Monica Gather Thurler ou Andy Hargreaves sur les cultures d’établissement, indiquent que, presque partout dans le monde, deux variantes prédominent : l’individualisme ou la balkanisation, c’est à dire la coexistence de clans, caractérisés chacun par une culture propre le poussant à ignorer ou mépriser les autres, par une sorte d’individualisme collectif. Dans les établissements secondaires, cette balkanisation est très fréquente ; les découpages disciplinaires la favorisent.

On trouve aussi des établissements qui fonctionnent sur le modèle d’une " grande famille ", dont la culture énonce que ce qu’on a en commun de plus fort est extraprofessionnel, c’est à dire l’ordre de la convivialité, du plaisir d’être ensemble dans une communauté éducative. Robert Gloton évoque dans un de ses livres une école obligeant les enseignants dérogeant aux règles en vigueur à s’acquitter d’une amende, au bénéfice de la caisse commune. Or, l’une de ses règles était de ne jamais parler de pédagogie à la salle des maîtres. C’est un bon exemple d’une culture de type " grande famille ", qui cherche avant tout à éviter les confrontations : tout va bien à condition de ne pas parler de métier ; dans le cas contraire, les ennuis commencent…

Il existe un type plus récent de culture professionnelle, qui se répand et qu’on nomme " collégialité contrainte ". La coopération est alors organisée d’en haut, par le chef d’établissement, par la création de temps de travail en commun, par la constitution autoritaire du corps enseignant en " équipe ". Souvent, de telles structures ne sont pas habitées et l’on fait semblant de coopérer. Enfin, il existe de vraies cultures de coopération, dans lesquelles les enseignant ont librement choisi de se concerter et de travailler ensemble. Ce modèle est le plus intéressant du point de vue de l’efficacité et de l’innovation, mais c’est hélas le plus improbable.

Lorsqu’on en appelle - maintenant de façon presque rituelle - a une " culture commune " des formateurs, n’est-ce pas, dans le fond, en appeler à une autre culture de l’organisation, allant de plus en plus dans le sens d’une coopération spontanée, librement assumée ? Les IUFM et les formateurs sont doublement concernés

1. D’abord parce que l’IUFM aussi bien que les écoles, collèges et lycées dans lesquels l’étudiant va en stage lui offrent autant d’exemples de cultures d’établissements. Si la coopération entre formateurs est inexistante au niveau de l’IUFM ou des établissements, on pourra bien appeler les futurs enseignants à coopérer. Ils auront eu l’exemple du contraire pendant deux ans. Les cultures que les IUFM et les établissement donnent à voir aux stagiaires font partie du curriculum caché et alimentent souvent l’individualisme dominant, à l’insu des intéressés.

La formation professionnelle devrait, dit-on, préparer à fonctionner dans la concertation et la coopération. La capacité de travailler avec d’autres adultes est aujourd’hui cruciale dans les organisations. On en parle dans le monde de l’éducation, mais on sous-estime le travail de formation requis, comme si tout le monde savait animer un groupe, travailler en équipe, écouter les autres, négocier, chercher des compromis. Or, la réalité dément cet optimisme : le monde enseignant est plutôt infirme de ce point de vue ; les dysfonctionnements ne sont pas rares et dégénèrent parfois en conflits, qui engendrent des replis dans une solitude orgueilleuse ou blessées, des rognes qui durent des années, des scissions d’un établissement en clans antagonistes, ou une absence totale de solidarité et de capacité d’action collective. Il y a donc un enjeu de formation. Or, les expériences de coopération vécues ou observées durant la formation valent davantage que les exhortations au travail en équipe.

2. Par ailleurs, la culture de l’IUFM importe parce qu’elle est garante de l’efficacité de son action de formation des maîtres, comme la culture des écoles, collèges et lycées est un gage de leur efficacité pédagogique auprès des enfants et adolescents. En ce sens, la coopération entre formateurs n’est pas seulement un modèle pour les étudiants, c’est un outil au service de leur formation.

 3.4 Innovation et décentralisation

On l’a entendu hier, à travers les propos des conférenciers, il faut, si l’on veut être efficace, concevoir des dispositifs de formation qui aient du sens pour ceux qui les font fonctionner. On ne saurait donc les imposer par des voies autoritaires et bureaucratiques, sous peine d’en empêcher l’appropriation par les acteurs concernés. Les dispositifs doivent aussi être assez souples pour s’adapter au renouvellement et à la diversité des étudiants, des formateurs et des problèmes. Aucun dispositif didactique, ni dans une classe, ni à une plus grande échelle, ne peut être reconduit sans examen d’année en année. Ce n’est jamais qu’une trame, sur laquelle il faut recréer chaque fois des fonctionnements spécifiquement adaptés à la situation et aux acteurs en présence.

Un dispositif didactique est destiné à vivre, à grandir, à mourir pour faire place à d’autres ; donc, pas d’acharnement thérapeutique ; renonçons à sauver à tout prix des dispositifs qui ont fait leur temps. Il y a une usure " naturelle " de toute structure. L’important est de savoir en créer de nouvelles en conservant l’esprit et les qualités des précédentes, tout en tirant les leçons de l’expérience.

Même si tout cela est amplement démontré par toutes sortes de travaux de sociologie des organisations et de recherches sur les écoles efficaces, il est difficile de mettre ces idées en pratique. Chacun s’accroche aux structures qui, croit-il, lui garantissent un revenu, un pouvoir, des territoires, des routines ; nul ne lâche volontiers ses acquis pour aller vers l’inconnu. Pour neutraliser ces mécanismes conservateurs, rien ne vaut une politique active de changement et d’innovation au niveau de l’établissement ou de l’IUFM. Se pose alors la question de savoir comment on organise la flexibilité du dispositif de formation dans d’aussi vastes maisons.

Lorsqu’on a des centaines de formateurs de centre, quatre fois ou sept plus de formateurs de terrain et des milliers d’étudiants, vit-on encore dans un univers à taille humaine ? Peut-on peut rêver d’une autorité négociée, de décisions peu bureaucratiques ? C’est la question que je pose à Alain Bouvier et Bernard Cornu, respectivement directeurs des IUFM de Lyon et Grenoble, ancien et nouveau responsable du Pôle Sud-Est : où en êtes-vous de votre réflexion sur la structure IUFM, notamment par rapport au dispositif d’alternance ? Peut-on imaginer des formes de décentralisation qui ne soient pas le retour à une autonomie retrouvée des anciens sites géographiques, dont on voit toute les risques à quelques années de la création d’une institution unique ? Peut-on déléguer à divers centres de décision le pouvoir de gérer eux-mêmes certains dispositifs, voir une partie du plan de formation ? Entre le centralisme démocratique - ou moins démocratique - et l’anarchie plus ou moins organisée, qu’y a-t-il ? Quelles sont les hypothèses de décentralisation sur lesquelles vous travaillez ? Faut-il, notamment, penser le rôle du terrain et des formateurs de terrain au centre, ou autoriser des politiques différentes d’un site, d’un degré ou d’une discipline à l’autre ?


4. Théorie, stratégie, tactique

Lundi 21 mars 1994

Piaget écrivait tous les jours, régulièrement. Et il avait coutume de s’interrompre volontairement au milieu d’un raisonnement, d’un argument. Le lendemain, expliquait-il, il était beaucoup plus facile de remettre en route la machine. Une tâche interrompue crée une tension, une frustration ; elle se poursuit souvent dans l’inconscient et lorsque l’on se remet au travail, c’est avec l’envie précise de continuer plutôt qu’en se demandant : où en étais-je ? que pourrais-je bien écrire aujourd’hui ?

Le groupe de pilotage a décidé d’organiser cette frustration, de résister à la tentation de mettre les bouchées doubles, le dernier jour, pour conclure. Bien sûr, si nous étions à deux doigts d’y voir clair, il serait absurde de ne pas consacrer cette dernière journée à mettre en forme une conception claire de l’alternance, du rôle des formateurs de terrain et donc de leur formation. Peut-être certains groupes de réflexions internes (GRI) sont-ils dans cette situation. Rien ne les empêche évidemment de conclure, pour ce qui concerne leur propre IUFM.

À l’échelle de l’ensemble, il nous semble inutile de faire le forcing pour boucler la boucle. Nous avons voulu cette Université d’hiver-printemps 1994 comme un moment fort d’un processus qui s’est amorcé et se poursuivra dans les GRI et plus généralement dans chaque IUFM, voire à l’échelle du pôle Sud-Est. C’est donc à préparer la suite plutôt qu’à conclure que nous vous invitons aujourd’hui. C’est pourquoi l’éditorial de ce matin ne reprendra pas, pour y mettre un semblant d’ordre, tout ce que nous avons entendu hier. J’essaierai plutôt de formuler quelques unes de mes questions, sur trois plans qu’on pourrait dire théorique, stratégique et tactique.

  1. Les images du métier comme fondement de la transposition didactique.
  2. Améliorer les choses ou changer de paradigme ?
  3. Organiser la réflexion, travailler à une culture commune.

 4.1 Les images du métier comme fondement de la transposition didactique

On a beaucoup parlé de référentiels : référentiel-métier, référentiel-pratiques, référentiel de compétences, référentiel de savoirs. Au delà du jargon faussement savant et de la " listomanie ", cette insistance sur les référentiels dit quelque chose d’important : nous devrions savoir de mieux en mieux et nous dire de plus en plus explicitement de quel métier nous parlons.

Professionnalisme, professionnalité, professionnalisation, autant de mots pour désigner une nouvelle maîtrise de la complexité, une nouvelle identité. Pratiques, gestes professionnels, opérations, actes pédagogiques, séquences didactiques, décisions, gestion de classe, stratégies d’enseignement, autant d’expressions pour décrire ce que font les enseignants dans l’exercice de leur métier. Désirs, peurs, fantasmes, lassitude, ambivalence, sens et non sens, angoisses, impression de solitude, toute puissance, sentiment d’échec, volonté de maîtrise, autant de formules pour parler de ce que les enseignants éprouvent, de leurs émotions, sentiments, états d’âme. Compétences, capacités, expertise, habitus, connaissances, savoir-être, schèmes, expérience, autant d’expressions pour nommer leurs ressources, le capital de savoirs et savoir-faire avec lesquels ils affrontent le réel.

Savoirs savants, professionnels, disciplinaires, d’expérience, pratiques, pragmatiques, stratégiques, praxéologiques, procéduraux : autant de façons de cerner des champs et des types de savoirs investis dans le métier. Pratique réfléchie ou réflexive, connaissance dans l’action, démarche clinique, études de cas, praxis, métacognition, analyse de la pratique, autant de manières de décrire une capacité d’autorégulation des compétences et des conduites au gré de l’expérience et de la réflexion sur l’expérience.

Aujourd’hui, le sens de tous ces concepts est flou, sauf, dans le meilleur des cas, dans les œuvres d’un auteur bien déterminé. Les épistémologies, les concepts, les représentations et les mots ne sont pas suffisamment communs pour penser collectivement la formation professionnelle des enseignants comme transposition didactique à partir d’une image des gestes et des savoirs du métier. Une formation professionnelle ne peut en effet se construire, idéalement, qu’en explicitant et en adoptant une représentation commune :

  1. du métier et de son évolution probable ou souhaitable ;
  2. des pratiques et des gestes essentiels ;
  3. des attitudes, valeurs, savoirs, savoir-faire et compétences qui les sous-tendent.

Bien sûr, ce travail d’explicitation et de négociation de représentations n’est jamais achevé et il n’aboutit jamais à un total consensus. Mais plus il est poussé, plus il y a de chances :

  1. que les convergences et divergences repérées donnent une cohérence au plan de formation ;
  2. que chaque formateur sache à quoi il forme et pourquoi.

Alors, référentiel-métier, référentiel-pratiques, référentiel de compétences, référentiel de savoirs ? Oui, à condition de savoir que leur processus de production importe plus que le produit fini, qu’aucun formateur ne peut s’approprier une grille toute faite, surtout si elle est " parfaite ", sans reparcourir à sa manière une partie du chemin. C’est vrai de l’institution IUFM lorsqu’elle s’adresse à ses formateurs comme c’est vrai pour chacun lorsqu’il s’adresse à ses étudiants ou stagiaires.

Cela ne veut pas dire que rien n’avance, qu’il faut chaque fois tout recommencer à zéro. Le vrai produit, ce sont les représentations sociales, et il faut se faire une raison :

Sur ces questions, la réflexion pointue de quelques uns est utile, mais elle ne dispense pas d’un travail à large échelle, plus lent, plus diffus, plus ingrat. Dans ce domaine comme dans les autres, les innovateurs auraient intérêt à comprendre qu’on n’innove pas tout seul, qu’une partie de l’énergie devrait être conservée pour diffuser, partager des idées justes. Louise Bélair, Sarah Blom, Françoise Clerc et Yves Mariani ont montré que la recherche sur les pratiques professionnelles pouvait s’intégrer à une démarche de formation centrée sur l’analyse de pratiques et des problèmes professionnels.

Un IUFM est, virtuellement, une formidable machine à produire des représentations fondées, portant sur les pratiques et les compétences des enseignants aussi bien que des formateurs. Plus que dans tout autre domaine professionnel, on peut former en réfléchissant sur la formation, penser la transposition didactique en la faisant fonctionner. Placé dans des situations de formation complexes, le formé peut contribuer à l’élucidation de ses processus de perception, de pensée, d’anticipation, d’action, d’apprentissage et donc à la conceptualisation des compétences requises par le métier d’enseignant.

Pour réaliser cette virtualité, il faut rompre avec l’illusion qu’on sait déjà. Dans un colloque sur le thème " Comment l’école apprend-elle ? ", Daniel Bain répondait " L’école n’apprend pas, elle sait ! ". Du coup, elle sous-utilise son formidable potentiel d’analyse. Et confirme l’impression que les infirmières ou les commissaires de police en charge de la formation de leurs futurs collègues sont plus lucides et pointus, dans l’analyse du métier, que les formateurs d’enseignants. Ou du moins qu’ils savent mieux expliciter et partager leurs perceptions des attitudes et des gestes professionnels. Peut-être parce qu’ils sont moins dépendants de mythes selon lesquels un " enseignant digne de ce nom " connaît ses élèves, planifie ses cours, sait toujours ce qu’il fait et ce qu’il évalue, etc. Pour procéder à une transposition didactique réaliste à partir des pratiques enseignantes, il importe évidemment de les voir comme elles sont.

 4.2 Améliorer les choses ou changer de paradigme ?

On a parlé plusieurs fois du centre de gravité de la formation. Certains proposent de le déplacer vers le terrain ou vers l’apprenant. Les plus audacieux de nos physiciens-géomètres ont plaidé pour une gravité polycentrique, à ne pas confondre avec une aimable anarchie.

Il me semble que la seule position conséquente est de centrer la formation sur le formé. Sans se borner à répondre à ses demandes. Sans s’obstiner davantage à faire son bien malgré lui ou à son insu.

Le formé existe en effet sous deux auspices :

C’est le paradoxe de la formation : s’il nie le sujet et le sens qu’il donne à sa formation, le formateur échoue dans son entreprise ; mais il échoue aussi s’il ne résiste pas aux urgences, aux angoisses, aux modes et aux raccourcis dont les étudiants sont porteurs. Placer le formé au centre du dispositif de formation, c’est donc construire la transposition didactique à la fois à partir :

Il faut donc concilier un plan de formation bien pensé et charpenté en fonction d’un avenir probable et des situations de formation négociées et individualisées en fonction des personnes en présence.

À long terme, les stratégies de développement passent par une action à au moins deux niveaux complémentaires :

Aussi bien pensé soit-il au premier niveau, un plan de formation ne vaudra que par sa mise en ouvre au second niveau. Les moyens des institutions de formation leur permettent, si elles le décident, de rapprocher leurs objectifs et leur curriculum formel des représentations les plus justes et fécondes du métier d’enseignant et de son évolution. Il est plus difficile de faire changer au même rythme les pratiques des formateurs. Certain, qui ne le comprennent pas ou n’y adhèrent pas, s’écartent de l’esprit, voire de la lettre du plan de formation. D’autres y souscrivent, mais n’ont pas la force ou les moyens de le mettre en œuvre de façon cohérente à leur échelle.

Stratégiquement, il reste indispensable de penser et repenser la formation des enseignants comme formation professionnelle de haut niveau. Mais il est tout aussi vital d’associer les formateurs à cette réflexion, qu’ils soient du centre ou du terrain, et de les inviter à analyser leurs ambivalences fondamentales lorsqu’il s’agit de mettre l’apprenant au centre de la formation.

Qu’une formation soit par définition au service du formé, que ce soit sa raison d’être, qui songerait à le nier ouvertement ? Mais il importe de ne pas oublier que les formateurs doivent trouver leur compte dans leur travail. Si cela doit se faire au prix d’un renversement de perspective, ce dernier est inéluctable, même s’il est nié ou stigmatisé. Il faut donc, pour faire court, que les formateurs aient un intérêt personnel à placer l’apprenant au centre de la formation.

Jacques Merlan nous rappelait cette pensée magnifique de Jean Rostand :

" Former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une force, les séduire au vrai pour les amener à leur propre vérité, leur donner le meilleur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressemblance. "

C’est le véritable défi du formateur d’enseignant. On voit bien que pour le relever, il faut soit une décentration, un altruisme, une vertu qu’on ne peut attendre de chacun dans une formation de masse, soit une compétence et une identité très fortes, qui permettent d’exister sans nier, assujettir ou conformer l’autre, de le mettre au centre de la formation sans se sentir diminué. C’est évidemment possible lorsque cette exigence - mettre le formé au centre de la formation - devient le critère majeur de réussite du formateur, son critère subjectif, prenant racine dans son orgueil plus que dans son cahier des charges. Pour cela, il a besoin de prendre de la hauteur, de la distance, de se sentir en sécurité face au formé, même lorsque ses questions et réactions amènent le formateur à s’aventurer hors des zones bien balisées du savoir savant, à risquer sa crédibilité personnelle, sans se retrancher derrière l’institution ou la science.

C’est le vrai problème que pose la formation des formateurs de terrain aussi bien que celle des animateurs de groupes d’analyse de la pratique ou de tous les formateurs engagés non pas dans la transmission d’un savoir préétabli et balisé, mais dans la construction d’un savoir mi-savant, mi-intuitif dans la confrontation entre les généralités de la théorie et la singularité de l’expérience. Cette formation ne peut se borner à donner des outils, des méthodes, elle travaille sur l’identité et les projets individuels et collectifs des formateurs.

 4.3 Organiser la réflexion, travailler à une culture commune

Dans cette perspective, l’urgence n’est pas d’instrumenter les formateurs en feignant de croire qu’ils savent exactement ce qu’ils veulent. On pourrait suggérer qu’aujourd’hui, aucun formateur n’est vraiment prêt à mettre en œuvre constamment une forte articulation entre raison théorique et raison pratique, implication et explication, savoirs savants et savoirs d’expérience, connaissance analytique et intuition globale. De telles pratiques sont complexes, nul ne les maîtrise intégralement à la fois sur le plan conceptuel - nous ne sommes qu’au début d’une connaissance de la connaissance - et sur le plan émotionnel et relationnel.

Toute formation est donc en même temps une quête d’assurance, de reconnaissance et d’identité. C’est en ce sens un processus plus proche de la construction d’une culture professionnelle des formateurs que d’une formation des formateurs par des experts qui, eux, auraient fait le tour de la question. Certes, quelques théoriciens de la formation ont mis des mots sur des pratiques complexes. Certes, quelques praticiens de la formation ont réalisé des dispositifs convaincants. Je ne dis pas que chacun peut également apprendre des autres et apporter aux autres. Mais nul ne peut prétendre dominer l’ensemble des processus en jeu au plan cognitif, affectif, relationnel, institutionnel.

Il ne reste donc qu’à travailler ensemble. On l’a dit, la formation des formateurs de terrain est une entrée limitée si elle suggère qu’on peut former les formateurs à partir de savoirs bien établis et qu’on peut les former par catégories. En revanche, le thème du rôle et des compétences des formateurs de terrain peut constituer un objet d’intérêt commun, qui donne au moins un prétexte à réfléchir ensemble sur le terrain, la pratique, la théorie, l’articulation de l’une et l’autre.

Les groupes de réflexion interne (GRI) qui se sont constitués dans les IUFM du Pôle Sud-Est ont fait leur travail, qui était de préparer cette Université d’hiver-printemps. Ils pourraient en rester là sans qu’on puisse leur reprocher une seconde d’avoir failli à leur tâche. Mais on peut au moins leur suggérer de ne pas se dissoudre, de continuer à exister dans leur IUFM.

Ils pourraient même faire un pas de plus et devenir des groupes de développement interne (ou GDI). Ils ne cesseraient pas de réfléchir, mais étendraient leurs activités à la mise en place de certains dispositifs de formation de formateurs, ou mieux, de construction commune d’une culture professionnelle des formateurs.

Une collectivité de formateur ne peut déléguer à aucun groupe la tâche de construire sa propre culture. Ce processus implique nécessairement tous les acteurs. En revanche, il peut être orienté, soutenu, densifié par une groupe de développement travaillant à structurer et faire avancer les débats, à étoffer la mémoire collective, à faciliter la communication et la régulation des échanges, à tirer chacun vers une participation un peu plus active et intensive à la vie de l’ensemble. Il faut évidemment qu’un tel groupe soit légitime, aussi bien pour la direction de l’IUFM que pour les formateurs. Les groupes de réflexion internes ne sauraient s’instituer en groupes de développement de façon unilatérale, sans renégocier leur contrat avec la direction et le reste de l’IUFM. Mais cette redéfinition me semble possible dans la lancée de nos travaux !


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Perron, M., Lessard, C. & Bélanger, P.W. (1993) La professionnalisation de l’enseignement et de la formation des enseignants Tout a-t-il été dit ? Introduction au numéro thématique de la Revue des sciences de l’éducation (Montréal), vol. XIX, n° 1, pp. 5-32.

Raymond, D., Butt. L. & Yamagishi, R. (1993) Savoirs préprofesssionnels et formation fondamentale des enseignantes et enseignants : approche autobiographique, in Gauthier, C., Mellouki, M. & Tardif, M. (éd) Le savoir des enseignants. Que savent-ils ?, Montréal, Éditions Logiques, pp. 137-168.

Reynolds, M. (dir.) (1989) Knowledge base for the beginning teacher, New York, Pergamon Press.

Schön, D. (1983) The Reflective Practitioner, New York, Basic Books.

Schön, D. (1987) Educating the Reflective Practitioner, San Francisco, Jossey-Bass.

Schön, D. (1991) Cases in reflective practice, New York, Teachers College Press.

St-Arnaud, Y. (1992) Connaître par l’action, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.

Tardif, M. (1993 a) Savoirs et expérience chez les enseignants de métier, in H. Hensler (éd.) La recherche en formation des maîtres. Détour ou passage obligé sur la voie de la professionnalisation ?, Sherbrooke (Canada), Éditions du CRP, pp. 53-86.

Tardif, M. (1993 c) Éléments pour une théorie de la pratique éducative : Actions et savoirs en éducation, in Gauthier, C., Mellouki, M. & Tardif, M. (dir.) Le savoir des enseignants. Que savent-ils ?, Montréal, Éditions Logiques, pp. 23-47.

Tardif, M., Lessard, C. & Lahaye, L. (1991) Les enseignants des ordres d’enseignement primaire et secondaire face aux savoirs. Esquisse d’une problématique du savoir enseignant, Sociologie et Sociétés, XXIII, n° 1, pp. 55-69.

Valli, Linda. (dir.) (1992) Reflective Teacher Education. Cases and critiques, New York State University. of New York Press.

Vermersch, P. (1990) Questionner l’action : l’entretien d’explicitation, Psychologie française, (35), n° 3, pp. 227-235.

Vermersch, P. (1993) L’entretien d’explicitation, in Actes de l’Université d’automne " Pratique de terrain et dimension professionnelle de la formation des maîtres " (Fréjus, octobre 1992), Les Dossiers, IUFM de Lyon, n° 3, pp. 49-58.


Annexe
État des lieux et des questions
Canevas pour le travail des GRI

Un GRI est un groupe de réflexion interne à l’IUFM pour être l’interlocuteur des GRI des IUFM du pôle Sud-Est (Aix-Marseille, Clermont-Ferrand, Corse, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nice) dans le cadre de l’Université d’hiver-printemps de mars 1994 et au-delà d’une une démarche commune des sept IUFM du pôle Sud-Est sur la même question : Quelle formation pour les formateurs de terrain ?

Les membres des GRI seraient formés de cinq à sept personnes désignées par les directions d’IUFM sur la base des critères suivants :

Chaque GRI associerait nécessairement à ses travaux le membre du groupe de pilotage de l’UHP appartenant à l’IUFM*.

L’organisation de l’UHP suppose les étapes suivantes :

Le propos du présent document est de fournir un canevas à cet État des lieux et des questions.

A. Trois questions générales à chaque IUFM

Pour réfléchir sur la formation des formateurs de terrain, il faut avoir une idée de leur rôle. Or ce rôle n’est définissable que dans le cadre global du rôle attribué au stage, qui participe lui-même d’une conception de l’alternance t de l’articulation théorie - pratique.

D’où les trois questions principales suivantes adressées à chaque GRI par le groupe pilote de l’UHP. Aujourd’hui, dans votre IUFM, quelles sont les conceptions et les pratiques en matière :

  1. d’alternance théorie - pratique, de stages, de rôle du terrain dans la formation ;
  2. de rôle des formateurs de terrain ;
  3. de formation des formateurs de terrain.

Reprenons chacun de ces thèmes pour préciser le questionnement.

a. Conception et pratiques de l’alternance, des stages
et du rôle du terrain dans la formation

La formation, notamment en 2ème année, fait alterner des moments de formation en IUFM et des moments de stages dans des établissements. Cette alternance a pris un visage particulier dans chaque IUFM. Pourriez-vous résumer la conception de l’alternance qui figure explicitement dans les textes de votre IUFM ou qui sous-tendent implicitement le dispositif et les pratiques de formation ?

L’idée d’alternance renvoie au minimum à la succession de moments de formation qui se passent dans des lieux distincts - l’IUFM ou l’établissement scolaire - et selon des modalités distinctes.

Au delà de ce minimum, quelle articulation envisage-t-on, dans votre IUFM, entre ces divers moments ? Les stages sont-ils des moments isolés, qui ont leur autonomie, qu’on peut détacher du reste du cursus ? Ou sont-ils des moments qui prennent leur sens comme fondements ou comme prolongements d’autres activités de formation, en IUFM ?

Qui exerce la responsabilité pédagogique des stages (à distinguer de leur gestion) ? Des formateurs spécifiques, chargés des stages ? Ou l’ensemble des formateurs impliqués dans la professionnalisation ?

Les moments en IUFM forment-ils le " temps de la théorie " (au sens large) ? Et les moments de stages le " temps de la pratique " ? Ou le va-et-vient entre théorie et pratique s’opère-t-il en principe dans les deux lieux, les deux temps ?

b. Conception et pratiques du rôle des formateurs de terrain

La réponse à cette question n’est sans doute pas indépendante du traitement de la précédente : une certaine conception de l’alternance et des stages rend assez peu probables certaines attentes à l’égard des formateurs de terrain. Mais il reste une assez large ouverture.

Ainsi, si l’on définit le stage comme un " bain de pratique ", on peut imaginer le formateur de terrain comme un hôte, un garant, une personne-ressource dont le rôle est d’aider, de répondre, mais en laissant fondamentalement le stagiaire faire ses expériences, en lui offrant simplement un " filet ", une présence, un regard, une aide dans les moments les plus difficiles. À l’inverse, on peut attendre du formateur de terrain qu’il présente une pratique exemplaire et invite les stagiaires à l’imiter.

Si l’on définit le stage comme un des lieux d’une forte articulation théorie-pratique, on peut attendre du formateur de terrain qu’il joue un rôle actif dans la théorisation de sa propre pratique et de celle du stagiaire ; on peut aussi réserver ce rôle aux formateurs en IUFM, en demandant essentiellement au formateur de terrain d’autoriser, de favoriser le questionnement, l’observation, l’expérimentation.

Le formateur de terrain peut être un formateur à part entière, intégré à une équipe, au fait de l’ensemble des objectifs et du plan de formation ; ce peut aussi être un auxiliaire qui prête sa classe et sa réalité, sans être activement formateur.

Son rôle dépendra aussi de sa participation à l’évaluation.

Qu’en est-il dans votre IUFM ? Y a-t-il des réponses claires à ces questions ? Si oui, lesquelles ? Sont-elles consensuelles ou conflictuelles ? Si non, pourquoi, quels sont les enjeux, les raisons du flou ?

c. Conception et pratiques de la formation des formateurs de terrain

Une partie de la réponse devrait se situer dans le prolongement des réponses aux questions 1 et 2. Mais ici encore, à conception semblable de l’alternance, du rôle des stages et du rôle des formateurs de terrain, on peut imaginer des représentations diverses de leur formation.

Les uns diront qu’il n’est pas nécessaire d’offrir une véritable formation aux formateurs de terrain :

D’autres insisteront sur la nécessité d’une véritable formation. Mais pour les uns, on mettra l’accent sur une formation méthodologique - relation, communication, observation, entretiens, feedback, évaluation, encadrement du mémoire professionnel -. alors que d’autres concevront la formation des formateurs de terrain comme l’appropriation d’une culture commune à l’ensemble des formateurs.

Qu’en est-il dans votre IUFM ?

B. Méthodes de travail

Chacune de ces questions peut appeler des réponses :

La tâche des GRI n’est pas d’introduire une clarté ou un consensus fictif là où il y a débat et incertitude. Compte tenu de la complexité des paramètres institutionnels et personnels, de la diversité des conceptions et des héritages, de la contradiction entre les projets et ce que les textes et les ressources rendent possible aujourd’hui, il faut sans douter accepter d’être dans un chantier ouvert. Le rôle du GRI n’est pas de gommer la complexité et la diversité, mais de produire un état de situation aussi réaliste que possible, à partir duquel les participants de l’UHP pourront dresser l’inventaire des points de convergence aussi bien que de divergences dans la façon de poser les questions autant que dans les réponses qu’on leur donne.

Chaque GRI est invité à travailler partir d’une mise en commun des informations et analyses disponibles. Le temps manque pour faire des enquêtes ou aller consulter l’ensemble des instances ou des acteurs qui pourraient éclaire une facette du problème. C’est donc d’une première approche, destinée surtout à permettre la comparaison avec le discours et les pratiques des autres IUFM.

Le GRI est invité à produire pour fin février 1994 un texte de six à dix pages. Titre suggéré :

Quelle formation pour les formateurs de terrain ?
État des lieux et des questions à l’IUFM de…

Document de travail pour l’Université d’hiver-printemps
du pôle Sud-Est, Fréjus, mars 1994

Ce document devrait être remis au groupe de pilotage de l’UHP qui en assurera la diffusion à l’ensemble des participants début mars 1994. Ce façon de faire laissera le maximum de temps au travail en atelier, chacun ayant pris connaissance avant l’UHP des divers textes.

Sommaire


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